J’ai une grande aversion pour les faits
divers. Mais parfois, on est contraint d’en parler. Le meurtre d’Achrafieh, commis avant-hier en plein jour (peu après 19h), en pleine
rue et en plein cœur de Beyrouth, est horrible et odieux. Il n’y a surement pas de mots
assez sévères pour condamner le comportement de ce monstre qui a poursuivi, battu et poignardé à mort un pauvre citoyen,
Georges el-Rif, s’acharnant encore sur lui à coups de pied, alors qu’il gisait sur le sol,
plongé dans le coma. En refusant de se laisser doubler alors qu'il se trouvait sur la route de l'aéroport de Beyrouth, et en poursuivant ce
véhicule qui aurait cogné sa voiture exprès en le doublant par la suite, ce Libanais n’a pas imaginé un seul instant,
qu’il signait son arrêt de mort. Ce qui rend ce meurtre gratuit et barbare encore plus touchant pour l'ensemble de la population libanaise, c’est le fait
que cette tragédie puisse arriver à n’importe qui d'entre nous où qu'il se trouve. Heureusement, que cela reste exceptionnel, il faut commencer par le rappeler. Dieu
merci, la majorité des gens sont normaux et tous les accrochages dans nos
sociétés, sur les routes et entre voisins, ne finissent pas dans les pleurs, à la morgue pour les uns et derrière les barreaux pour
les autres.
Ceci dit, je suis désolé, mais l’Etat libanais n’a pas la charge de l’éducation des nouveau-nés, des j7éch et des w7ouch de ce pays, pour en faire
des êtres humains. C’est du ressort
des parents quand la progéniture est au sein et au biberon. Et encore, il n’y a pas de mode d’emploi pour cela, ni de
garantie sur le résultat. Désolé aussi, l’Etat
ne peut pas prévenir ce genre de crime. C’est impossible, aussi bien à Beyrouth et à Faraya qu'à Paris et à Oslo, ainsi que dans les contrées et les
pays les plus civilisés. Il faut donc arrêter ce populisme à 5 piastres. On a
déjà tué en France et en Norvège pour beaucoup moins que ça, pour le refus de donner une cigarette à un passant, au cours du vol d’un blouson et à cause d'un certain regard qui n’a pas plu. Pire
encore, on a déjà tué pour beaucoup moins que cela, et même plus que cela, aux
quatre coins du Liban, et dans tous les quartiers de sa capitale, en temps de guerre comme en temps de paix.
Il n'y pas grand chose à dire sur le meurtre. Tout est filmé. les images sont accablantes. Comme à chaque fois dans des situations semblables, des voix, nombreuses, très nombreuses, même trop nombreuses, s’élèvent pour
réclamer « la peine de mort » pour l’assassin. Bon, chacun est
libre d’exprimer ses convictions. J’ai évoqué les miennes sur cette question,
dans un article récent sur les Etats-Unis. Je suis farouchement opposé à la
peine de mort, quelles qu’en soient les circonstances, y compris pour les crimes odieux et les criminels infâmes. Aujourd’hui, je ne joindrai pas ma voix à ces cris
de vengeance et à la vindicte populaire, mais à celles qui réclament tout simplement que justice soit rendue,
maintenant que le meurtrier vient d'être arrêté par les renseignements de l’armée. Tuer
un assassin est un acte de vengeance d’une société qui s’identifie aux proches
de la victime. Certes, ces derniers ont des circonstances atténuantes pour réclamer
une telle sentence parfois, mais pas la société. Comme je l’ai rappelé dans un article, « La peine de mort est le signe spécial et éternel de la barbarie ». C’est un extrait d'un discours de
Victor Hugo, prononcé devant l’Assemblée constituante de la France, le 15
septembre 1848, c'est-à-dire il y a 167 ans. Les
défenseurs de la peine de mort sont allés dans leur populisme jusqu'à
prétendre que si le meurtrier, qui était connu des services de police,
avait été exécuté dans le passé, il n'aurait pas pu commettre ce crime
barbare. Ces propagandistes malhonnêtes qui embrouillent les citoyens de façon délibérée afin de parvenir à leur fin, oublient de
préciser que le meurtrier fut jugé, condamné et emprisonné pour les faits en
question, et que même au Liban, on n'exécute pas un homme parce qu'il a été impliqué dans une bagarre ou une fusillade, encore moins parce qu'il se drogue. Il est donc nécessaire de mettre fin au parasitage des esprits.
