Savoir si oui ou non le Moyen-Orient se débarrassera un jour de Daech, n'est pas la question. Cela occupe trop certains et détourne leur attention de l'essentiel. Quelles sociétés nous voulons pour demain, indépendamment des menaces sécuritaires d'aujourd'hui? Pas la peine de se voiler la face et de faire l'autruche, l'enjeu actuel pour nous les Libanais est surtout de rattraper notre retard sociétal pris sur les pays développés. C'est dans ce cadre que s'inscrit le nettoyage de notre législation des dispositions arriérées qui affectent notre société et certains esprits.
I TUNISIE vs. LIBAN : AVANCÉE PROGRESSISTE CONTRE APPROCHE TRIBALE
Le
hasard a voulu qu'en ce moment même, de l'autre côté de la
Méditerranée, la Tunisie, berceau du Printemps arabe et de la
Phénicie d'outre-mer, est pleinement engagée dans une lutte
juridique sans précédent contre toutes les formes de
discriminations et de violences faites aux femmes. Non seulement elle
a supprimé la disposition archaïque qui permettait comme chez nous,
à un violeur de se soustraire à la justice en épousant sa victime
mineure, mais elle est en passe d'imposer une égalité totale entre
les hommes et les femmes, qui remettra forcément en cause certaines
dispositions de la tradition musulmane, notamment en ce qui
concernant l'héritage (la femme reçoit une demi-part par rapport à
l'homme).
Au
Liban, les vaillants héritiers de la Phénicie métropolitaine et
actuels représentants de la nation libanaise ont décidé de
supprimer cette disposition archaïque de la loi libanaise, mais
d'une manière partielle. On se félicite, on pavoise, et pourtant,
la nouvelle loi libanaise prévoit de nouvelles dispositions
archaïques gravées noir sur blanc dans le Code pénal. Celles-ci
concernent les relations sexuelles avec des mineur-e-s âgé-e-s de
15 à 18 ans, mais aussi les rapports sexuels entre adultes. Elles
posent des problèmes de divers ordres.
II LE VIOL CONJUGAL N'EST PAS SANCTIONNÉ AU LIBAN
Le
nouveau Code pénal du Liban portant sur les rapports sexuels, ferme
les yeux sur, reconnaît indirectement, légitime, s'arrange avec,
régularise, appelez cela comme vous voulez, le viol conjugal, si
l'objet de ce dernier est d'aboutir à une relation sexuelle.
Ce
principe ressort au moins dans deux articles de la nouvelle
législation (503, 504). L'article 503 par exemple, n'a été ni revu
ni corrigé, il reste tel qu'il a été écrit il y a des décennies.
Et pourtant, ses termes précisent que « quiconque oblige
quelqu'un d'autre que son époux(se), par la violence et la menace, à
avoir une relation sexuelle, est punis de 5 ans de travaux forcés au
minimum ». Et si c'est « son épouse », la loi
ne précise rien. Ce n'est donc pas grave. Selon les parlementaires
libanais, cela devrait s'inscrire sans doute dans le cadre du
« devoir conjugal », promu par une société patriarcale,
machiste et religieuse. Ainsi, le crime n'est condamnable qu'en
dehors du couple, mais pas dans le couple. Eh oui, la nouvelle loi
libanaise ne reconnaît pas le viol conjugal et ne le condamne pas
directement.
III UNE RELATION SEXUELLE AVEC UNE MINEURE DE 15 À 18 ANS EST UN CRIME
SAUF SI LE COUPABLE EPOUSE SA VICTIME
En
rédigeant le nouvel article 505 du Code pénal, portant sur «
une relation sexuelle avec un-e mineur-e », les parlementaires
libanaises n'ont pas jugé utile de préciser si celle-ci se fait
avec ou sans consentement. C'est fâcheux pour une loi d'être vague.
En tout cas, l'acte est considéré comme un crime en dessous de
l'âge de la majorité sexuelle, 18 ans, même avec consentement.
