mercredi 24 juillet 2019

Déchainement des passions islamiques sur Cyrine Abdel-Nour, au lendemain du déchainement des passions chrétiennes sur Hamed Sinno : non mais, où allons-nous comme ça au Liban et dans le reste du monde arabe ? (Art.628)


Elle est d’une beauté à couper le souffle. Elle a plusieurs cordes à son arc. Rien ni personne ne peut lui résister. 10,3 millions de fans au compteur sur Facebook, près de 7,2 millions sur Instagram et 2 millions sur Twitter. Elle est à la fois mannequin, chanteuse, actrice et surtout, talentueuse.

Cyrine Abdel-Nour en deux photos. A gauche, des voeux aux communautés musulmanes pour un Eid Moubarak à l'occasion de la fête du sacrifice/Adha (sept. 2016). A droite, un charme irrésistible et un goût prononcé pour le rouge vif (juin 2019). Compte Instagram

Mais comme personne n’est parfait, Cyrine Abdel-Nour a un grand défaut. Elle est croyante et ose l’afficher. Le 21 juillet, pas plus tard que dimanche, à l’occasion de la fête du saint des saints libanais, elle a commis l’erreur de faire son « coming out », en partageant une photo de mar Charbel sur laquelle il est inscrit, « ne t’attarde pas sur ce qui te manque, regarde bien autour de toi et vois ce que Dieu t’a donné ». Son audace l’a poussé même à accompagner cette photo choquante de quelques mots indécents : « Grâce à ton intercession et tes prières, nous te demandons de préserver le Liban du mal et de guérir les malades. Ô saint Charbel prie pour que le Seigneur nous protège. #Liban #Saint Charbel ». C’est tout et rien d’autre. Oh la pécheresse infidèle, trop c’est trop. Le post a suscité 219 commentaires.


Beaucoup de personnes de confession musulmane étaient outrés. Ah mais si vous croyez que Abouna Théodoros Daoud est le seul loup des Ténèbres déguisé en agneau de Dieu, c’est que vous méconnaissez et la nature humaine et les réseaux sociaux. Florilège d’un déchainement passionnel surréaliste, du Machrek au Maghreb.

« Ah tu fais partie d’eux, je t’appréciais bien avant, hélas… Fausse croyance, je n’aime pas les polythéistes, ils sont adeptes du diable… Nous ne respectons pas les menteurs (Charbel), leur demeure éternelle est l’enfer, c’est aussi le cas pour ceux qui sont à ton image… Heureusement je suis née musulmane… Qu’Allah guérisse la chrétienté et vous repêche du feu de l’enfer… Tu m’as choqué, il ne me reste plus qu’à unfollow… Qu’Allah vous ramène à la religion de la Lumière et vous sorte des Ténèbres… Merci à Allah pour la bénédiction de l'islam… Comment vous avez fait d’un homme comme nous un saint, vous n’avez rien dans la tête… Heureuse et chanceuse d’être née musulmane… L’intercession se fait auprès du prophète Mahomet uniquement… La démence des chrétiens… Que quelqu’un nous explique qui est saint Charbel… Dieu merci, pour la bénédiction de l'islam et d’être née musulmane… Qui c’est ce charchabil… Allah est en colère contre les Juifs et les chrétiens sont égarés… Louage à Allah qui m’a fait musulman et m’a montré le chemin de la vérité… Je veux baiser leur sœur une par une, bande de chiens… Si ce type pouvait guérir et protéger, il se serait protégé lui-même et ne serait pas mort… Au diable mar Charbel et sa bande égarée… Allah a dit qui n’a pas l’islam comme religion fera partie des perdants… C’est comme au temps des pharaons… Toute complainte autre qu’à Allah est humiliante, ignorante et dégénérée… Tout musulman qui a de la sympathie pour les infidèles et appelle à la tolérance est un apostat… Nous respectons tes convictions, mais la religion islamique est la dernière, elle a annulé toutes les autres, les chrétiens et les juifs ne l’acceptent toujours pas... al 7amdo lellah 3ala ne3mat el islam, la elah ella allah wa mohammad rassoul allah », et j’en passe et des meilleures.


