vendredi 15 juin 2018

« Lebanon Wins The World Cup » vs. « A Story of Opportunity » : un match-ciné inédit entre le Liban et les Etats-Unis (Art.537)


C'est l'histoire de deux rencontres improbables et de quatre hommes à la recherche de la paix. 


D'un côté, celle d'Edouard Chamoun et Hassan Berri, deux vétérans de la guerre libanaise, passionnés de foot, qui se retrouvent à Beyrouth. De l'autre côté, celle de Donald Trump et Kim Jong-un, deux responsables du chaos international, pas les seuls!, passionnés de boutons nucléaires, qui se retrouvent à Singapour.


🇱🇧 Si tous les pays du monde étaient représentés par l’Empire State Building, le Liban serait un appartement de 15 m² où vivraient 15 personnes. C’est beaucoup, c’est trop, c’est même beaucoup trop de Méditerranéens, d’actions, de réactions et d’interactions. Des siècles de conquêtes et d’invasions, deux voisins hostiles et peu commodes, une importante émigration et une forte immigration, des églises, des mosquées et des synagogues, le Liban c’est 12 millions de descendants d’émigrés, 4 millions d’habitants, 2 millions de réfugiés, 18 communautés, athée comprise et non reconnue, plus Edouard et Hassan, deux « héros » de la guerre civile libanaise. Entre guerres froides et guerres chaudes, le pays du Cèdre peut sembler un cas désespéré tous les jours de l’année, sauf pendant un mois, tous les quatre ans, au cours de la Coupe du monde de football, où comme par enchantement, le Liban mue.

🇺🇸 Alors que le monde retenait son souffle, apprenant que les discussions entre Trump et Jong-un étaient dans une impasse, que le bol de cacahuètes était vide, qu'il est midi passé et que les deux gourmands ne tarderont pas à crier famine, Donald regarde Kim avec des yeux vaniteux et lui dit : « tiens, j'ai un truc à te montrer ». L'ex-star de reality show sait se mettre en scène. Il se lève, prend l'iPad sur lequel il s'était assis par mégarde, l'allume et clique sur « Play ». 4 minutes et 12 secondes plus tard, le détecteur de fumée blanche de l'hôtel Capella se déclenche indiquant qu'un accord de principe a été conclu entre les deux ennemis pour la dénucléarisation de la péninsule coréenne.

🇱🇧 L'idée de départ était de capter cette mue éphémère de la société libanaise au cours du Mondial et de s’en servir pour rapprocher ceux que tout pouvait opposer en temps normal. De fil en aiguille, l'idée s'est transformée en une histoire, celle de deux vétérans, un combattant aguerri chrétien et un guérillero intellectuel musulman, engagés dans deux camps opposés durant la guerre civile libanaise, qui se préparent la veille du Mondial de l’été 2014, à soutenir leur équipe favorite, le Brésil.

🇺🇸 Ouf, un souffle de soulagement balaya la planète d'Est en Ouest et du Nord au Sud. Au diable le retrait de Trump de l'accord de Paris sur le climat, la guerre commerciale avec l'Europe, le retrait des Etats-Unis de l'accord sur le nucléaire iranien et la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d'Israël. Savoir comment sera dénucléarisée la péninsule coréenne n'est pas la question, puisque l'accord ne contient rien de concret. Pas de détails, donc pas de diable caché. Un coup de génie de la part de deux bouffons ! Eh oui, « rien n'est conclu, tant que tout n'est pas conclu », comme l'a dit un jour Laurent Fabius, l'ancien ministre français des Affaires étrangères, à propos du nucléaire iranien. La question que le monde entier se pose en cette fin de semaine, c'est de savoir que s'est-il passé durant ces 4 minutes et 12 secondes ?

🇱🇧 Ce tournoi tant attendu donne à nos deux protagonistes l'occasion de se remémorer à la fois, des matchs inoubliables de 1982, alors que l’armée israélienne encerclait Beyrouth, et des batailles décisives de 1975, comme celle des Grands hôtels. C’est l’occasion pour eux de revenir aussi sur leurs engagements durant l’un des conflits les plus connus et les plus médiatisés du 20e siècle. Reste à savoir si la passion pour le foot, l'attachement au Brésil et l'amour pour le Liban peuvent unir Edouard et Hassan, malgré tout ce qui a mal tourné. 

