A l’heure où les manifestations pacifiques
et violentes se multiplient dans certains pays islamiques pour protester contre la
nouvelle « une » de Charlie Hebdo, quelques jours seulement après
l’enterrement des martyrs de la liberté d’expression, je voudrais revenir sur
quelques points qui concernent les attaques terroristes du 7-Janvier.
1. Alors que Charlie Hebdo plafonnait à 60 000 exemplaires d’habitude, 17
martyrs ont fait exploser le tirage de cet hebdomadaire en difficulté à 7 000 000 d’exemplaires. Mieux
encore, alors que peu de gens connaissaient Charlie Hebdo en dehors de
l’Hexagone, trois racailles islamistes plus tard, il n’y a plus un seul bipède
sur la planète Terre, qui ignore l’athéisme de la ligne éditoriale de l’hebdomadaire
satirique parisien, le dernier numéro étant même disponible dans une version
numérique arabe. A l’ère d’internet et des
réseaux sociaux, Facebook et Twitter, il
faut être particulièrement stupide pour ne pas se rendre compte que « la
censure », surtout dans sa forme extrême, l’exécution sommaire des (f)auteurs
de troubles, est la meilleure publicité pour l’œuvre contestée. Plus idiot
qu’un fanatique, tu meurs ! Charlie Hebdo s’est mué en un symbole
républicain et un cas d’école. Il est grand temps que tous les protagonistes le
comprennent, chrétiens, juifs et musulmans compris.
2. Dix jours après le massacre, grâce au sursaut national de 5 millions de Français
et de résidents en France, dont 2 millions à Paris, et moi et moi et moi, jamais auparavant « la liberté
d’expression » n’a été aussi sacralisée au pays de Voltaire que de nos
jours, notamment en ce qui concerne le droit de caricaturer les hommes religieux
et profanes, leurs cultes et leurs travers. C’est un combat perdu d’avance que de
vouloir la restreindre en France. Tous les protagonistes devraient en prendre
acte.
3. Beaucoup de ceux qui ont écrit sur le
sujet au cours des dix derniers jours qui ont secoué le monde, ont été
confrontés à la même question : faut-il
reproduire certaines caricatures de Charlie Hebdo pour accompagner un article
ou un reportage sur la tragédie du 7 janvier (l’attaque odieuse), le sursaut du
11 janvier (la manifestation historique) ou la renaissance du 14 janvier (le
numéro post-traumatique)? Le New York Times, le Washington Post et CNN ont décidé
de ne pas le faire pour ne pas heurter la sensibilité de leurs lecteurs de
confession musulmane. C’est leur droit. Tous les médias arabo-perso-musulmans
ont fait de même, pour des raisons évidentes. Un journal turc a osé braver
cette autocensure. En tout cas, le libre-arbitre existe, au moins dans les pays
occidentaux. Il n’empêche que le choix de
certains médias pose un problème déontologique. Prenons par exemple le New
York Times (NYT). Le quotidien
américain a défendu sa position par les protestations virulentes de ses
lecteurs suite à une première publication numérique le jour du drame. En
regardant de près l’édition du 8 janvier, au lendemain du massacre, on
s’aperçoit que le journal a pourtant publié en "une" l’image prise par un amateur
où l’on voit l’un des terroristes islamistes à Paris, un des frères Kouachi,
pointant son fusil vers un policier qui est à terre, levant les bras en l’air. A
supposer que les lecteurs ne connaissaient pas la suite (le policier sera
abattu une seconde plus tard), on peut déjà émettre une première
réflexion : comment un journal de la renommée du New York Times peut-il
considérer qu’une caricature où l’on voit un homme, supposé être Mahomet, dire par
exemple « 100 coups de fouet, si
vous n’êtes pas morts de rire » ou portant une affiche « Je suis Charlie », peut
heurter la sensibilité de ses lecteurs musulmans, et ne doit pas être publiée
en conséquence, et qu’une photo où l’on voit un islamiste sur le point
d’abattre en pleine rue de sang-froid un homme à terre et sans défense, ne
heurtera la sensibilité de personne, et mérite la une du plus important
quotidien américain ? La décision du NYT
va au-delà de l’extrême « susceptibilité musulmane » invoquée, elle
reflète une certaine dérive médiatique à l’échelle mondiale, où les actes les
plus violents sont banalisés. Il y a vraiment quelque chose qui ne tourne
pas rond dans ce monde.
4. La plupart des médias français, Le Monde et Libération en tête, ont décidé du contraire. Moi aussi,, je me suis posé cette question
en rédigeant les quatre articles que j’ai consacrés à ce sujet, dont celui-ci.
