Même les polémiques, on les fait qu’à
moitié au Liban ! Alors que quatre
choses frappent dans celle déclenchée autour de l’interview accordée par Amin Maalouf, romancier et académicien
franco-libanais, à la chaine israélienne
i24news, le 2 juin, on ne s’est occupés que de deux aspects du problème en ignorant deux
autres.
1. Une
partie de ceux qui étaient « contre » ont un flagrant penchant
totalitaire
Rien de nouveau dans nos contrées d’Orient,
mais tout de même. Ces médias de l’axe BeyrouthSud-Damas-Téhéran
ont beau être moribonds sur le plan financier, cela ne les empêche pas de
retrouver toujours de la vitalité pour empoissonner l’atmosphère général au
Liban. C’est le cas du quotidien Al-Akhbar qui se demande si Amin Maalouf
ne serait pas en fin de compte « Léon l’Israélien ». Le quotidien libanais se demande aussi, le plus sérieusement au monde, comment l’écrivain n’a pas trouvé de la gêne pour
prêter une « allégeance symbolique à Israël » et se laisser
interroger comme « un élève diligent,
poli et obéissant » par une
« présentatrice hystérique » ! Wlé el3ama wlo, de grâce ya
chabeb, choisissez une colle à sniffer de bonne qualité. Du côté d’Al-Safir, on est moins véhément, mais on
n’hésite pas à parler de « la trahison d’un intellectuel ». Dans Al-Modon, on évoque « l’orientaliste
français ». Pour ce quotidien électronique arabe, « parler de sa libanité est une sorte
de folklore destiné à la saison touristique et qui ne provoque que le
rire ». Enno heik, khabit laze2,
tout d’un coup, l’auteur de « Les
Croisades vues par les Arabes », est devenu un étudiant franco-israélien
qui a trahi son pays et égaré sa carte d’identité libanaise au fin fond du grenier de sa grand-mère ?
Rien d’étonnant la jabhet el soumoud wal tasaddé et pour un monde arabe habitué aux
slogans creux. Parlons peu, parlons bien. Tout ce beau monde se
place politiquement du côté de la tyrannie syrienne des Assad, père et fils,
surnommés à juste titre, « les
lapins du Golan », qui ont fait
plus de morts au Liban et en Syrie, que toutes les guerres israélo-arabes depuis
1948. Il n'a jamais fait aussi bon de vivre sur le plateau du Golan que sous le règne des Assad. En tout cas, toute la surenchère autour de la Palestine et ce tintamarre sur
cette affaire -qui ont culminé avec la réclamation de certains compatriotes et de ressortissants arabes
des « excuses » et le « jugement » de l’académicien,
« l'interdiction » de l'auteur de revenir au Liban et même sa « déchéance » de la nationalité libanaise pour servir d'exemple; à vrai dire, il ne manquait à cette vindicte populaire que la réclamation d'un « autodafé » des livres d'Amin Maalouf place des Martyrs!- doivent être mis sur le compte de l’expression désespérée d’une idéologie rendue caduque par l’impuissance
chronique des pays arabes depuis la création d'Israël et par trois événements aigus qui sont survenus depuis. Primo,
l’égarement des milices palestiniennes
au Liban dès la signature de l'accord du Caire en 1969, avec la bénédiction des milices libanaises de gauche, car nos hôtes croyaient que la route de
Jérusalem passait par Jounieh (chef-lieu du réduit chrétien au cours de la
guerre civile libanaise). Secundo, la poignée
de mains historique de la Maison-Blanche en 1993, entre Yasser Arafat, Président
du comité exécutif de l'Organisation de Libération de la Palestine et Yitzhak
Rabin, Premier ministre israélien. Tertio, l’écrasement
dans le sang de la révolte du peuple syrien par Bachar el-Assad en 2011 et l’enlisement du Hezbollah dans la guerre civile syrienne et les
faubourgs de Damas et d'Alep.
La dernière polémique stérile de ce genre -quoiqu'elle a été bien calculée par ses auteurs et très bénéfique pour eux sur le plan marketing- a
eu lieu en septembre 2012, quand le
groupe libanais Mashrou3 Leila avait refusé de jouer en première partie des Red Hot Chili Peppers, aux 90 millions d’albums vendus dans le monde et aux 1 364
791 872 vues sur YouTube, parce que les exubérants artistes de la Californie ont eu le malheur
d’insérer entre leurs concerts d’Athènes et d’Istanbul, deux concerts, à
Beyrouth et à Tel Aviv. Si on va avec cette logique jusqu'au bout, le Liban devrait vivre en isolement total et Mashrou3 Leila serait contraint de jouer qu'à Beyrouth et à Baalbek et non à San Francisco et à Los Angeles, justement, comme il le fait en ce moment.
