vendredi 25 août 2017

Une loi qui offre à un adulte ayant eu des relations sexuelles avec une mineure le choix entre la prison et le mariage et qui ne pénalise pas le viol conjugal, fait honte aux parlementaires qui l'ont voté (Art.457)


Savoir si oui ou non le Moyen-Orient se débarrassera un jour de Daech, n'est pas la question. Cela occupe trop certains et détourne leur attention de l'essentiel. Quelles sociétés nous voulons pour demain, indépendamment des menaces sécuritaires d'aujourd'hui? Pas la peine de se voiler la face et de faire l'autruche, l'enjeu actuel pour nous les Libanais est surtout de rattraper notre retard sociétal pris sur les pays développés. C'est dans ce cadre que s'inscrit le nettoyage de notre législation des dispositions arriérées qui affectent notre société et certains esprits. 

Nous étions nombreux à être ravis de l'abolition de l'article 522 du Code pénal libanais, qui permettait à un violeur d'être blanchi de son crime en épousant sa victime. Bravo à toutes celles et ceux qui ont pris part au combat, notamment les organisations Abaad et Kafa. Mais bon, on ne va pas quand même pas pavoiser longtemps d'avoir aboli un arrangement aussi archaïque d'une époque révolue ! Le défi était ailleurs. On l'a magistralement raté par la faute des dirigeants libanais qui ne savent pas faire les choses comme il faut. Certes, il n'y a rien de nouveau dans ce domaine, sauf que leur approche des relations sexuelles et du mariage au Liban est très inquiétante.



 I  TUNISIE vs. LIBAN : AVANCÉE PROGRESSISTE CONTRE APPROCHE TRIBALE

Le hasard a voulu qu'en ce moment même, de l'autre côté de la Méditerranée, la Tunisie, berceau du Printemps arabe et de la Phénicie d'outre-mer, est pleinement engagée dans une lutte juridique sans précédent contre toutes les formes de discriminations et de violences faites aux femmes. Non seulement elle a supprimé la disposition archaïque qui permettait comme chez nous, à un violeur de se soustraire à la justice en épousant sa victime mineure, mais elle est en passe d'imposer une égalité totale entre les hommes et les femmes, qui remettra forcément en cause certaines dispositions de la tradition musulmane, notamment en ce qui concernant l'héritage (la femme reçoit une demi-part par rapport à l'homme).

Au Liban, les vaillants héritiers de la Phénicie métropolitaine et actuels représentants de la nation libanaise ont décidé de supprimer cette disposition archaïque de la loi libanaise, mais d'une manière partielle. On se félicite, on pavoise, et pourtant, la nouvelle loi libanaise prévoit de nouvelles dispositions archaïques gravées noir sur blanc dans le Code pénal. Celles-ci concernent les relations sexuelles avec des mineur-e-s âgé-e-s de 15 à 18 ans, mais aussi les rapports sexuels entre adultes. Elles posent des problèmes de divers ordres.

 II  LE VIOL CONJUGAL N'EST PAS SANCTIONNÉ AU LIBAN

Le nouveau Code pénal du Liban portant sur les rapports sexuels, ferme les yeux sur, reconnaît indirectement, légitime, s'arrange avec, régularise, appelez cela comme vous voulez, le viol conjugal, si l'objet de ce dernier est d'aboutir à une relation sexuelle.

Ce principe ressort au moins dans deux articles de la nouvelle législation (503, 504). L'article 503 par exemple, n'a été ni revu ni corrigé, il reste tel qu'il a été écrit il y a des décennies. Et pourtant, ses termes précisent que « quiconque oblige quelqu'un d'autre que son époux(se), par la violence et la menace, à avoir une relation sexuelle, est punis de 5 ans de travaux forcés au minimum ». Et si c'est « son épouse », la loi ne précise rien. Ce n'est donc pas grave. Selon les parlementaires libanais, cela devrait s'inscrire sans doute dans le cadre du « devoir conjugal », promu par une société patriarcale, machiste et religieuse. Ainsi, le crime n'est condamnable qu'en dehors du couple, mais pas dans le couple. Eh oui, la nouvelle loi libanaise ne reconnaît pas le viol conjugal et ne le condamne pas directement.

