Non, ce ne sont pas les noms de trois belles italiennes
qui font tourner la tête de notre ministre de la Santé. Et allez savoir
pourquoi, mais je ne suis point étonné de ses récentes mésaventures. Une campagne ministérielle de contrôle des
denrées alimentaires au Liban, a révélé il y a quelques jours, la présence de
diverses bactéries, dont les fausses brunes du titre, et même dans certains
cas, « des
traces de matières fécales humaines » dans la bouffe des Libanais.
Des sources bien informées proches de Wael Abou-Faour, mais qui ont souhaité
garder l'anonymat, ont déclaré à BB's BLOGs, que pour le ministre de la Santé,
le Libanais est prié à partir d'aujourd'hui, quand il se délecte à balancer à
ses compatriotes le juron national « kol/kélé khara » (littéralement "mange du caca"), wa kel mechta2et « ékel el
khara », d'avoir l'obligeance de préciser si son interlocuteur ou interlocutrice
doit prendre cela au sens propre ou au
sens figuré, les deux options étant désormais disponibles au Liban, comme
la 4G d'ailleurs. On n'arrête pas le progrès, ma heik ? Le déclin non plus. Mesdames, Messieurs, mes chers compatriotes, nous sommes vraiment dans la merde, c’est le cas de
le dire.
Ma première réaction face à ce scandale,
est de féliciter le ministre libanais
d'avoir eu la volonté -même s’il n'a rien inventé, les services de contrôle
existaient déjà- mais surtout le courage -fi
belad el kharyané, comme par hasard on retrouve la racine de "khara"- de publier une liste
d'établissements libanais dont l'hygiène et la sécurité alimentaires laissent
beaucoup à désirer et menacent même la santé de la population au pays du Cèdre.
Fallait-il
opter pour la dénonciation publique ? Affirmatif. Et dire qu’on lui a reproché
cela ! Décidément homo erectus libanus -qui dit « erectus & anus »,
dit contamination à la chérie Coli- est une espèce énigmatique, qui passe son
temps à râler que ses ministres et députés ne font rien, et quand ils font
quelque chose, l’espèce leur reproche de ne pas faire assez, et lorsqu’ils font
assez, l’espèce proteste qu’ils en ont fait trop. 7tarna ya 2ar3a mnein badna nbousik.
Malgré certaines protestations
superficielles des éternels râleurs -dire que certains pensent encore que les Français sont des grands râleurs !- l'attitude du ministre de la santé est
conforme aux pratiques et aux mentalités occidentales. Certes, il aurait pu se
contenter d'un communiqué officiel, voire de faire son boulot en toute
discrétion puisqu'il est payé gracieusement pour ça par les contribuables
libanais. Mais, il ne faut pas oublier que le
tapage médiatique est le seul moyen efficace pour empêcher les fautifs -de toutes confessions et de toutes tendances politiques, sans exception et comme on peut l'imaginer sans prendre trop de risques- et leurs
soutiens à divers niveaux de l'appareil étatique libanais, d'étouffer l'affaire
par la corruption et les ingérences politiciennes. Bala 2art 7aké wou de7ek 3al d2oun, vu la nature et l'ampleur du
scandale, une conférence de presse s'imposait.
Ceci dit, loin d'être exemplaire le jeune
ministre libanais khabbas chouei, eza mich ktir,
encore un "kh" comme par
hasard. Le premier bémol réside dans le début de son show politique, pardon sa conférence de presse, qui n’a été relevé
par personne au Liban. Si le ministre était si préoccupé par la santé des
Libanais et la sécurité alimentaire de ce que ses compatriotes mangent, était-il nécessaire de nous gaver jusqu'à la nausée par des
considérations politiciennes du
genre que « ce qu'il fait s'inscrit
dans le cadre de la politique de réforme généralisée adoptée par le Parti
socialiste progressiste (PSP) »,
eh yeredd el 3ein smallah, « dans tous les domaines et dans tous les
ministères dont il a la charge », une généralisation grotesque sachant
que beaucoup de Libanais savent que le PSP est en réalité un parti confessionnel
druze qui se confond avec son leader Walid Joumblatt et que Walid Beik n'est
qu'une girouette politique qui change d'avis comme des chemises ? Non, bien évidemment. Et comme si ce
n'était pas suffisant, et vas-y bel
ma3el2a, il insiste avec lourdeur sur les exploits imperceptibles pour le
commun des mortels de ce pays, des anciens ministres druzes du PSP, Ghazi Aridi
et Akram Chehayeb, et d'un certain Terro, dont beaucoup ignoraient l’existence même de ce nom de famille.
