lundi 1 octobre 2018

L'échange surréaliste de César Abi Khalil, le ministre libanais de l'Energie, avec Joe Kaeser, le PDG de Siemens (Art.561)


Faut-il destituer César Abi Khalil, bannir Gebrane Bassil et engager Joe Kaeser, pour que, enfin, les Libanais aient le courant électrique 24h/24 ? Matière à réflexion.



- Flashback. Samedi 22 septembre. Dans un enregistrement vocal qui a fuité dans la presse, on entend le député Jaber Yassine, bloc parlementaire du Développement et de la Libération (Nabih Berri) pester contre le Courant patriotique libre (CPL) et le ministre de l'Energie, César Abi Khalil. « Malheureusement, ils ont fait rater au Liban une grande opportunité. Les diplomates accrédités à l'ONU nous ont demandé, comment avez-vous pu traiter Merkel de cette façon, pourquoi avoir refusé l'offre de Siemens. Est-ce que vous êtes devenus fous? » Oh, mais ils l'étaient déjà depuis un bail.

- Dimanche 23 sept. César Abi Khalil brise le silence pour faire savoir que « Siemens n'a pas pris part à l'appel d'offres » concernant la réhabilitation du secteur électrique. Attention, César est un grand malin, il joue sur les mots.

- Lundi 24 sept. La journaliste d'al-Arabiya, Yara Alandary, décide de prendre le taureau par les cornes et d'interroger directement le PDG de la société allemande à ce sujet : « Est-ce que Siemens a proposé ou discuté une offre quelconque avec le gouvernement libanais concernant l'électricité? » Aucune réponse de l'intéressé, il était en voyage d'affaires.


- Mercredi 26 sept. à 17h22, à son retour d'Irak, Joe Kaeser fait savoir, en anglais: « Oui, nous l'avons fait. Au cours de la visite avec notre chancelière, j’ai proposé d’aider à améliorer la valeur de toute la chaîne de l'électricité et de faire venir notre équipe pour évaluer ce qui convient le mieux pour les gens (les Libanais). Aucune réponse du gouvernement (libanais). Notre porte est ouverte! L'offre tient toujours. Appelez à tout moment! ». Réponse précise, made in Germany.


- Brainstorming au ministère libanais de l'Energie. A 19h56 précises, César Abi Khalil revient à la charge. Alors qu'il est tagué dans la discussion lancée par Yara Alandary, il ne répond pas tout de suite à Joe Kaeser. Sa priorité est ailleurs. Il prend son temps pour entreprendre une étude de texte du petit tweet de Joe Kaeser et de balancer en arabe et avec sarcasme urbi et orbi : « Petite traduction pour ceux qui ont été trahi par leur niveau d'anglais: "Nous avons proposé l'aide" ... Nous n'avons pas nié la réalité, nous avons publié le compte-rendu. "Nous enverrons notre équipe pour évaluer ce qui est le mieux pour le peuple libanais", c'est-à-dire qu'il n'y a pas encore d'offre officielle. » Traduction à cinq piastres et aucun compte rendu n'a été publié, César fait encore le malin, joue sur les mots et gagne du temps, avec une seule idée en tête, sauver la face et son poste en pleine formation du nouveau gouvernement. Donc, des foutaises sur toute la ligne. Une offre officielle a bel et bien eu lieu et a été ignorée par celui qui était obnubilé par la transaction concernant la location des trois centrales flottantes turques, Fatmagul Sultan, Orhan Bey et Esra Sultan.


- Quelques minutes après, le ministre libanais de l'Energie dédaigne répondre en anglais au PDG de la société allemande : « Nous sommes impatients de coopérer avec Siemens pour l’évaluation des besoins et, en conséquence, de recevoir peut-être une proposition formelle. » Un tweet d'aucune utilité, 2aret 7aké.


- Peu de temps après, sur son compte perso, César Abi Khalil rajoute : « Je réitère mon invitation à Siemens et à toutes les entreprises qualifiées pour rester à l’écoute des annonces du ministère concernant le prochain appel d’offres IPP, Selaata I et Zahrani II. » Toutes les entreprises qualifiées de la Voie lactée ! Et qu'en est-il de l'offre globale de Merkel-Kaeser précisément ? Niet. A croire le ministre libanais, Siemens et consorts sont plus impatients de décrocher le marché de Selaata et de Zahrani au Liban, que César Abi Khalil et consorts ne sont pressés de ramener l'électricité promise 24h/24 aux 4,2 millions de Libanais pour 2015! Mais voyons, « stay tuned » les gars hein, khalikoun 3al sama3 ya chabeb?


