Appels au boycott, puis demandes d’annulation du concert du 9 août, et enfin, des menaces claires de recourir à la foule et à la force pour interdire le spectacle du groupe Mashrou Leila, qui est programmé dans le cadre du festival international de musique de Byblos (Jbeil, 12 juillet-24 août). Un Kangaroo Court s’est saisi de l’affaire. Il est déterminé à juger, condamner et renvoyer le groupe libanais à l’Age de pierre illico presto. Rarement j’ai lu et entendu des propos aussi agressifs et surréalistes, jamais en tout cas à l’encontre de ces hauts responsables politiques au Liban qui ont laissé filer la dette publique vers les 100 milliards de dollars ! En cause, une chanson et un article partagé par le leader du groupe libanais.
De tous les protestataires, très nombreux, trois ont retenu mon attention.
. Abouna Theodoros Daoud, mais si vous le connaissez! C'est ce loup des ténèbres déguisé en agneau de Dieu, un soi-disant prêtre de « l’authentique Église grec-orthodoxe », suivi par près de 30 000 personnes, qui s’est illustré dans le passé par un texte arabophobe expliquant à ses compatriotes qu’ils ne sont pas Arabes, a lancé un appel à tous les chrétiens qui souhaitent résister au projet diabolique « de Rome et de la France » : « Je vous conjure, du plus jeune au plus âgé, de prendre les cannes ou n’importe quoi à votre disposition et de vous rendre (au festival de Jbeil), afin d’interdire la représentation (de Mashrou Leila)… 80% de ceux qui vont à ce genre de concerts repartent avec un incroyable lavage de cerveau ». 924 partages depuis samedi. Et après des gens vous expliquent que fumer sa moquette n’abime pas les neurones !
. Un dénommé Charles Sarkis, qui a lancé un appel aux « fils de la nation syriaque maronite et au peuple chrétien du Liban en général » pour se tenir prêts car les « démons frappent de nouveau ». Lui aussi il veut interdire la représentation par la force s’il le faut.
. Il y a également un certain Yehia Herez, c’est un cas comme l’abouna illuminé. Il se présente carrément comme « son of Jesus ». Il appelle au rassemblement le 9 août pour protester contre la double « offense » à l’égard de Jésus et de Marie perpétuée par le groupe libanais en ces « temps de persécution ». Il se veut scientifique. Pour motiver les troupes, il passe des extraits de chanson incriminée. Yehia est blessé et sincère sans doute, mais il semble trop susceptible pour y voir clair, il confond tout et c’est fâcheux.
Ses remarques n’ont aucun fondement et ne mérite pas qu’on s’y arrête une seconde, sauf une. Quand Hamed Sinno chante « ra7 ghattiss kebdé bel jénn, besm el 2ab wal ébenn », il ne veut pas dire qu'« il souhaite s’unir au diable au nom du père et du fils », comme le pense Yehia, mais tout simplement qu’il veut bousiller son foie avec le « gin », la boisson spiritueuse. Il y a djinn et gin, nuance ya Yehia. En tout cas, qu’il le fasse au « nom du père et du fils » et du Saint-Esprit, ou de bêtise et de la stupidité, en quoi cela représente une offense pour la Sainte Trinité ? Ya yésou3 dakhil esmak, combien de crimes sont commis en ton nom ?
Yehia Herez termine sa vidéo de propagande par une photo qui aurait été partagée par le leader du groupe, où l’on voit Madonna avec l’enfant Jésus, j’y reviendrai. La photo porte une légende qui agace Yehia, « Madonna and fanboy… ‘Madonna’ c’est la Vierge et ‘fanboy’ c’est Jésus. ‘Fanboy’ est le pervers qui se masturbe tout le temps. On sait tous qui est Madonna. Peut-on la comparer à la Vierge ? Qu’est-ce que vous en pensez ? Y a-t-il une offense directe plus caractérisée contre Jésus ? » Ainsi, « à l’instar de nos frères et sœurs musulmans, qui ont protesté contre un film insultant pour le prophète Mahomet », il appelle les chrétiens à protester « pacifiquement » contre la venue du groupe libanais à Jbeil.