Coucher avec un-e mineur-e est puni d'au moins 5 ans d'emprisonnement
et de travaux forcés si le-la mineur-e est âgé-e de 12 à 15 ans,
et d'au moins 7 ans si moins de 12 ans.
Par
contre, si le-la mineur-e est âgé-e entre 15 et 18 ans, là,
surprise, grâce à la baguette magique des députés libanais,
l'auteur du crime, se voit offrir le choix : soit d'être emprisonné
entre 2 mois et 2 ans, sans travaux forcés svp, soit d'épouser sa
victime, avec les youyous d'usage. On croit rêver! Mais attention,
les législateurs libanais sont consciencieux. Ils prévoient que le
droit au mariage ne pourra pas être accordé par le juge qu'en cas
d'un rapport favorable de la part d'une assistante sociale sur la
situation socio-psychologique de la victime, et d'une évaluation
périodique, bisannuelle sur trois ans.
IV UNE RELATION SEXUELLE AVEC UNE FILLE DE 15-18 ANS PEUT CONDUIT AU
MARIAGE, AVEC UN GARÇON DE 15-18 ANS, À LA PRISON
A
moins que nos cyniques parlementaires aient voulu envoyé un message
codé à la population libanaise : achtung, le mariage est une
prison. Trêve de plaisanterie. Qui lit et relit la nouvelle loi, se
rendra compte de deux choses révoltantes supplémentaires. On s'est
concentré exclusivement sur « la relation sexuelle avec un
mineur de sexe féminin », comme si, cela ne pouvait pas
concerner un mineur de sexe masculin. Alors, question pour un
champion: que risque l'auteur du crime de relation sexuelle avec un
garçon âgé de 15 ans avec la nouvelle loi libanaise? Entre deux
mois et deux ans de prison. Soit. Alors récapitulons: la relation
sexuelle avec une fille mineure âgée de 15 à 18 ans peut conduire
au mariage, alors que des rapports avec un garçon mineur de cet âge,
conduit tout droit droit à la prison. C'est non seulement une
incohérence ridicule, mais c'est aussi une discrimination.
Remarquez, maigre consolation pour le jeune garçon, il ne sera pas
obligé de se marier avec le coupable, puisque le mariage homo n'est
pas reconnu au Liban, pas plus que le mariage civil et
l'homosexualité même.
V POLITIQUES ET RELIGIEUX VEULENT RAMENER LA MAJORITÉ SEXUELLE ET LE
MARIAGE À 15 ANS
D'après
l'article 505, il est clair que l'âge de 15 ans constitue un
tournant dans la vie puisqu'en cas de relations sexuelles après cet
âge, la peine est réduite de 7 ans à 2 mois. Et comme le mariage
annule les poursuites judiciaires, on peut dire qu'aux yeux des
parlementaires libanais, une relation sexuelle est légitime à
partir de l'âge de 15 ans du moment où elle se fait dans le cadre
du mariage. Ce qui pose problème à nos représentants, c'est
qu'elle se fasse en dehors du mariage. Mariage à 15 ans, nous y
voilà.
Il ne
peut vous échapper que l'esprit de l'article 505 satisfait
pleinement les leaders religieux au Liban, toutes appartenances
communautaires confondues. Depuis la nuit des temps, les autorités
religieuses libanaises prennent en otage les Libanais, en confisquant
leur « statut personnel ». Au pays des 17 communautés
religieuses, il y a 17 Codes de statut personnel. Le pays du Cèdre
est une tour de Babel où chaque autorité confessionnelle gère
comme bon lui semble le mariage, le divorce et la succession des
membres de la communauté. Passons sur les détails, dans toutes les
communautés religieuses libanaises sans exception, aussi bien
chrétienne que musulmane, on peut se marier dès l'âge de 15 ans.
Et voilà, comme par hasard, l'Etat libanais fait de l'âge de 15 ans
un tournant dans la vie des individus. On dirait que les hommes
politiques et les hommes religieux font bon ménage au Liban, hein!