Oui, il faut réclamer haut et fort que justice
soit rendue pour ce fait divers. Mais, tout ce qui en dehors de cela, est populisme, à commencer par ce délire de
sous-entendre qu’il existe un manitou à Achrafieh
qui fait actuellement pression pour extraire le meurtrier à la justice libanaise (merveilleusement
bien résumé par la « théorie du complot » élaborée par le journaliste
Nadim Koteich à propos d’une rumeur selon laquelle le meurtrier était sous l’emprise
de la drogue) et de faire croire aux Libanais qu’en exécutant ce monstre, il
n'y aura plus de meurtres et de meurtriers au Liban. Pour le reste, chacun est libre d’exiger la peine de mort
et de la défendre. Par contre, on ne pourra pas exécuter le meurtrier sans
passer par un tribunal et un procès, ainsi qu’un avocat, soit dit au passage. Je suis pour la peine maximale prévue par
les lois libanaises, la perpétuité, mais pas pour cet acte barbare représenté
par la peine de mort.
Ce meurtre est évidemment révoltant, tout le monde est d’accord là-dessus. Mais, ce n’est pas plus de barbarie qu’il nous faut au Liban, et qui rassurerait le peuple libanais, c'est plus d’Etat de droit qui le fera. Et c’est bien là où devra intervenir la justice libanaise si elle est digne de ce nom. Nuance ! Hélas, cette subtilité semble échapper à beaucoup de nos compatriotes et à certains des politiques, des intellectuels et des journalistes du pays du Cèdre. Il y a une différence entre une société qui se fait justice, pour le peuple, et une société qui rend la justice, au nom du peuple.
Le meurtre d’Achrafieh qui met en émoi toute la population libanaise a suscité des réactions très variées et parfois très violentes. La star de la Futur TV, Nadim Koteich, s’est même distingué en décrétant qu’il faut exécuter ce monstre rapidement, sinon « c’est la légalisation de tuer et un encouragement des gens à obtenir leurs droits eux-mêmes ». En d’autres termes, « exécuter le meurtrier » dans la tête du journaliste libanais est un « droit » qui appartient à la population libanaise. Si l’on suit bien cette logique, nul besoin de faire un procès, l’Etat n’a qu’à s’exécuter et à « lyncher » le meurtrier. Non mais, franchement, tout est filmé et il y a encore des Libanais comme moi, qui veulent que justice soit rendue lors d'un procès en bonne et due forme et selon le droit libanais.
Ce meurtre est évidemment révoltant, tout le monde est d’accord là-dessus. Mais, ce n’est pas plus de barbarie qu’il nous faut au Liban, et qui rassurerait le peuple libanais, c'est plus d’Etat de droit qui le fera. Et c’est bien là où devra intervenir la justice libanaise si elle est digne de ce nom. Nuance ! Hélas, cette subtilité semble échapper à beaucoup de nos compatriotes et à certains des politiques, des intellectuels et des journalistes du pays du Cèdre. Il y a une différence entre une société qui se fait justice, pour le peuple, et une société qui rend la justice, au nom du peuple.
Le meurtre d’Achrafieh qui met en émoi toute la population libanaise a suscité des réactions très variées et parfois très violentes. La star de la Futur TV, Nadim Koteich, s’est même distingué en décrétant qu’il faut exécuter ce monstre rapidement, sinon « c’est la légalisation de tuer et un encouragement des gens à obtenir leurs droits eux-mêmes ». En d’autres termes, « exécuter le meurtrier » dans la tête du journaliste libanais est un « droit » qui appartient à la population libanaise. Si l’on suit bien cette logique, nul besoin de faire un procès, l’Etat n’a qu’à s’exécuter et à « lyncher » le meurtrier. Non mais, franchement, tout est filmé et il y a encore des Libanais comme moi, qui veulent que justice soit rendue lors d'un procès en bonne et due forme et selon le droit libanais.