2. Une
partie de ceux qui étaient « pour » sont d’une grande naïveté et d'une certaine intolérance aussi
Tout simplement parce qu’ils ont du mal à
comprendre qu’il existe des gens dans ce monde qui croient à la portée politique du boycott culturel,
scientifique, universitaire, sportif et économique, et surtout, à son
efficacité. Eh oui, c’est ce qui a contribué à mettre fin au régime d’apartheid
en Afrique du Sud.
Il faut dire que de l’avis général, même de certaines personnalités israéliennes, la politique de répression et de colonisation d’Israël est intenable à long terme. Elle est même à haut risque, pas seulement pour les principaux concernés, les Palestiniens et les Israéliens, mais aussi pour toutes les populations du Moyen-Orient. Et comment ! Il y a trois semaines, le ministre israélien de la Défense, Moshé Yaalon, qui est loin d’être une colombe, c’est un ancien chef d’état-major de l’armée israélienne, avait démissionné du gouvernement de Netanyahou car il a estimé que « des éléments extrémistes et dangereux ont pris le contrôle d’Israël ». Il a été remplacé par Avigdor Liberman, fondateur du mouvement Israël Beytenou (Israël notre maison), un immigré soviétique moldave d’extrême droite qui n’a retrouvé le chemin de la Terre promise qu’en 1978 !
En tout cas, partant du constat que les
négociations entre Israéliens et Palestiniens sont dans une impasse et le
resteront pour longtemps, que des militants de la société civile palestinienne
et des altermondialistes ont lancé le 9 juillet 2005 une campagne de boycott
d'Israël appelée « Boycott,
Désinvestissement et Sanctions », connue sous le sigle BDS. Celle-ci est intervenue un an, jour pour
jour, après la décision historique de la Cour internationale de justice qui a
ordonné à Israël « de cesser
immédiatement les travaux d'édification du mur (de séparation entre Israël et
la Cisjordanie, érigé) dans le territoire palestinien occupé... (et) de démanteler
immédiatement l'ouvrage situé dans ce territoire ». BDS s'est fixé trois
objectifs : la fin de l'occupation et de
la colonisation des terres arabes, l'égalité
complète pour les citoyens arabo-palestiniens d’Israël et le respect du droit au retour des réfugiés
palestiniens.
Il faut dire que de l’avis général, même de certaines personnalités israéliennes, la politique de répression et de colonisation d’Israël est intenable à long terme. Elle est même à haut risque, pas seulement pour les principaux concernés, les Palestiniens et les Israéliens, mais aussi pour toutes les populations du Moyen-Orient. Et comment ! Il y a trois semaines, le ministre israélien de la Défense, Moshé Yaalon, qui est loin d’être une colombe, c’est un ancien chef d’état-major de l’armée israélienne, avait démissionné du gouvernement de Netanyahou car il a estimé que « des éléments extrémistes et dangereux ont pris le contrôle d’Israël ». Il a été remplacé par Avigdor Liberman, fondateur du mouvement Israël Beytenou (Israël notre maison), un immigré soviétique moldave d’extrême droite qui n’a retrouvé le chemin de la Terre promise qu’en 1978 !
Toujours est-il que le mouvement BDS existe, a sa raison d’être et des gens de par le
monde militent activement pour le faire connaitre. En parallèle, d’autres le
combattent. Depuis l’automne 2015, le pays de Charlie est l’une des rares démocraties
dans le monde à sanctionner les campagnes de BDS visant à boycotter les
produits israéliens commercialisés en France, pour cause de « provocation à la
discrimination ». Au royaume de la liberté d’expression, ça fait tache !
Il n’empêche que malgré le lobbying
sioniste pour redorer le blason d’Israël dans le monde à chaque violation
du droit international, des résolutions de l’ONU et des droits de l’homme, commise
par l’Etat hébreux, de grands noms
soutiennent le principe du « Boycott, Désinvestissement et Sanctions ».
