vendredi 15 septembre 2017

Matilda, L'Insulte et Pompéi : trois films, trois histoires, trois événements (Art.465)



L'amour entre la danseuse « Matilda » et Saint Tsar Nicolas II

Vladivostok-Moscou, lundi 11 septembre. C'est l'avant-première de « Matilda », un film du cinéaste Alekseï Outchitel. Jusqu'à présent, rien ne pouvait ébranler les Russes. Ils ont tout enduré, même la vue des sourcils de Brejnev qui frémissaient en roulant une pelle à ses camarades du parti. Mais la présentation au cinéma de la brève histoire d'amour de Nicolas II, prince charmant, grand-prince de Finlande, roi de Pologne et tsar de toutes les Russies, avec la danseuse de ballet Mathilde Kschessinska, c'en est trop.

Aux quatre coins du pays, les incidents se multiplient et la projection est soit déprogrammée, soit assurée sous la surveillance des agents de sécurité. Des voitures brulées aux cocktails Molotov, en passant par des menaces de toutes sortes, la colère des mécontents s'exprime avec beaucoup de violence. L'acte le plus grave jusqu'à présent est le lancement d'une voiture en feu, bourrée d'essence et de bonbonnes de gaz, en somme un acte terroriste, vers un des plus grands complexes de cinémas à l'Est du pays. Les déprogrammations se multiplient aussi. Une mystérieuse organisation « L’Etat chrétien de la Sainte Russie » a même mis en garde le cinéaste russe, s'il ne renonce pas à la diffusion de son film, « les cinémas commenceront à brûler ». Eh oui, il n'y a donc pas que les caricatures qui prennent le prophète de l'islam, Mahomet, pour sujet qui déchainent les passions religieuses dans le monde.

Il faut dire que la place qu'occupe Nicolas II dans la mémoire collective russe est importante. Pendant son règne, de 1894 à 1917, il fut « Nicolas le pacifique » pour ses fidèles. Plus tard, les Soviétiques le surnommèrent « Nicolas le sanguinaire ». Pour certains Orthodoxes de nos jours, c'est un « saint digne de la passion du Christ ».


Manifestation contre la sortie du film Matilda,
devant l'église de la Résurrection à Moscou le 1er août 2017.
Les protestataires portent une icône représentant la famille Romanov,
exécutée par les bolchéviques en 1917 et
canonisée par l'Eglise orthodoxe de Russie en l'an 2000.
Photo: Mladen Antonov / AFP

En 1884, alors qu'il n'avait que 16 ans, il tombe amoureux de sa cousine allemande, la princesse Alix de Hesse-Darmstadt. Ne voyant pas cette relation de bon œil, ses parents l'obligent à regarder ailleurs. Le jeune Nicolas n'était pas très intéressé par les affaires de l'empire. Pour lui mettre le pied à l'étrier, on l'envoie en 1891 en voyage officiel au Japon. Exalté par ce pays, il va jusqu'à se faire tatouer un dragon sur son bras gauche. Déjà à l'époque! La séance durera 7 heures. Charmant, il fera des avances à une femme mariée, une bourde qui a failli lui couter la vie et se solda par une balafre de 9 cm sur le visage, taillé par un coup de sabre du mari qui était passé à deux doigts d'être cocu. A son retour en Russie, son père, Alexandre III, lui conseille de s'amuser un peu. Dans ce but, l'empereur favorisera une rencontre avec une danseuse émérite du théâtre impérial de Mariinsky, Mathilde Kschessinska. La relation ne durera pas longtemps et Nicolas finit par épouser Alix. En 1896, deux ans après la mort de son père, il est sacré « empereur de toutes les Russies par la grâce de Dieu » et « basileus de l'église orthodoxe russe ». Jusqu'à sa mort, il a préféré la vie de famille à la vie politique. Et pourtant, sous son règne la Russie connaitra un essor économique. Son problème c'est qu'il n'a pas su sentir la Révolution bolchévique venir. Il était accusé d'être sous l'influence de sa femme, « l'allemande ». Beaucoup établiront un certain parallélisme avec la Révolution française, Louis XVI, Marie-Antoinette, « l'autrichienne », la fin tragique, etc. Toujours est-il qu'il est contraint d'abdiquer. En résidence surveillée, il sera exécuté sommairement avec tous les membres de sa famille, sa femme, ses quatre filles et son fils, dans la nuit du 16-17 juillet 1918, probablement sur ordre de Lénine, qui s'est gardé de laisser une trace écrite. Il a fallu attendre l'éclatement de l'URSS, en 1990 et en 2007, pour retrouver tous les corps, les exhumés et les identifier formellement grâce aux tests ADN, comme étant ceux de la famille impériale, la Maison Romanov, la dynastie qui régna sur la Russie de 1613 à 1917. En 1998, Nicolas II et sa famille sont inhumés à Saint-Pétersbourg. Etant donné leur martyre, la vénération populaire dont ils font l'objet et les miracles rapportés, ils seront canonisés et inscrits dans le martyrologe de l'Eglise orthodoxe de Russie en l'an 2000. « Saint Tsar Nicolas » est vénéré le 17 juillet. Ce qui amplifie la colère des protestataires, c'est la sortie du film alors que les croyants orthodoxes s'apprêtent à commémorer le centenaire de cette tragédie l'été prochain. En 2008, la Cour suprême de la Russie a déclaré que Nicolas II et sa famille ont été victimes du bolchévisme.

