En sa qualité de ministre de l’Environnement et avec de l’argent public bien entendu, alors qu’ « ils » n'ont pas trouvé 100 000 $/an pour assurer la maintenance de trois hélicoptères Sikorsky achetés grâce à des dons privés en 2009 pour 16 millions de dollars, puis abandonnés exprès à la rouille dans un coin de l’aéroport de Beyrouth, sous prétexte qu'ils ne sont pas adaptés à la nature et à la géographie libanaises, alors que ces hélicoptères ont été recommandés par l'armée de l'air libanaise et par le Bureau Veritas, une société de conseils et de certification ! Alors, le lien est clair ou je vous fais un dessin ? En un mot, nous sommes face à une affaire d'Etat, un scandale inouï.
L'ironie de l'histoire! Le 25 mai 2019, le ministre libanais de l'Environnement, Fady Jreissati, a lancé l'opération #SaveOurFace, un appel pour la mobilisation de la population libanaise afin de nettoyer les plages et offrir au Liban l'occasion de "sauver la face", car la situation faisait honte et ternissait notre image à l'étranger. Retournement de situation, aujourd'hui avec le scandale des Sikorsky, c'est lui qui nous fait honte et ternit notre image dans le monde. |
1 Jamais la pluie ne s’est fait autant attendre et prier au Liban. Elle a fini par tomber mardi soir sur une terre brulée au plus haut degré, des animaux meurtris et des végétaux calcinés. Et pourtant, elle a soulagé la douleur des femmes et apaiser l’esprit des hommes, tous éprouvés par ces 48 heures passées au cœur de l’enfer. Comme les 140 foyers d’incendies sont circonscrits, les dirigeants libanais voudraient classés l’affaire au plus vite, pour éviter d’avoir à rendre des comptes devant le peuple libanais. Pour y parvenir au plus vite, ils tentent de créer des diversions comme la possibilité de taxer les communications via WhatsApp et Viber, 20 cents/appel, une première mondiale (finalement retirée jeudi soir). Nous comprenons leur panique, mais c’est trop tôt pour tourner la page, nous sommes en deuil. Notre colère est grande, elle est proportionnelle à leur incompétence.
2 Je disais en titre avant-hier, que « le Liban part en fumée parce qu'ils ne sont pas capables de trouver 100 000 $/an pour assurer la maintenance de nos bombardiers d’eau ». « Ils » ce sont nos dirigeants, kelloun ye3né kelloun, il n’y en a pas un pour rattraper l’autre. L’objet du titre ne fait pas débat, c’est une certitude aujourd’hui. Non seulement j’en ai parlé dans un article du 6 mai 2014, mais en plus, il a été confirmé avant-hier par Ziad Baroud, sur les chaines LBCI, Al-Jadeed et MTV, ainsi que sur ses propres comptes sur les réseaux sociaux, mais aussi par un reportage accablant diffusé sur la chaine MTV hier.
3 A l’époque, 2014, on parlait de 300 000 $, aujourd’hui, en 2019, de 450 000 $. Sachant que la garantie était incluse dans le pack d’achat et couvrait trois années (2009-2012), cela nous fait une fourchette de prix entre 100 000 et 150 000 $ l’année de maintenance, c’est ce que j’ai mentionné hier. 85 milliards $ de dette, 18 milliards de budget, 2 milliards pour la Défense, près de 100 000 $/an/député-ministre-haut fonctionnaire, et pourtant ils n’ont pas jugé utile d’affecter 100 000 $/an, dans les budgets adoptés entre 2013 et 2019, pour la maintenance de nos trois bombardiers d’eau, alors que le feu a dévoré entre temps près de 175 000 000 m2 de verdure ! C’est tout simplement consternant. On est même face à une négligence criminelle.
Au coeur de l'enfer des 140 foyers d'incendies qui ont ravagé le Liban, du Nord au Sud, les 14 et 15 octobre 2019 (la région de Mechref dans le Chouf) - Photo Hussam Chbaro, Anadolu Agency |
4 Ce jeudi matin, l’heure n’est plus aux lamentations, mais aux interrogations. Pourquoi ? La question peut paraitre ridicule, tout le monde sait pourquoi. Oui, mais hélas j’ai une fâcheuse tendance à construire mes articles comme des plaidoyers ou des réquisitoires, sur des preuves. Après maintes recherches et de recoupements, j’ai fini par trouver la réponse, elle tient dans 50 secondes d’un enregistrement vidéo.