Mais bon, nous sommes au Liban, il ne faut donc pas trop rêver. Zappons.
Zappons aussi l’amateurisme de la mise en scène de ces conférences de presse (1re, 2e), où le jeune socialiste-progressiste, ministre de surcroit,
n’était pas fichu de centraliser toutes les données à présenter au public en un
document unique posé sur la table devant lui. Tout écolier y aurait pensé, même pour un petit exposé. Il était perdu
entre les feuilles qu’on lui passait de droite et celles qu’on lui filait
de gauche, constamment en train de se faire confirmer les résultats avec les « experts »
qui l’entouraient à droite et à gauche. Zappons de même, la
blague à cinq piastres glissée au moment où il a eu à prononcer pour la
première fois le nom de la fausse belle italienne du titre, Escherichia
Coli : « cela fait une semaine
que nous nous entrainons dessus ». Eh bien, apparemment ce n'était pas suffisant. Avouez que ça la fout mal pour un
ministre de la Santé ! Passons également sur la naïveté des journalistes
présents dans la salle qui ont passé leur temps à pousser des « oh » et des « ouf » sifflants, à chaque
fois que le nom d’une enseigne connue était prononcé, chose inimaginable en Occident. Et il y en a eu des oh
et des ouf pour Spinneys, Hawa Chiken, Kababji, McDonald’s, SM Fahed, SM Abou
Khalil, SM Metro, Bedo, Hallab et surtout pour Roadster, qui pour l’anecdote, « est fière d'être la première chaîne
(de dîner) au Moyen-Orient à acquérir le certificat ISO 22000 ». Pas de chance, il va falloir revoir le dossier et déposer une nouvelle demande de certification.
Les contrôles des denrées alimentaires par
le ministère de la Santé ont concerné, entre autres, des supermarchés, des
restaurants, des boucheries et des boulangeries. Les infractions relevées par les contrôleurs sont très variées: cela va de la contamination des aliments
par Escherichia Coli (E. Coli
pour les intimes ; ce sont des bactéries intestinales qui représentent près
de 80 % de la flore aérobie ; elles sont inoffensifs mais certaines
souches pathologiques sont responsables d’infections urinaires, de
gastro-entérites et de colites hémorragiques graves), par Salmonella (bactéries à forte contagiosité ; on en
dénombre plus de 2 000 stéréotypes ; elles sont très résistantes, pouvant
survivre plusieurs semaines en milieu sec et plusieurs mois en milieu
humide ; elles se retrouvent dans les excréments des animaux d’élevage ;
elles sont responsables d’intoxications alimentaires et de gastro-entérites), et/ou par Listeria (bactéries très répandues, mais une seule espèce est pathogène pour l'homme ; très résistante, même à certains produits désinfectants ; elle est responsable d'intoxication alimentaire et présente un grave danger pour la femme enceinte elle-même et pour le fœtus), à l'usage d'ustensiles de cuisine rouillés,
à la présence d’aliments par terre et sur des sacs poubelles, à l’utilisation d’huiles
noircies par un emploi excessif et à l'ouverture des cuisines sur les toilettes.
Les aliments contaminés regroupent comme on peut l'imaginer essentiellement des produits transformés
(viande hachée, kafta, hamburger, tawouk, mkanek, soujouk, produits laitiers).
Au total, la campagne de contrôle a touché près de 1
100 établissements répartis soi-disant sur tout le territoire libanais. Le
problème c'est qu'à l'arrivée et pour l'instant, malgré deux conférences de
presse à 48 heures d'intervalle -we7dé be
tizz el tenyé, encore un grand risque de contamination!- on n’entend parler
essentiellement que d'établissements dans le Metn, le Kesrouan et Jbeil (des
régions chrétiennes), à Tripoli (région sunnite), mais aussi à Baabda, Aley et
dans le Chouf (régions mixtes et druzes). Cherchez l'erreur ! Ah si, seuls 4 malheureux établissements de Jnah,
Chiyah et Nabatiyé (régions chiites), ont été sacrifiés, pardon, épinglés, alors que 500
établissements de régions à dominante chiite auraient été contrôlés (Bekaa, Liban-Sud,
Nabatiyé). Par comparaison, le contrôle
de 600 établissements de régions à dominante chrétienne, druze et sunnite du Mont-Liban
et du Liban-Nord a permis d'identifier 48 pestiférés. A l’arrivée, nous
avons donc 4/500 vs. 48/600 ! L’écart est donc aussi significatif que douteux. « Nous continuons jusqu'au bout. Aucune
exception ne sera faite pour quelque région que ce soit ». Wlak, nous ne demandons qu'à vous croire
ya ma3alé el wazir.