 III  UNE RELATION SEXUELLE AVEC UNE MINEURE DE 15 À 18 ANS EST UN CRIME SAUF SI LE COUPABLE EPOUSE SA VICTIME

En rédigeant le nouvel article 505 du Code pénal, portant sur « une relation sexuelle avec un-e mineur-e », les parlementaires libanaises n'ont pas jugé utile de préciser si celle-ci se fait avec ou sans consentement. C'est fâcheux pour une loi d'être vague. En tout cas, l'acte est considéré comme un crime en dessous de l'âge de la majorité sexuelle, 18 ans, même avec consentement. Coucher avec un-e mineur-e est puni d'au moins 5 ans d'emprisonnement et de travaux forcés si le-la mineur-e est âgé-e de 12 à 15 ans, et d'au moins 7 ans si moins de 12 ans.

Par contre, si le-la mineur-e est âgé-e entre 15 et 18 ans, là, surprise, grâce à la baguette magique des députés libanais, l'auteur du crime, se voit offrir le choix : soit d'être emprisonné entre 2 mois et 2 ans, sans travaux forcés svp, soit d'épouser sa victime, avec les youyous d'usage. On croit rêver! Mais attention, les législateurs libanais sont consciencieux. Ils prévoient que le droit au mariage ne pourra pas être accordé par le juge qu'en cas d'un rapport favorable de la part d'une assistante sociale sur la situation socio-psychologique de la victime, et d'une évaluation périodique, bisannuelle sur trois ans.

 IV  UNE RELATION SEXUELLE AVEC UNE FILLE DE 15-18 ANS PEUT CONDUIT AU MARIAGE, AVEC UN GARÇON DE 15-18 ANS, À LA PRISON

A moins que nos cyniques parlementaires aient voulu envoyé un message codé à la population libanaise : achtung, le mariage est une prison. Trêve de plaisanterie. Qui lit et relit la nouvelle loi, se rendra compte de deux choses révoltantes supplémentaires. On s'est concentré exclusivement sur « la relation sexuelle avec un mineur de sexe féminin », comme si, cela ne pouvait pas concerner un mineur de sexe masculin. Alors, question pour un champion: que risque l'auteur du crime de relation sexuelle avec un garçon âgé de 15 ans avec la nouvelle loi libanaise? Entre deux mois et deux ans de prison. Soit. Alors récapitulons: la relation sexuelle avec une fille mineure âgée de 15 à 18 ans peut conduire au mariage, alors que des rapports avec un garçon mineur de cet âge, conduit tout droit droit à la prison. C'est non seulement une incohérence ridicule, mais c'est aussi une discrimination. Remarquez, maigre consolation pour le jeune garçon, il ne sera pas obligé de se marier avec le coupable, puisque le mariage homo n'est pas reconnu au Liban, pas plus que le mariage civil et l'homosexualité même.

 V  POLITIQUES ET RELIGIEUX VEULENT RAMENER LA MAJORITÉ SEXUELLE ET LE MARIAGE À 15 ANS

D'après l'article 505, il est clair que l'âge de 15 ans constitue un tournant dans la vie puisqu'en cas de relations sexuelles après cet âge, la peine est réduite de 7 ans à 2 mois. Et comme le mariage annule les poursuites judiciaires, on peut dire qu'aux yeux des parlementaires libanais, une relation sexuelle est légitime à partir de l'âge de 15 ans du moment où elle se fait dans le cadre du mariage. Ce qui pose problème à nos représentants, c'est qu'elle se fasse en dehors du mariage. Mariage à 15 ans, nous y voilà.