Pour
info, la majorité sexuelle en France est de 15 ans. Elle se situe
entre 14 et 16 ans dans la plupart des pays occidentaux. Ainsi, à
partir de 15 ans un-e mineur-e peut avoir une relation sexuelle
consentie avec un adulte de plus de 18 ans, sans que ce dernier ne
risque des poursuites judiciaires. Par contre, la majorité civile
(l'âge où un individu est juridiquement responsable) et l'âge
nubile (où l'on peut se marier) sont fixés à 18 ans, pour les deux
sexes. On ne peut pas se marier avant 18 ans dans un pays développé
comme la France de nos jours. Au Liban, si.
Deux
derniers détails. Dans nos contrées, contrairement à la France et
d'autres pays développés, l'âge nubile est inférieur à l'âge de
la majorité sexuelle. Ye3né bel 3arabé el mchabra7, au pays
du Cèdre, à cause de la pression des communautés religieuses, on
peut se marier à l'âge de 15 ans, alors qu'on n'est pas majeur
sexuellement pour l'Etat libanais avant l'âge de 18 ans. Chapeau,
messieurs ! Autre chose, avant que quelques excités ne se déchainent
encore sur l'islam, qui autorise le mariage dès la puberté, jusqu'à
la Révolution française, l'âge nubile en France, la fille ainée
de l'Eglise, était de 14 ans pour les garçons et de 12 ans pour les
filles.
VI AU LIBAN, LA VIRGINITÉ EST UNE VALEUR SOCIALE: SA PERTE EST UN
PRÉJUDICE POUR LA FEMME QUI PEUT CONDUIRE À 6 MOIS DE PRISON ET 3 300 $ D'AMENDE
OU AU « MARIAGE FORCÉ » POUR L'HOMME
C'est
ce qui ressort de l'article 512 qui renforce toutes les sanctions
concernant les crimes qui tombent sous le coup de cette loi s'il y a
perte de la virginité et surtout de l'article 518, qui sanctionne
une relation sexuelle basée sur une promesse de mariage, s'il y a
défloration puis rétraction. Arrêtons-nous un peu sur l'article
518 qui est lui aussi, comme l'article 505, une catastrophe
socio-juridique, dont on a parlé peu. Pourquoi?
.
D'abord, parce que les parlementaires libanais ont érigé la
virginité en une valeur sociale et considère sa perte dans le cadre
d'une promesse de mariage non tenue comme un préjudice. Les
représentants de la nation sont tellement consciencieux qu'ils ont
estimé que ce préjudice justifie une peine d'emprisonnement de plus
de 6 mois ou d'une amende de 2 000 à 3 300 dollars (soit 1 700 - 2
800 €), voire les deux. Détrompez-vous, ce n'est pas les
conséquences psychologiques qui posent problèmes aux législateurs
libanais, sinon il aurait mis la défloration d'une fille et le
dépucelage d'un garçon à pied d'égalité. Pour ce dernier, on
s'en fout royalement, c'est la déchirure de l'hymen qui semble les
préoccuper.
.
Ensuite, parce que les braves parlementaires, ont intentionnellement
omis de fixer l'âge de la victime et l'âge du coupable. En tout et
pour tout, ils parlent de « celui qui séduit une jeune femme en
lui promettant le mariage ». Waouh, on a des législateurs
dignes des horloges suisses. Cette imprécision est sans l'ombre d'un
doute volontaire. Elle vise à renforcer la valeur de la virginité
dans la société libanaise, un point qui doit faire le bonheur des
autorités religieuses islamo-chrétiens et de tous les
conservateurs, toutes appartenances communautaires confondues. Et
pourtant, cette dérive n'est pas dans l'intérêt de la société
libanaise en général et des individus concernés en particulier.
D'après
les études scientifiques, les définitions de l'Insee et des Nations
Unies, la catégorie « jeune » concerne les personnes
âgées de 15 à 24 ans, voire 29 ans. Ainsi, l'article 518 concerne
les relations sexuelles entre adultes majeurs aussi. Selon la
nouvelle loi libanaise, un jeune homme de 18, 24 ou 29 qui couche
pour la première fois avec une jeune fille vierge âgée de 18, 24
ou 29 ans, peut aujourd'hui se retrouver en prison pour six mois. Six
mois de prison ferme pour une relation sexuelle entre adultes et avec consentement! Mais
bordel, ils vivement à quelle époque ces gens?