🇺🇸 Lorsqu'on a projeté le court-métrage qui est présenté comme une bande-annonce, dans la salle où étaient rassemblés les journalistes qui couvraient la rencontre entre Donald Trump et Kim Jong-un, improbable il y a seulement quelques semaines, on a cru dans un premier moment à un canular pour détendre l'atmosphère. Non, c'était du sérieux. Ah bon! Alors, on a pensé dans un second temps à un film de propagande de la Corée du Nord, dernier bastion communiste sur Terre. Négatif, c'est beaucoup plus sérieux qu'on le pensait. Mais alors, qui l'a fait? Difficile à croire, mais ce navet que vous allez visionner est l'oeuvre du chef du pays le plus puissant au monde, plus de dix-huit mille milliards de dollars de PIB, le berceau et le fief de l'industrie cinématographique de Hollywood, la patrie de Scorsese, De Palma, Spielberg, Coppola, Lubitsch et tant d'autres grands génies du 7e art, concocté spécialement pour convaincre le chef nord-coréen d'abandonner ses bombes nucléaires et ses missiles balistiques. Même pas à mi-mandat et l'Amérique n'est plus qu'une tragi-comédie à cause de son président !

🇱🇧 A l’arrivée, « Lebanon Wins The World Cup » est un film sur la brutalité de la guerre du Liban, la passion des Libanais pour le football, la réconciliation islamo-chrétienne et le pouvoir de pardonner. Le documentaire libanais a été réalisé par Tony ElKhoury et Anthony Lappé. Il est produit par Still See A Spark FilmsBakhos Baalbaki, ma7soubkoun comme dirait Machnouk, y passe comme Story Consultant.


🇺🇸 Tout y est dans « A Story of Opportunity », par ordre croissant d'invraisemblance : le simplisme, la lourdeur et le radotage, ainsi que le solennel, le pompeux et la grandiloquence, le tout sur une musique de magasin de fringues qui tape sur les nerfs, et surtout et au-delà de tout, le nivellement par le bas. Le court-métrage américain produit et réalisé par la Maison-Blanche raconte l'histoire d'une rencontre entre le président des Etats-Unis d'Amérique et celui de la Corée du Nord. La voix off nous dit d'entrée en matière que « sept milliards de personnes habitent la planète Terre (…) mais seul un très petit nombre prendra des décisions... et changera le cours de l'histoire ». On aurait aimé que ces décisions historiques concernent le changement climatique, ainsi que les modes de vie et de consommation des Américains. A ce propos, si ces sept milliards vivaient comme les 323 millions d'Américains, il nous faudrait cinq planètes Terre pour subvenir aux besoins de l'humanité.


🇱🇧 Belote et rebelote, c'est de nouveau le Mondial. Pour s'inspirer du documentaire de Donald Trump, nous pouvons nous poser la question « what if Lebanon Won The World Cup ? » Pour gagner, il faut jouer déjà, comme au loto. Très joli sauf que vouloir n'est pas pouvoir. Ce qui vraiment fascinant dans ce grand rendez-vous sportif c’est de constater à quel point il constitue l'un des plus puissants facteurs qui permettent de mettre en sourdine les divisons politiques et communautaires. A défaut d'une équipe nationale à encourager, les Libanais se divisent pour soutenir le Brésil, l’Allemagne, l’Italie ou la France, mais ils oublient pour un laps de temps leurs anciennes divisions politiques et communautaires. C'est déjà ça et c’est fabuleux.

🇺🇸 Comme « le passé ne doit pas être le futur », Donald Trump et Kim Jong-un se préparent pour « un nouveau départ, pour la paix ». En backgroud, des images flatteuses des deux protagonistes. Le film est en couleur, parce que l'avenir est joyeux et il y a un happy end en perspective. Mais par moment les couleurs deviennent noir et blanc. C'est que les deux pays pourraient entrer en guerre et « l'histoire peut se répéter ». Quand Trump introduit le symbolisme dans le 7e art, c'est quelque chose qu'il ne faut pas rater. 

🇺🇸 « Deux hommes, deux leaders, un destin. » Mais tout dépend de l'autre. Trump fait savoir à Jong-un que « la lumière peut surgir de l'obscurité », illustrée par un lever de soleil sur la Terre vu de l'espace, mais aussi que « la lumière de l'espoir peut bruler intensément », et même, que « la lumière de la prospérité a déjà brillé pour la plus part des gens dans le monde ». C'est c'là oui, parce que les 3 119 migrants morts en Méditerranée en 2017 faisaient des croisières sans doute !

🇺🇸 La subtilité du scénario veut que le narrateur ne nomme pas expressément Kim Jong-Un. « C'est l'histoire d'un moment spécial dans le temps où un homme dispose d'une chance qui peut-être ne se répétera jamais. Qu'est-ce qu'il choisira? De montrer une vision et un leadership ou pas? » Mais pour aider le spectateur déjà endormi qui penserait à Trump en écoutant ces mots, les réalisateurs montrent de nouvelles images du leader nord-coréen à l'époque où il était mince. 