- Jeudi 27 sept. à 14h07, de nouveau Joe Kaeser prend le temps pour préciser : « Merci à tous pour cet excellent dialogue. Cela montre que vous vous souciez de l'avenir de votre pays! J'ai demandé à mon équipe régionale de contacter le ministre (César Abi Khalil) dès que possible. L'offre que j'ai faite au gouvernement (libanais) pour aider à optimiser l'électrification est toujours valable. Les Libanais méritent ça. #La puissance d'une promesse .» Et dire que César Abi Khalil essaie encore de noyer le poisson avec Selaata et Zahrani! Ce nouveau tweet du PDG de Siemens confirme sans l'ombre d'un doute qu'une offre a bel et bien était faite au gouvernement libanais en général et au ministre libanais de l'Energie en particulier, qui s'est permis de ne donner aucune suite depuis trois mois, à part ce « stay tuned » après l'éclatement du scandale.


- Jeudi 27 sept. à 14h50, la société allemande via la branche en charge du Moyen-Orient publie un tweet dans lequel elle fait savoir que « Siemens est prête à aider le Liban pour mettre à niveau son infrastructure électrique, en utilisant une technologie fiable et efficace au bénéfice de la population. Nous sommes impatients de coopérer avec le gouvernement libanais sur de futurs projets. Pour d'autres questions, veuillez contacter tamara.hamdan@siemens.com ».

- Jeudi 27 sept. à 15:37. Panique à bord, on aurait aimer se passer de cette nouvelle polémique qui assombrit encore plus l'avenir de César au ministère de l'Energie. Brainstorming à haut niveau et finalement la montagne accoucha d'une souris. Le ministre de l'Energie finit par retweeter un tweet d'OTV (chaine du CPL), dans lequel on apprend: « Abi Khalil en réponse au nouveau tweet du président de Siemens : Nous sommes toujours dans la déclaration d'intentions et si Dieu le veut, cela se traduira par une offre sérieuse et contraignante, dans le cadre d'un appel d'offres sérieux ». Inch'allah! Pour résumer la situation en une phrase, disons que pour notre César national, le PDG de Siemens ne peut pas encore être pris au sérieux à ce stade.


- Vendredi 28 septembre à 10h30 précises, c'est le coup de grâce pour César Abi Khalil : « Est-ce que nous devons donner des projets aux douze entreprises qui ont accompagné la délégation allemande et qui étaient disposées à (nous) aider? » Non, mais quoi encore, nous n'allons pas prendre le premier venu et inventer des projets comme ça! Affligeant. Il est inadmissible, vu la situation désastreuse de l'électricité au Liban, un secteur qui dépend de son parti depuis dix ans, que le ministre qui en a la charge depuis deux ans se comporte avec autant de désinvolture.

César Abi Khalil, le ministre libanais de l'Energie, le 28 septembre 2018 : « Est-ce que nous devons donner des projets aux douze entreprises qui ont accompagné la délégation allemande et qui étaient disposées à (nous) aider? » Mais voyons ! 28 ans après la fin de la guerre, les coupures électriques font toujours partie du quotidien des Libanais. Le secteur électrique coûte près de 5 milliards de dollars par an (énergie de l'Etat libanais via EDL, des centrales flottantes en location et des générateurs privés).  Le ministère de l'Energie est de facto entre les mains du Courant patriotique libre depuis 2008, Gebrane Bassil y a passé plus de quatre ans et César Abi Khalil près de deux ans.

La chancelière allemande Angela Merkel après sa rencontre avec Saad Hariri le 22 juin 2018 : « Nous voulons aider le Liban à mettre en œuvre ses réformes structurelles (...) Je pense que l’Allemagne peut apporter une bonne contribution, tant dans le domaine de l’énergie qu’en matière de gestion des déchets. » D'après le site du gouvernement fédéral d'Allemagne.

L'info sur l'offre Siemens circulait en coulisse depuis la visite de la chancelière allemande Angela Merkel au Liban, accompagnée par le président-directeur général de la société Siemens, Josef Kaeser, les 21 et 22 juin. La rumeur parlait d'un projet allemand pour ramener le courant électrique au Liban 24h/24 en 6 mois pour 800 millions de devises, euros pour les uns et dollars pour les autres. Certes, l'info de cet été était erronée et les propos du député Yassine sont approximatifs. Il n'empêche qu'il n'est nullement besoin d'être Einstein ou dans les secrets des dieux pour imaginer que la chancelière allemande n'est pas venue au Liban pour faire du coloriage avec les petits réfugiés syriens et que le PDG de Siemens ne s'est pas déplacé à Beyrouth pour aller manger une fattit hommous chez Le Chef à Gemmayzé !