Le plus célèbre d’entre eux est sans doute Roger Waters. Après la décision contestée de la justice française de sanctionner
les actions BDS, le membre fondateur du groupe légendaire Pink Floyd a adressé
une lettre au peuple français où il a rappelé que « BDS est jusqu’ici, la
seule voie efficace vers une paix possible en Terre sainte, fondée sur le
bien-être des Palestiniens et des Israéliens, partageant la liberté, la justice
et l’égalité ». Le soutien le plus dérangeant pour Israël est incontestablement
celui de Gideon Levy, journaliste et
écrivain israélien. Alors que ce membre de la direction du quotidien Haaretz se
définie comme un « patriote
israélien », il ne cesse de dénoncer la politique de l’Etat hébreux
dans une chronique hebdomadaire. Justement, dans celle du 1er mai
2016, il dit clairement que « le boycott est la seule voie pour mettre fin à l’occupation israélienne ». Dans une interview précédente, il
affirme même qu’aujourd’hui « le
seul instrument qui donne de l’espoir, c’est BDS. C’est une voie non-violente,
légitime, qui s’est avérée très
efficace contre l’apartheid en Afrique du Sud. Et il n’y a aucune
raison de ne pas l'appliquer également envers Israël.
Aussi longtemps qu’Israël continue de soutenir tous ces crimes, aussi longtemps que perdure l’occupation... BDS a un objectif très concret, c’est de mettre
fin à l’occupation. C’est un objectif légitime, c’est un objectif moral. Je voudrais ne pas devoir dire cela, mais je ne vois rien d’autre qui puisse
être plus efficace que cela. » Même son de cloche du côté de Rony Brauman, ancien président de
Médecin Sans Frontières : « le BDS est une arme pacifique et efficace
pour mobiliser les citoyens et influer sur le cours politique des choses ».
Ce médecin français, né à Jérusalem, a même signé l’Appel juif pour le BDS, une pétition lancée en France au début du
mois d’avril par Pierre Stambul, président de l’Union juive française pour la
paix. Elle fut adressée au Premier ministre français, Manuel Valls. Les signataires affirment : « La guerre
menée par l’État d’Israël contre le peuple palestinien n’est ni raciale, ni
religieuse, ni communautaire : c’est une
guerre coloniale. Depuis des décennies, le peuple palestinien subit
l’occupation, la colonisation... Le fait d’être juif/ve n’implique aucune
obligation d’allégeance à Israël ni à sa politique criminelle... Je suis juif/ve et avant tout attaché-e
aux droits, aux libertés et à la justice pour tous. A ce titre, j’appelle : à boycotter Israël parce que le crime prétend se faire en mon nom. Je refuse que le
peuple palestinien paie pour des crimes (l’antisémitisme, le génocide nazi) commis
par les sociétés européennes ; à boycotter Israël parce que les dirigeants
occidentaux sont complices de la politique israélienne et que, sans sanctions, le rouleau compresseur colonial
se poursuivra. »
Alors, avant
de défendre le droit d’Amin Maalouf d’accorder une interview à une chaine
israélienne, sans y apporter la moindre nuance, et de se déchainer pour étouffer toute critique qui peut lui être adressée, il faudrait : primo,
se souvenir que nul détenteur de la nationalité libanaise n’est censé ignorer
que le Liban est officiellement en état
de guerre avec Israël ; secundo, réaliser l’ampleur de l’injustice qui frappe les Palestiniens
de la Terre sainte et des pays d’accueil aux alentours (Liban, Syrie, Jordanie,
etc.) ; et tertio, prendre conscience de l’espoir que constitue pour ces derniers, le principe du BDS, pour mettre
fin à la colonisation des Territoires palestiniens occupés et garantir le droit
de retour des réfugiés palestiniens du Liban (500 000 personnes) et des
autres pays arabes sur leurs terres. La critique d’Amin Maalouf est non seulement
recevable, mais elle est pleinement justifiée. La dérive totalitaire
de la polémique, dans le camp de ceux qui sont « pour » comme dans le camp de ceux qui sont « contre », ne l’est absolument pas.
