
Nous
sommes au Parlement libanais, le pouvoir législatif de l'Etat libanais, là où l'on vote les lois qui régissent tant bien que mal la vie en communauté au pays des 18 communautés. Le contexte est
particulier. Il a fallu presqu’une année de dur labeur à Tammam Salam pour
former son gouvernement et des semaines de longues tractations sous le haut
patronage du président de la République, Michel Sleiman, pour rédiger sa
déclaration ministérielle. C’est pour vous dire, on revient de très loin. Une
centaine de députés de la nation, des représentants de diverses tendances
politiques et de toutes les communautés libanaises, sont présents dans
l’hémicycle pour débattre de cette déclaration ministérielle hautement
controversée. Le vieux renard, Nabih Berri, président de l’Assemblée à ses
heures perdues, a réservé deux jours pour la tâche. Vous comprenez, celui qui a
fermé le Parlement pendant un an et demi (entre le 1er déc. 2006 et
le 25 mai 2008), et reporté la date de l’élection présidentielle en 2007-2008, 17 fois, ne
badine pas avec les règles démocratiques. L’ambiance n’est pas hitchcokienne
bien entendu. Loin de là. Les spectateurs ne s’attendent à aucun suspens. Et
pourtant, une trentaine de ces gaillards représentants avaient des choses à dire. L’issue des débats est connue d’avance. Les députés se succèdent à la
tribune, se donnent en spectacle, endimanchés comme il se doit dans un pays
conservateur. A les regarder et à les écouter, j’ai l’impression que beaucoup ont
mis plus de temps à soigner leur tenue du moment que leur discours de
circonstance. La majorité d’entre eux a choisi des mots dans le sens du poil,
une petite minorité a décidé d’hérisser le poil de cette majorité.
Les
débats sont retransmis par les chaines de télévisions locales. Les Libanais y
jettent un coup d’œil malgré leurs occupations, en zappant selon les sensibilités
politiques. En dépit de l’importance démocratique de la procédure, le vote de
confiance pour le nouveau gouvernement de Tammam Salam, ce jour-là, rien ne
distinguait le Parlement libanais d’un arbre à palabres d’Afrique, jusqu’au
moment où Estephan Douaihy prend la parole. Douze années de députation et trois mandats depuis
1992, élu dernièrement sur la liste du Changement et de la Réforme de Michel
Aoun, descendant de la famille de l’ancien patriarche maronite, de même nom, d'Antioche et de tout l'Orient
(1670-1704), c'est pour dire que son mot était tout de même attendu.
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Pas
dépité par la grogne de certains députés -de confession musulmane probablement,
vu la réponse qui suivra, et du Hezbollah selon toute vraisemblance- le député
maronite leur balance : « Qu’est-ce
qu’il y a les gars ? Il vous est permis (de le faire), mais pas
nous ! Non, mais on aimerait bien savoir ! » C’est le moment
comique de l’histoire. On dirait du Molière en Orient. De ce qu’il a dit sur
le plan politique, il n’y a rien à retenir. Enfin si, le fait qu’il a défendu
la milice chiite en disant : « La
résistance (autodésignation du Hezbollah) est une constance, qu’elle figure ou
pas dans la déclaration présidentielle (...) Il était plus bénéfique pour nous
tous, d’accrocher l’insigne (de la résistance) sur notre poitrine et non de discuter
de sa légitimité ». Schizophrénie mon amour !
Si
Estephan Douaihy est le premier député chrétien à introduire Dieu au Parlement
libanais, ce n’est absolument pas le cas des députés chiites du Hezbollah, qui
le font souvent, depuis des lustres, dans l’indifférence générale des autres
représentants de la nation et des médias libanais. Allah est omniprésent au
Parlement libanais dans les discours politiques chiites, sans que personne ne
trouve rien à redire. Alors franchement, comment peut-on songer à la
déconfessionnalisation des esprits au Liban, et demander à des citoyens
chrétiens, druzes et sunnites, d’oublier leurs appartenances communautaires et
de se faire mutuellement confiance, alors qu’il existe au pays du Cèdre, un
parti politique libanais pas comme les autres, purement chiite, armée jusqu’aux
dents, massivement soutenue par la communauté chiite libanaise, dirigé par des
hommes religieux chiites, se targuant de son allégeance au wali el-fakih (le
Guide suprême de la République islamique d’Iran, Ali Khamenei), qui écrit noir
sur blanc que l’islam, le chiisme bien entendu, est la solution au bordel
communautaire libanais, et qui se fait appeler « hezb’allah », le parti
d’Allah, Allah des musulmans chiites naturellement, et dont le drapeau se
résume à une kalachnikov, le verset coranique « c’est le parti d’Allah qui sera
victorieux » et la dénomination « la résistance islamique au Liban » ? Peine
perdue. Il est clair qu’indépendamment des armes illégales et de l’idéologie transnationaliste de
la milice chiite, aucune démarche politique ne pourra être amorcée au Liban
pour déconfessionnaliser les esprits tant que le Hezbollah gardera son nom et
son logo !

Terminons
cette histoire tragicomique par deux anecdotes secondaires tragicomiques. Au
cours de l’allocution de Sami Gemayel, qui interpellait le Premier ministre
Tammam Salam, le sommant d’œuvrer pour connaitre le sort des détenus libanais
dans les geôles syriennes de la tyrannie des Assad (il serait plusieurs centaines
de personnes, dont beaucoup de chrétiens), le député chrétien de Zgharta n’a
pas trouvé mieux que de rigoler en disant : « va les ramener de Syrie »! Il faut dire que Sleiman
Frangié junior est un ami personnel de Bachar el-Assad. Plus grave encore, il
est fier de l’être. Enfin, sachez que notre gaillard a terminé son intervention par cette décision
magistrale : « je place la
décision d’accorder la confiance au gouvernement ou pas, entre les mains de
(Nabih) Berri et de (Sleiman) Frangié, parce que j’ai confiance en eux ».
Yé3né, ya heik rijjél ya bala ! « Rajoul
el qararatt el so3bé », l’homme des décisions difficiles, dira son
affiche électorale aux prochaines législatives. Wlak, c’est oui ou non, bordel. Estephan Douaihy est un des 128 députés
du Liban, lol. A cet instant précis,
j’ai le sourire aux lèvres en pensant à la sagesse d’une de ses collègues,
Gilberte Zouein, qui sait apparemment plus que quiconque que si « la parole est d'argent, le silence est d'or ». Mais pas sur deux mandats, enno quand même !