Il ne peut vous échapper que l'esprit de l'article 505 satisfait pleinement les leaders religieux au Liban, toutes appartenances communautaires confondues. Depuis la nuit des temps, les autorités religieuses libanaises prennent en otage les Libanais, en confisquant leur « statut personnel ». Au pays des 17 communautés religieuses, il y a 17 Codes de statut personnel. Le pays du Cèdre est une tour de Babel où chaque autorité confessionnelle gère comme bon lui semble le mariage, le divorce et la succession des membres de la communauté. Passons sur les détails, dans toutes les communautés religieuses libanaises sans exception, aussi bien chrétienne que musulmane, on peut se marier dès l'âge de 15 ans. Et voilà, comme par hasard, l'Etat libanais fait de l'âge de 15 ans un tournant dans la vie des individus. On dirait que les hommes politiques et les hommes religieux font bon ménage au Liban, hein!

Pour info, la majorité sexuelle en France est de 15 ans. Elle se situe entre 14 et 16 ans dans la plupart des pays occidentaux. Ainsi, à partir de 15 ans un-e mineur-e peut avoir une relation sexuelle consentie avec un adulte de plus de 18 ans, sans que ce dernier ne risque des poursuites judiciaires. Par contre, la majorité civile (l'âge où un individu est juridiquement responsable) et l'âge nubile (où l'on peut se marier) sont fixés à 18 ans, pour les deux sexes. On ne peut pas se marier avant 18 ans dans un pays développé comme la France de nos jours. Au Liban, si.

Deux derniers détails. Dans nos contrées, contrairement à la France et d'autres pays développés, l'âge nubile est inférieur à l'âge de la majorité sexuelle. Ye3né bel 3arabé el mchabra7, au pays du Cèdre, à cause de la pression des communautés religieuses, on peut se marier à l'âge de 15 ans, alors qu'on n'est pas majeur sexuellement pour l'Etat libanais avant l'âge de 18 ans. Chapeau, messieurs ! Autre chose, avant que quelques excités ne se déchainent encore sur l'islam, qui autorise le mariage dès la puberté, jusqu'à la Révolution française, l'âge nubile en France, la fille ainée de l'Eglise, était de 14 ans pour les garçons et de 12 ans pour les filles.

 VI  AU LIBAN, LA VIRGINITÉ EST UNE VALEUR SOCIALE: SA PERTE EST UN PRÉJUDICE POUR LA FEMME QUI PEUT CONDUIRE À 6 MOIS DE PRISON ET 3 300 $ D'AMENDE OU AU « MARIAGE FORCÉ » POUR L'HOMME

C'est ce qui ressort de l'article 512 qui renforce toutes les sanctions concernant les crimes qui tombent sous le coup de cette loi s'il y a perte de la virginité et surtout de l'article 518, qui sanctionne une relation sexuelle basée sur une promesse de mariage, s'il y a défloration puis rétraction. Arrêtons-nous un peu sur l'article 518 qui est lui aussi, comme l'article 505, une catastrophe socio-juridique, dont on a parlé peu. Pourquoi?

. D'abord, parce que les parlementaires libanais ont érigé la virginité en une valeur sociale et considère sa perte dans le cadre d'une promesse de mariage non tenue comme un préjudice. Les représentants de la nation sont tellement consciencieux qu'ils ont estimé que ce préjudice justifie une peine d'emprisonnement de plus de 6 mois ou d'une amende de 2 000 à 3 300 dollars (soit 1 700 - 2 800 €), voire les deux. Détrompez-vous, ce n'est pas les conséquences psychologiques qui posent problèmes aux législateurs libanais, sinon il aurait mis la défloration d'une fille et le dépucelage d'un garçon à pied d'égalité. Pour ce dernier, on s'en fout royalement, c'est la déchirure de l'hymen qui semble les préoccuper.

. Ensuite, parce que les braves parlementaires, ont intentionnellement omis de fixer l'âge de la victime et l'âge du coupable. En tout et pour tout, ils parlent de « celui qui séduit une jeune femme en lui promettant le mariage ». Waouh, on a des législateurs dignes des horloges suisses. Cette imprécision est sans l'ombre d'un doute volontaire. Elle vise à renforcer la valeur de la virginité dans la société libanaise, un point qui doit faire le bonheur des autorités religieuses islamo-chrétiens et de tous les conservateurs, toutes appartenances communautaires confondues. Et pourtant, cette dérive n'est pas dans l'intérêt de la société libanaise en général et des individus concernés en particulier.