Nadim Koteich est allé même beaucoup plus
loin. « Si l’Etat ne le tue pas, appelons
à la formation d’un groupe de tueurs
professionnels, à l’instar de Robin des Bois, sa mission sera de chasser et
de liquider ces animaux humanoïdes, et que la justice (libanaise) s’amuse avec
d’autres affaires et enquêtes ». Eh
ya heik balad, ya bala ! Passons sur le fait que le journaliste libanais ne
semble pas bien connaitre les aventures de ce héros anglais du Moyen-Âge. Ceci
n’est pas grave. Le reste, si. Quand une
star du calibre de Nadim Koteich, qui fait partie de l’élite libanaise, en
tout cas des personnalités médiatiques influentes de ce pays, au moins
largement suivies par la population libanaise sur les réseaux sociaux et sur la
chaine Futur TV, émet une sentence
populiste, impulsive, expéditive, agressive et irréfléchie, qui n’est ni
plus ni moins qu’un appel au meurtre des meurtriers, et qui a déjà décrété il y
a moins d’un mois, « qui a frappé les
prisonniers (de Roumieh), doit recevoir les mêmes coups de bâtons, et ce n’est
qu’ensuite que la justice peut se mêler de l’affaire », que peut-on espérer du peuple libanais et
comment s’étonner encore que la société libanaise soit aussi violente ? Décidément,
Nadim Koteich qui n’est que le reflet d’une
frange de la population libanaise, a quelques problèmes avec la notion d’Etat
de droit. Il faudra que quelqu’un se charge de l’éclairer à ce sujet, et de
lui expliquer au passage que la signature du décret d’exécution d’un meurtrier
au Liban, après
sa condamnation à mort par un tribunal, cela va sans dire, est du
ressort du président de la République
exclusivement, et non du Conseil des ministres, même en cas de vacance
présidentielle. Il va donc falloir que lui et tous ceux qui sont pressés d’enrouler
la corde au cou du meurtrier, tempèrent leur emportement.
Encore deux réflexions. Sous-entendre que l’assassin est chiite et la victime est chrétienne, est un détail farfelu sans beaucoup d’importance dans cette histoire. En parler est à la fois inutile et dangereux. Non seulement parce ce que l'information n'est pas confirmée, mais en plus, on a tendance à oublier qu'un incident même insignifiant peut conduire à des événements graves dans un contexte aussi tendu. Les grands massacres que nous avons connus dans la région du Mont-Liban au 19e siècle ont commencé avec un accrochage personnel entre deux mômes, un maronite et un druze. Le casu belli est toujours un détail dans l’Histoire. Dans une période où les voyants des tensions communautaires au Moyen-Orient sont au rouge, certains feraient mieux de la boucler et de s’abstenir de mettre de l’huile sur le feu.
Encore deux réflexions. Sous-entendre que l’assassin est chiite et la victime est chrétienne, est un détail farfelu sans beaucoup d’importance dans cette histoire. En parler est à la fois inutile et dangereux. Non seulement parce ce que l'information n'est pas confirmée, mais en plus, on a tendance à oublier qu'un incident même insignifiant peut conduire à des événements graves dans un contexte aussi tendu. Les grands massacres que nous avons connus dans la région du Mont-Liban au 19e siècle ont commencé avec un accrochage personnel entre deux mômes, un maronite et un druze. Le casu belli est toujours un détail dans l’Histoire. Dans une période où les voyants des tensions communautaires au Moyen-Orient sont au rouge, certains feraient mieux de la boucler et de s’abstenir de mettre de l’huile sur le feu.
Par ailleurs, il revient à la justice libanaise seule, de déterminer si le fait que le meurtrier était dans le passé un gorille d'une personnalité d'Achrafieh, a eu une influence sur le déroulement et l'issue de cette tragédie, et pas à une certaine presse à l'orientation politique bien connue, qui est de surcroit en conflit avec cette personnalité depuis des lustres et qui a cru bon et responsable de jeter le prénom, et pas le nom svp, en pâture à une frange de sympathisants affamée de vengeance. C'est une récupération politicienne, qui le moins qu'on puisse dire, est déplacée dans un contexte aussi dramatique.
