Certes je savais à quoi je m'attendais. Un endroit qui se considère
comme un "rooftop" alors qu'il n'est en réalité qu'un "floortop" aurait
du me rendre méfiant! Ce n'est pas que je sois un fan des rooftops, loin
de là! Mais finalement je me suis dit oublions ce petit détail et
faisons confiance à Alfred de Musset, qu'importe le flacon pourvu qu'on
ait l'ivresse! Et l'ivresse ce n'est pas l'alcool qui allait me la
procurer, c'est une chanson, une seule… Where the streets have no name!
Au milieu d'une soirée animée par une musique assourdissante livrée par
un DJ inconnu, devait intervenir un groupe en live, aussi inconnu que
le DJ pour le public, et chanter uniquement cette chanson mythique de
U2. Bono avait écrit ses paroles lors d'un voyage humanitaire en
Ethiopie en 1985. C'est une de mes chansons préférées, une chanson de
grands espaces, qui abolit les frontières, surtout celles à l'intérieur!
A l'entrée du bâtiment,
un chassé-croisé d'invités qui doivent montrer patte blanche pour ceux
qui arrivent. On sent la crainte sur les visages, que leurs noms ne
figurent pas sur les listes alors qu'ils ont réservé leur place à ce
qu'il parait des mois à l'avance. C'est la rumeur qui le dit. Au
passage,ce n'est pas la peine d'appeler on vous répondra que c'est
complet pour toute la saison 2011, même si ce n'est absolument pas le
cas! Une autre rumeur le dit également. Peut être que tout cela fait
partie du plan com pour ce genre de lieu! Il y a aussi l'agitation des
valets parking, avec une confusion telle que n'importe qui peut repartir
avec n'importe quelle compagnie dans n'importe quelle voiture! Enfin,
presque! Je suis rentré par les coulisses à quelques minutes du live
show.
Nonobstant des odeurs de la colline de détritus à
gauche et des égouts de Nahr El-Mott à droite, l'alcool coulait à flot.
La Vodka étant la reine de la soirée. Je me suis souvenu de ce T-shirt
que portait la veille un jeune d'Achrafieh où il était inscrit "Wine is fine, but liquor is quicker"! Je n'adhère pas à cette école de pensée mais j'ai trouvé la phrase excellente! Je ne pensais pas l'utiliser aussi rapidement.
Les
artistes se sont donnés à fond, ils étaient en communion avec le groupe
irlandais qui se produisait au même moment à l'hippodrome de Montréal.
En dépit de cela, personne n'a décollé du sol à part les artistes
eux-mêmes! Le public regardait avec intérêt, mais n'osait pas se
relâcher complètement. C'est tout un art de paraître un(e) blasé(e) de la vie au Liban!
Le ridicule qui tue -il
y en a eu beaucoup, mais les autres ne tuaient pas- c'était ces faux
acrobates qui sont remontés des entrailles de la scène, accrochés par
des draps à des poulies coulissantes, portant des magnums ou des
mathusalems encore plus ridicules qu'eux. Le manipulateur du chantier
les fait passer au dessus du public, les fait avancer vers les
destinataires de la bouteille et lâche les câbles. Une hôtesse encore
plus ridicule que la bouteille elle-même, récupère le précieux produit,
allume des torches encore plus ridicules que cette potiche d'hôtesse,
pour se frayer un chemin dans un public médusé et envieux, et aller
poser ses magnums et ses mathusalems sur la table d'un personnage encore
plus ridicule que l'acrobate, la bouteille, l'hôtesse et la torche
réunis! J'ai adoré!
Pourquoi rapporter cette expérience?
Parce que j'ai trouvé l'aventure intéressante. Faut-il envisager une
action politique? Sûrement pas, la liberté est sacrée. Personne ne m'a
obligé à m'y rendre et personne n'empêchait les gens de s'y rendre non
plus. Je me suis souvenu de la tentative d'interdire la vente d'alcool à
Nabatiyé et je me suis posé la question à savoir si nous étions
dans une société dominée par le Hezbollah, où le parti de Dieu avait
les mains libres comme dans la République islamique d'Iran, est-ce que
de tels lieux continueraient à exister? Certainement pas.
Est-ce que ça serait une grande perte pour l'humanité? Sans doute pas,
mais cela constituerait une grave atteinte aux libertés fondamentales!
Ce n'est pas à l'ordre du jour du gouvernement Mikati, mais c'est dans
l'inconscient du Hezbollah qui contrôle l'exécutif libanais. Enfin, il
ne faut pas oublier que le régime iranien, qui reste le modèle concret
pour le Hezbollah, ne tolère pas ce genre d'endroits!
Nous
sommes repartis 15 minutes après l'arrivée sur la route du littoral, en
sens interdit à l'heure qu'il était -on s'est rendus compte au milieu
du chemin- car nos braves daraks étaient plus préoccupés par foutre des
amendes à des automobilistes BGBP, bons genres bons
payeurs, garés au bord de la route mais qui ne gênaient personne, au
lieu d'être en amont à faire respecter le sens du passage.
Bienvenue au Liban!