L'amour entre la danseuse « Matilda » et Saint Tsar Nicolas II
Vladivostok-Moscou,
lundi 11 septembre. C'est l'avant-première de
« Matilda », un film du cinéaste Alekseï Outchitel.
Jusqu'à présent, rien ne pouvait ébranler les Russes. Ils ont tout
enduré, même la vue des sourcils de Brejnev qui frémissaient en
roulant une pelle à ses camarades du parti. Mais la présentation au
cinéma de la brève histoire d'amour de Nicolas II, prince charmant,
grand-prince de Finlande, roi de Pologne et tsar de toutes les
Russies, avec la danseuse de ballet Mathilde Kschessinska, c'en est
trop.
Aux quatre coins du pays, les incidents
se multiplient et la projection est soit déprogrammée, soit assurée
sous la surveillance des agents de sécurité. Des voitures brulées
aux cocktails Molotov, en passant par des menaces de toutes sortes,
la colère des mécontents s'exprime avec beaucoup de violence.
L'acte le plus grave jusqu'à présent est le lancement d'une voiture
en feu, bourrée d'essence et de bonbonnes de gaz, en somme un acte
terroriste, vers un des plus grands complexes de cinémas à l'Est du
pays. Les déprogrammations se multiplient aussi. Une mystérieuse organisation « L’Etat chrétien de
la Sainte Russie » a même mis en garde le cinéaste russe,
s'il ne renonce pas à la diffusion de son film, « les
cinémas commenceront à brûler ». Eh oui, il n'y a donc pas que les caricatures qui prennent le prophète de l'islam, Mahomet, pour sujet qui déchainent les passions religieuses dans le monde.
Il faut dire que la place qu'occupe
Nicolas II dans la mémoire collective russe est importante. Pendant
son règne, de 1894 à 1917, il fut « Nicolas le pacifique »
pour ses fidèles. Plus tard, les Soviétiques le surnommèrent
« Nicolas le sanguinaire ». Pour certains
Orthodoxes de nos jours, c'est un « saint digne de la
passion du Christ ».
En 1884, alors qu'il n'avait que 16
ans, il tombe amoureux de sa cousine allemande, la princesse Alix de
Hesse-Darmstadt. Ne voyant pas cette relation de bon œil, ses
parents l'obligent à regarder ailleurs. Le jeune Nicolas n'était
pas très intéressé par les affaires de l'empire. Pour lui mettre
le pied à l'étrier, on l'envoie en 1891 en voyage officiel au
Japon. Exalté par ce pays, il va jusqu'à se faire tatouer un dragon
sur son bras gauche. Déjà à l'époque! La séance durera 7 heures.
Charmant, il fera des avances à une femme mariée, une bourde qui a
failli lui couter la vie et se solda par une balafre de 9 cm sur le
visage, taillé par un coup de sabre du mari qui était passé à
deux doigts d'être cocu. A son retour en Russie, son père,
Alexandre III, lui conseille de s'amuser un peu. Dans ce but,
l'empereur favorisera une rencontre avec une danseuse émérite du
théâtre impérial de Mariinsky, Mathilde Kschessinska. La relation
ne durera pas longtemps et Nicolas finit par épouser Alix. En 1896, deux ans après la mort de son père, il est
sacré « empereur de toutes les Russies par la grâce de
Dieu » et « basileus de l'église orthodoxe
russe ». Jusqu'à sa mort, il a préféré la vie de
famille à la vie politique. Et pourtant, sous son règne la Russie
connaitra un essor économique. Son problème c'est qu'il n'a pas su
sentir la Révolution bolchévique venir. Il était accusé d'être
sous l'influence de sa femme, « l'allemande ». Beaucoup
établiront un certain parallélisme avec la Révolution française,
Louis XVI, Marie-Antoinette, « l'autrichienne », la fin tragique, etc. Toujours
est-il qu'il est contraint d'abdiquer. En résidence surveillée, il
sera exécuté sommairement avec tous les membres de sa famille, sa
femme, ses quatre filles et son fils, dans la nuit du 16-17 juillet
1918, probablement sur ordre de Lénine, qui s'est gardé de
laisser une trace écrite. Il a fallu attendre l'éclatement de
l'URSS, en 1990 et en 2007, pour retrouver tous les corps, les
exhumés et les identifier formellement grâce aux tests ADN, comme
étant ceux de la famille impériale, la Maison Romanov, la dynastie
qui régna sur la Russie de 1613 à 1917. En 1998, Nicolas II et sa
famille sont inhumés à Saint-Pétersbourg. Etant donné leur
martyre, la vénération populaire dont ils font l'objet et les
miracles rapportés, ils seront canonisés et inscrits dans le
martyrologe de l'Eglise orthodoxe de Russie en l'an 2000.