Mon premier réflexe, disons le plus spontané, était pour la publication. Evidemment,
je dirais même. Ça me paraissait
incongru de parler de ce drame où douze personne sont mortes, tués de
sang-froid par des islamistes « pour
venger Mahomet », une phrase que les terroristes ont répété à
plusieurs reprises, sans montrer ce qui
a bien pu motiver la tuerie. C’est comme un magistrat qui jugerait un crime, en
négligeant le mobile ! Impensable. D’ailleurs, si on avait eu à juger les
frères Kouachi et Coulibaly en France, nous aurions été obligés de présenter
les caricatures incriminées au tribunal. C’est une évidence. Ce qui ne l’est
pas, c’est le fait que si Charb, Cabu, Wolinski et Tignous, devaient répondre
de leurs caricatures devant une juridiction islamique digne de ce nom, on
aurait été obligés, là aussi, de présenter les « preuves ». En tout
cas, il était évident pour moi et pour tant d’autres en France et dans le monde, que pour mieux dénoncer le caractère minable,
abject et barbare de ces attaques terroristes, il fallait reproduire le motif
de ce crime, les caricatures.
5. Si nous admettons pour le besoin du
débat qu’on peut représenter Mahomet, la
« une » de ce numéro du 14 janvier de Charlie Hebdo serait incontestablement la plus miséricordieuse
représentation jamais réalisée de Mahomet malgré le crime abominable commis en son nom et au
nom de l’islam. L'ironie de l'histoire c'est qu'elle a été faite par un athée que des islamistes avaient décidé de tuer et qui l'a échapper belle. Titrer après le massacre de 12 personnes pour soi-disant « venger le Prophète », que « Tout
est pardonné », en dessinant Mahomet
avec la larme à l’œil, reste malgré la forme scabreuse du turban qui le
coiffe, un geste noble de la part des survivants de la tuerie islamiste. Je suis
convaincu que cette « une » peut
jeter les bases d’un nouveau rapport entre le journal satirique français et les
musulmans de France. Utopique ? Non. Pragmatique ? Ah oui ! Il n’est
demandé à aucune des deux parties de renoncer à ses convictions, mais simplement
de savoir gérer la vie citoyenne dans le
respect des lois en vigueur au sein de la République française, qui
garantissent aux premiers la liberté d’expression et aux seconds la liberté de
culte. Les événements tragiques que nous avons vécus ces derniers jours
doivent donc amener tous ceux qui se sentent impliqués ou touchés par ce drame à la
réflexion et à aller vers plus de maturité : Charlie Hebdo et Eric
Zemmour, comme les musulmans, individus et autorités, les chrétiens comme les
athées aussi, les caricaturistes et les écrivains comme les lecteurs et les citoyens également.
6. En dépit de la colère exprimée par
certains musulmans après la sortie du nouveau numéro de Charlie Hebdo, il faut
savoir que la représentation de Mahomet,
et au-delà, toute représentation humaine et animale, ne constitue pas un dogme dans
l’islam, comme le montre « La
vision d'Isaïe », une belle illustration unique au monde que l’on trouve dans un manuscrit arabe du 11e siècle d’al-Biruni (mathématicien, astronome, physicien, encyclopédiste, philosophe, astrologue, voyageur, historien, pharmacologue et précepteur, de grande renommée, il est d'origine iranienne, il écrivait en persan et en arabe; un cratère d'impact sur la Lune porte son nom !), Al-athar
al-baqiya (Vestiges des temps passés), qu’on peut consulter à la Bibliothèque
Nationale de France et à la Bibliothèque Universitaire d’Edimbourg, où l’on voit Jésus et Mahomet, côte à côte,
l’un en tunique bleue sur un âne et l’autre en tunique verte sur un dromadaire.
Même pour cette illustration apaisante, beaucoup de gens, chrétiens comme
musulmans, trouveront toujours à redire.
Certes, de telles représentations sont
rares. Mais, il existe plusieurs illustrations humaines en général, et du prophète
de l’islam en particulier, faites par des musulmans, arabes, perses, afghans et
ottomans. Certaines remontent au début de l’ère islamique, comme par exemple à
l’époque omeyade à Damas, d’autres sont plus contemporaines, notamment dans les
communautés chiites, y compris celle de la République islamique d'Iran. Cette interdiction
qui proviendrait surtout des hadiths, les actes et les paroles de Mahomet, et
non du Coran directement, est motivée par la lutte contre l’idolâtrie.
Beaucoup de gens se sont moqués de cette position rigide de la religion
musulmane, en ignorant que le rejet de l’idolâtrie est partagé à la fois par le christianisme et le judaïsme. Comme cela a
été rapporté par Moïse, dans la Torah des Juifs et le Pentateuque des
Chrétiens, Dieu lui-même exige par le 2e commandement : « Tu ne feras aucune idole, aucune
image de ce qui est là-haut dans les cieux, ou en bas sur la terre, ou dans les
eaux par-dessous la terre » (Exode
20, 3-4). On voit bien à quel point il faut une relecture distanciée et dépassionnée des textes
sacrés. Cela concerne toutes les religions monothéistes sans exception. Dans
tous les cas, une chose est sûre et certaine c’est la caricature, notamment
scabreuse, et sa diffusion massive, via internet, qui déchainent les passions
de certains musulmans.