La
nouvelle loi libanaise prévoit pire. En étant imprécis, un ado
libanais de 15 ou de 17 ans, peut aujourd'hui écoper d'une peine de
5 ans d'emprisonnement au minimum, s'il a la malchance de coucher
avec une ado de son âge et qu'il a le malheur de lui glisser par SMS
avant le coït alors qu'il est en rut ou à l'oreille alors qu'il est
à deux doigts de jouir pour la première fois de sa vie, qu'il
aimerait l'épouser, et qui une fois l'extase dissipée, il se
rétracte sur Messenger. Qu'importe, 5 ans d'emprisonnement pour ça,
malgré le consentement! Il y a des gens dans notre pays qui enlève
une vie, et non la virginité, et s'en sort avec beaucoup moins.
Enfin,
parce que les parlementaires libanais ont décidé d'arrêter les
poursuites judiciaires par miracle, si un contrat de mariage est
finalement conclu entre le coupable et la victime, qu'elle soit
mineure (15-18 ans) ou majeure (plus de 18 ans). Comme pour l'article
505, l'esprit de l'article 522 plane toujours au-dessus du Code pénal
libanais.
L'article
518 a fait couler beaucoup d'encre et de salive. Et pourtant, cet
angle de vue n'a été abordé par personne! On voit bien de ce qui
précède que les adolescents et les jeunes hommes libanais seront
les victimes oubliés et méprisées d'un article injuste, en tout
cas, victimes aussi bien que les adolescentes et les jeunes filles,
mais d'une autre manière. Deux exemples pour le démontrer.
-
Prenons le cas d'un ado/homme qui promet le mariage à une fille, qui
couche avec elle ensuite, par consentement mutuel, la déflore, puis
refuse de l'épouser. Il commet une infraction comme l'ont décidé
les parlementaires libanais. Soit. Mais alors, de grâce, quelle
est dans une telle situation, l'intérêt social que le tribunal
offre au jeune homme comme alternatif à son emprisonnement ferme, le
mariage? Ce n'est dans l'intérêt de personne! Ni de l'homme (qui ne
souhaite pas sincèrement se marier), ni de la femme (qui épousera
un homme qui ne la désire pas vraiment), ni d'ailleurs de la société
(de former des couples frustrés). Le Liban vient d'inventer le
« mariage forcé » pour les hommes comme pour les femmes!
Affligeant.
-
Prenons maintenant le cas d'un garçon qui accepte le mariage et
d'une fille qui le refuse finalement, car elle se sent trahie, ce qui
est parfaitement son droit. Eh bien figurez-vous, que selon la
législation libanaise, le jeune peut être envoyé en prison quand
même et pour six mois svp, pour avoir trompé et défloré la fille.
Hallucinant.
VII DES HOMMES POLITIQUES ET RELIGIEUX LARGUÉS SUR LA QUESTION
Beaucoup
de lecteurs et de lectrices s'offusqueront à l'idée qu'on puisse
mettre tout le monde dans le même sac. C'est peut-être injuste, il
n'empêche que c'est parfaitement justifié. Tour d'horizon des
principales réactions.
-
Michel Aoun, président de la République libanaise et ancien
chef du Courant patriotique libre : aucune réaction sur Twitter à
ce sujet. Et pourtant, il aura à signer la nouvelle loi, donc à
promulguer et à couvrir les nouvelles dispositions du Code pénal
libanais.
-
Saad Hariri, Premier ministre et chef du Courant du Futur :
« Aujourd'hui l'article 522 a été abrogé du Code pénal.
Il a été demandé au ministre d'Etat aux Affaires féminines de
soumettre un projet de loi visant à modifier les articles 505 et
518. En plus, une campagne de sensibilisation a été lancée pour
réclamer une loi criminalisant le harcèlement. » On
dirait le chef de l'opposition et non le chef du gouvernement.