« Saint Tsar Nicolas » est vénéré le 17 juillet. Ce qui amplifie la colère des protestataires, c'est la sortie du film alors que les croyants orthodoxes s'apprêtent à commémorer le centenaire de cette tragédie l'été prochain. En
2008, la Cour suprême de la Russie a déclaré que Nicolas II et sa
famille ont été victimes du bolchévisme.
Cela étant dit et conté, ce qui met
les extrémistes russes en colère c'est la représentation de cette
amourette, hors mariage, entre le dernier empereur de toutes les
Russies, avec une danseuse dont les mœurs ne seraient pas
compatibles avec un saint vénéré de nos jours. Mathilde a eu des
relations non seulement avec le tsarévitch Nicolas, qui n'était
qu'un héritier du trône à l'époque, mais en plus, elle a couché
avec plusieurs membres de la famille impériale, des grands-ducs de
Russie, des cousins du tsar. Dans leurs crises d'hallucination,
certains ont même vu dans Matilda un film porno. Selon d'autres,
l'adaptation à l'écran de cette liaison porterait atteinte à
l'image de la Russie et de son dernier tzar, élevé au rang de
martyr. Comble du malheur, le rôle de Nicolas II est joué par un
Allemand, Lars Eidinger. L'Eglise orthodoxe a beau condamné ces
actes de violence, rien ne semble apaiser cette grande colère chez
les ultraorthodoxes, qui est aussi partagée par des citoyens de
confession musulmane. Silence radio du côté de l'homme fort du
Kremlin, Vladimir Poutine, dont les services ont pourtant autorisé la sortie du film sur tout le territoire russe, programmée pour le 26 octobre, laissant aux autorités locales le droit d'interdire la diffusion. Le président tchétchène, Ramzan Kadyrov, est allé
jusqu'à affirmer sur son compte Instagram que l'interdiction n'était pas nécessaire puisque personne n'ira voir ce film amoral du point de vue de la patrie.
C'est de son hôtel particulier à
Saint-Pétersbourg, réquisitionné par les bolchéviques pour en
faire leur QG, que Lénine haranguait les révolutionnaires. Exilé à
Paris, Mathilde finit par épouser un des cousins de Nicolas II. Elle
donna des cours de danse pour subvenir au besoin du couple. Elle
mourra en 1971, à l'âge de 99 ans.
*
« L'Attentat »
de Ziad Doueiri à Tel-Aviv et « L'Insulte » pour
Beyrouth
Beyrouth-Tel
Aviv, mardi 12 septembre. C'est l'avant-première de
« L'Insulte », un film du cinéaste
franco-américano-libanais Ziad Doueiri. L'homme est
incontestablement né sous une bonne étoile. On peut le dire rien que pour ses trois
nationalités, dont deux particulièrement prisées, le rêve inaccessible pour beaucoup de gens dans le
monde, Libanais en premier. Il a fait couler beaucoup d'encre ces
derniers jours. Tant de réalisateurs aimeraient avoir doublement,
son talent au cinéma, mais aussi la même chance que lui de
bénéficier d'une petite polémique pour booster le lancement de leur nouveau film.
