1. Une bataille électorale pour disposer de 3,4 milliards $ d’argent public
Beirut
Madinati
vs. Le2i7at el-Biyerté. Mais aussi, Le2i7at Beirut et Mouwatinoun wa mouwatinat fi dawlat, wa halloum jara. C’est à perdre son arabe ! Beyrouth et les Beyrouthins sont au centre
de la bataille électorale qui s’engage dans 48 heures, pour le contrôle de la
municipalité de la capitale libanaise. Il faut sans doute commencer par
rappeler que les 24 heureux élus auront tout le loisir de disposer jusqu’à 3,4 milliards de dollars d’argent public à dépenser
sur six ans. C’est pour dire, l’enjeu financier est énorme. Et pourtant,
ces élections n’intéressent d’habitude qu’un électeur sur cinq. D’un côté, on a
des candidats issus de la société civile. De l’autre, une coalition de
l’échiquier politique libanais. Inutile de vous dire que c’est le pot de terre
contre le pot de fer. Mais, rassurez-vous, l’entrechoquement
se trouve amorti par des subterfuges électoraux, telles que les courbettes de
circonstance, comme la visite de Beirut Madinati à Walid Joumblatt, ou des
ententes tacites, aussi étonnantes soit-elles, aucune des listes ne s’est donné la peine de faire le bilan
de l’équipe municipale sortante.
Sur la forme, la nouveauté de ce millésime
électoral, c’est l’émergence de la liste
Beirut Madinati. Lorsque nous avons
créé ce slogan avec d’autres activistes pour défendre le droit des
locataires anciens de rester dans Beyrouth, nous savions qu’il était puissant,
mais nous n’imaginions pas qu’il sera
repris par des candidats aux élections municipales, qui n'ont toujours pas trouvé honnête de révéler ce pécher originel à leurs sympathisants. Ce qui m’a bien surpris
ces derniers jours, c’est de constater que le plagiat du slogan n’a pas choqué beaucoup
de monde au Liban. Ce qui prouve que la
perception général du droit reste déplorable dans notre pays. La wlooo !
2. Beirut Madinati vs. Tol3et Re7etkom
Autre fait qui m’a surpris avec la
publication de ma trilogie sur « Beirut Madinati » (BM), ce sont les attaques modérées dont je fus l’objet
malgré mes griefs contre ce mouvement, comparées
à celles qui ont accompagnées mes critiques de « Tol3et Re7etkom »
(TR). Deux faits l’expliquent : les droits d’auteur concernant ce superbe slogan
d'amour pour Beyrouth, qui nous reviennent d’une manière incontestable et le soutien que j’ai apporté aux
premiers, alors que j’avais critiqué les seconds du
début à la fin, à commencer par leur fichu slogan. Mais cela n’explique pas tout.
BM est un mouvement sérieux, facilement défendable, qui le critique prend des
risques. TR était une réaction amatrice, facilement attaquable, qui la
critiquait ne prenait pas beaucoup de risques. Donc il y a un paradoxe, j’aurais dû avoir plus d’attaques au sujet
de BM, qu’à l’époque de TR. Ce n’est pas le cas. Certes, mes critiques à BM
sont justifiées. Celles de TR l’étaient aussi, le temps l’a largement démontré.
Evidemment, ce dernier point m’a donné du crédit. Soit, mais que peut-on dire
de plus sur ce paradoxe ?
Arrêtons-nous un instant sur un autre
élément paradoxal intéressant. La page
Facebook de BM n’a que 47 000 likes, alors que celle de TR n’est pas loin
des 200 000 likes. Pourquoi ? Bien sûr, il y a le contexte, élection pénarde vs. urgence environnementale,
sanitaire et écologique sur fond de dénonciation de la classe politique libanaise, mais quand même. L’explication se trouve également
dans le fait que les Libanais se méfient
plus aujourd’hui des phénomènes, qui font beaucoup de bruits pour rien, surtout
après la mésaventure TR justement. Peut-être aussi que les candidats de BM n’ont pas réussi à convaincre massivement les Libanais
qu’ils incarnent vraiment le changement. Ma mésaventure avec eux en est la
preuve. Autre élément intéressant, depuis le lancement de la campagne
électorale de BM, fin mars, le mouvement
TR n’a communiqué qu’une seule fois sur les élections municipales, pour
signifier à ses fans qu’il soutient les mouvements indépendants, sans mentionner la liste Beirut Madinati.