🇱🇧 « Lebanon Wins The World Cup » est un film captivant et une histoire émouvante. Les deux vétérans sont des hommes attachants. Ils ont tous les deux raison. Chacun se battait pour une idée du Liban. Comme l'a dit André Malraux, « Juger, c'est de toute évidence ne pas comprendre puisque, si l'on comprenait, on ne pourrait pas juger. » L’immortalisation des scènes de liesse des supporters libanais, filmées à « Beyrouth-Est » comme à « Beyrouth-Ouest », pour reprendre la terminologie de la démarcation de la guerre civile libanaise, est un moment d’anthologie. La musique signée par l'artiste Oak effleure l'inconscient et magnifie les sentiments

🇺🇸 Et comme toute propagande qui se respecte, il faut passer et repasser le message en boucle. Le documentaire américain nous explique que Kim Jong-Un est face à deux options : « Moving back », illustré à l'écran avec un lâcher de Tomahawks, un alignement de navires de guerre sur l'océan, un décollage d'avions de chasse d'un porte-avion et une vue aérienne de la Corée du Nord plongée dans le noir, ou « Moving forward », illustré par un rembobinage de tirs de missiles, l'édification de gratte-ciels et une vue aérienne nocturne de la Corée du Nord illuminée grâce à un double gaspillage financier et énergétique. 

🇱🇧 A chaque Coupe du monde, c’est le même rituel. Certains Libanais sont heureux car leur équipe gagne, d’autres sont attristés car leur équipe perd. Mais à la fin de la nuit, « Lebanon Wins The Word Cup » tous les quatre ans. Il y a bien un avantage à ne pas être qualifié ! 

🇺🇸 Au fur et à mesure qu'on regarde « A Story of Opportunity », on a l'impression que le court-métrage se transforme en un long-métrage. Et toujours cette voix off grotesque pour expliquer à ceux qui décrochent « qu'un nouveau monde peut commencer aujourd'hui... », illustré à l'écran avec des chevaux sauvages galopant dans l'eau, Silverster Stallone dans le Bureau oval et des auto-tamponneuses, le seul moment où l'on sourit, « ... celui de l'amitié, du respect et de la bonne volonté ». Comme après le deal avec l'Iran par exemple. « Faites partie de ce monde, où les portes de l'opportunité sont prêtes à s'ouvrir... », avec bien sûr des images d'une porte géante qui s'ouvre!, «... avec des investissements du monde entier, où vous pouvez avoir des percées médicales, une abondance de ressources, une technologie innovante et de nouvelles découvertes », le tout accompagné avec les images d'un drone livrant un colis d'Amazon je présume (qui aidera l'un des entrepreneurs les plus antipathiques sur Terre, Jeff Bezos, à franchir la barre des 140 milliards de dollars de fortune personnelle!), une femme passant un scanner (un examen qui n'est pas à la portée de la majorité de l'humanité) et bien sûr, un de ces grands temples de la surconsommation et de l'athérosclérose (un supermarché).

🇱🇧 Le cinéma libanais se porte comme un charme depuis un moment. Il est non seulement présent dans les principaux festivals du film dans le monde, mais il réussit à s'imposer dans les grandes compétitions et à décrocher de prestigieux prix. C'est le cas : 


🇱🇧 Justement de « Lebanon Wins The World Cup » de Tony ElKhoury et Anthony Lappé, consacré grâce au prix du Best Documentary Short obtenu aux Festivals du film de Varsovie 2015 et de Santa Barbara 2016;
. Ainsi que de « Waves '98 » d'Ely Dagher, Palme d'or du court métrage (animation) au Festival de Cannes 2015; 
. Mais aussi de « Very Big Shot » de Mir-Jean Bou Chaaya, sélectionné pour la nomination comme Meilleur film en langue étrangère aux Oscars 2017 et Etoile d'Or au Festival du film de Marrakech 2015;
. Et bien sûr de « L'Insulte » de Ziad Doueiri, nominé dans la catégorie du Meilleur film en langue étrangère aux Oscars 2018 et Coupe Volpi de la Meilleure interprétation masculine (Kamel El Basha) à la Mostra de Venise 2017;
. Et bien évidemment de « Capharnaüm » de Nadine Labaki, qui a remporté le Prix du Jury au Festival de Cannes 2018.