L'Insulte raconte l'histoire d'un conflit de voisinage à Achrafieh, un arrondissement de Beyrouth, entre un Libanais chrétien, fidèle au parti des Forces libanaises, un peu fêlé, écoutant, récitant et ruminant les discours de Bachir Gemayel (ex-président de la République et ex-chef de la milice des FL assassiné il y a 35 ans jour pour jour presque), et un Palestinien musulman réfugié au Liban, gentil contre-maitre, un peu susceptible sur les bords, bien occupé à faire son boulot et plus préoccupé à boucler ses fins de mois, qu'à libérer la Palestine. Ce conflit dégénère en un un face-à-face judiciaire. L'histoire est superbe sur le plan psycho-sociologique d'autant plus qu'elle se déroule dans une contrée orientale où les égos des uns et des autres sont surdimensionnés et les blessures politico-identitaires sont toujours saignantes. Le film vient de remporter le prix de la meilleure interprétation masculine à la Mostra de Venise, accordé à Kamel el-Bacha qui joue le personnage palestinien. Il est en route pour les Oscars. On saura en janvier 2018 s'il pourra y concourir.
L'Insulte raconte l'histoire d'un conflit de voisinage à Achrafieh, un arrondissement de Beyrouth, entre un Libanais chrétien, fidèle au parti des Forces libanaises, un peu fêlé, écoutant, récitant et ruminant les discours de Bachir Gemayel (ex-président de la République et ex-chef de la milice des FL assassiné il y a 35 ans jour pour jour presque), et un Palestinien musulman réfugié au Liban, gentil contre-maitre, un peu susceptible sur les bords, bien occupé à faire son boulot et plus préoccupé à boucler ses fins de mois, qu'à libérer la Palestine. Ce conflit dégénère en un un face-à-face judiciaire. L'histoire est superbe sur le plan psycho-sociologique d'autant plus qu'elle se déroule dans une contrée orientale où les égos des uns et des autres sont surdimensionnés et les blessures politico-identitaires sont toujours saignantes. Le film vient de remporter le prix de la meilleure interprétation masculine à la Mostra de Venise, accordé à Kamel el-Bacha qui joue le personnage palestinien. Il est en route pour les Oscars. On saura en janvier 2018 s'il pourra y concourir.
Tout
aurait pu aller pour le mieux dans le meilleur des mondes, mais
hélas, nous sommes dans l'Orient compliqué.
« Nous sommes tous choqués et dénonçons cette absurdité,
qui n'est qu'une intimidation. C'est un prétexte absurde et
moyenâgeux, qui fait surface la veille de la sortie de son film à
Beyrouth. » Signée Julie Gayet, l'héroïne du
navet, « Je n'reconnais plus personne sous mon casque », un
remake du Titanic mais sur scooter, réalisé par François Hollande,
en 2014, grand blagueur incompris de son temps et ex-président de la
République française, qui a réussi l'exploit de couler un parti
politique centenaire. Par qui le scandale est arrivé, parle de la
comparution de Ziad Doeuiri devant le tribunal militaire à Beyrouth,
qui a fini par un non-lieu soit-dit au passage. « Choqués »,
admettons. « Dénonçons », elle n'est pas la seule.
« Intimidation », faut pas exagérer. « Prétexte
absurde », elle aurait mieux fait de bien se renseigner.
« Moyenâgeux », non pas cocote. « La
veille de la sortie de son film », belote et
rebelote, comme si tout ce buzz a nuit à la sortie du nouveau film.
A vrai dire, on s'en tape de ce qu'en pense Julie Gayet, ex-Première
concubine de l'ex-Président, sauf qu'elle est la productrice du film.
Nous étions nombreux à nous
engager publiquement pour défendre Ziad Doueiri. Je l'ai fait avec
toute la puissance de mon verbe. D'un côté, parce que c'est l'un
des réalisateurs libanais les plus talentueux qui font honneur au
Liban. D'un autre côté, parce que les menaces et les accusations
dont il a fait l'objet sont des procédés odieux, quels qu'en soient
le prétexte et le contexte qui poussent certains compatriotes à les
proférer. Mais, force est de constater que l'approche adoptée par
l'artiste depuis dimanche soir, est quelque peu décevante pour une
frange d'entre nous.