5 Le président de la République libanaise a parfaitement raison de « demander l’ouverture d’une enquête sur les raisons pour lesquelles les hélicoptères de sauvetage et de lutte contre les feux ‘Sikorsky’ ont cessé de fonctionner depuis des années et déterminer les responsabilités ». Rien à dire, reste à savoir s’ « ils » laisseront l’enquête avoir lieu et aller jusqu’au bout. Dans cette déclaration Michel Aoun a également demandé « une inspection rapide des trois hélicoptères et la fourniture au plus vite des pièces de rechange nécessaires ». Les directives du général, haut commandant des forces armées libanaises, sont donc claires, enquête et réparation.
6 A mon humble avis, cette enquête doit commencer par le témoignage de Ziad Baroud. Personnalité intègre sans l’ombre d’un doute, il était au ministère de l’Intérieur au moment de l’achat des hélicoptères. Les diverses déclarations de Ziad Baroud avant-hier sont fondamentales pour éclairer les Libanais dans ce nouveau scandale. L’ancien ministre a confirmé quatre choses :
. Primo, les hélicoptères Sikorsky ont été achetés grâces des dons privés (2009). Ils n’ont rien coûté à l’État et aux contribuables libanais. Zéro livre libanaise, zéro dollar. Ils étaient sous garantis, maintenance et pièces de rechange, pendant trois ans (2009-2012).
. Secundo, ces bombardiers d’eau, qui ont une capacité d’intervention totale de 13 000 litres d’eau à chaque largage, sont intervenus avec succès dans une douzaine de feux de forêts.
. Tertio, à défaut de maintenance, les appareils sont devenus hors service à partir de 2013. Et pourtant, entre 2013 et 2019, le Liban connaitra plusieurs incendies dévastateurs au cours desquels 175 000 000 m2 de verdure sont partis en fumée.
. Quarto, le montant de la maintenance des appareils, 100 000-150 000 $/an, est « ridicule », par rapport aux dégâts occasionnés par les feux de forêts et le coût de l’entretien de la pompeuse cour politique de la République libanaise. Président, premier ministre, chef du parlement, députés, ministres, hauts fonctionnaires et conseillers. N’oubliez pas ceux qui sont à la retraite.
. Quinto, le choix des hélicoptères Sikorsky est parfaitement adapté à la nature et à la géographie libanaise puisqu’il s’est fait sur RECOMMANDATIONS de l’armée de l’air libanaise (qui a mis par ailleurs des pilotes expérimentés à la disposition de la Défense civile), et du Bureau Veritas, une importante société de conseil et de certification basée à La Défense dans le Grand Paris.
7 Il est donc clair du témoignage de Ziad Baroud, que les dernières déclarations de la ministre de l'Intérieur, Raya el-Hassan, comme du ministre de l'Environnement, Fady Jreissati, tendant tous les deux à faire croire que ces bombardiers d'eau sont inadaptés à nos besoins, comme pour justifier les graves négligences dont ils ont fait preuve, est faux et archifaux. En tout cas, ils sont en total contradictions avec celles de Ziad Baroud! Ainsi, les enquêteurs doivent écouter non seulement l'ancien ministre de l'Intérieur, mais aussi les hauts responsables de l'armée libanaise et du Bureau Veritas, ainsi que les deux ministres du gouvernement Hariri.
Voitures calcinées après les importants feux de forêts qui ont consumé diverses régions libanaises au début de la semaine - Photo Hussam Chbaro, Anadolu Agency |
8 Sauf votre respect, celui qui doit comparaitre devant la commission d’enquête, plus que quiconque, est Fady Jreissati. C’est un homme dynamique et plein d’énergie, mais grande gueule et trop bavard. Eh oui, on finit par créer de l’animosité et dire ce qu’il ne faut pas dire. Sourd aux appels des opposants aux barrages, décharges, carrières et incinérateurs, le ministre de l’Environnement a le culot de faire savoir récemment aux Libanais d’une manière hautaine et sur un ton agressif : « Je vous le dis, dorénavant tout citoyen libanais qui ne trie pas ses déchets chez lui, qu’il ne me fasse pas entendre sa voix. Je ne veux pas l’entendre râler à propos de l’État, des déchets ou des crises. Qui trie peut me demander des comptes. Qui ne trie pas, qu’il ne nous fasse pas étendre sa voix. » En neuf mois au ministère de l’Environnement, Fady Jreissati n’a fait aucune campagne de sensibilisation des Libanais ni à la diminution du volume des déchets ni au recyclage. Pire encore, il est tellement haut perché dans sa tour d’ivoire qu’il ne sait pas qu’en bas sur le terrain aux quatre coins du territoire libanais, il n’y a pratiquement pas de bennes pour trier les déchets et que la filière de recyclage au Liban, n’est pas digne de ce nom, elle est quasi inexistante.