Etrange sauf si on reconnait que la réalité est bien amère pour les
activistes de la crise des déchets. Les candidats de Beirut Madinati ont su
profiter de la vague populaire créée par les activistes de Tol3et Re7etkom. Ils
ont aujourd’hui les eaux de Cologne, les éloges et les urnes, quand ces derniers n’ont eu hier, que les odeurs pestilentielles, les
gaz lacrymogènes et les canons à eau.
3. Vous avez votre Beyrouth, j’ai la mienne
Comme toutes les élections, celles-ci
comportent de bonnes idées et des projets élaborés, mais aussi un grand lot de
slogans creux et de promesses vaseuses. Afin de décider pour qui voter, il faut
commencer par se poser la question de savoir quelle Beyrouth nous aimerions avoir en 2022, à la fin du mandat du
prochain Conseil municipal ? Chacun son idéal de ville.
Dans
ma Beyrouth, l’argent public est sacré. Les candidats ne
demandent pas de chèques en blanc aux contribuables beyrouthins. Ils leur
présentent des devis précis. Or, ce qui frappe quand on lit les propositions
électorales de toutes les listes en compétition, c’est l’absence de chiffrage du coût du programme en question et des moyens
de son financement. A lire tous les candidats sans exception, un tirage sur
papier dans une imprimerie suffirait à renflouer les caisses de la municipalité.
Dans
ma Beyrouth, on s’engage à faire un audit d’entrée et de sortie. C’est d’autant
plus indispensable, que tout le monde a la prétention de pouvoir faire mieux
que l’équipe sortante de Bilal Hamad. En attendant, non seulement les contribuables beyrouthins ne savent toujours
pas comment et sur quoi leur argent est dépensé, mais en plus, ils ne
connaissent même pas le budget de leur municipalité.
Dans
ma Beyrouth, il n’y a pas de place à la pensée unique, sous aucun
prétexte et quel que soit le contexte : "on ne veut pas de l’alliance du
14-Mars et du 8-Mars, oui ils sont jeunes, non ils ne sont pas parfaits, c’est
facile de critiquer, c’est difficile d’agir, il faut en finir avec le rouleau
compresseur, mais il faut leur donner une chance", et j’en passe et des
meilleures. La démocratie est un tout indivisible. On ne peut pas demander l'approbation du peuple et entraver sa liberté
d'expression. Enno ma3lé, sma7oulna fiya !
Dans
ma Beyrouth, on fait des priorités, justement parce que l’argent public est
sacré. La première de toutes, c’est le logement.
Partant du principe que nul ne doit être
forcé de quitter son logement, il faut donc protéger les locataires. Dans
ce cadre, la municipalité devra lutter
contre la loi de libéralisation des loyers anciens qui conduira à
l’expulsion de la classe moyenne et des natifs de la ville de Beyrouth, à la
modification du tissu social urbain, à une spéculation immobilière sans
précédent et à la destruction progressive du parc immobilier ancien.
Dans
ma Beyrouth, le Conseil municipal ne gaspille pas l’argent public pour acquérir de
nouveaux terrains afin de construire de nouveaux jardins publics, comme le
proposent tous, où personne ne se rendra. On
opte plutôt pour des idées simples et économiques, pour augmenter
significativement, aisément et rapidement, la surface des espaces verts à
Beyrouth, en cessant de tailler les arbres des trottoirs existants d’une
manière grotesque et en boisant massivement toutes les rues de la capitale avec de grands
arbres.