-
Jean Oghassabian, ministre d'Etat des Affaires de la femme: «
Tout en se félicitant de l'annulation de l'article 522 du Code
pénal, nous avons des réserves sur le maintien des articles 505 et
518. Pas d'exception pour échapper au crime du viol. »
Comment ça des réserves, alors qu'il s'agirait de viol? Mais la loi
c'est toi! Plus tard, l'agence nationale de l'information nous a
appris que le ministre a rajouté que « le ministère des
Affaires féminines soumettra au Conseil des ministres, un projet de
loi pour abolir ces articles qui portent préjudice au droit de la
femme et qui encouragent le mariage des mineurs ». Non
mais, faut pas se presser ?
-
Gebran Bassil, ministre des Affaires étrangères et actuel
président du Courant patriotique libre, disposant de l'un des deux
plus grands blocs de députés au Parlement libanais : aucune
réaction sur Twitter à ce sujet. Et pourtant, le gendre du
président a la réputation d'être un ministre
omniprésent-polyvalent.
-
Samir Geagea, président du parti des Forces libanaises, qui a
aussitôt commencé une campagne pour « l'abolition de tous
les effets de l'article 522 du Code pénal » : aucune
réaction sur Twitter, sujet secondaire sans doute, relégué au
soldat Keyrouz.
-
Walid Joumblatt, député et chef du Parti socialiste progressiste,
grand consommateur d'émoticônes à ses heures perdues : « Malgré
l'abrogation de l'article 522, qui est un progrès partiel, il aurait
fallu supprimer les articles 505 et 518. Quand allons-nous atteindre
un droit civil au Liban ». Peut-être bien quand on aura des
citoyens qui n'élisent plus à l'aveugle des législateurs qui se
cachent derrière ces « il aurait fallu ».
-
Samy Gemayel, chef du parti des Kataeb : « Félicitations
à la femme libanaise pour l'abrogation de l'article 522 du Code
pénal. Je proposerai l'abolition des articles 505 et 518, pour
éliminer la discrimination qui reste et la réalisation de l'égalité
complète ». Mais oui, il faut étaler le plaisir, on ne va
quand même pas faire tout ça d'un coup.
-
Hassan Nasrallah, chef du Hezbollah : aucun signal détectée
sur aucun des moyens de communication mis à la disposition de
l'humanité. Même pas sur Snapchat et encore moins via le téléphone
arabe. Sujet sans aucun intérêt pour la « résistance »
ou peut être, une loi en harmonie avec l'idéologie du parti. Mais
bon, faut pas lui en vouloir, il est occupé à protéger le Liban de
Daech.
-
Nabih Berri, président du parti Amal : rien. Et rien
d'étonnant de la part de celui qui ouvre et ferme le Parlement comme
et quand bon lui semble depuis depuis 1992.
-
Imad el-Hott, député de la Jamaa el-Islamiya (islamiste
modéré), précise sur sa page Facebook que l'article 522 du Code
pénal a été supprimé « tout en tenant compte des
coutumes et des traditions libanaises au sein de la société
libanaise ». Même son de cloche chez Samir Jisr, député
Futur de Tripoli. Tiens, tiens, pas très difficile de deviner où
ils veulent en venir.
-
Elie Keyrouz, député du parti des Forces libanaises, à
l'origine de la proposition de loi : « Cette loi ne représente
pas mon ambition d’abolir l’article 522 ». Excellent, sauf
que le député ne semble pas détenir des comptes sur les réseaux
sociaux. Non mais, pourquoi faire, hein?
-
Robert Ghanem, député du Courant du Futur, lui, il
fanfaronne depuis février : « Tous ces articles sont devenus
plus conformes à la réalité. Nous avons pris en compte l'ensemble
de la situation libanaise, c'est-à-dire les coutumes libanaises,
ainsi que toutes les particularités qui distinguent la société
libanaise des autres pays, puisque nous avons encore des clans, des
tribus et des moeurs qui diffèrent totalement des autres. »
Quel esprit perspicace animé par un sens aigu du droit, de la
justice, du devoir et des responsabilités. Et dire qu'on l'a raté
comme président de la République. C'est sans l'ombre d'un doute, la
déclaration la plus grave de toutes, car elle émane du président
de la Commission parlementaire de l'Administration et de la Justice,
celle qui est à l'origine du texte voté.