Les 50 secondes accablantes pour le ministre libanais de l'Environnement, pris en flagrant délit de gaspillage de l'argent public et de négligence dans la maintenance des trois hélicoptères bombardiers d'eau Sikorsky que détient le Liban. L'enquête devra déterminer qui sont ses complices. Reportage de Joyce Akiki, MTV (entre 4:38 et 5:28) |
9 Le moment de vérité, Acte I : Fady Jreissati, première bêtise (4:38-4:99). Alors qu’il était en tournée dans le Chouf, hier, une reporter de la MTV le rattrape et le met devant la caméra afin de s’expliquer. Il tente une première manœuvre de diversion pour échapper à ses responsabilités. « C’est surement quelqu’un qui a mis le feu. Je vais agacer certains avec ce que je vais dire, mais à un certain moment il faut condamner le pyromane à mort. Je sais qu’il y a des gens contre la peine de mort, mais je ne sais pas qu’est-ce qu’on peut faire (d’autre) pour arrêter ce crime ! » Walao, wein rassak ya fadi, on peut par exemple acheter des pièces de rechange pour les Sikorsky. Ah mais croyez-moi, sa tête est vraiment ailleurs.
10 Le moment de vérité, Acte II : Fady Jreissati, deuxième bêtise (5:00-5:10). Se sentant coincé et n’ayant plus de marges de manœuvres, ba2 el ba7sa. Son aveu est accablant. « Ils vont en Espagne pour inspecter les avions que nous sommes en train d’acheter. Cela fait deux mois que nous travaillons dessus. Ces avions bénéficient des meilleures technologies disponibles. » Smallah 3leik, el 3adra te7mik ! Ainsi, de l’aveu même du ministre de l’Environnement, « ils » sont en train d’acheter de nouveaux avions, voilà pourquoi « ils » ne sont absolument pas motivés pour maintenir les bombardiers d’eau achetés en 2009 opérationnels ! L’enquête déterminera qui sont les « ils » qui avaient prévu de se rendre en Espagne pour inspecter les avions à acheter : le ministre de la Défense, Elias Bou Saab (pour qui les incendies sont les œuvres d’Israël, ah si, il l’a dit !), la ministre de l’Intérieur, Raya el-Hassan (pour qui les Sikorsky sont inadaptés et coutent cher en maintenance, ah si, elle le pense !) ou le Premier ministre lui-même, Saad Hariri (qui a totalement zappé le sujet des Sikorsky, ah si, il a osé) ? De hauts fonctionnaires ? De quel ministère ? Des conseillers ? De quel ministre ? Le peuple libanais veut des réponses.
11 Le moment de vérité, Acte III : Fady Jreissati, troisième bêtise (5:10-5:27). La journaliste enchaine sur une autre question plus banale : « On se demande où est le ministre de l’Environnement. Est-ce qu’il dort ? Il n’y a personne pour répondre à son téléphone. Peux-tu nous dire ce que tu as fait hier ? » L’air agacé, le jeune ministre s’énerve : « Et si les politiciens viennent et se tiennent sur place, est-ce que le feu s’éteindra ? Est-ce que le feu s’éteindra si je viens et je dénonce ce qui se passe ou si nous revenons tous au travail pour trouver les fonds nécessaires ?... Je leur ai dit, il me faut 8 millions de dollars pour acheter des avions ! » Rideau, la messe est dite.
12 D’après ses propres aveux encore une fois, nous savons que Fady Jreissati a pris contact avec l’armée libanaise au sujet des Sikorsky il y a au moins 5 mois déjà. Il est donc parfaitement informé du problème de ces bombardiers d’eau et du coût de leur maintenance. Il est nu et il ne peut donc pas se cacher derrière la feuille de vigne. Sa décision d’acheter de nouveaux avions est prise en pleine connaissance de cause. Il est pleinement responsable.