Dans
ma Beyrouth, la lutte contre le bruit est une priorité absolue. Aucune liste ne s’en
soucie. Et pourtant, la nuisance sonore est un cauchemar absolu au pays du Cèdre. Entre l’exubérance du Méditerranéen, qui a la fâcheuse habitude de partager ses nuisances avec son environnement,
les pompes à eau, les citernes d’alimentation en eau, les moteurs électriques, les
vendeurs ambulants, les taxis-services et leurs saloperies de bips-bips, le klaxon
pour un oui et pour un non, les interminables chantiers, la messe et le
muezzine aux haut-parleurs, et j’en passe encore et des meilleures, il y a de quoi devenir dingue en 24h top chrono.
Dans
ma Beyrouth, le Conseil municipal met un plan de toute urgence pour réduire le
volume des déchets produits par les Beyrouthins, au lieu de tout
axer sur le tri et le recyclage, afin d’éviter à ces derniers de revivre une
nouvelle crise des ordures ménagères durant le prochain mandat municipal.
Dans
ma Beyrouth, on déclare la guerre au pullulement des tours hideuses. Dans une ville
saturée à tous les niveaux -le trafic routier, l’alimentation en eau, la
distribution électrique, l’évacuation des eaux usées, etc.- on n’autorise plus la destruction des
immeubles à taille humaine, de 2 à 6 étages, pour construire à la place des
tours, de 10, 15 ou 20 étages, qui ramèneront encore plus de monde dans une ville qui est au bord de l’explosion
démographique.
4. L’enjeu des élections municipales de 2016 : quel
développement urbain nous voulons et nous aurons ?
Je pourrai disserter encore longtemps sur mon idéal de ville et évoquer les embouteillages (que ni les tours ‘Sama Beirut’
ni les autoroutes ‘Fouad Boutros’ vont résoudre), les transports (tout le monde n’a plus que l’idée des pistes cyclables en
tête pour faire « pays branché », alors que sur le plan des
infrastructures basiques, on est au Moyen-Age), les parkings (mettez-les où vous voulez, mais pas comme sous-sols
des jardins publics), la santé (dans
une des villes les plus polluées du monde, le thème n’est abordé par personne !),
la culture (subventionnez qui vous voulez, mais mollo avec l’art
contemporain, l’anaphrodisiaque des temps modernes), les chats et les chiens errants (qu’il ne faut pas empoisonner comme
des sauvages), et bien d’autres choses. Mais bon, ça ne sera plus un article
mais un programme électoral municipal, surtout que je ne serai plus en
disponibilité pour la présidence de la République libanaise, hehehe. Le véritable enjeu
de ces élections est la nature même de la ville que nous aurons à l’avenir. Les plans de Beyrouth sur le long terme se
dessineront à court terme, au cours du prochain mandat municipal précisément. Il existe deux facteurs déterminants qui me poussent à l’affirmer avec certitude.
Le premier facteur découle de l’entrée en vigueur de la loi de
libéralisation des loyers anciens. Elle pourrait être pleinement appliquée
au cours de ce mandat, dès que les députés auront remplacé les trois articles
invalidés par le Conseil constitutionnel. Principale conséquence : expulsion de la classe moyenne des
appartements anciens, elle sera remplacée par une classe aisée.
Le second facteur découle de l’installation massive des ressortissants
syriens au Liban. Le pays du Cède est passé en deux ans, de 4,5 millions
d’habitants à 6,5 millions. Nous sommes devenus le pays le plus dense au monde,
après le Bangladesh. Plus de 65 000 enfants syriens sont nés au Liban
depuis 2011. Comme on n’aura pas une Syrie pacifiée et reconstruite dans six
ans, une majorité, voire la totalité, des Syriens resteront au cours de ce
mandat dans notre pays. Principale conséquence : il n’y a(aura) plus de
logements bon marché sur tout le territoire libanais.
La
suite est prévisible. Ces Libanais de la classe moyenne, expulsés de
Beyrouth par la libéralisation des loyers anciens et la spéculation
immobilière, iront donc s’installer dans
les régions moins chères des banlieues proches et lointaines de la capitale. A prévoir, des embouteillages monstres pour entrer et pour sortir de la capitale libanaise. Or,
la présence massive de ressortissants syriens, qui a épuisé l’offre bon marché en
matière de logement, rendra la recherche d'appartements à des prix raisonnables
plus problématique qu’auparavant. Dans
la cité, les immeubles anciens, débarrassés de leurs locataires anciens, seront
détruits et des tours seront construites à la place. Si c’est déjà le cas,
le phénomène s’amplifiera à l’avenir. Et pourtant, aucune liste ne s’est
prononcée clairement contre la loi de libéralisation des loyers anciens.