Et voilà, « frais comme un gardon » -l’expression date de 1640, le gardon étant « le poisson qui se conserve longtemps après avoir été pêché »- Hamed Sinno s’étonne dans un post sur Facebook de toute cette « confusion » et cet « extrémisme ». Il nous raconte qu’il pense sérieusement fermer sa page car il est excédé par tout ce tintouin, depuis qu’il s’est installé à New York il n’a pas le temps de se gratter la tête, dans cette affaire il n’a fait que partager un article qui contient l’illustration avec Madonna et Jésus, que ce n’est pas lui qui a écrit l’article ou fait le montage, qu’il a immigré aux Etats-Unis comme la moitié de la population libanaise étant donné « l'ampleur de la répression et de l'extrémisme » (dixit Hamed Sinno !) et parce qu'il n'y a pas de liberté d'expression, et que maintenant il n’y a même plus de liberté de lire, il propose ironiquement d’interdire internet, et blablabla et patati et patata.
Mashrou Leila au Festival international de Byblos (Jbeil 9 août 2019) |
De tous les protestataires, très nombreux, trois ont retenu mon attention.
. Abouna Theodoros Daoud, mais si vous le connaissez! C'est ce loup des ténèbres déguisé en agneau de Dieu, un soi-disant prêtre de « l’authentique Église grec-orthodoxe », suivi par près de 30 000 personnes, qui s’est illustré dans le passé par un texte arabophobe expliquant à ses compatriotes qu’ils ne sont pas Arabes, a lancé un appel à tous les chrétiens qui souhaitent résister au projet diabolique « de Rome et de la France » : « Je vous conjure, du plus jeune au plus âgé, de prendre les cannes ou n’importe quoi à votre disposition et de vous rendre (au festival de Jbeil), afin d’interdire la représentation (de Mashrou Leila)… 80% de ceux qui vont à ce genre de concerts repartent avec un incroyable lavage de cerveau ». 924 partages depuis samedi. Et après des gens vous expliquent que fumer sa moquette n’abime pas les neurones !
. Un dénommé Charles Sarkis, qui a lancé un appel aux « fils de la nation syriaque maronite et au peuple chrétien du Liban en général » pour se tenir prêts car les « démons frappent de nouveau ». Lui aussi il veut interdire la représentation par la force s’il le faut.
. Il y a également un certain Yehia Herez, c’est un cas comme l’abouna illuminé. Il se présente carrément comme « son of Jesus ». Il appelle au rassemblement le 9 août pour protester contre la double « offense » à l’égard de Jésus et de Marie perpétuée par le groupe libanais en ces « temps de persécution ». Il se veut scientifique. Pour motiver les troupes, il passe des extraits de chanson incriminée. Yehia est blessé et sincère sans doute, mais il semble trop susceptible pour y voir clair, il confond tout et c’est fâcheux.
Ses remarques n’ont aucun fondement et ne mérite pas qu’on s’y arrête une seconde, sauf une. Quand Hamed Sinno chante « ra7 ghattiss kebdé bel jénn, besm el 2ab wal ébenn », il ne veut pas dire qu'« il souhaite s’unir au diable au nom du père et du fils », comme le pense Yehia, mais tout simplement qu’il veut bousiller son foie avec le « gin », la boisson spiritueuse. Il y a djinn et gin, nuance ya Yehia. En tout cas, qu’il le fasse au « nom du père et du fils » et du Saint-Esprit, ou de bêtise et de la stupidité, en quoi cela représente une offense pour la Sainte Trinité ? Ya yésou3 dakhil esmak, combien de crimes sont commis en ton nom ?
Yehia Herez termine sa vidéo de propagande par une photo qui aurait été partagée par le leader du groupe, où l’on voit Madonna avec l’enfant Jésus, j’y reviendrai. La photo porte une légende qui agace Yehia, « Madonna and fanboy… ‘Madonna’ c’est la Vierge et ‘fanboy’ c’est Jésus. ‘Fanboy’ est le pervers qui se masturbe tout le temps. On sait tous qui est Madonna. Peut-on la comparer à la Vierge ? Qu’est-ce que vous en pensez ? Y a-t-il une offense directe plus caractérisée contre Jésus ? » Ainsi, « à l’instar de nos frères et sœurs musulmans, qui ont protesté contre un film insultant pour le prophète Mahomet », il appelle les chrétiens à protester « pacifiquement » contre la venue du groupe libanais à Jbeil.