13 Pour se rendre compte du comportement irresponsable du ministre de l’Environnement, une comparaison surréaliste. Imaginez que votre couple est lourdement endetté, à hauteur de 850 000 000 $. Vous avez bien lu, il s’agit de huit cent cinquante millions de dollars, c’est énorme. Je ne sais pas ce que vous avez fait pour en arriver là ! Vous vous baigniez dans du Dom Pérignon, vous fumiez les Montecristo à deux mains, vous achetiez du Petrossian à la tonne, vous portiez du Chanel pour jardiner, vos rejetons s’amusaient à jeter leurs Porsche contre les poteaux électriques ? Je ne sais pas pour vous, mais pour le Liban je sais, les dirigeants de ce pays dépensaient l’argent public sans compter, contrairement à ce qu’ils faisaient avec leur propre argent. Toujours est-il que cette voiture que vous avez achetée il y a quelques années pour 160 000 $, est tombée en panne un beau matin. Bonne nouvelle, votre garagiste, un honnête homme, il y en a que trois au Liban (c’est pour vous dire la chance que vous avez), vous annonce qu’elle ne demande que 1 000 $ de pièces détachées pour la rendre de nouveau fonctionnelle. Mais, votre mari ne veut pas en entendre parler. Sma3 qcha3, rien à faire. Il décide de laisser le véhicule rouiller au fond du garage, alors qu’il sait parfaitement que cela vous oblige à prendre les bus de fortune pour aller à votre travail et à subir la lourdeur et le harcèlement de la faune libanaise. Et le revoilà à la charge un beau matin, pour vous annoncer qu’il compte acheter un 4x4 flambant neuf pour 80 000 $ ! Nous sommes face au même ordre de grandeur : une dette à 850 000 000 $, un achat à 80 000 $ et une réparation à 1 000 $. Alors dites-moi, qu’est-ce que vous auriez fait ? A mon avis, divorcé.
Invité de l'émission Menna w Jerr sur la chaine MTV, en plein scandale des Sikorsky le 16 octobre, Fady Jreissati, fait croire qu'il regrette "beaucoup" d'avoir accepté d'être ministre de l'Environnement, pour diverses raisons et depuis 6 mois déjà, sous-entendant qu'il se sacrifie pour le Liban! Foutaises. Par contre, il ne regrette "absolument pas" d'avoir insulté les Libanais en décrétant que ceux qui ne trient pas, n'ont pas droit à la parole, "ma yesam3ouné sawtoun", alors que la filière de recyclage au Liban est archaïque. Aujourd'hui, après le scandale des Sikorsky, c'est lui qui doit "yi sedd bouzo wou ni3o, wou ma yisamme3na sawto". "Hajé yi rabbé7na jmilé" qu'il la ferme et démissionne ! |
14 Il a fallu moins d’une minute pour connaitre une grande partie de la vérité sur les nombreuses défaillances de l’État libanais qui ont conduit à ce lundi noir. D’ores et déjà on sait des propres aveux de Fady Jreissati, qu’il a lui-même pris la décision de ne pas assurer la maintenance des hélicoptères bombardiers d’eau, pour 100 000 $/an, afin d’acheter de nouveaux avions bombardiers d’eau, pour 8 000 000 $ ! Fady Jreissati doit non seulement comparaitre devant la commission d’enquête, mais il doit être accusé de gaspillage de l’argent public et de négligence ayant eu de graves conséquences à tous les niveaux, humain, animal et environnemental. Il est pris en flagrant délit. Reste à savoir, qui sont ses complices ? Pourquoi ce choix aberrant ? Y a-t-il eu corruption ? Une chose est sûre et certaine, ce gaspillage abject de l’argent public nécessite une enquête plus approfondie et des sanctions exemplaires.
En attendant, s’il y a quelqu’un qui ne doit plus nous faire entendre sa voix, lézim yi sedd bouzo wou ni3o wou ma yisamé3na sawto, c’est bien le ministre libanais de l’Environnement, Fady Jreissati, un homme arrogant et antipathique, à qui on peut décerner le noble titre d’Imposteur de la République libanaise. Bienvenue au club. Mais vous vous attendez à quoi de la part de quelqu’un qui a eu la plus extraordinaire promotion de tous les temps, passer du secteur de l’immobilier au ministère de l’Environnement, une première mondiale ? Dans n’importe quel pays normal, ce scandale fera tomber le ministre qui l’a provoqué, par démission ou par limogeage.