Cela étant dit et conté, ce qui met les extrémistes russes en colère c'est la représentation de cette amourette, hors mariage, entre le dernier empereur de toutes les Russies, avec une danseuse dont les mœurs ne seraient pas compatibles avec un saint vénéré de nos jours. Mathilde a eu des relations non seulement avec le tsarévitch Nicolas, qui n'était qu'un héritier du trône à l'époque, mais en plus, elle a couché avec plusieurs membres de la famille impériale, des grands-ducs de Russie, des cousins du tsar. Dans leurs crises d'hallucination, certains ont même vu dans Matilda un film porno. Selon d'autres, l'adaptation à l'écran de cette liaison porterait atteinte à l'image de la Russie et de son dernier tzar, élevé au rang de martyr. Comble du malheur, le rôle de Nicolas II est joué par un Allemand, Lars Eidinger. L'Eglise orthodoxe a beau condamné ces actes de violence, rien ne semble apaiser cette grande colère chez les ultraorthodoxes, qui est aussi partagée par des citoyens de confession musulmane. Silence radio du côté de l'homme fort du Kremlin, Vladimir Poutine, dont les services ont pourtant autorisé la sortie du film sur tout le territoire russe, programmée pour le 26 octobre, laissant aux autorités locales le droit d'interdire la diffusion. Le président tchétchène, Ramzan Kadyrov, est allé jusqu'à affirmer sur son compte Instagram que l'interdiction n'était pas nécessaire puisque personne n'ira voir ce film amoral du point de vue de la patrie.

C'est de son hôtel particulier à Saint-Pétersbourg, réquisitionné par les bolchéviques pour en faire leur QG, que Lénine haranguait les révolutionnaires. Exilé à Paris, Mathilde finit par épouser un des cousins de Nicolas II. Elle donna des cours de danse pour subvenir au besoin du couple. Elle mourra en 1971, à l'âge de 99 ans.

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« L'Attentat » de Ziad Doueiri à Tel-Aviv et « L'Insulte » pour Beyrouth

Beyrouth-Tel Aviv, mardi 12 septembre. C'est l'avant-première de « L'Insulte », un film du cinéaste franco-américano-libanais Ziad Doueiri. L'homme est incontestablement né sous une bonne étoile. On peut le dire rien que pour ses trois nationalités, dont deux particulièrement prisées, le rêve inaccessible pour beaucoup de gens dans le monde, Libanais en premier. Il a fait couler beaucoup d'encre ces derniers jours. Tant de réalisateurs aimeraient avoir doublement, son talent au cinéma, mais aussi la même chance que lui de bénéficier d'une petite polémique pour booster le lancement de leur nouveau film

L'Insulte raconte l'histoire d'un conflit de voisinage à Achrafieh, un arrondissement de Beyrouth, entre un Libanais chrétien, fidèle au parti des Forces libanaises, un peu fêlé, écoutant, récitant et ruminant les discours de Bachir Gemayel (ex-président de la République et ex-chef de la milice des FL assassiné il y a 35 ans jour pour jour presque), et un Palestinien musulman réfugié au Liban, gentil contre-maitre, un peu susceptible sur les bords, bien occupé à faire son boulot et plus préoccupé à boucler ses fins de mois, qu'à libérer la Palestine. Ce conflit dégénère en un un face-à-face judiciaire. L'histoire est superbe sur le plan psycho-sociologique d'autant plus qu'elle se déroule dans une contrée orientale où les égos des uns et des autres sont surdimensionnés et les blessures politico-identitaires sont toujours saignantes. Le film vient de remporter le prix de la meilleure interprétation masculine à la Mostra de Venise, accordé à Kamel el-Bacha qui joue le personnage palestinien. Il est en route pour les Oscars. On saura en janvier 2018 s'il pourra y concourir.