Et voilà, « frais comme un gardon » -l’expression date de 1640, le gardon étant « le poisson qui se conserve longtemps après avoir été pêché »- Hamed Sinno s’étonne dans un post sur Facebook de toute cette « confusion » et cet « extrémisme ». Il nous raconte qu’il pense sérieusement fermer sa page car il est excédé par tout ce tintouin, depuis qu’il s’est installé à New York il n’a pas le temps de se gratter la tête, dans cette affaire il n’a fait que partager un article qui contient l’illustration avec Madonna et Jésus, que ce n’est pas lui qui a écrit l’article ou fait le montage, qu’il a immigré aux Etats-Unis comme la moitié de la population libanaise étant donné « l'ampleur de la répression et de l'extrémisme » (dixit Hamed Sinno !) et parce qu'il n'y a pas de liberté d'expression, et que maintenant il n’y a même plus de liberté de lire, il propose ironiquement d’interdire internet, et blablabla et patati et patata.
Certes, le leader de Mashrou Leila est doué et charismatique, mais ce qui frappe dans sa réponse, étant donné le particularisme du pays du Cèdre et le contexte actuel de tensions intercommunautaires, c'est l'extrême légèreté avec laquelle il a concocté ce cocktail explosif et l'a servi urbi et orbi ! Hélas, ce n’est pas la première fois qu'il se montre d'une immaturité criante. Ce fut notamment le cas lorsqu'il a refusé de jouer en première partie du concert des Red Hot Chili Peppers à Beyrouth (2012), afin de les punir d'être passés quelques jours auparavant en Israël, et quand il a répondu avec beaucoup d'éloquence et de finesse au journaliste Charles Jabbour (2015). Mais là, il s'agit incontestablement du dérapage le plus grave.
En tout cas, on attend de cet homme qui est soi-disant épris de liberté d'expression, sans limite et sans entrave, de se montrer à l'avenir aussi audacieux, d'être borderline dans les paroles du prochain album en faisant quelques allusions ambiguës à la vie du prophète de l'islam et de partager à l'occasion du festival international de Baalbek, des caricatures polémistes sur Mahomet par exemple, par souci d'équité et dans un esprit d'union nationale. Rira bien qui rira le dernier.
Le montage-photo partagé par Hamed Sinno apparait dans un article intitulé « Icons », qui date du 4 mai 2015. Il semble avoir été créé par un dénommé Scott Long, un ex-prof d’Anglais américain en poste en Europe de l’Est, chercheur à Harvard pendant un laps de temps, devenu un activiste LGBT, qui a travaillé dans le passé pour Human Right Watch en Irak et surtout en Egypte. Bien que reconnu et respecté dans le monde entier, il n’est pas moins à l’abri des critiques. Certains l’accusent de faire partie d’une sorte d’ « Internationale gay » informelle, un réseau d'organisations occidentales qui cherchent à imposer notamment dans le monde arabo-musulman, un modèle occidental identitaire en exacerbant la division binaire sexuel de la société, homos vs hétéros. Toujours est-il que l’article en question porte sur le « changement social », maintenant que l’ère des grandes révolutions est terminée. Il parle autre autres, d’un-e dénommé-e Jenner, Bruce dans les années 1970, athlète de décathlon, Caitlyn aujourd’hui, femme animatrice de télé, mais qui a toujours souhaité être appelée Bruce. Ainsi, Bruce-Caitlyn qui veut « changer le monde », est devenue de ce fait, une « icône » pour la communauté LGBT, les personnes « transgenres » notamment.
Respect. Mais pourquoi illustrer l’article avec un photo-montage de Madonna qui prend la place de Marie pour porter l’enfant Jésus ? En d’autres termes, quel est le rapport socio-psycho-intello-artistique entre Bruce-Caitlyn Jenner, les transgenres, les homosexuels et Jésus-Marie-Joseph ? Aucun. Enfin, si, il y en a un. Qui dit « icône » dans le monde LGBT pense en premier à « Madonna », la plus célèbre des icônes gay. Et qui dit « icône gay », pense à « icône religieuse » de Marie-Jésus. CQFD. Ouiiiii, je suis d’accord, l’inspiration ne casse pas trois pattes à un canard, c’est plutôt enfantin. Mais bon pourquoi pas. En tout cas, l’article en question contient non pas une mais neuf « Madonna and fanboy », celle partagée et qui crée la polémique, étant la première de la série.
