Au grand dam de certains, c’est aujourd’hui le 28 décembre 2014 que la
nouvelle loi du logement aurait dû entrer en vigueur. Mais, il n’en sera rien.
Malgré le pot organisé par le lobby des propriétaires ce weekend, dans une
tentative infantile pour impressionner les locataires anciens, énno yeklouloun rassoun, la loi de libéralisation
des locations anciennes au Liban, votée à la hâte et à la dérobée lors des
festivités législatives du poisson d’avril organisées au printemps 2014, n’est pas applicable en l’état, après
l’invalidation le 6 août 2014 par le Conseil constitutionnel de trois articles
fondamentaux et l’avis négatif émis le 18 octobre 2014 par le Comité de la
législation et des consultations du ministère de la Justice.
En somme, le cadeau de Noël empoisonné du
gouvernement Tammam Salam et d’une partie des autoprorogés députés aux
paisibles citoyens Libanais de la classe moyenne, ne sera pas délivré. A partir d’aujourd’hui,
le pays du Cèdre entre dans l’une des plus grandes confusions sociales de son
histoire.
Depuis l’époque du mandat français, la politique libanaise du logement était
inspirée par les lois françaises, notamment par la loi de 1948. Puis un
beau matin, le 1er avril 2014, alors qu’en France cette législation d’exception
est toujours en vigueur, le Liban a
décidé de libéraliser d’une manière sauvage les loyers anciens. La loi
libanaise de libéralisation des loyers sera lourde de conséquences à cause de la violation des droits séculaires des locataires libanais, pour
l’achat de leurs appartements avec une décote et à l’indemnisation en cas
d’expulsion, de la ségrégation sociale
et spatiale des Libanais, ce qui est contraire au principe de la
Constitution libanaise, de la gentrification de la capitale par l’expulsion de la classe moyenne ainsi que
des natifs de Beyrouth, et leur remplacement par une classe aisée, de l’exode économique transcommunautaire
amplifié par la présence de 1,5 à 2 millions de ressortissants syriens, et de
la destruction totale du parc immobilier
ancien, ou de ce qu’il en reste.
Face à cette loi inique, on peut résumer l’état des lieux au niveau
parlementaire de la manière suivante :
- Les
députés « promoteurs » de la libéralisation des locations
anciennes. Il y a d’abord les députés du Courant
du Futur de Saad Hariri. Tous, sans aucune
exception. Les fers de lance de la libéralisation des locations anciennes
sont Robert Ghanem (député maronite
de Rachaya-Bekaa Ouest) et Samir el-Jisr
(député sunnite de Tripoli). Parmi les défenseurs virulents de la
libéralisation des locations anciennes, on retrouve des députés du Courant patriotique libre de Michel
Aoun, notamment Neemtallah Abi-Nasr
(député maronite du Kesrouan) et Ghassan
Moukheiber (député grec-orthodoxe du Metn).
- Les
députés « contestataires » à l’origine du recours contre la
nouvelle loi. D’abord, ceux des Kataeb d’Amine
Gemayel: Nadim Gemayel (député
maronite de Beyrouth ; il est le seul député de la capitale libanaise dans ce cas!), Elie Marouni (député maronite de Zahlé),
Fady Haber (député grec-orthodoxe d’Aley).
Ensuite, ceux du Hezbollah de Hassan
Nasrallah : Walid el-Succariyé
(député sunnite de Baalbek-Hermel), Nawaf
Moussawi (député chiite de Tyr) et Bilal
Farhat (député chiite de Baabda). Enfin, divers députés du bloc de Michel Aoun, Ziad Assouad (député maronite de Jezzine) et Hagop Pakradounian (député
arménien-orthodoxe du Metn), mais aussi Abdellatif Zein (député chiite de
Nabatiyé / bloc Nabih Berri), Marwan
Fares (député grec-catholique de Baalbak-Hermel / Parti national syrien) et
Kassem Hachem (député sunnite de
Hasbaya-Marjeyoun / Baath).
- Les
députés « figurants ». Comme si la loi ne concerne pas leur
bastion d’Achrafieh et leur base populaire, se trouvent aussi incompréhensible
que ça puisse être, les Forces
libanaises de Samir Geagea, et aussi paradoxalement que ça puisse paraître,
le Parti socialiste progressiste de
Walid Joumblatt.
Le lobby des propriétaires tentera par
tous les moyens d’intimider les locataires anciens. Afin d’éviter de commettre des erreurs juridiques qui pourraient se
retourner contre le locataire ancien, vous trouverez ci-jointe la procédure à
suivre par les personnes concernées, en cinq parties. Elle est établie par
le Comité de défense des droits des locataires. En voici les principaux points :
- déclinez
jusqu’à nouvel ordre, toute invitation pour négocier avec le propriétaire un
nouveau bail de location ;
- en cas de sommation à payer le nouveau
loyer selon les modalités de la nouvelle loi, reçue par courrier ou par un
notaire, veillez à apposer sur le document la date et la mention « avec réserves à cause du recours
contre la loi et des modifications », avant de signer l’avis de
réception ;
- il est conseillé de demander un
certificat du cadastre qui fait apparaitre clairement le nom du propriétaire
actuel du bien loué ;
- il est conseillé de photocopier l’ancien
bail et d’apposer clairement la mention « le
bail est renouvelé pour l’année 2015 » avant de le signer et de le
faire signer par le propriétaire ;
- en
cas de refus du propriétaire d’encaisser le loyer pour l’année 2015, selon les
modalités de l’ancienne loi, il convient de passer par un notaire ;
- vérifiez l’identité et la fonction de
toute personne qui pourrait se présenter à votre domicile au nom du
propriétaire ;
- si vous passez par un avocat, veillez
impérativement à ne pas lui octroyer le pouvoir d’accepter le renoncement au
bail ;
- contactez
le Comité qui est à la disposition de tout locataire ancien pour vous renseigner
et être conseillé gratuitement avant tout engagement concernant le bail de
location ancienne.
Le 28 décembre 2014 n’est pas la fin du
combat contre l’injustice qui frappe 800 000 de Libanais concernés
par les locations anciennes. Le nombre exprimé en chiffres permet de mesure l’ampleur
du désastre. C’est aujourd’hui que cette grande bataille sociale s’engage. Le maintien de la classe moyenne et des
natifs de Beyrouth dans la capitale, ainsi que la préservation de la mixité
sociale et communautaire, passent par l’abolition de la loi de libéralisation
des loyers anciens. Pour empêcher la « catastrophe sociale » d’avoir lieu,
avec une défiguration irréversible du tissu urbain et social de la capitale
libanaise, en cas de mise œuvre de ce texte bâclé, il faut étudier une nouvelle loi du logement. Celle-ci devrait
garantir une plus grande « justice sociale », évoquée dans la Constitution
libanaise, en restituant les droits des
locataires anciens de rester dans leurs logements, et d’accéder facilement à la
propriété en achetant les appartements qu’ils occupent depuis des lustres, ou
de se loger à un prix raisonnable dans leurs quartiers, comme locataires ou
comme propriétaires. Il en va de la paix sociale au Liban. Si la libéralisation des locations anciennes est mise en œuvre comme le
souhaitent les promoteurs de la loi, le Liban devra se préparer au plus grand
exode transcommunautaire de son histoire. Le gouvernement de Tammam Salam et les
parlementaires libanais autoprorogés devront alors assumer pleinement les
conséquences de l’explosion sociale qui en découlera.
Réf.