D'après les études scientifiques, les définitions de l'Insee et des Nations Unies, la catégorie « jeune » concerne les personnes âgées de 15 à 24 ans, voire 29 ans. Ainsi, l'article 518 concerne les relations sexuelles entre adultes majeurs aussi. Selon la nouvelle loi libanaise, un jeune homme de 18, 24 ou 29 qui couche pour la première fois avec une jeune fille vierge âgée de 18, 24 ou 29 ans, peut aujourd'hui se retrouver en prison pour six mois. Six mois de prison ferme pour une relation sexuelle entre adultes et avec consentement! Mais bordel, ils vivement à quelle époque ces gens?

La nouvelle loi libanaise prévoit pire. En étant imprécis, un ado libanais de 15 ou de 17 ans, peut aujourd'hui écoper d'une peine de 5 ans d'emprisonnement au minimum, s'il a la malchance de coucher avec une ado de son âge et qu'il a le malheur de lui glisser par SMS avant le coït alors qu'il est en rut ou à l'oreille alors qu'il est à deux doigts de jouir pour la première fois de sa vie, qu'il aimerait l'épouser, et qui une fois l'extase dissipée, il se rétracte sur Messenger. Qu'importe, 5 ans d'emprisonnement pour ça, malgré le consentement! Il y a des gens dans notre pays qui enlève une vie, et non la virginité, et s'en sort avec beaucoup moins.

Enfin, parce que les parlementaires libanais ont décidé d'arrêter les poursuites judiciaires par miracle, si un contrat de mariage est finalement conclu entre le coupable et la victime, qu'elle soit mineure (15-18 ans) ou majeure (plus de 18 ans). Comme pour l'article 505, l'esprit de l'article 522 plane toujours au-dessus du Code pénal libanais.

L'article 518 a fait couler beaucoup d'encre et de salive. Et pourtant, cet angle de vue n'a été abordé par personne! On voit bien de ce qui précède que les adolescents et les jeunes hommes libanais seront les victimes oubliés et méprisées d'un article injuste, en tout cas, victimes aussi bien que les adolescentes et les jeunes filles, mais d'une autre manière. Deux exemples pour le démontrer.

- Prenons le cas d'un ado/homme qui promet le mariage à une fille, qui couche avec elle ensuite, par consentement mutuel, la déflore, puis refuse de l'épouser. Il commet une infraction comme l'ont décidé les parlementaires libanais. Soit. Mais alors, de grâce, quelle est dans une telle situation, l'intérêt social que le tribunal offre au jeune homme comme alternatif à son emprisonnement ferme, le mariage? Ce n'est dans l'intérêt de personne! Ni de l'homme (qui ne souhaite pas sincèrement se marier), ni de la femme (qui épousera un homme qui ne la désire pas vraiment), ni d'ailleurs de la société (de former des couples frustrés). Le Liban vient d'inventer le « mariage forcé » pour les hommes comme pour les femmes! Affligeant.

- Prenons maintenant le cas d'un garçon qui accepte le mariage et d'une fille qui le refuse finalement, car elle se sent trahie, ce qui est parfaitement son droit. Eh bien figurez-vous, que selon la législation libanaise, le jeune peut être envoyé en prison quand même et pour six mois svp, pour avoir trompé et défloré la fille. Hallucinant.

 VII  DES HOMMES POLITIQUES ET RELIGIEUX LARGUÉS SUR LA QUESTION

Beaucoup de lecteurs et de lectrices s'offusqueront à l'idée qu'on puisse mettre tout le monde dans le même sac. C'est peut-être injuste, il n'empêche que c'est parfaitement justifié. Tour d'horizon des principales réactions.

- Michel Aoun, président de la République libanaise et ancien chef du Courant patriotique libre : aucune réaction sur Twitter à ce sujet. Et pourtant, il aura à signer la nouvelle loi, donc à promulguer et à couvrir les nouvelles dispositions du Code pénal libanais.