🇺🇸 Et enfin, arrive le moment de suspens. « Et si? Est-ce que l'histoire peut être modifiée? » Et belote et rebelote. « Ça dépend d'un choix... Est-ce que ce leader choisira de faire progresser son pays et de faire partie d'un nouveau monde? » Ça rappelle étrangement le Nouvel ordre mondial de Bush père. Et pour achever le spectateur, le film se termine sur des considérations vaseuses. « Une rencontre pour réécrire l'Histoire. Pour briller au soleil. Un moment, un choix, et si? L'avenir reste à écrire. » Le documentaire américain est tout simplement affligeant. Mais il faut absolument le regarder pour comprendre ce que signifie vraiment le nivellement par le bas, alors que les enjeux géopolitiques sont énormes. Tout est produit par « Destiny Pictures Production ». Même pour le choix du nom de la production, ça ne vole pas très haut. La société existe, mais n'a rien à voir avec le film produit par Donald Trump. Le président américain est si fier de son montage amateur, qu'il compte avoir recours au même procédé avec d'autres leaders du monde. Non mais, qu'est-ce que l'humanité a fait au bon Dieu pour mériter ça? 

🇱🇧 Et pourtant, le franc succès de certains films libanais ne doit pas cacher une réalité bien amère. Hélas, le cinéma n’a pas la place qu’il mérite au Liban car ceux qui pourraient l’aider à se développer au pays du Cèdre et dans le monde, du public comme du privé, sont aux abonnés absents sauf quand il s’agit de brasser du vent, gaspiller l’argent des contribuables et pavoiser sur les tapis rouges de Cannes. 

🇺🇸 Un homme qui arrive à s'entendre avec tous les leaders autoritaires du monde, Jong-un en tête, regrette que Poutine ne soit pas dans le G7, félicite Erdogan et Duterte, fait l'éloge de Ben Salmane, mais se froisse avec pratiquement tous les leaders des pays démocratiques occidentaux, Merkel, Macron, May et Trudeau, ne peut être qu'un bouffon du nom de Donald Trump. Dans la même journée, le président américain a tout fait pour torpiller le G7 et tout fait pour sauver sa rencontre avec le président nord-coréen. Et comment diable veut-il qu'on le prenne au sérieux?


🇱🇧 Après avoir été projeté dans des festivals du film à Varsovie (Pologne), Santa Baraba (Etats-Unis), Moscou (Russie), Vilnius (Lituanie), Los Angeles (Hollyshorts, Etats-Unis), Tripoli (Liban), Beyrouth (Liban), Padova (Italie), Jérusalem (-Est, pardi! ainsi qu'à Bethlehem, Jenin et Ramallah en Palestine), Sulmona (Italie), Islamabad (Pakistan), Los Angeles (Zamoxis, Etats-Unis), Barcelone (Espagne), Berlin (Allemagne), Toronto (Canada), Thessalonique (Grèce), Prague (République tchèque), Belgrade (Serbie), Rio de Jenairo (Brésil, ainsi qu'à Brasilia et Sao Paolo), Copenhague (Danemark) et Lisbonne (Portugal); amis et visiteurs, lecteurs et cinéphiles, passionnés d'histoire(s) et fans de foot, supporters du Brésil ou de l'Allemagne et amoureux du Liban ; j'ai le plaisir de vous faire part que « Lebanon Wins The World Cup » est disponible en streaming pendant un mois, afin de permettre à toutes et à tous de visionner un film libanais qui raconte un pan de notre histoire tragique et de notre formidable capacité à surmonter les épreuves, qui a fait le tour du monde et qui a raflé cinq récompenses internationales

🇱🇧 A en croire Robert Fisk, grand reporter britannique et correspondant de The Independent au Moyen-Orient, et comment ne pas croire un des journalistes les plus récompensés au monde, celui qui partage notre quotidien depuis 1976, qui a couvert toutes les guerres du Liban, qui vient de publier deux articles coup sur coup pour dénoncer la défiguration du Mont-Liban par une bande de rapaces et qui mérite la nationalité libanaise plus que tous ces tocards qu'on nous a imposés récemment, Lebanon Wins The World Cup, auquel j'ai contribué en tant que Story Consultant, est « l'un des meilleurs documentaires sur la guerre du Liban. Court. Doux. Amer. Et la musique! » Sacré Mister Fisk !

« Lebanon Wins The World Cup » 🇱🇧 vs. 🇺🇸 « A Story of Opportunity », un match-ciné inédit entre le Liban et les Etats-Unis, remporté haut la main par le pays du Cèdre. A l'occasion du Mondial, le film libanais est en accès libre. Pas de réservation, ni de déplacement. Click & enjoy 😊