3. Personne
ne s’est donné la peine d’enquêter sur i24news, une chaine d'information basée en Israël
Et pourtant, c’était la moindre des choses
dans un tel contexte. I24news est une chaine
d’information israélienne en continu, lancée à l’été 2013 et basée à Tel
Aviv-Jaffa. La chaine diffuse ses programmes en anglais, en français et en
arabe, dans le monde entier, via le câble, le satellite et internet. Pas en
hébreux, pas en Israël. Pour des raisons réglementaires nous dit-on, sur un
fond idéologique peut-être. De toute façon, son financier, le milliardaire franco-israélien Patrick Drahi, né
au Maroc, n’a jamais caché l’objectif de son projet : « montrer le vrai visage d’Israël au monde ». Mais pourquoi pas, sauf que pour désigner l’installation des
Israéliens dans les Territoires palestiniens occupés de la Cisjordanie, de la
bande de Gaza et de Jérusalem-Est, sa chaine devrait parler de « colonies » plutôt que « d’implantations », à moins de considérer le droit international comme un essuie-mains et les résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU comme un tapis-brosse. En tout cas, selon
une info publiée par La Tribune, la
cinquième fortune de France -16,5 milliards de dollars d’après le magazine
Forbes (2015), 16,7 milliards d’euros d’après le magazine Challenges- l’homme
le plus riche d’Israël et 57e fortune mondiale, agirait à titre personnel pour « des motivations sionistes sincères afin d'améliorer l'image d'Israël ». Voilà qui est clair. Lui
aussi, il n’a trouvé le sentier de la Terre promise que récemment, vers 2009 svp.
Enfin, il n’y réside que par intermittence. Le roi des holdings et
des sous-holdings, à Guernesey et au Luxembourg, est un résident suisse since 1999 svp. Son nom figure dans les Panama
Papers, bien évidemment. Mieux encore, en 2014, on apprend dans Challenges, qui tient l’info
de son avocat, que Patrick Drahi a souhaité en 2013 renoncer à sa nationalité française et n’en garder que l’israélienne,
mais qu’il n’a pas effectué les démarches administratives concomitantes dans les délais, ce
qui fait qu’a priori, il est toujours Français. Oh, c’est pas très catholique
ça ! Surtout que Patrick Drahi, pour ceux qui n’en ont jamais entendu parler,
est un homme discret qui est pourtant à
la tête d’un empire en France, qui comprend des entreprises de réseaux
câblés, de télécommunications et de médias, comme Numéricâble-SFR, L’Express,
Libération, L’Expansion, BFM-TV, RMC, Stratégies, etc.
Et ce n’est pas tout. A sa prise de
fonction comme PDG de la chaine, Frank
Melloul, aux nombreuses connexions politiques en France, a affirmé que la
mission d’i24news est de « couvrir l'actualité internationale avec un regard israélien ». Ça passe encore. Ce
qui est plus grave, c’est ce qu’il a dit ensuite. « En 2010, le Premier ministre
israélien Benjamin Netanyahu avait affirmé à la tribune de la Knesset, qu’il espérait voir Israël disposer d’une chaîne comme France 24. Ce rêve va devenir
réalité ». Je vous le dis, tout est politique au Moyen-Orient, surtout
l’information. Pour le site d’info
Orient XXI, dont la rédaction comprend des ex-rédacteurs en chef du Monde
diplomatique, de L’Express et du Courrier international et dont le directeur
n’est autre qu’Alain Gresh, « sur i24news, on défend Israël de manière sobre mais déterminée. Derrière le soft d’une chaîne à l’habillage soigné
(...) il y a le hard : une ligne éditoriale tout à fait pro-israélienne ».
Toujours est-il que la chaine israélienne, qui avait une ambition de départ de
supplanter Al-Jazeera, n’est pas en
bonne santé financière. Il faut dire qu’elle peine à décoller avec une audience évaluée à 0,1% en France.
Sur le plan interne, l’ambiance au sein de l’entreprise est exécrable. Pour le marketing, i24news se targue d’avoir
des journalistes de « 35 nationalités...
de coexistence », blablabla. En pratique, on y retrouve « humiliations, hurlements, flicage,
licenciements minute et paranoïa ». On raconte qu'un jour, une journaliste s’est retrouvée
menacer de passer au détecteur de mensonges parce que la direction l’accusait à
tort « d’avoir entravé la diffusion d’une
émission ». Bienvenue en Israël.
Evidemment qu’Amin Maalouf ne pouvait
savoir tout ça. Il ne pouvait pas non plus faire une enquête approfondie sur la
chaine israélienne. Lui tomber dessus avec une agressivité préméditée est
malhonnête. Toutefois, à l’avenir, personne ne pourrait dire qu’il ne savait
pas, surtout Amin Maalouf. Quand des députés arabes israéliens
refusent de se rendre dans les studios de la chaîne i24news, les « Amin Maalouf
» feraient mieux de réfléchir à deux reprises avant d’accorder une interview,
même à distance, à un média aussi controversé.