Il y a trois certitudes que le ministre libanais aura beaucoup de mal à cacher à ses compatriotes : un échange de nature économique et commerciale a bel et bien eu lieu à Beyrouth fin juin entre le Liban et l'Allemagne ; les Allemands ont proposé d'aider le Liban notamment dans deux domaines où la situation est lamentable, la production électrique et la gestion des déchets ; les responsables Libanais n'ont pas donné suite aux propositions allemandes. César Abi Khalil peut faire le malin et jouer sur les mots, il n'empêche comme le rapporte le site internet du gouvernement fédéral d'Allemagne, la chancelière a tenu à faire savoir au cours de sa visite à Beyrouth : « Nous voulons aider le Liban à mettre en œuvre ses réformes structurelles (...) Je pense que l’Allemagne peut apporter une bonne contribution, tant dans le domaine de l’énergie qu’en matière de gestion des déchets. » Facile à comprendre à moins que notre ministre de l'Energie ne sait plus à quoi correspond son poste au juste.

Pour mesurer la gravité du comportement libanais et l'insoutenable légèreté de César Abi Khalil, sachez que l'Allemagne a versé 370 millions d'euros (soit 430 millions de dollars) pour venir en aide au Liban au cours de l'année 2017. Elle fait partie des pays qui se sont engagés à accorder au pays du Cèdre 10,2 milliards de dollars de prêts et 860 millions de dollars de dons lors de la conférence qui s'est tenue à Paris en avril 2018, à condition que le Liban entreprenne des réformes sectorielles, justement dans les domaines de l'énergie et des déchets. César Abi Khalil peut snober la Syrie et l'Iran, il a carte blanche, mais pas l'Allemagne pardi !

Pas besoin de se perdre dans 1001 détails et rumeurs. Les faits sont là et ils sont accablants pour l'actuel ministre libanais de l'Energie. César Abi Khalil est ni à sa place ni à la hauteur de la tâche. Alors que la situation électrique est désastreuse au Liban, il s'est permis de ne donner aucune suite à la proposition d'aide de Siemens, tantôt sous le prétexte qu'elle ne s'inscrit pas dans le cadre d'une adjudication ou d'un appel d'offres, tantôt sous l'excuse bidon qu'elle ne correspond pas à nos besoins. Le problème c'est quand le ministre libanais fait des appels d'offres, il ne respecte pas scrupuleusement les lois et les règles en vigueur en matière d'attribution de marchés publics au Liban. Il a fallu un long bras de fer avec les ministres du parti des Forces libanaises, pour remettre le train sur les rails. Son dernier soi-disant appel d'offres s'est limitée de facto à une seule société, comme par hasard. C'est cette confrontation CPL-FL sur ce dossier précis qui a dégradé les relations entre les deux partis chrétiens. Non seulement il n'a rien fait de sérieux contre le non-paiement des factures et le branchement illégal sur le réseau public, qui peut atteindre 70% dans certaines régions, mais il bataille depuis des lustres, aujourd'hui en tant que ministre et hier en tant que conseiller de Bassil, pour favoriser l'aberrante location de centrales électrique flottantes turques, depuis 2013, dont le coût pour les contribuables libanais est astronomique aujourd'hui : 850 millions de dollars par an ! Au total, d'après les contrats en cours, nous allons jeter par les fenêtres et dans les poches d'intermédiaires libanais et turcs, plus de 4,25 milliards de dollars, de quoi construire plusieurs usines pour assurer les besoins en électricité d'une dizaine de millions de personnes !

Au lieu de prendre le premier avion pour aller s'installer à Munich et discuter de jour et de nuit et en détails avec Joe Kaeser de la proposition faite à Beyrouth au mois de juin, dans l'intérêt des Libanais, César Abi Khalil joue aux fines bouches, fait le malin et s'amuse à avoir le dernier mot sur Twitter.