Tout aurait pu aller pour le mieux dans le meilleur des mondes, mais hélas, nous sommes dans l'Orient compliqué. « Nous sommes tous choqués et dénonçons cette absurdité, qui n'est qu'une intimidation. C'est un prétexte absurde et moyenâgeux, qui fait surface la veille de la sortie de son film à Beyrouth. » Signée Julie Gayet, l'héroïne du navet, « Je n'reconnais plus personne sous mon casque », un remake du Titanic mais sur scooter, réalisé par François Hollande, en 2014, grand blagueur incompris de son temps et ex-président de la République française, qui a réussi l'exploit de couler un parti politique centenaire. Par qui le scandale est arrivé, parle de la comparution de Ziad Doeuiri devant le tribunal militaire à Beyrouth, qui a fini par un non-lieu soit-dit au passage. « Choqués », admettons. « Dénonçons », elle n'est pas la seule. « Intimidation », faut pas exagérer. « Prétexte absurde », elle aurait mieux fait de bien se renseigner. « Moyenâgeux », non pas cocote. « La veille de la sortie de son film », belote et rebelote, comme si tout ce buzz a nuit à la sortie du nouveau film. A vrai dire, on s'en tape de ce qu'en pense Julie Gayet, ex-Première concubine de l'ex-Président, sauf qu'elle est la productrice du film.

Nous étions nombreux à nous engager publiquement pour défendre Ziad Doueiri. Je l'ai fait avec toute la puissance de mon verbe. D'un côté, parce que c'est l'un des réalisateurs libanais les plus talentueux qui font honneur au Liban. D'un autre côté, parce que les menaces et les accusations dont il a fait l'objet sont des procédés odieux, quels qu'en soient le prétexte et le contexte qui poussent certains compatriotes à les proférer. Mais, force est de constater que l'approche adoptée par l'artiste depuis dimanche soir, est quelque peu décevante pour une frange d'entre nous.

« J'ai effectivement filmé une partie du film (L'Attentat) à Tel Aviv parce qu’une partie de l'histoire se déroule là-bas. J'ai eu recours à des acteurs israéliens parce qu'il s'agissait de mon choix artistique. Je n’ai aucun regret et je n’ai pas d’excuses à faire. » C'était en 2013. Alors assez d'hypocrisie, Ziad Doueiri sait très bien qu'on lui reproche d'avoir tourné son avant-dernier film, L'Attentat (sortie en 2012), en Israël, avec des acteurs israéliens. Alors pourquoi est-il tombé dans le piège du mensonge et veut faire croire que tout est en rapport avec son nouveau film, L'Insulte (2017)? Il n'en avait pas besoin. Pourquoi maintenant? Il sait bien aussi que c'est parce que la plainte à ce sujet date du 28 juin 2017. Pourquoi elle est récente? Il a raison c'est louche et malhonnête, mais cela n'efface pas les faits qu'on lui reproche, un délit, sa violation délibérée de l'article 285 du Code pénal libanais, qui punit d'une amende et d'un an d'emprisonnement quiconque de nationalité libanaise se rend en Israël, un pays ennemi, sans l'autorisation préalable du gouvernement libanais. Y a-t-il prescription? C'est à la justice de le dire. Mais pourquoi diable un homme de sa stature tombe dans le piège ridicule de « je ne sais pas ce que l'on me reproche » et met toute cette histoire sur le dos de la « jalousie » de ces adversaires, « qui veulent détruire mon film (L'Insulte) car les idées qu'il contient les dérangent »? Il est inutile de détourner l'attention des Libanais avec ces balivernes. De deux choses l'une : soit il considère que son choix de 2012, d'avoir filmé en Israël et travaillé avec des Israéliens, était judicieux, et il l'assume ; soit il regrette son choix de 2012 et il l'exprime clairement. Lorsqu'on lui a rappelé que son séjour en Israël constitue une violation de l'article 285 du Code pénal libanais, il a tenté de se blanchir en arguant qu'il n'est « pas le seul à violer la loi libanaise » et qu'il y a « des centaines de violations de la loi au Liban ». Ah non, pas ça, pas lui! C'est l'argument type de n'importe quel quidam libanais pour justifier le non-respect des lois en vigueur dans notre pays. C'est la fameuse formule, « chou we2fitt 3léyé? » (et alors! ça ne dépend que de moi?).