« J'ai effectivement filmé une
partie du film (L'Attentat) à Tel Aviv parce qu’une partie de
l'histoire se déroule là-bas. J'ai eu recours à des acteurs
israéliens parce qu'il s'agissait de mon choix artistique. Je n’ai
aucun regret et je n’ai pas d’excuses à faire. » C'était
en 2013. Alors assez d'hypocrisie, Ziad Doueiri sait très bien qu'on lui
reproche d'avoir tourné son avant-dernier film, L'Attentat (sortie en 2012), en Israël, avec des acteurs israéliens. Alors
pourquoi est-il tombé dans le piège du mensonge et veut faire
croire que tout est en rapport avec son nouveau film, L'Insulte
(2017)? Il n'en avait pas besoin. Pourquoi maintenant? Il sait bien aussi que c'est parce que la plainte à ce sujet date du 28 juin 2017.
Pourquoi elle est récente? Il a raison c'est louche et malhonnête,
mais cela n'efface pas les faits qu'on lui reproche, un délit, sa
violation délibérée de l'article 285 du Code pénal libanais, qui
punit d'une amende et d'un an d'emprisonnement quiconque de
nationalité libanaise se rend en Israël, un pays ennemi, sans
l'autorisation préalable du gouvernement libanais. Y a-t-il
prescription? C'est à la justice de le dire. Mais pourquoi diable un
homme de sa stature tombe dans le piège ridicule de « je ne
sais pas ce que l'on me reproche » et
met toute cette histoire sur le dos de la « jalousie »
de ces adversaires, « qui veulent détruire mon film
(L'Insulte) car les idées qu'il contient les dérangent »?
Il est inutile de détourner l'attention des Libanais avec ces balivernes. De deux
choses l'une : soit il considère que son choix de 2012, d'avoir
filmé en Israël et travaillé avec des Israéliens, était
judicieux, et il l'assume ; soit il regrette son choix de 2012 et il
l'exprime clairement. Lorsqu'on lui a rappelé que son séjour en
Israël constitue une violation de l'article 285 du Code pénal
libanais, il a tenté de se blanchir en arguant qu'il n'est « pas le seul à violer la loi libanaise » et qu'il y a « des
centaines de violations de la loi au Liban ». Ah non, pas ça,
pas lui! C'est l'argument type de n'importe quel quidam libanais pour
justifier le non-respect des lois en vigueur dans notre pays. C'est la fameuse formule, « chou we2fitt
3léyé? » (et alors! ça ne dépend que de moi?).
Et là, nous rentrons dans le fond de
l'affaire Doueiri. Certes, il a raison sur ce point, mais ce n'est
pas parce que certains violent la loi au Liban, que cela donne automatiquement le
droit à d'autres de la violer aussi et autrement. Non mais, on croit rêver! En allant en
Israël Ziad Doueiri savait ce qu'il faisait, violer la loi
libanaise. D'autant plus qu'il a demandé une autorisation et n'avait
pas attendu le feu vert. Mais il savait aussi que sa notoriété et
surtout, sa double nationalité américaine et française, le
jackpot, le protégeait complètement et le mettait à l'abri de la
justice libanaise pour un tel délit. Enno ma3lé, yékhidna bé7elmo.
Ce que je dis déplaira à certains. Et
pourtant, il faut le dire. Nous devons décider, est-ce que nous
voulons construire un Etat digne de ce nom ou se contenter de la république bananière que nous avons? On ne peut pas passer le plus clair de notre
temps à parler de l'application d'une partie des lois libanaises
quand celles-ci visent le Hezbollah par exemple, et accorder une
immunité arbitraire à certains qui violent en connaissance de cause
d'autres parties des lois libanaises, sous prétexte que ce sont des
artistes, qu'ils sont célèbres, qu'ils ont des nationalités
protectrices, qu'ils ont des relations haut placées, qu'ils n'ont
fait de mal à personne, que la loi est obsolète, qu'ils ont
décroché des prix et que nous vivons dans un monde de bisounours.
La loi c'est la loi. Je ne spéculerai pas en disant que si c'était
un artiste libanais, sans la « nationalité magique », et sans
protecteur haut placé au sein de l'establishment libanais, il y a
fort à parier que le pauvre croulerait actuellement des jours heureux en
prison et enverrait ses bons baisers urbi et orbi plutôt de Roumieh que des plateaux des chaines de télé !