Ce delirium a poussé Cyrine Abdel Nour à publier peu de temps après un nouveau tweet dans lequel elle affirme : « Je suis chrétienne et j’en suis fière. Je respecte toutes les religions célestes et je souhaite le respect mutuel. Toute personne qui ne respectera pas ma religion et mes convictions n’est pas la bienvenue. #block #report #stop à la persécution ». Belote et rebelote et 679 commentaires de plus, alors ne me demandez pas de vous faire un compte-rendu, j’ai eu ma dose. L’essentiel c’est que Cyrine Abdel-Nour a enfin découvert le bonheur de mettre les fanatiques au pied du mur ! Exemple à suivre.

Je croyais avoir sondé les profondeurs des êtres humains avec l’affaire Mashrou’ Leila, j’ai déchanté en lisant les réactions au post de Cyrine Abdel-Nour. Et pourtant, contrairement au chanteur, l’actrice n’a provoqué personne. Même si les deux affaires ont une nature bien distincte, elles ont un point commun, mis en avant dans le titre de cet article, celui-ci renvoie aux réactions de même nature des uns et des autres. Dans les deux cas, il y a bel et bien un déchaînement des passions disproportionné par rapport aux faits. Et à ceux qui trouvent que ce dernier est justifié dans l'affaire Mashrou' Leila, je ferais remarqué que crier haut et fort vouloir interdite par la foule, la force et les bâtons le concert du groupe, en affirmant avec exaltation qu'on se tient prêts au sacrifice et j'en passe et des meilleures, est tout le contraire de réactions civilisées.

Point rassurant dans l'affaire Cyrine Abdel-Nour, comme dans la première, la majorité des personnes de confession musulmane, du Liban et du reste du monde arabe, qui se sont exprimées sur le sujet, étaient outrées plutôt par les commentaires irrespectueux et intolérants de leurs coreligionnaires que par le coming out et la prière de Cyrine Abdel Nour, des réactions qui sont en totale contradiction avec les enseignements du Coran, notamment de la Sourate 109 sur Les Infidèles : « Dis : ‘Ô vous les infidèles ! Je n'adore pas ce que vous adorez. Et vous n'êtes pas adorateurs de ce que j'adore. Je ne suis pas adorateur de ce que vous adorez. Et vous n'êtes pas adorateurs de ce que j'adore. A vous votre religion et à moi ma religion’ ».


Florilège. « Le Prophète respectait toutes les religions, avec vos paroles ignorantes, vous ne représentez ni l’islam ni les musulmans… Avant de parler de religion et de convictions, appliquez le vrai islam, qui prêche la bonne conduite et le respect de l’autre, assez d’ignorance et de dédains… Cyrine est chrétienne, ce sont ses croyances, nous devons la respecter comme elle respecte l’islam et les musulmans… Déjà elle a une religion de paix… Qu’Allah protège le Liban et tout le monde arabe… Personne n’a le droit de s’immiscer dans la religion de l’autre… Cyrine respecte l’islam et partage ses vœux à l’occasion de nos fêtes, nous devons respecter sa religion en retour… Prie pour nous aussi… Allah vous bénisse… Cyrine est une personne croyante qui n’a jamais dit du mal des croyances des autres, l’islam n’a rien à voir avec votre comportement… Notre religion est une religion de tolérance et de paix, nous te respectons et respectons ta religion, je te présente mes excuses au nom de l'islam… Bonne fête à tous les Charbel et Elie…  Respect pour toi, pour ta religion et pour quiconque qui en fait partie… Des commentaires à vomir, vous savez que Cyrine est chrétienne et respecte la religion musulmane… Je suis musulmane et ma religion m’a appris à respecter les autres religions… Nous ne sommes qu’un, musulmans et chrétiens… De quoi vous vous mêlez, à cause de votre stupidité et de votre ignorance, vous avez déformé l’islam… », et j’en passe et des meilleures.


Pas besoin d’une commission d’enquête pour bien comprendre la situation. C’est parce que Hamed Sinno est de confession musulmane et d’orientation homosexuel, que les paroles ambiguës de la chanson « Djinn » (qui date de 2015, avec des références indirectes à Jésus et à la Trinité) et le partage de l’icône de mauvais goût de « Madonna and fanboy » (illustration de 2015, partagée en 2019), que les passions ont été exacerbées dans les milieux chrétiens. Dans la présente affaire, c’est encore plus simple. C’est parce que Cyrine Abdel-Nour a osé exprimer sa foi selon les croyances chrétiennes qu’elle a déchainé les passions dans les milieux musulmans. C’est la triste réalité de sociétés arabo-orientales malades de leurs religions. Pour le Liban, un « pays message » comme disait le pape Jean-Paul II, c’est même la marque d’une dérive inquiétante des us et coutumes. De ce fait, celle-ci impose des actions urgentes à la hauteur des risques qui pèsent sur la cohabitation fraternelle islamo-chrétienne.

