lundi 12 mai 2014

Après le désaveu du président de la République, tout député qui espère se faire réélire devrait saisir le Conseil constitutionnel sur la libéralisation des loyers anciens au Liban (Art.227)


Il avait le choix. Il en a fait un. C’est une première qui restera sans aucun doute dans les annales de la République libanaise. Le mercredi 7 mai, le président de la République a signé toutes les lois votées au cours des trois journées de festivités parlementaires du Poisson d’avril -1er, 2 et 3 avril- à l’exception de la loi qui concerne la libéralisation des loyers anciens. Michel Sleiman, a décidé donc de ne pas associer son nom, et surtout sa fonction, à la nouvelle législation parce qu’il a l’intime conviction nous dit-il, que « toute loi qui ne prévoit pas la justice sociale serait injuste à l’égard d’une partie ou d’une autre de la population ». En d’autres termes, « le président de la République libanaise, (qui) prête serment de fidélité, à la Nation libanaise et à la Constitution, en jurant par Dieu Tout-Puissant d’observer la Constitution et les lois du Peuple libanais », conformément à l’article 50 de la Constitution libanaise, estime que la loi de libéralisation des loyers anciens en l’état, « n’assure pas la justice sociale au Liban ». Il s’agit indéniablement d’une grande victoire morale pour des centaines de milliers de locataires anciens. En décidant de ne pas promulguer cette loi inique, Michel Sleiman désavoue les parlementaires libanais qui ont voté ce texte bâclé à l’unanimité et à la hâte. De ce fait, si l’on suit la logique du président de la République, la nouvelle loi devrait être invalidée par le Conseil constitutionnel dans un premier temps, puis revue et corrigée par les députés dans un second temps.

Ceci étant, ne pas signer la loi est une chose, ne pas la renvoyer au Parlement en est tout autre. Si dans le premier cas, Michel Sleiman n’a pas satisfait entièrement les locataires anciens, dans le second cas, il n’a répondu que partiellement aux attentes des propriétaires anciens. Il n’empêche que la victoire des locataires dans ce bras de fer est incontestable. Même si rien n’entrave la mise en œuvre de la libération des loyers anciens au Liban, désormais, il sera difficile de le faire de facto. Certes, la loi peut être signée par le Premier ministre dès aujourd’hui et envoyée pour publication au Journal officiel (JO). Elle entrerait alors en vigueur dans 6 mois, soit au cours de la 2e quinzaine du mois de novembre 2014. Mais en pratique, cette loi est mort-née. Mieux vaut limiter les dégâts au plus vite.

Non mais enfin, comment le Premier ministre pourrait-il faire fi du refus du président de la République de promulguer la libéralisation des loyers anciens telle qu’elle a été conçue par les députés libanais ? Impossible. Que vaudrait une loi qui n’est pas signée par le Président de la République, « le Chef de l’Etat et le symbole de l’unité de la Patrie, (celui qui) veille au respect de la Constitution et à la sauvegarde de l’indépendance du Liban, de son unité et de l’intégrité de son territoire », selon les termes de l’article 49 de la Constitution ? Pour mesurer la gravité de l’incident de parcours du projet de loi de Robert Ghanem, il faut savoir que jamais auparavant dans l’histoire de la République libanaise, un président de la République en exercice a refusé d’apposer sa signature sur une loi approuvée à l’unanimité par toute la classe parlementaire, toutes tendances politiques et appartenances communautaires confondues. C’est totalement inédit et de ce fait, Tammam Salam est obligé, indépendamment de ses convictions, d’en tenir compte. Dans tous les cas, il doit dès aujourd’hui, se prononcer publiquement sur ce dossier.

Par ailleurs, il faut savoir que le président de la République libanaise, Michel Sleiman, le Premier ministre, Tammam Salam, et le président de la Chambre des députés, Nabih Berri, ainsi que les chefs des communautés religieuses libanaises, possèdent le droit de saisir le Conseil constitutionnel « pour contrôler la constitutionnalité des lois ». Mais, ils ne pourront le faire que dans les 15 jours suivant la publication au JO. Ce n’est pas la peine de compter sur l’Estèz pour cela, encore moins de perdre du temps à en détailler les raisons. Sachez aussi que les chefs religieux ne peuvent saisir ce Conseil que sur des sujets en rapport avec le statut personnel et la liberté de culte. Ainsi, la saisine du Conseil constitutionnel pour contrôler la constitutionnalité de la loi sur la libéralisation des loyers anciens au Liban reposera sur les deux premiers. Donc, si Tammam Salam décide de promulguer la loi, une contrainte à laquelle il ne pourra pas s’extraire, il devrait au préalable, primo, en discuter avec Michel Sleiman, secundo, faire connaitre au peuple libanais ses convictions intimes sur la libération sauvage des loyers anciens telle qu’elle est prévue actuellement par le texte qu’il signera et tertio, se joindre au président de la République pour demander au Conseil constitutionnel de se prononcer.