Qui est en désaccord avec
l'application de l'article 285, n'a qu'à militer publiquement pour
son abolition. Pas une seule voix, dans le concert des mécontents,
ne s'est élevée pour le demander. Après on s'étonne que ce pays
n'avance pas, tourne en rond et décline à la vitesse des conneries.
Personnellement, je suis pour le maintien de l'esprit de l'article
285, tant que le Liban n'a pas soldé ses différends avec Israël.
Et tant qu'on ne l'a pas aboli, nul n'est censé l'ignorer. Mais pour
avancer, je pousserai la réflexion plus loin. Assez de protestations stériles. Pour que l'Etat libanais et
le tribunal militaire, ne soient pas accusés de favoritisme avec
Ziad Doueiri et d'une application arbitraire de la loi, selon la tête
du client, de ses nationalités étrangères complémentaires et des
boucliers intérieurs protecteurs, tout libanais pourra désormais se
rendre en Palestine et en Israël, pour des raisons artistique,
culturel ou religieuse, sans risquer quoi que ce soit, en invoquant
la « jurisprudence Doueiri ». Et tout ce qui est en dehors
de ça n'est que palabres et hypocrisie.
*
Pink Floyd, de
l'arène de « Pompéi » aux salles de cinéma
Paris-Pompéi,
mercredi 13 septembre. C'est l'avant-première mais
aussi la dernière du film « David Gilmour : live à Pompéi». On n'a prévu qu'une seule séance pour le monde entier.
C'est déjà beaucoup pour un même événement. A commencer par la
tête d'affiche, David Gilmour, la légende. Avec Roger Waters, une
autre légende vivante, ils sont les piliers du groupe mythique, Pink
Floyd, qui donne du plaisir à trois générations de fans, depuis
1965.
Le film projeté avant-hier aux quatre coins du monde a été réalisé par le
cinéaste sud-africain, Gavin Elder, à partir de deux concerts
donnés par le chanteur et le guitariste de Pink Floyd les 7 et 8
juillet 2016, dans l'amphithéâtre romain. S'il y a « retour »
à Pompéi, c'est qu'il y
avait un précédent. En 1971, le réalisateur franco-écossais Adrian
Maben et les membres du groupe avaient décidé de jouer la musique
psychédélique de Pink Floyd dans l'arène mythique de Pompéi, et
de filmer le live, sans spectateurs, afin de rester focaliser sur la
musique et faire un pied de nez à la mode Woodstock de l'époque.
La dernière fois qu'un spectacle a été
donné dans ce lieu, remonte à près de 2 000 ans, Jésus venait de mourir et de ressusciter 50 ans plutôt. Si les pierres pouvaient
parler, elles nous raconteraient les récits de tous ces combats de
gladiateurs qui se déroulaient dans les arènes de l'Empire romain et qui passionnaient les foules. Mais, jouer dans une arène où tant
de sang a coulé, quelle idée! Bien au contraire. Dans ce lieu,
c'est plutôt tant de sueur qui a coulé. Malgré leur violence, tout
était codifié dans les combats de gladiateurs, la mise à mort
n'était pas la règle, l'objectif était de pousser l'adversaire à
abandonner le combat en l'épuisant voire en le blessant, selon le
courage du gladiateur vaincu le public avait la possibilité de le
repêcher, un gladiateur pouvait arrêter le combat à tout moment,
enfin bref, on est loin des caricatures véhiculées par certains
péplums hollywoodiens. On était plus dans le registre sportif et le
spectacle. Autre info fausse qui a la vie dure, les gladiateurs
avaient principalement un régime alimentaire végétarien. Autre
époque, autre pratique. Certes, les protagonistes recherchaient la
gloire et la richesse, hier comme aujourd'hui, mais ce qui importait
le plus, pour un gladiateur comme pour un musicien, c'était la
qualité du spectacle. Les plus connus des combattants
professionnelles d'autrefois, qui pouvaient être libres ou esclaves,
déchaînaient les passions, comme les plus connus des chanteurs de
nos jours. On raconte qu'un certain gladiateur surnommé Suspirium
Puellarum, « le soupir des jeunes filles », mettait en
transe les femmes de Pompéi. Autre époque, autre fantasme.