D'un côté, les Libanais ont la parole de Joe Kaeser, PDG de Siemens, une société fondée en 1847, qui représente 387 000 salariés et qui pèse plus de 92 milliards d'euros de capitalisation, soit 107 milliards de dollars. Pour prendre conscience avec qui César Abi Khalil s'amusait à tweeter à la légère, la prestigieuse entreprise allemande vient de terminer la mise en oeuvre du plus grand contrat de son histoire, conclu avec l'Egypte en 2015, construire pour six milliards de dollars trois centrales électriques produisant 14 400 mégawatts. Les gouvernements libanais depuis 2010, Hariri-Mikati-Salam-Hariri, avec Bassil-Tabourian-Nazarian-Abi Khalil aux ministères de l'Energie, ont prévu de dépenser presque autant, pour louer des centrales électriques flottantes turques! Cherchez l'erreur. Le projet gigantesque de Siemens en Egypte a été réalisé en un temps record, 27,5 mois seulement. Il a été inauguré cet été. Assurant l'électricité pour plus de 40 millions de personnes svp (sept fois la population au Liban, réfugiés syriens compris), il doit mettre fin aux coupures électriques chroniques qu'a connues le pays et qui étaient en partie responsables des manifestations qui ont conduit à la destitution du président Mohammad Morsi. C'était une promesse du général Sissi en 2014. Elle a été tenue. Chez nous, on vient de faire une chanson pour vanter les mérites du ministre toti-pluri-multipotent, Gebrane Bassil. César Abi Khalil doit encore faire ses preuves, pour mériter cela.

« Il y a trois ans, nous avons promis de fournir de l'énergie à plus de 40 millions d'Egyptiens. Hier, nous avont créé l'avenir avec nos partenaires. J'ai eu l'honneur de recevoir cette lettre d'appréciation du président égyptien. Equipe de Siemens, celle-ci va à vous! #La puissance d'une promesse »

Et ce n'est pas tout. Si César Abi Khalil était moins obnubilé par les navires-générateurs turcs et sauver sa face, et plus préoccupé par les intérêts des Libanais et être à la hauteur de son interlocuteur, il aurait appris que Joe Kaeser était en Irak dimanche dernier à la demande des autorités locales, pour proposer un autre projet pharaonique, l'augmentation de la production électrique irakienne de 50%, soit près de 11 000 mégawatts supplémentaires en seulement quatre ans, pour neuf milliards de dollars. Avec 3 000 mégawatts en sus, nous pourrions s'offrir le luxe de climatiser les rues de Beyrouth, enfin, couvrir largement nos besoins! Mais non, la vie serait trop belle. Tout ce que le ministère de l'Energie a trouvé de mieux à faire c'est de se réveiller enfin, après 30 ans de pratiques sauvages des rapaces des moteurs, pour imposer la pose de compteurs sur les installations électriques privées.

« Nous avons fait une promesse au peuple irakien et nous la tiendrons, comme nous l’avons fait en Égypte en un temps et avec une efficacité sans précédent. Notre feuille de route pour l'Irak fournira une électricité fiable au pays, une éducation pour des milliers de jeunes et 60 000 nouveaux emplois pour un nouvel Irak. »

Ainsi, la parole de Joe Kaeser est à mettre dans la balance contre celle de César Abi Khalil, de Gebrane Bassil et du Courant patriotique libre, qui ne savent plus quoi dire pour justifier le mépris inadmissible de la proposition allemande. C'est la parole de ces hommes politiques qui contrôlent un ministère vache à lait, celle de l'Energie, depuis dix ans et qui ont promis aux Libanais en 2011, au cours d'une campagne d'affichage et dans la presse, « Leban-off-on », qu'ils auront l'électricité de l'Etat 24h/24 dès la fin de l'année 2014. En vain.

Promesse faite en 2011 par le ministre de l'Energie Gebrane Bassil: l'électricité 24h/24 pour 2014-2015 

Cet échange est entre les mains du peuple libanais, toutes tendances politiques et appartenances communautaires confondues. C'est à lui d'en juger et de prendre acte. Malgré la facture globale exorbitante du secteur électrique au Liban, les Libanais dépensent près de 5 milliards de dollars par an (production de l'Etat libanais via Electricité du Liban, production des centrales flottantes turques vendue à EDL et production des générateurs privés libanais), la situation électrique des Libanais est la plus archaïques au monde. Et cela dure depuis près de trente ans. L'heure n'est plus à la recherche de l'erreur, l'heure est à la révolte. Je l'ai dit et redit, je persiste et signe, le ministère de l'Energie ne doit plus être accaparé par les forces du 8-Mars en général (pro-Assad et pro-Hezbollah) ou le Courant patriotique libre en particulier, comme c'est respectivement le cas depuis 1990 et 2008. Stop! César Abi Khalil doit être congédier. Si les gouvernements successifs depuis la fin de la tutelle syrienne en 2005 avaient confié à Siemens la charge de réhabiliter le secteur électrique, les Libanais seraient aujourd'hui en mesure de vendre de l'électricité à la Syrie et non dans la situation hallucinante d'acheter du courant électrique à ce pays qui est ravagé par la guerre depuis sept ans ! Mieux vaut tard que jamais, pour destituer César Abi Khalil sur le champ, comme pour engager Siemens sans plus tarder.