4. Personne
ne s’est donné la peine de regarder l’émission entièrement
Il y a les pour et les contre, le débat est
passionné, mais personne ne s’est donné la peine de visionner l'émission incriminée et d'en parler en détail ou ne serait-ce que de donner un lien pour que tout un chacun puisse l'évaluer. Bienvenue au Liban ! Des deux côtés, on répétait en
boucle le contenu des dépêches des agences de presse. Alors qu’en est-il au
juste ? Amin Maalouf est intervenu dans le cadre de l’émission « Culture » animée par Valérie Abécassis,
autour du thème de « l’intelligence
des lettres, des gens et des situations ». Il a été interrogé à
distance, à l’occasion de la sortie de son
livre « Un fauteuil sur la
Seine » (Editions Grasset), il y a trois mois, qui parle des 18 académiciens
qui l’ont précédé au fauteuil n°29 (Lévi-Strauss, Montherlant, Ernest Renan,
Claude Bernard, etc.). Il sera aussi question de la mission principale de
l’Académie française, de la rédaction du nouveau dictionnaire (9e édition en 4 siècles), du portrait de
ses prédécesseurs et du rayonnement de la langue française dans le monde. Au
cours de cette interview (5:20-15:15 et 20:43-30:10), la journaliste ne fera
allusion à ses origines qu’à deux ou trois reprises (franco-libanais, né à
Beyrouth) et l'écrivain n'abordera aucun sujet politique.
Par ailleurs, il faut savoir que l’émission avait commencé par un hommage à « Latifa Ibn Ziaten, une femme
d’exception », comme on pouvait
le lire en sous-titre, à l’occasion du lancement du projet documentaire sur
elle : « Latifa, le cœur au
combat ». Latifa c’est cette femme qui se définit comme une Française
d’origine marocaine, de confession musulmane, qui a perdu son fils le 11 mars
2012 sous les balles du terroriste Mohammad Merah. Après cette tragédie, elle a décidé de
parcourir la France, pour dénoncer ceux qui tuent au nom de l’islam et montrer
son attachement aux valeurs de la République française. L’intervention de notre
héros national a été précédée d’un reportage
sur le Festival Vocal Music qui se déroule à Abu Gosh (près de Jérusalem)
depuis 25 ans et qui selon son co-organisateur, frère Olivier, un moine
bénédictin, rassemble « un public
principalement juif, qui vient dans un village musulman, pour assister à un
concert dans une église chrétienne ». L’interview d’Amin Maalouf sera
suivie d’un reportage sur un clown américain,
Jango Edwards, qui est venu jouer en Israël pour les enfants de Haifa, dans une
ultime tentative de « changer un
monde qui est devenu fou ». On retrouvera Amin
Maalouf de nouveau pour une dizaine de minutes supplémentaires. Son deuxième passage sera suivi par l'incontournable pub
pour le film « Peshmerga » de Bernard-Henri Lévy, qui à la
surprise générale a été coincé dans la sélection du festival de Cannes et que
je conseille de regarder avec des boules Quies bien enfoncées dans les oreilles, pour éviter la saturation de votre
ouïe par la voix off et omniprésente, professorale et pompeuse, de BHL. L’émission se termine par l’extrait d’une chanson des trois sœurs A-Wa qui
chantent « pour initier le monde aux sonorités
du Yémen ».
Là, je crois que beaucoup de compatriotes
seraient tentés de me dire, « mais enfin BB, avec un programme plein d’humanisme, de fraternisation et de bons
sentiments, comment Amin Maalouf pouvait-il refuser d’accorder une interview
à i24news pour le seul motif que la chaine est israélienne ? » A
condition de zapper les points 2 et 3 du présent article, ce qui sera difficile pour ce dernier, je vous l'accorde, c’est défendable. Mais que
voulez-vous, je vis au Moyen-Orient
depuis 6 000 ans. Des civilisations ? J’en ai vu. Des religions ?
J’en ai connu. Des guerres ? J’en ai vécu. Au cours de ma longue histoire,
j’ai appris à me méfier des apparences. Dans
cette contrée du monde, tout est politisé. La terre, l’eau et le gaz. Mais
aussi, le falafel, le hommos et le baklawa. Ainsi que le patronyme, l’amour et
la culture. Eh oui, bienvenue au Moyen-Orient !
Le
gaz ?