- Saad Hariri, Premier ministre et chef du Courant du Futur : « Aujourd'hui l'article 522 a été abrogé du Code pénal. Il a été demandé au ministre d'Etat aux Affaires féminines de soumettre un projet de loi visant à modifier les articles 505 et 518. En plus, une campagne de sensibilisation a été lancée pour réclamer une loi criminalisant le harcèlement. » On dirait le chef de l'opposition et non le chef du gouvernement.

- Jean Oghassabian, ministre d'Etat des Affaires de la femme: « Tout en se félicitant de l'annulation de l'article 522 du Code pénal, nous avons des réserves sur le maintien des articles 505 et 518. Pas d'exception pour échapper au crime du viol. » Comment ça des réserves, alors qu'il s'agirait de viol? Mais la loi c'est toi! Plus tard, l'agence nationale de l'information nous a appris que le ministre a rajouté que « le ministère des Affaires féminines soumettra au Conseil des ministres, un projet de loi pour abolir ces articles qui portent préjudice au droit de la femme et qui encouragent le mariage des mineurs ». Non mais, faut pas se presser ?

- Gebran Bassil, ministre des Affaires étrangères et actuel président du Courant patriotique libre, disposant de l'un des deux plus grands blocs de députés au Parlement libanais : aucune réaction sur Twitter à ce sujet. Et pourtant, le gendre du président a la réputation d'être un ministre omniprésent-polyvalent.

- Samir Geagea, président du parti des Forces libanaises, qui a aussitôt commencé une campagne pour « l'abolition de tous les effets de l'article 522 du Code pénal » : aucune réaction sur Twitter, sujet secondaire sans doute, relégué au soldat Keyrouz.

- Walid Joumblatt, député et chef du Parti socialiste progressiste, grand consommateur d'émoticônes à ses heures perdues : « Malgré l'abrogation de l'article 522, qui est un progrès partiel, il aurait fallu supprimer les articles 505 et 518. Quand allons-nous atteindre un droit civil au Liban ». Peut-être bien quand on aura des citoyens qui n'élisent plus à l'aveugle des législateurs qui se cachent derrière ces « il aurait fallu ».

- Samy Gemayel, chef du parti des Kataeb : « Félicitations à la femme libanaise pour l'abrogation de l'article 522 du Code pénal. Je proposerai l'abolition des articles 505 et 518, pour éliminer la discrimination qui reste et la réalisation de l'égalité complète ». Mais oui, il faut étaler le plaisir, on ne va quand même pas faire tout ça d'un coup.

- Hassan Nasrallah, chef du Hezbollah : aucun signal détectée sur aucun des moyens de communication mis à la disposition de l'humanité. Même pas sur Snapchat et encore moins via le téléphone arabe. Sujet sans aucun intérêt pour la « résistance » ou peut être, une loi en harmonie avec l'idéologie du parti. Mais bon, faut pas lui en vouloir, il est occupé à protéger le Liban de Daech.

- Nabih Berri, président du parti Amal : rien. Et rien d'étonnant de la part de celui qui ouvre et ferme le Parlement comme et quand bon lui semble depuis depuis 1992.

- Imad el-Hott, député de la Jamaa el-Islamiya (islamiste modéré), précise sur sa page Facebook que l'article 522 du Code pénal a été supprimé « tout en tenant compte des coutumes et des traditions libanaises au sein de la société libanaise ». Même son de cloche chez Samir Jisr, député Futur de Tripoli. Tiens, tiens, pas très difficile de deviner où ils veulent en venir.

- Elie Keyrouz, député du parti des Forces libanaises, à l'origine de la proposition de loi : « Cette loi ne représente pas mon ambition d’abolir l’article 522 ». Excellent, sauf que le député ne semble pas détenir des comptes sur les réseaux sociaux. Non mais, pourquoi faire, hein?