Il n'empêche qu'à ce stade, même les mauvaises langues sont
en droit de se demander pourquoi la loi
et la souveraineté libanaises ne sont pas appliquées dans le Kesrouan comme
dans la Bekaa, à Tripoli comme à Baalbek, à Achrafieh comme à Dahiyé. Et
j'avoue je ne sais pas quoi répondre à ces mauvaises langues. Dans tous les
cas, une chose est sûre et certaine, le ministre de Walid Beik s'est précipité
pour pavoiser. La publication de ces blacklists
en feuilleton, lors de multiples conférences de presse avec des
caractéristiques populistes empruntées à la "téléréalité", révèle un
certain amateurisme de la part du ministre libanais de la Santé, pour la raison
citée précédemment, mais aussi ne serait-ce qu'à cause du fait qu'il est
aujourd'hui impossible de comparer les taux d'infraction entre les régions
libanaises et le taux national par rapport à ceux des pays développés. Wael Abou-Faour aurait dû se contenter
d'une seule et unique conférence de presse à la fin de toutes les analyses.
Mais bon, il faut comprendre que lorsque le jeune ministre de la Santé a
découvert qu'il avait un scoop sanitaire,
on dirait qu'il était déterminé à en tirer
un profit politique pour lui et pour son parti, d'où son introduction
déplacée lors de la 1re conférence de presse.
Ceci étant, l'amateurisme de son collègue
au ministère du tourisme est encore plus consternant. Michel Pharaon -l'homme impliqué indirectement dans l'affaire de te7milit zahlé, encore une contamination!- s'est
inquiété davantage pour l'impact négatif des conférences de presse sur le
secteur touristique que des révélations scandaleuses elles-mêmes. Enno chou, des touristes libanais et étrangers, intoxiqués par les trois fausses brunes du titre, stimulent le tourisme alimentaire au Liban ? Wallah el3azim rawéyé.
Il pense « qu'il faut un examen plus
approfondi ». Eh eh, rien de mieux pour noyer le poisson. Le comble c'est
quand il déclare son opposition de nommer publiquement les pestiférés « avant que ne soient émises des décisions
judiciaires » en ce sens. Ya3ein.
Désolé ya ma3alé el wazir, mais ça ne
se passe pas comme ça dans les pays développés quand cela touche à la sécurité
alimentaire. Ma3lé sma7elna fiya. Le
summum de l’amateurisme revient au président
du syndicat libanais des propriétaires de restaurants, Tony Rami, qui a le culot de parler de diffamation et de calomnie.
Pardonnez-lui, il ne connaissait sans doute pas bien le sens de ces mots.
Hélas, le
Liban n'est pas à son premier scandale sanitaire. On a tout connu: les
aliments avariés (viande), les aliments contaminés (poulet, produits laitiers),
les animaux non vaccinés (ovins et bovins en provenance de Syrie), les
médicaments contrefaits, j'en passe et des meilleurs. Pas besoin de nouvelle loi et d'une haute autorité de santé pour savoir
qu’Escherichia Coli, Salmonella et Listeria n'ont pas leur place dans nos assiettes.
Et comme d'habitude, certains Libanais, responsables et consommateurs, qui
connaissent mal l'Occident, min tizo comme
on dit dans notre contrée, commencent à partir dans tous les sens. Désolé, ce
n'est pas une nouvelle loi sur la sûreté alimentaire, même vieille de 30 ans,
qui empêchera les E. Coli d'infecter la viande et d’empêcher certains
établissements de mettre les aliments par terre. Et ce n'est pas la création d'une
Autorité libanaise pour la sécurité alimentaire, encore des salaires pour les
copains, qui découragera les Salmonella et les Listeria d'infecter les poulets, et d’autres
établissements d’utiliser des ustensiles rouillés.