Enfin, il est très difficile de juger de
loin et derrière un écran, l’attitude des
témoins de cet acte barbare, au moins une quinzaine de personnes. Il est même
impossible de prévoir sa propre réaction devant un cas pareil. Ma3lé, ma 7adan yetfalsaf. En tout cas, aucune des personnes présentes ne peut être poursuivie
pour «
non-assistance à personne en danger ». Cette notion juridique repose
sur trois conditions. Si la première est remplie dans le cas présent, « la personne a connaissance du danger », la deuxième est discutable, « la
personne est en mesure d'agir » et la troisième ne l'est absolument pas, «
l'action ne présente pas de danger pour la personne ni pour un tiers ». Il
fallait sans doute une action coordonnée de plusieurs personnes pour neutraliser
cet individu, plus facile à dire qu’à faire dans un laps de temps assez court. Et pourtant, deux femmes se distinguent du lot, l'une par sa lâcheté et l'autre par son courage. Le comportement de la femme qui accompagnait ce psychopathe et qui ne semblait avoir
qu’une obsession, celle de récupérer le meurtrier et de s’enfuir, s’est montrée lâche et s'est rendue
complice de ce meurtre. Par contre, il y a une autre femme qui a fait preuve de
beaucoup de courage. Alors qu’au moins une douzaine d’hommes étaient en retrait
et immobiles, regardant le tabassage et la mise à mort d’un être humain, elle a
poursuivi le psychopathe sur une cinquantaine de mètres, en tentant à maintes reprises de le retenir et en le suppliant de mettre fin à sa folie meurtrière, en vain. C’était la femme qui accompagnait le supplicié.
Face à ce crime sordide et à cette tragédie poignante, qui mettent en émoi le Liban tout entier, nous devons combattre le populisme, la désinformation et les délires de certains, et nous battre pour que justice soit rendue et que l’Etat de droit sorte renforcé de cette épreuve nationale.
Ce fait divers impose à la société libanaise un débat sur la peine de mort, qui se révèle être passionnée comme c'est prévisible.
Personne ne changera d’avis aussi facilement sur un tel sujet. Mais, revenons à la raison un instant. A lire tout ce qui se dit sur cette histoire tragique, pourquoi
s’étonner encore des exactions de Daech & Co ? On me dira que ce n’est
pas pareil. Et pourtant, certains constats sont troublants. Ce que ce Libanais a commis devant les yeux de tous ses compatriotes, n'a rien à envier aux horreurs qui nous viennent des ténèbres contrôlées par Daech. Soit, mais allons plus loin.
L’éxécution de Tarek Yatim, immédiatement,
en place publique là où il a commis son meurtre, comme le réclame une frange
du peuple et tel que Nadim Koteich et tant d’autres l'ont exprimé, répond à trois objectifs : primo, c’est
pour éviter qu’il ne soit libérer rapidement ; secundo, c’est pour se
débarrasser d’un meurtrier ; tertio, c’est pour que cela serve d’exemple.
Je ne doute pas des bonnes intentions d’une
grande partie de ceux qui le réclament. Mais enfin, il faut se
rendre à l’évidence, c’est le même raisonnement qui a conduit les psychopathes
de Daech à filmer et à diffuser les images de l’immolation du pilote jordanien en
début d’année, rendu co-responsable des pertes humaines, certaines étant
brûlées vives, lors des raids de la coalition arabo-occidentale sur « l’Etat
islamique » en Syrie et en Irak. C’est ce même raisonnement qui a conduit
ces tarés à buter 25 soldats syriens il y a deux mois à Palmyre (vidéo diffusée
il y a deux semaines), qui étaient à leurs yeux des meurtriers du peuple syrien. Il faut comprendre que c’est toujours ce même raisonnement qui pousse Daech à
agir avec autant de barbarie : éviter la libération des hors-la-loi, se
débarrasser des meurtriers, exécuter les criminels en public et dissuader la population de commettre des crimes. Ni le motif de l’exécution, encore moins
la méthode d’exécution, n’y changera quoi que ce soit à l’équation. En exécutant des hommes, on se rapproche davantage de Daech que des pays civilisés. N'oublions jamais, la tendance mondiale est à l'abolition de la peine de mort et non l'inverse. Et pour cause !
Face à ce crime sordide et à cette tragédie poignante, qui mettent en émoi le Liban tout entier, nous devons combattre le populisme, la désinformation et les délires de certains, et nous battre pour que justice soit rendue et que l’Etat de droit sorte renforcé de cette épreuve nationale.
Rideau.