Et là, nous rentrons dans le fond de l'affaire Doueiri. Certes, il a raison sur ce point, mais ce n'est pas parce que certains violent la loi au Liban, que cela donne automatiquement le droit à d'autres de la violer aussi et autrement. Non mais, on croit rêver! En allant en Israël Ziad Doueiri savait ce qu'il faisait, violer la loi libanaise. D'autant plus qu'il a demandé une autorisation et n'avait pas attendu le feu vert. Mais il savait aussi que sa notoriété et surtout, sa double nationalité américaine et française, le jackpot, le protégeait complètement et le mettait à l'abri de la justice libanaise pour un tel délit. Enno ma3lé, yékhidna bé7elmo.

Ce que je dis déplaira à certains. Et pourtant, il faut le dire. Nous devons décider, est-ce que nous voulons construire un Etat digne de ce nom ou se contenter de la république bananière que nous avons? On ne peut pas passer le plus clair de notre temps à parler de l'application d'une partie des lois libanaises quand celles-ci visent le Hezbollah par exemple, et accorder une immunité arbitraire à certains qui violent en connaissance de cause d'autres parties des lois libanaises, sous prétexte que ce sont des artistes, qu'ils sont célèbres, qu'ils ont des nationalités protectrices, qu'ils ont des relations haut placées, qu'ils n'ont fait de mal à personne, que la loi est obsolète, qu'ils ont décroché des prix et que nous vivons dans un monde de bisounours. La loi c'est la loi. Je ne spéculerai pas en disant que si c'était un artiste libanais, sans la « nationalité magique », et sans protecteur haut placé au sein de l'establishment libanais, il y a fort à parier que le pauvre croulerait actuellement des jours heureux en prison et enverrait ses bons baisers urbi et orbi plutôt de Roumieh que des plateaux des chaines de télé !

Qui est en désaccord avec l'application de l'article 285, n'a qu'à militer publiquement pour son abolition. Pas une seule voix, dans le concert des mécontents, ne s'est élevée pour le demander. Après on s'étonne que ce pays n'avance pas, tourne en rond et décline à la vitesse des conneries. Personnellement, je suis pour le maintien de l'esprit de l'article 285, tant que le Liban n'a pas soldé ses différends avec Israël. Et tant qu'on ne l'a pas aboli, nul n'est censé l'ignorer. Mais pour avancer, je pousserai la réflexion plus loin. Assez de protestations stériles. Pour que l'Etat libanais et le tribunal militaire, ne soient pas accusés de favoritisme avec Ziad Doueiri et d'une application arbitraire de la loi, selon la tête du client, de ses nationalités étrangères complémentaires et des boucliers intérieurs protecteurs, tout libanais pourra désormais se rendre en Palestine et en Israël, pour des raisons artistique, culturel ou religieuse, sans risquer quoi que ce soit, en invoquant la « jurisprudence Doueiri ». Et tout ce qui est en dehors de ça n'est que palabres et hypocrisie.

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Pink Floyd, de l'arène de « Pompéi » aux salles de cinéma

Paris-Pompéi, mercredi 13 septembre. C'est l'avant-première mais aussi la dernière du film « David Gilmour : live à Pompéi». On n'a prévu qu'une seule séance pour le monde entier. C'est déjà beaucoup pour un même événement. A commencer par la tête d'affiche, David Gilmour, la légende. Avec Roger Waters, une autre légende vivante, ils sont les piliers du groupe mythique, Pink Floyd, qui donne du plaisir à trois générations de fans, depuis 1965.

Le film projeté avant-hier aux quatre coins du monde a été réalisé par le cinéaste sud-africain, Gavin Elder, à partir de deux concerts donnés par le chanteur et le guitariste de Pink Floyd les 7 et 8 juillet 2016, dans l'amphithéâtre romain. S'il y a « retour » à Pompéi, c'est qu'il y avait un précédent. En 1971, le réalisateur franco-écossais Adrian Maben et les membres du groupe avaient décidé de jouer la musique psychédélique de Pink Floyd dans l'arène mythique de Pompéi, et de filmer le live, sans spectateurs, afin de rester focaliser sur la musique et faire un pied de nez à la mode Woodstock de l'époque.