7. Certes, la relation de la France avec
les religions est complexe. Le passé révolutionnaire anticlérical de la fille
ainée de l’Eglise le confirme. Puisque l’islam était inexistant dans la société
française de l’époque, beaucoup de faits
historiques devraient rendre les plus susceptibles des citoyens français de
confession musulmane, moins paranoïaques qu’ils ne le sont pour certains
aujourd’hui. Rappelons par exemple, que des lieux de culte chrétiens furent
détruits pendant la Révolution de 1789 et les biens de l’Eglise confisqués.
Pendant des années, il était interdit de célébrer la messe en France, et Notre-Dame de Paris fut transformée en un
dépôt de vin. Depuis plus d’un siècle, les Eglises sont séparées de l’Etat.
S’il y a un seul slogan qui résume l’esprit de la Révolution de « Mai
68 » c’est bel et bien « Il est interdit d’interdire ». Il y a une cinquantaine d’années une partie de la jeunesse française a décrété que « Même si Dieu existait, il faudrait le supprimer ». Pour
caricaturer un peu la situation, disons que Charlie Hebdo est l’enfant légitime
des Révolutions de 1789 et de 1968, d’où sa ligne éditoriale à la fois athée et
anticonformiste. Eh oui, c'est tout cela la France. Ainsi, les citoyens musulmans de ce pays n’ont pas à
prendre les caricatures satiriques
comme des attaques discriminatoires islamophobes, mais comme la perpétuation d’une tradition française qui
s’inscrit parfaitement dans l’histoire et la culture françaises.
Dans ce sillage, je voudrais rappeler en
plus, à tous les citoyens français, musulmans compris, qu’aucun pays au monde n’est plus respectueux de l’ensemble des
religions monothéistes que la France. Ni le christianisme, ni le judaïsme,
ni l’islam, n’est aujourd’hui victime d’aucune forme de persécution que ce soit.
Cette tolérance s’exprime dans la loi qui
garantit à tout un chacun une totale liberté de croyance, d’opinion et de culte,
inexistante dans beaucoup de pays du monde, notamment ceux où des musulmans se
sont élevés ces derniers jours contre les nouvelles caricatures de Charlie
Hebdo ! Tous les protagonistes « offensés » de France,
toutes confessions confondues, devraient donc s’en souvenir avant de tirer à
boulets rouges sur la « liberté d’expression » dans ce pays.
8. La
grande tolérance de la France s’étend aussi à la liberté d’expression, et
surtout, à la « liberté de conscience »,
comme on peut le lire dans le dernier Charlie Hebdo. Tout en garantissant la
liberté de croyance des uns, le blasphème n’existe pas, et pour cause, pour ne
pas réprimer la liberté des autres de ne pas croire et d’en rire, de Jésus, de
Mahomet, de Moïse, de Bouddha, de Hollande, le pays et l’autre aussi, et même
de Bakhos Baalbaki dans la foulée. Non seulement du fait de la loi, et de la
jurisprudence, mais aussi à cause de l’histoire et des traditions qui découlent
des Révolutions de 1789 et de 1968, on
admet en France, que la caricature, dont la vocation est de faire rire, n’a pas
de limites, contrairement aux écrits, dont la limite est fixée par la
diffamation. Voilà pourquoi, le
blasphème n’existera jamais en France, Dieu merci. Quand on voit ce que ça
donne au Liban, et dans la plupart des pays arabes, on ne peut que remercier le
bon Dieu qu’il en restera ainsi jusqu’à la nuit des temps. Qui est offensé, n’a qu’à zapper. La télécommande existe. Et si ça
ne marche pas, il faudra changer de piles. Et si cela ne marche toujours pas,
on peut saisir la justice. Telle est
la règle du jeu en France.
9. Dans le dernier numéro de Charlie Hebdo,
on retrouve une interview réalisée avec
Charb, dont le nom a été prononcé par un des frères Kouachi lorsqu’ils
avaient fait irruption dans la salle de rédaction de l’hebdomadaire parisien. A
sa lecture, on mesure l’étendue de la
stupidité des terroristes islamistes ! Le mot de la fin, je le
laisserai à Gérard Biard. Alors qu’il venait de perdre ses camarades, le
nouveau rédacteur en chef de Charlie Hebdo affirme que « les
premières victimes du fascisme islamique, ce sont les musulmans ». Beaucoup de gens le disent, musulmans compris. Reste à convaincre certains musulmans réticents, ainsi que les islamistes et les islamophobes engagés.