- Robert Ghanem, député du Courant du Futur, lui, il fanfaronne depuis février : « Tous ces articles sont devenus plus conformes à la réalité. Nous avons pris en compte l'ensemble de la situation libanaise, c'est-à-dire les coutumes libanaises, ainsi que toutes les particularités qui distinguent la société libanaise des autres pays, puisque nous avons encore des clans, des tribus et des moeurs qui diffèrent totalement des autres. » Quel esprit perspicace animé par un sens aigu du droit, de la justice, du devoir et des responsabilités. Et dire qu'on l'a raté comme président de la République. C'est sans l'ombre d'un doute, la déclaration la plus grave de toutes, car elle émane du président de la Commission parlementaire de l'Administration et de la Justice, celle qui est à l'origine du texte voté.

- Parmi les absences remarquées, il y a bien entendu celles des hommes religieux, chrétiens et musulmans. Même les plus bavards, comme le patriarche maronite d'Antioche et de tout l'Orient, Bechara Raï, et le métropolite grec-orthodoxe de Beyrouth, Elias Audi, n'ont pas jugé utile de commenter cette actualité législative. Il faut reconnaître que ce n'est pas pour leur déplaire.

 VIII  DES FEMMES POLITIQUES QUI BRILLENT PAR LEUR APATHIE

Hélas, c'est la triste vérité, prouvée par trois éléments.

- Le premier concerne le silence radio des quatre députées libanaises, qui brillent par leur absence des fronts où elles devraient être en première ligne. Déjà que le sex ratio du Parlement libanais est au ras des pâquerettes, 124/4. L'égalité des sexes, les droits de la femme, la loi sur le viol ou le quota féminin, c'est à peine si elles font le minimum syndical.

- Le deuxième concerne la commission parlementaire de l'Administration et de la Justice qui fait la pluie et le beau temps au Parlement libanais. C'est elle qui a accouché du texte bâclé voté le 16 août. Elle comprend 17 membres issus des principales formations politiques libanaises. Eh bien figurez-vous que le sex-ratio de cette commission clé est de 17/0, eh oui, 17 hommes pour 0 femme. Bienvenue au Liban, un cancre dans le domaine de l'égalité des sexes.

- Le troisième concerne la commission de la Femme, qui est présidée par la députée Gilberte Zouein (Courant patriotique libre), « fille de ». En 12 ans de mandat, les Libanais ignorent toujours le timbre de sa voix. Dans cette commission, on retrouve aussi la députée Nayla Tuéni (élue par les voix FL, mais indépendante), « fille de », qui remue ciel et terre pour ne pas faire de vagues. Et au lieu que ces quatre députées concentrent leur force dans cette commission clé des droits de la femme, les deux autres députées n'y participent pas. Du coup le sex-ratio de la commission de la Femme au Liban est de 10/2. Bahia Hariri (Courant du Futur), « sœur de », s'active avec la plus grande discrétion et Sithrida Geagea (parti des Forces libanaises), « femme de », ne se donne même pas la peine de prendre part à une commission parlementaire. Enno, bedda7ik BB, lachou?

Et voilà, comment voulez-vous dans ce contexte bouleverser la donne avec des femmes politiques aussi apathiques? Mais c'est sans compter sur Claudine Aoun Roukouz, « fille de » et fraichement nommée présidente du Conseil national de la femme. « On continue à ancrer le mariage précoce et le mariage sous la contrainte. Nous au Conseil... nous continuerons à demander l'abolition complète de l'article 522 ». Et c'est à peu près tout ce qui semble la choquer dans la nouvelle loi.

 IX  DES POLITICIENS CONSERVATEURS NE PEUVENT PAS LÉGIFÉRER SUR LES RELATIONS SEXUELLES DES LIBANAIS

Après ce survol des réactions des hommes et des femmes politiques, trois choses frappent.

. Primo, tous ceux et celles qui ont réagi, ou pas réagi d'ailleurs, se comportent et s'expriment, comme s'ils sont des visiteurs de l'Etat libanais, sans responsabilité officielle et sans influence sur la prise de décision au Liban. C'est fascinant! Rappelez-vous de ce point, c'est toujours le cas, quelque soit le sujet.