La dernière fois qu'un spectacle a été donné dans ce lieu, remonte à près de 2 000 ans, Jésus venait de mourir et de ressusciter 50 ans plutôt. Si les pierres pouvaient parler, elles nous raconteraient les récits de tous ces combats de gladiateurs qui se déroulaient dans les arènes de l'Empire romain et qui passionnaient les foules. Mais, jouer dans une arène où tant de sang a coulé, quelle idée! Bien au contraire. Dans ce lieu, c'est plutôt tant de sueur qui a coulé. Malgré leur violence, tout était codifié dans les combats de gladiateurs, la mise à mort n'était pas la règle, l'objectif était de pousser l'adversaire à abandonner le combat en l'épuisant voire en le blessant, selon le courage du gladiateur vaincu le public avait la possibilité de le repêcher, un gladiateur pouvait arrêter le combat à tout moment, enfin bref, on est loin des caricatures véhiculées par certains péplums hollywoodiens. On était plus dans le registre sportif et le spectacle. Autre info fausse qui a la vie dure, les gladiateurs avaient principalement un régime alimentaire végétarien. Autre époque, autre pratique. Certes, les protagonistes recherchaient la gloire et la richesse, hier comme aujourd'hui, mais ce qui importait le plus, pour un gladiateur comme pour un musicien, c'était la qualité du spectacle. Les plus connus des combattants professionnelles d'autrefois, qui pouvaient être libres ou esclaves, déchaînaient les passions, comme les plus connus des chanteurs de nos jours. On raconte qu'un certain gladiateur surnommé Suspirium Puellarum, « le soupir des jeunes filles », mettait en transe les femmes de Pompéi. Autre époque, autre fantasme.

Jouer de la musique dans cette arène de nos jours n'était pas une idée saugrenue de David Gilmour, puisque les combats de gladiateurs de jadis étaient justement accompagnés de musique, qui permettait d'amplifier les émotions de la foule. Trompettes, cors et orgues hydrauliques, on ne résignait pas sur les moyens, même à l'époque, pour en mettre plein les yeux et les oreilles des spectateurs. Les jeux organisés dans l'amphithéâtre de Pompéi pouvaient rassembler jusqu'à 20 000 personnes pour chaque représentation. Ils s'étalaient sur 3 à 5 jours. On y avait recours lors des fêtes annuelles comme à l'occasion d'événements extraordinaires, notamment aux mois d'avril et de novembre. Le concert de Pink Floyd en 1971 s'est joué sans public, celui de David Gilmour en 2016, devant 2 600 personnes seulement.

Le dernier combat de gladiateurs de l'Empire romain s'est déroulé à Rome en l'an 418. A Pompéi, des jeux furent organisés vers l'an 64 sous le règne de Néron. Après, on ne sait pas, mais de toute façon, tout s'est arrêté en l'an 79 après JC. Une éruption du Vésuve mit un terme définitif à toute forme de vie dans cette cité florissante. Pompéi restera ensevelie sous 7 mètres de pierres et de cendres volcaniques pendant 16 siècles. Du fait de son état de conservation, à l'abri des intempéries, des dégradations et des pillages, elle nous offre aujourd'hui un témoignage exceptionnel sur la vie des Romains à l'époque. Le site est classé au patrimoine mondial de l'Unesco.

David Gilmour a joué des chansons de Pink Floyd, de la période où le groupe était au grand complet (One Of These Days, la seule chanson jouée à Pompéi aussi bien en 1971 qu'en 2016), ainsi que de la période sans Roger Waters, mais aussi des chansons composées en solo (Rattle That Lock, musique inspirée par le jingle de la SNCF!). Être plongé dans un concert mythique dans les conditions d'une salle de cinéma, est tout simplement fabuleux. Il fallait y penser. Gilmour a osé. L'expérience est originale et l'émotion est au rendez-vous. On ne peut évidemment pas comparer l'émotion ressentie dans une salle de cinéma à celle ressentie au cours d'un live en plein air où l'on est porté par un enthousiasme collectif, la magie du lieu, la performance scénique, la communion avec l'artiste, l'acoustique de l'amphithéâtre, etc. Mais d'un autre côté, sur plusieurs points, l'émotion dans une salle de cinéma dépasse celle d'un live en plein air ou dans une salle de concert : on est protégé des éléments perturbateurs de l'environnement par l'obscurité veloutée de la salle, on bénéfice d'un angle de vue multiple dont celui d'un drone, les images sont en 4K ultra-HD, le son est Dolby Atmos, la vision globale permet de savourer les jeux de lumière et de laser, ainsi que le feu d'artifice, etc. Tout cela donne une autre dimension au concert qui laisse les portes de la perception grandes ouvertes. Le concept du film-concert au cinéma se répandra surement à l'avenir. En un mot, « Wish you were here ». A ce propos, « David Gilmour : live à Pompéi » a été projeté dans 2 000 salles de cinéma à travers le monde. Pas au Liban, hélas. Comment un pays qui se veut brancher, a pu rester à côté d'un événement de cette importance? Sans doute à cause de la montée du nombrilisme, nous ne sommes plus en harmonie avec le monde, très préoccupé ces derniers temps par le transport des jihadistes dans des bus confortables climatisés et parfumés à l'eau de Cologne, et trop occupé ces derniers jours par l'affaire Ziad Doueiri.