Les Israéliens se dépêchent de l’extraire énergiquement au large des côtes orientales de la
Méditerranée, pendant que les Libanais s’affairent à construire des usines à gaz ! Le
hommos ? Les Israéliens font tout pour s’accaparer la paternité du
célèbre plat du Liban et de la Palestine ! La culture ? Limitons-nous à l’émission d’i24news. Tout ce qui est passé dans l’émission de
Valérie Abécassis était politisé. Eh oui, croyez-moi, il n’y avait rien de subliminale.
Prenons
le festival de musique.
Certes, l’idée de rapprocher les gens est fantastique et le frère Olivier est
un moine exceptionnel. Sauf qu’on n’a pas cessé dans le reportage de parler de « village arabe » et de « village musulman », alors qu’aucun arabe, musulman ou même chrétien, n’a
été interviewé par i24news, le frère Olivier vient de l’abbaye Notre-Dame
du Bec-Hellouin en Normandie (France), et la grande partie du reportage est consacré
à l’un des invités israéliens, Avichaï Cohen, promu « pour mettre du jazz israélien dans les églises d’un village
arabe » car « Jésus aime le
jazz israélien », sachant que d’autres groupes internationaux joueront
de la musique baroque et romantique, de l’opéra et du Léonard Cohen. Ça va un
peu plus loin et plus franco avec le clown américain.
L’artiste grand enfant est comme par
hasard opposé au boycott d’Israël, hehehe. Ça sera bien souligné dans le
reportage à deux reprises. Le comble c’est à la fin de l’émission avec ces trois femmes charmantes qui chantent en
arabe. « Culture » les présente d’une
manière très particulière. « On
va descendre très très très très au sud de cette région compliquée. On va aller au Yémen avec les trois sœurs
A-WA. » Dans l’intro on nous a déjà parlé des « trois sœurs qui ont su transmettre leur héritage yéménite ». Valérie Abécassis nous explique « qu’elles ont sorti de l’oubli les
mélopées de leurs ancêtres. Elles
publient leur premier album Habib Galbi ». La journaliste nous annonce
même fièrement « qu’elles étaient venues jouer dans les studios de
Culture à leur début » et conclut : « On est très heureux de savoir que ça cartonne pour elles en
France ». Une dernière info, tout au long des présentations successives dans l'émission, le nom du groupe "A-WA" était prononcé "aïwa", qui signifie "oui" dans les dialectes arabes du Proche-Orient. Alors, question pour les lecteurs-champions :
quelle identité donneriez-vous aux trois sœurs A-WA ? Des femmes arabes
musulmanes du Yémen ! Faux sur toute la ligne. Enfin, je n’ai contrôlé ni leur filiation ni leur sexe. Par contre, je peux vous assurer que ce sont trois israéliennes de la famille Haim et
de confession juive. A
aucun moment dans l’émission, il ne sera précisé qu’elles le sont, israéliennes bien entendu. Elles se
nomment : Tair, Liron et Tagel. Qu’est-ce que cela change sur le plan
musical ? Rien. Le mariage du dialecte yéménite et de la musique
électronique est superbe. Personnellement, je préfère « Lau Ma Al Mahaba »
(Ah, sans l’amour) à « Habib Galbi » (L’amour de mon cœur). Mais là n’est
pas le problème. La présentation des trois
sœurs faite par i24news ne doit absolument rien à l'oubli, au hasard et à la culture pure. Hélas,
elle a aussi un but éminemment politique. Tout a été fait pour laisser croire aux téléspectateurs
francophones que ce sont des artistes arabes musulmanes qui n’ont aucun souci
de se présenter en Israël et sur une chaine israélienne, alors qu’elles
sont des israéliennes nées en Israël, de confession juive. Elles n’ont jamais connu le Yémen. D’après le site français Cool Israël, « l’un des vecteurs de propagande de
l’ambassade israélienne à Paris » tel qu’il est décrit par Orient XXI, il n’y a aucune ambigüité, A-WA
est « le groupe israélien qui va
vous faire chanter en arabe ». Superbe projet musical, à condition de ne
pas tromper les amateurs avec des présentations politisées.
Evidemment qu’Amin Maalouf ne pouvait pas
connaitre tout cela à l’avance. Vous non plus. Maintenant il le sait. Vous
aussi. Bon gré, mal gré, voici les
faits. Chacun en disposera à sa guise. C’est ce qu’on appelle le libre
arbitre. Le fondement même de toute démocratie.