L’attaque virulente et fanatique riche en menaces en tous genres d’une frange des communautés chrétiennes au Liban contre Mashrou Leila est abjecte. Il n’empêche que tout un chacun est entièrement libre de penser ce qu’il veut de la chanson et de l’illustration partagée par le leader du groupe. Qui est offensé doit porter l’affaire devant les tribunaux pour tenter d’obtenir réparation. Des juges spécialisés trancheront, en application des lois en vigueur au Liban et de la jurisprudence. L’hystérie médiatique et l’interdiction par la foule et la force n’ont pas leur place dans une société civilisée. Mais est-ce que le Liban l’est encore ? Cela étant dit, soyons francs, Hamed Sinno est soit un hypocrite de première obsédé par les buzzs, soit un imbécile qui vit dans sa bulle de bobo, voire les deux à la fois. Enfin, morale de toute cette histoire, que chacun vit ses identités -sexuelle, religieuse et communautaire- sans pomper l’air des autres. Hein, ça serait pas mal, non ? Allez, une bonne citronnade bien fraîche, ça va calmer tout le monde.
"Charles Alfred Jabbour, bon appétit inchallah. (De la part du) fils de la communauté sunnite. #Tu sens la merde" |
En tout cas, on attend de cet homme qui est soi-disant épris de liberté d'expression, sans limite et sans entrave, de se montrer à l'avenir aussi audacieux, d'être borderline dans les paroles du prochain album en faisant quelques allusions ambiguës à la vie du prophète de l'islam et de partager à l'occasion du festival international de Baalbek, des caricatures polémistes sur Mahomet par exemple, par souci d'équité et dans un esprit d'union nationale. Rira bien qui rira le dernier.
Le montage-photo partagé par Hamed Sinno apparait dans un article intitulé « Icons », qui date du 4 mai 2015. Il semble avoir été créé par un dénommé Scott Long, un ex-prof d’Anglais américain en poste en Europe de l’Est, chercheur à Harvard pendant un laps de temps, devenu un activiste LGBT, qui a travaillé dans le passé pour Human Right Watch en Irak et surtout en Egypte. Bien que reconnu et respecté dans le monde entier, il n’est pas moins à l’abri des critiques. Certains l’accusent de faire partie d’une sorte d’ « Internationale gay » informelle, un réseau d'organisations occidentales qui cherchent à imposer notamment dans le monde arabo-musulman, un modèle occidental identitaire en exacerbant la division binaire sexuel de la société, homos vs hétéros. Toujours est-il que l’article en question porte sur le « changement social », maintenant que l’ère des grandes révolutions est terminée. Il parle autre autres, d’un-e dénommé-e Jenner, Bruce dans les années 1970, athlète de décathlon, Caitlyn aujourd’hui, femme animatrice de télé, mais qui a toujours souhaité être appelée Bruce. Ainsi, Bruce-Caitlyn qui veut « changer le monde », est devenue de ce fait, une « icône » pour la communauté LGBT, les personnes « transgenres » notamment.
Respect. Mais pourquoi illustrer l’article avec un photo-montage de Madonna qui prend la place de Marie pour porter l’enfant Jésus ? En d’autres termes, quel est le rapport socio-psycho-intello-artistique entre Bruce-Caitlyn Jenner, les transgenres, les homosexuels et Jésus-Marie-Joseph ? Aucun. Enfin, si, il y en a un. Qui dit « icône » dans le monde LGBT pense en premier à « Madonna », la plus célèbre des icônes gay. Et qui dit « icône gay », pense à « icône religieuse » de Marie-Jésus. CQFD. Ouiiiii, je suis d’accord, l’inspiration ne casse pas trois pattes à un canard, c’est plutôt enfantin. Mais bon pourquoi pas. En tout cas, l’article en question contient non pas une mais neuf « Madonna and fanboy », celle partagée et qui crée la polémique, étant la première de la série.
L’attaque virulente et fanatique riche en menaces en tous genres d’une frange des communautés chrétiennes au Liban contre Mashrou Leila est abjecte. Il n’empêche que tout un chacun est entièrement libre de penser ce qu’il veut de la chanson et de l’illustration partagée par le leader du groupe. Qui est offensé doit porter l’affaire devant les tribunaux pour tenter d’obtenir réparation. Des juges spécialisés trancheront, en application des lois en vigueur au Liban et de la jurisprudence. L’hystérie médiatique et l’interdiction par la foule et la force n’ont pas leur place dans une société civilisée. Mais est-ce que le Liban l’est encore ? Cela étant dit, soyons francs, Hamed Sinno est soit un hypocrite de première obsédé par les buzzs, soit un imbécile qui vit dans sa bulle de bobo, voire les deux à la fois. Enfin, morale de toute cette histoire, que chacun vit ses identités -sexuelle, religieuse et communautaire- sans pomper l’air des autres. Hein, ça serait pas mal, non ? Allez, une bonne citronnade bien fraîche, ça va calmer tout le monde.