Ce qui le fera, efficacement bien entendu,
c'est la conscience professionnelle de
tous ceux qui sont impliqués dans toute la chaine alimentaire au Liban, « de la fourche à la fourchette »
comme on dit dans les pays développés, « des ports et des aéroports aux usines et aux cuisines » comme Bakhos Baalbaki le dit, qu'ils soient Libanais ou étrangers (c’est tellement facile de
mettre tout sur le dos de l’Etat, dans cette philosophie déculpabilisatrice « enno weiniyé el dawlé ! » ;
mais bon, il ne faut pas compter dessus), ce sont les normes internationales (qu'on trouve gratuitement sur internet,
et qu'on peut résumer dans une circulaire que le ministre de la Santé ou de
l'Intérieur peut faire parvenir aux gens concernés ; ça fera largement
l'affaire et ne coutera rien), c'est l'hygiène
sanitaire élémentaire qu'on apprend dès la maternelle (comme le lavage des
mains systématiquement, à l’eau et au savon, et l'essuyage avec une serviette
sèche et propre, en évitant les produits désinfectants, après tout passage aux
toilettes et lorsqu’on rentre de l’extérieur ; les négligents devraient savoir qu'on retrouve des traces d’une quinzaine d’urines différentes dans un petit bol
de cacahuètes sur le comptoir d'un pub ; 1g de selles contient des
milliards de bactéries), c'est la
salubrité des cuisines et des lieux de stockage des aliments (lavage des
ustensiles ; le maintien des lieux propres, notamment le plan de travail ;
l’élimination des insectes de ces lieux), c'est la traçabilité basique des aliments (mieux vaut l’oublier pour
l’instant, ce n’est pas demain la veille que nous l’aurons, c’est tellement
complexe à mettre en place, même dans les pays occidentaux) et c'est avant tout
le bon sens (lavage des fruits et
légumes ; respect absolu de la chaine du froid ; cuisson à point des viandes ;
pas de consommation de lait non-pasteurisé ; éviter les viandes et les
poissons crus ; consommation rapide des aliments après l’achat ;
décongélation de la viande au réfrigérateur ou aux micro-ondes, et non à
température ambiante ; on ne coupe pas la viande et on encaisse avec les
mêmes mains ; qui travaille dans le
secteur alimentaire, ne doit pas toucher tout objet vecteur de germes comme le
téléphone même pour se rendre sur Facebook et lire cet article, les clés, les
télécommandes, le clavier, une poignée de porte, un interrupteur, une prise, une rampe, le caddie, les
billets de banque, les pièces de monnaie, etc.), l’application du principe de précaution avec certaines catégories
de la population (les enfants, les personnes de plus de 65 ans et les personnes
immunodéprimées), mais aussi et surtout, c'est le contrôle systématiques et réguliers des établissements (loin de
la récupération politicienne) et c'est la
condamnation publique des pestiférés (et comment, afin de pousser les
concernés à être plus consciencieux et à respecter scrupuleusement les normes
nationales et de bon sens ; c’est la clé de voute du rétablissement d’un Etat
de droit digne de ce titre). Je n’aborderai pas les problèmes liés à la mauvaise qualité de l’eau au Liban et à
la défaillance de la distribution électrique dans notre pays, et leurs
influences évidentes sur la sécurité alimentaire, je leur réserverai un article
à part à l’occasion d’une nouvelle conférence de presse, encore !, prévu
par le ministre de la Santé al semaine prochaine pour parler de l’eau.
On voit bien que pour en finir avec ce sacré merdier des contaminations alimentaires,
chacun de nous a un rôle à jouer. La solution ne réside ni dans le
fatalisme de certains Libanais ignares, akkilit
khara, qui râlent à longueur de journée sur les responsables incompétents
et qui continuent en même temps à « bouffer » dans les lieux
épinglés, ni dans la dérive identitaire d’autres Libanais chauvins, kamenn akkilit khara, qui sont outrés
que les établissements de « leur régions » aient été montrés du doigt.
Eh oui, ni la politique de l’autruche,
ni l’hystérie collective, ne permettent de protéger les consommateurs libanais
de toutes les pratiques honteuses de certains de leurs compatriotes. Pas plus que les conférences de presse don-quichottiennes d'ailleurs.
Seule une prise en charge scientifique du problème à long terme le permet.
Il est
parfaitement clair que vu les risques sanitaires auxquels nous sommes exposés
au Liban, ce qui sauve les Libanais ce sont, d’une part, cette bonne vieille
habitude héritée de nos ancêtres, qu’il ne faut pas perdre de vue surtout en
ces jours difficiles -et que l’on retrouve dans tout le pourtour méditerranéen,
par rapport aux régions d’Europe du Nord- de
cuire les aliments à cœur, un procédé qui permet de détruire les bactéries
pathogènes, et d’autre part, le fait que le
corps humain reste quand même une extraordinaire machine à lutter contre
les intrus par deux moyens d’une efficacité redoutable, l’acidité de l’estomac
et les défenses immunitaires. Mais, tout système aussi efficace qu’il soit a
ses limites. Il faut en être conscient, et faire en sorte, de diminuer les risques alimentaires auxquels sont exposés les êtres humains, par tous
les moyens qui sont à notre disposition.
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