. Secundo, aucun responsable libanais homme ou femme, ne semble mesurer la gravité du maintien des dispositions aussi primitives dans le Code pénal libanais ou éprouver une quelconque honte à ce sujet. Ils réagissent ou ne réagissent pas, comme si de rien n'était.

. Tertio, les rares personnalités qui semblent être un peu conscientes du deuxième point, se concentrent surtout à dénoncer le « mariage des mineures », mais passent à côté des autres tares de la nouvelle législation : du choix absurde donné au coupable d'une relation sexuelle avec une mineur (la prison ou le mariage), du maintien de l'âge nubile au Liban (l'âge de mariage) en dessous de l'âge de la majorité sexuelle (l'âge où l'on peut avoir des relations sexuelles librement, fixé à 18 ans au Liban), de la reconnaissance directe par l'Etat libanais du mariage à 15 ans, de la non pénalisation du viol conjugal, de la culpabilisation des relations sexuelles hors mariage et de l'élévation de la virginité en une valeur sociale de grande importance et du mariage forcé des hommes et des femmes, adultes ou mineurs.

 X  MICHEL AOUN ET SAAD HARIRI DOIVENT FORCER LE PARLEMENT À REVOIR SA COPIE

Nous avons des réserves, il aurait fallu, nous continuerons à demander, on proposera l'abolition, nous soumettrons un projet de loi, et j'en passe et des meilleures, toutes ces formules bidon ne sont pas valides. 2aret 7aké. La principale question qui se pose aujourd'hui est de savoir, pourquoi les politiciens frileux du Liban n'ont pas eu le courage de nettoyer le Code pénal libanais des dispositions archaïques citées précédemment?

Si l'on croit tous les partis libanais, on avait une majorité parlementaire très confortable pour le faire. Et pourtant, les dirigeants libanais ne l'ont pas fait. Alors de deux choses l'une : soit certains parlementaires sont hypocrites, ils disent qu'ils sont pour ce grand nettoyage, mais au fond ils sont contre ; soit la perspective électorale du printemps 2018, poussent certains d'entre eux à sacrifier l'honneur du Liban tout entier, et de ses femmes en particulier, sur l'autel de coutumes primitives d'une époque révolue de contrées lointaines de notre pays. Dans tous les cas, assez de balivernes, il est claire que ceux qui sont pour le nettoyage du Code pénal libanais se sont arrangés avec ceux qui sont contre, selon le principe donnant-donnant. Donc, tous responsables, tous coupables.

Accorder une immunité judiciaire à un adulte qui a une relation sexuelle avec une mineure, et lui offrir en récompense la possibilité de se marier avec sa victime pour échapper à la prison, dans le cadre du respect de je ne sais quelles coutumes libanaises, fera honte aux dirigeants du Liban encore longtemps. Qu'ils le veuillent ou pas, en décidant de voter les arrangements des articles 505 et 518, les dirigeants libanais acceptent de parrainer ces pratiques d'un autre temps. La a3raf, la taqalid, la ballout, wala man ya7zaroune. L'Etat est souverain. Il lui revient seul de fixer ce qui autorisé par la loi et ce qui ne l'est pas. Les parlementaires libanais doivent se ressaisir et voter des dispositions plus ambitieuses pour mieux lutter contre le mariage des mineurs, fixer l'âge nubile à 18 ans, se débarrasser de la disposition qui permet à un coupable adulte ayant couché avec une mineure de 15-18 ans d'être blanchi en épousant sa victime, pénaliser le viol conjugal, dépénaliser les relations sexuelles hors mariage, lutter contre les mariages forcés et démystifier la virginité.

Pour les garder sous pression, je ne peux que recommander au président de la République, Michel Aoun, et au Premier ministre, Saad Hariri, de ne pas promulguer cette loi bâclée en l'état et de la retourner illico presto à ses défaillants rédacteurs, pour être revue, corrigée et adaptée, non à une soi-disant réalité libanaise, qui fait honte au Liban et aux Libanaises, mais au droit international et aux pratiques légales des pays développés. Mais enfin, on se fout de la gueule de qui, tout le monde sait qu'il faut battre le fer tant qu'il est chaud.