-
Parmi les absences remarquées, il y a bien entendu celles des hommes
religieux, chrétiens et musulmans. Même les plus bavards, comme
le patriarche maronite d'Antioche et de tout l'Orient, Bechara
Raï, et le métropolite grec-orthodoxe de Beyrouth, Elias
Audi, n'ont pas jugé utile de commenter cette actualité
législative. Il faut reconnaître que ce n'est pas pour leur
déplaire.
VIII DES FEMMES POLITIQUES QUI BRILLENT PAR LEUR APATHIE
Hélas,
c'est la triste vérité, prouvée par trois éléments.
- Le
premier concerne le silence radio des quatre députées libanaises,
qui brillent par leur absence des fronts où elles devraient être en
première ligne. Déjà que le sex ratio du Parlement libanais est au
ras des pâquerettes, 124/4. L'égalité des sexes, les droits de la
femme, la loi sur le viol ou le quota féminin, c'est à peine si
elles font le minimum syndical.
- Le
deuxième concerne la commission parlementaire de l'Administration et
de la Justice qui fait la pluie et le beau temps au Parlement
libanais. C'est elle qui a accouché du texte bâclé voté le 16
août. Elle comprend 17 membres issus des principales formations
politiques libanaises. Eh bien figurez-vous que le sex-ratio de cette
commission clé est de 17/0, eh oui, 17 hommes pour 0 femme.
Bienvenue au Liban, un cancre dans le domaine de l'égalité des
sexes.
- Le
troisième concerne la commission de la Femme, qui est présidée par
la députée Gilberte Zouein (Courant patriotique libre), « fille
de ». En 12 ans de mandat, les Libanais ignorent toujours le
timbre de sa voix. Dans cette commission, on retrouve aussi la
députée Nayla Tuéni (élue par les voix FL, mais indépendante),
« fille de », qui remue ciel et terre pour ne pas faire
de vagues. Et au lieu que ces quatre députées concentrent leur
force dans cette commission clé des droits de la femme, les deux
autres députées n'y participent pas. Du coup le sex-ratio de la commission de la Femme au Liban est de 10/2. Bahia Hariri (Courant du
Futur), « sœur de », s'active avec la plus grande
discrétion et Sithrida Geagea (parti des Forces libanaises), « femme
de », ne se donne même pas la peine de prendre part à une
commission parlementaire. Enno, bedda7ik BB, lachou?
Et
voilà, comment voulez-vous dans ce contexte bouleverser la donne
avec des femmes politiques aussi apathiques? Mais c'est sans compter
sur Claudine Aoun Roukouz, « fille de » et fraichement
nommée présidente du Conseil national de la femme. « On
continue à ancrer le mariage précoce et le mariage sous la
contrainte. Nous au Conseil... nous continuerons à demander
l'abolition complète de l'article 522 ». Et c'est à peu près
tout ce qui semble la choquer dans la nouvelle loi.
IX DES POLITICIENS CONSERVATEURS NE PEUVENT PAS LÉGIFÉRER
SUR LES RELATIONS SEXUELLES DES LIBANAIS
Après
ce survol des réactions des hommes et des femmes politiques, trois
choses frappent.
.
Primo, tous ceux et celles qui ont réagi, ou pas réagi d'ailleurs,
se comportent et s'expriment, comme s'ils sont des visiteurs de
l'Etat libanais, sans responsabilité officielle et sans influence
sur la prise de décision au Liban. C'est fascinant! Rappelez-vous de
ce point, c'est toujours le cas, quelque soit le sujet.
.
Secundo, aucun responsable libanais homme ou femme, ne semble mesurer
la gravité du maintien des dispositions aussi primitives dans le
Code pénal libanais ou éprouver une quelconque honte à ce sujet.
Ils réagissent ou ne réagissent pas, comme si de rien n'était.