Je l’ai dit et redit, je persiste et signe, nulle part au monde, la liberté d’expression est totale et absolue. Il faut être un-e sacré-e ignare pour le croire. Partout, elle est cadrée par la loi, plus ou moins permissive et restrictive selon les pays. Ce que Mashrou’ Leila, Hamed Sinno, abouna Théodoros Daoud, le Centre catholique de l’information, Cyrine Abdel Nour, les fans libanais et arabes de la star, vous et moi et nous tous, pouvons dire ou ne pas dire, dépend des lois en vigueur au Liban et de rien d’autre, sûrement pas de l’idée simpliste, « la liberté d’expression est sacrée ». Rien n’est sacré au niveau juridique, il n’y a que des lignes rouges, entre ce qui est permis et ce qui ne l’est pas. Même sur nos murs, nous appliquons tous des règlements dans ce but. Ah mais combien de fois j'étais obligé sur ma page Facebook de congédier certains illuminés. Au passage, ce fut souvent des chrétiens islamophobes !

Dans tous les cas, au nom de quoi, une frange de Libanais, dont je fais partie, demandent le désarmement du Hezbollah ? Au nom des lois en vigueur. Au nom de quoi le ministre du Travail, Camille Abou Sleimane, demande aux Palestiniens de régulariser leur situation au Liban ? C’est encore au nom des lois en vigueur. Au nom de quoi nous disposons de libertés fondamentales, dont la liberté d’opinion et de conscience ? C’est toujours au nom des lois en vigueur.

Les attaques fanatiques d’une frange des communautés chrétiennes et musulmanes au Liban contre Mashrou’ Leila et Cyrine Abdel Nour sont abjectes. Chacun est entièrement libre de penser ce qu’il veut des chansons, des illustrations partagées ou des posts des uns et des autres. Zapper demeure la règle d’or en cas de désaccord. Qui n’y arrive pas peut se lancer dans le Ice Bucket Challenge. Si ce n’est pas suffisant, on peut s’exprimer, critiquer et échanger intelligemment. Insulter, menacer et imposer est un triptyque qui n’a pas sa place dans une société civilisée et mature. Pas plus que le concept du Kangaroo Court. Qui est offensé par quoi que ce soit peut porter l’affaire devant les tribunaux pour tenter d’obtenir réparation. Des juges spécialisés trancheront, en application des lois en vigueur au Liban. Qui n'est pas satisfait de la législation libanaise, milite activement et pacifiquement pour la changer.

Affaire Mashrou' Leila
Non, ce qu’il nous faut aujourd’hui au Liban, ce n’est pas la séparation du religieux de l’Etat. Ni la laïcisation de la société. Ni la déconfessionnalisation des esprits. Vaste programme, ce n'est pas le moment et nous n'avons pas le temps. Face au surréalisme, il faut être réaliste. Pour l’instant, je vois en tout cela des revendications de bobos, de Beyrouth notamment, qui copient l’Occident bêtement, alors qu’ils pédalent dans le bourghoul de l’Orient depuis la nuit des temps et le feront jusqu’à la fin des temps. Tenez, c’est exactement ce qu’a fait le leader de Mashrou’ Leila. Partager l’icône de « Madonna and fanboy », qui prennent la place de « Marie et Jésus », et venir par la suite jouer à la vierge effarouchée en se cachant derrière la feuille de vigne de « ce n'est pas moi qui l'ai fait », n’est pas blasphématoire, comme le pense une frange des communautés chrétiennes, c'est surtout stupide. Il faut savoir donner les bons mots aux mauvais maux. Hélas, personne n’a osé dire à cet enfant gâté et enivré par le succès ses quatre vérités.

Suite aux affaires Mashrou’ Leila et Cyrine Abdel Nour, et aux incidents en tout genre qui surviennent régulièrement, il est clair que nous devons mettre en place d’urgence un enseignement civique obligatoire à différentes étapes du parcours scolaire, sanctionné même au bac, afin d’inculquer aux enfants de la patrie de toutes appartenances communautaires confondues, trois notions fondamentales de la vie en société : la tolérance intercommunautaire, la démocratie politique et l’état de droit. Peut-être aussi le zapping et la discrétion. Que chacun vit ses identités - sexuelle, religieuse et communautaire - sans pomper l’air des autres. Basta cosi.