Jouer de la musique dans cette arène
de nos jours n'était pas une idée saugrenue de David Gilmour,
puisque les combats de gladiateurs de jadis étaient justement
accompagnés de musique, qui permettait d'amplifier les émotions de
la foule. Trompettes, cors et orgues hydrauliques, on ne résignait
pas sur les moyens, même à l'époque, pour en mettre plein les yeux et
les oreilles des spectateurs. Les jeux organisés dans l'amphithéâtre
de Pompéi pouvaient rassembler jusqu'à 20 000 personnes pour chaque
représentation. Ils s'étalaient sur 3 à 5 jours. On y avait
recours lors des fêtes annuelles comme à l'occasion d'événements
extraordinaires, notamment aux mois d'avril et de novembre. Le
concert de Pink Floyd en 1971 s'est joué sans public, celui de David
Gilmour en 2016, devant 2 600 personnes seulement.
Le dernier combat de gladiateurs de
l'Empire romain s'est déroulé à Rome en l'an 418. A Pompéi, des
jeux furent organisés vers l'an 64 sous le règne de Néron. Après, on ne sait pas, mais de toute façon, tout s'est arrêté en l'an 79 après JC. Une éruption du
Vésuve mit un terme définitif à toute forme de vie dans cette cité
florissante. Pompéi restera ensevelie sous 7 mètres de pierres et
de cendres volcaniques pendant 16 siècles. Du fait de son état de
conservation, à l'abri des intempéries, des dégradations et des
pillages, elle nous offre aujourd'hui un témoignage exceptionnel sur
la vie des Romains à l'époque. Le site est classé au patrimoine
mondial de l'Unesco.
David Gilmour a joué des chansons de
Pink Floyd, de la période où le groupe était au grand complet (One Of These Days, la seule chanson jouée à Pompéi aussi bien en 1971 qu'en 2016),
ainsi que de la période sans Roger Waters, mais aussi des chansons
composées en solo (Rattle That Lock, musique inspirée par le jingle de la SNCF!). Être plongé dans un concert mythique dans les
conditions d'une salle de cinéma, est tout simplement fabuleux. Il fallait y penser. Gilmour a
osé. L'expérience est originale et l'émotion est au rendez-vous.
On ne peut évidemment pas comparer l'émotion ressentie dans une
salle de cinéma à celle ressentie au cours d'un live en plein air
où l'on est porté par un enthousiasme collectif, la magie du lieu,
la performance scénique, la communion avec l'artiste, l'acoustique
de l'amphithéâtre, etc. Mais d'un autre côté, sur plusieurs
points, l'émotion dans une salle de cinéma dépasse celle d'un live en plein air ou dans une salle de concert : on est protégé des éléments
perturbateurs de l'environnement par l'obscurité veloutée de la
salle, on bénéfice d'un angle de vue multiple dont celui d'un
drone, les images sont en 4K ultra-HD, le son est Dolby Atmos, la
vision globale permet de savourer les jeux de lumière et de laser,
ainsi que le feu d'artifice, etc. Tout cela donne une autre dimension
au concert qui laisse les portes de la perception grandes ouvertes. Le
concept du film-concert au cinéma se répandra surement à l'avenir.
En un mot, « Wish you were here ». A
ce propos, « David Gilmour : live à Pompéi » a
été projeté dans 2 000 salles de cinéma à travers le monde. Pas au Liban, hélas. Comment un pays qui se veut brancher, a pu
rester à côté d'un événement de cette importance? Sans doute à cause de la montée du nombrilisme, nous ne sommes plus en harmonie avec le monde, très préoccupé ces derniers temps par le transport des jihadistes dans des bus confortables climatisés et parfumés à
l'eau de Cologne, et trop occupé ces derniers jours par l'affaire Ziad Doueiri.