Si à ce stade, on ne sait pas ce que pense réellement Tammam Salam de la loi, le désaveu de Michel Sleiman du travail bâclé des parlementaires libanais a été annoncé urbi et orbi. Rien ne permet de dire aujourd’hui que le président de la République ne saisira pas le Conseil constitutionnel. Bien au contraire, tout laisse penser qu’il ira certainement jusqu’au bout de sa logique. Néanmoins, beaucoup de personnes se demandent, si le président voulait saisir le Conseil constitutionnel, pourquoi n’a-t-il pas renvoyé la loi au Parlement à l’expiration du mois de réflexion le 8 mai ? Il aurait pu le faire, mais son action n'aurait pas eu la même portée. Il ne l’a pas fait pour deux raisons principales.

1. Michel Sleiman ne souhaitait pas humilier les députés libanais, qui sont déjà incapables d’élire quelqu’un qui lui succédera au palais de Baabda, sachant que ces derniers seraient peut être amenés à proroger son mandat pour sortir le Liban de la galère de l’élection présidentielle. Comme l’a dit Ibrahim Najjar, ancien ministre de la Justice, « le président a montré sa désapprobation, tout en refusant d’infliger un camouflet au Parlement ». Et pour cause. Bien qu’il soit opposé à la prorogation de son mandat, et il l’a fait savoir à plusieurs reprises, Michel Sleiman est conscient que son devoir patriotique pourrait le contraindre à accepter de boire le calice jusqu’à la lie pour épargner au pays du Cèdre les risques d’une vacance présidentielle de longue durée.

2. Michel Sleiman, ne pouvait pas se tenir seul face à l’ensemble des députés libanais qui ont voté cette loi, même s’il est entièrement soutenu dans cette tâche par Bakhos Baalbaki. Il ne pouvait pas, même si le vice-président du Conseil islamique chiite supérieur, cheikh Abdel Amir Kabalan, lui a explicitement demandé de « s'abstenir de signer la nouvelle loi sur les anciens loyers car son application mettrait un million de personnes à la rue ». Non, il ne pouvait pas le faire même si le grand Mufti de la République libanaise (sunnite), cheikh Mohammad Rachid Kabbani, lui a demandé expressément « de revoir la loi sur les anciens loyers et d'œuvrer pour assurer une équité entre les propriétaires et les locataires ». Non, il ne pouvait pas l’envisager même si du côté des responsables religieux chrétiens, les patriarches maronite, orthodoxe et arménien, j’en passe et des meilleurs, n’ont tout simplement pas jugé utile de s’intéresser au sujet. Par « charité chrétienne » sans doute, pour les propriétaires bien évidemment. Tenez, le patriarche maronite par exemple, est plus préoccupé à choisir méticuleusement ses pendentifs commémoratifs, à repasser ses tenues de parade, à lustrer ses chaussures de cérémonie, à vérifier l'état de sa chevelure et à se raser de près, pour son entrée à Jérusalem, et pas sur un âne comme l’a fait humblement Jésus-Christ auquel il fait allégeance, ou comme le fera en toute humilité le pape François, afin de rendre visite à ses fidèles en Israël, que par le sort d’autres fidèles, ces locataires anciens au Liban. Ah pardonnez-moi cette gaffe, lire « dans les Territoires occupés » svp. On aime bien jouer sur les mots en Orient. Quelle mascarade, toute cette histoire. On palabre et on se contorsionne ridiculement, comme si Bechara Raï serait parachuté à Jérusalem par le Saint-Esprit sans avoir à présenter comme tout mortel son passeport à des représentants de l’Etat d’Israël pour obtenir l’autorisation de se rendre dans la capitale disputée et non reconnue de l’Etat hébreux.

Enfin bref, seul le Conseil constitutionnel possède le poids juridique, légal et moral, pour désavouer les parlementaires. Le président de la République devra donc en toute logique, le saisir dès la publication de la loi dans le Journal officiel. A moins que Tammam Salam, 14 Mars / bloc du Futur, dont la présence au Grand Sérail dépend des parlementaires, joue la course contre la montre sous la pression et le lobbying de Robert Ghanem et de Samir el-Jisr, membres du bloc du Futur justement, les parrains de cette loi inique, les saints patrons des promoteurs, laissant trainer la loi sur son bureau en attendant gentiment l'expiration du mandat de Michel Sleiman, le dernier des Mohicans. Quand le Liban plongera pleinement dans la vacance présidentielle, le 25 mai à minuit, il aura les coudées franches. C’est le Conseil des ministres qu’il préside, qui assumera la charge des fonctions du président de la République. A moins aussi, que dix députés libanais pris de remords par leur vote à la hâte et à la dérobée, ou effrayés par l’idée que des centaines de milliers de locataires-électeurs les désavoueront le jour du jugement dernier lors des prochaines législatives, décident eux-mêmes de saisir le Conseil constitutionnel, afin de préparer le terrain pour l’abolition de la loi de libéralisation des locations anciennes et l’étude d’une nouvelle législation plus juste, pour les locataires comme pour les propriétaires.

A lire aussi
Michel Sleiman saisit le Conseil constitutionnel sur la loi de libéralisation des loyers anciens car celle-ci n'assure pas la « justice sociale » et viole par conséquent, la Constitution libanaise (Art.229). En annexe, le rapport de Bakhos Baalbaki à Michel Sleiman (Art.228)