Ainsi, l’enjeu majeur de ces municipales
est de savoir, dans un contexte aussi alarmant,
quel développement urbain nous voulons et nous aurons pour demain : une
Beyrouth de plus en plus verticale, avec ses tours poussant dans la cité, ou
une Beyrouth de plus en plus horizontale, avec ses immeubles s’étalant au-delà
de la cité? En lisant soigneusement les propositions des diverses listes en
compétition, je suis très sceptique. Je crains que nous aurons les deux, mais pas pour les mêmes gens : la
première sera réservée à une classe aisée, la seconde au reste de la population libanaise.
5. Que faire dimanche : s’abstenir, voter blanc ou voter
pour une des listes en lice ?
On
peste contre les tours qui poussent comme des champignons et les nuisances de toutes sortes de la vie urbaine, sonores,
olfactives et visuelles, d’une ville
saturée à tous les niveaux, surtout sur le plan démographique, de plus en
plus chère avec une qualité de vie qui se dégrade, comme le
montrent diverses études internationales, qui
ne dispose que de 0,4 million m² de
verdure, alors que Paris dispose de 24 millions m² et Berlin de 64 millions
m², mais on ne se rend pas compte qu’au
rythme où vont les choses, ce qui nous attend est encore pire, nous aurons à la
fois les inconvénients des deux modèles de développement urbain, les tours dans
la cité et l’étalement des immeubles au-delà de la cité, sans résoudre pour
autant les deux grands problèmes de Beyrouth, la cherté des logements et le
manque d’espaces verts.
Dans ces conditions et au prix du mètre
carré, il sera donc illusoire de créer des
logements sociaux et des jardins publics dans la cité, à part quelques
immeubles par-ci et quelques squares par-là, en nombre conséquent pour changer radicalement la donne pour les Beyrouthins. En
pratique, je le dis et redis, persiste et signe, il n’existe que deux solutions efficaces et économiques pour éviter cette évolution
inéluctable à long terme :
1. L’abolition
de la libéralisation des loyers anciens et tout faire pour permettre à la
classe moyenne libanaise de rester dans la cité. Les locataires
anciens doivent pouvoir acheter les appartements qu’ils louent, afin que les
immeubles à taille humaine de Beyrouth échappent aux promoteurs sans scrupules
et à l’inévitable destruction, et leur mutation en tours.
2. L’arrêt
de la taille des arbres des trottoirs existants, pour en faire de boules
grotesques, ainsi que le boisement massif de toutes les rues de la capitale
avec de grands arbres,
adaptés à la configuration des lieux, pour offrir à tous les Beyrouthins de tous les quartiers sans
exception, des espaces verts au pied de leurs immeubles et de leurs fenêtres.
Hélas, aucune
des listes en compétition n’a adopté ces solutions révolutionnaires,
économiques, réalistes et rapides à mettre en œuvre. Tayeb ya BB, bass bel nesbé la
boukra chou, on fait quoi (après) demain ? Ne pas voter et voter blanc ne servent absolument à rien. Le
message que les candidats en tireront, dira tout et son contraire : ces
citoyens rejettent toutes les listes, mais on peut dire aussi, qu’ils acceptent n’importe
quelle liste. Alors qui choisir dans ce contexte ? Parmi l’offre électorale, la liste qui est
le plus proche de mon idéal de ville, est « Beirut Madinati »,
même si sur les deux points essentiels, et sur d’autres points secondaires
évoqués précédemment, elle ne me donne pas satisfaction sur mon idéal de ville. Alors, pour
moi et pour celles et ceux qui plébiscitent ces propositions, quelle que soit l'issue du scrutin, la lutte
continuera au-delà du 8 mai, pour Beyrouth ma ville et pour les Beyrouthins,
pour « beirout madinati » et pour l’ensemble des « biyerté » d'un jours ou de toujours.