.
Tertio, les rares personnalités qui semblent être un peu
conscientes du deuxième point, se concentrent surtout à dénoncer
le « mariage des mineures », mais
passent à côté des autres tares de la nouvelle législation : du choix absurde donné au coupable d'une relation
sexuelle avec une mineur (la prison ou le mariage), du maintien de
l'âge nubile au Liban (l'âge de mariage) en dessous de l'âge de la
majorité sexuelle (l'âge où l'on peut avoir des relations
sexuelles librement, fixé à 18 ans au Liban), de la reconnaissance
directe par l'Etat libanais du mariage à 15 ans, de la non
pénalisation du viol conjugal, de la culpabilisation des relations
sexuelles hors mariage et de l'élévation de la virginité en une
valeur sociale de grande importance et du mariage forcé des hommes
et des femmes, adultes ou mineurs.
X MICHEL AOUN ET SAAD HARIRI DOIVENT FORCER LE PARLEMENT À REVOIR SA
COPIE
Nous
avons des réserves, il aurait fallu, nous continuerons à demander,
on proposera l'abolition, nous soumettrons un projet de loi, et
j'en passe et des meilleures, toutes ces formules bidon ne sont pas
valides. 2aret 7aké. La principale question qui se pose
aujourd'hui est de savoir, pourquoi les politiciens frileux du Liban n'ont
pas eu le courage de nettoyer le Code pénal libanais des
dispositions archaïques citées précédemment?
Si
l'on croit tous les partis libanais, on avait une majorité
parlementaire très confortable pour le faire. Et pourtant, les
dirigeants libanais ne l'ont pas fait. Alors de deux choses l'une :
soit certains parlementaires sont hypocrites, ils disent qu'ils sont
pour ce grand nettoyage, mais au fond ils sont contre ; soit la
perspective électorale du printemps 2018, poussent certains d'entre
eux à sacrifier l'honneur du Liban tout entier, et de ses femmes en particulier, sur l'autel de
coutumes primitives d'une époque révolue de contrées lointaines de
notre pays. Dans tous les cas, assez de balivernes, il est claire que
ceux qui sont pour le nettoyage du Code pénal libanais se sont
arrangés avec ceux qui sont contre, selon le principe
donnant-donnant. Donc, tous responsables, tous coupables.
Accorder
une immunité judiciaire à un adulte qui a une relation sexuelle
avec une mineure, et lui offrir en récompense la possibilité de se
marier avec sa victime pour échapper à la prison, dans le cadre du
respect de je ne sais quelles coutumes libanaises, fera honte aux
dirigeants du Liban encore longtemps. Qu'ils le veuillent ou pas, en
décidant de voter les arrangements des articles 505 et
518, les dirigeants libanais acceptent de parrainer ces pratiques
d'un autre temps. La a3raf, la taqalid, la ballout, wala man
ya7zaroune. L'Etat est souverain. Il lui revient seul de fixer ce
qui autorisé par la loi et ce qui ne l'est pas. Les parlementaires
libanais doivent se ressaisir et voter des dispositions plus ambitieuses pour mieux lutter contre le mariage
des mineurs, fixer l'âge nubile à 18 ans, se débarrasser de la
disposition qui permet à un coupable adulte ayant couché avec une
mineure de 15-18 ans d'être blanchi en épousant sa victime,
pénaliser le viol conjugal, dépénaliser les relations sexuelles
hors mariage, lutter contre les mariages forcés et démystifier la
virginité.
Pour
les garder sous pression, je ne peux que recommander au président de
la République, Michel Aoun, et au Premier ministre, Saad Hariri, de
ne pas promulguer cette loi bâclée en l'état et de la retourner
illico presto à ses défaillants rédacteurs, pour être revue,
corrigée et adaptée, non à une soi-disant réalité libanaise, qui
fait honte au Liban et aux Libanaises, mais au droit international et
aux pratiques légales des pays développés. Mais enfin, on se fout de la gueule de qui, tout le monde sait qu'il faut battre le fer tant qu'il est chaud.