jeudi 24 septembre 2015

Affaire Volkswagen : l’un des plus fascinants scandales industriels (Art.312)


Des tours jumelles situées dans le complexe
Autostadt de Wolfsburg, en Allemagne,
où se trouvent
le siège social de Volkswagen,
un parc de loisir, une usine, des pavillons
d'exposition, ainsi qu’un musée.
L'ensemble est dédié aux marques et aux
modèles du groupe, d'aujourd'hui ou du passé.
Deux millions de visiteurs par an.

C’est sans doute le plus grand scandale de l’histoire de l’automobile et le plus fascinant de tous. Les normes anti-pollution étant ce qu’elles sont dans les pays développés, notamment en Europe et aux Etats-Unis, il est assez difficile pour les constructeurs de voitures d'y échapper complétement et de les respecter scrupuleusement. Mais, ils y arrivent malgré tout, même partiellement, et dans les deux cas svp. Le problème c’est que le système installé dans les véhicules à cet usage, notamment en ce qui concerne le contrôle des émissions d’oxydes d’azote, tombera en panne fréquemment si on le fait fonctionner tout le temps. D’où la tentation pour les fabricants de ne le faire marcher à plein régime qu'uniquement au moment où la voiture est soumise à un test officiel, afin d’être en dessous des seuils autorisés. Il fallait y penser bien sûr. C’est bel et bien de la tricherie. Deux ans d’enquête étaient nécessaires pour découvrir le pot aux roses. Voilà en quelques mots le scandale Volkswagen, révélé le 18 septembre 2015 par l’Environmental Protection Agency (EPA) grâce au concours d’une ONG locale, l'International Council on Clean Transportation et de l'Université de Virginie-Occidentale.

Sûr de lui, Volkswagen (VW) a équipé près de 500 000 voitures diesel (de différents modèles, Golf, Jetta, Passat, Beetle et Audi), commercialisées aux Etats-Unis entre 2009 et 2015, d’un logiciel pour gérer cette triche sophistiquée des temps modernes. En dehors des tests, les véhicules en question émettent par exemple, 10 à 40 fois plus d’oxydes d’azote que les seuils autorisés. C’est que l’astuce marche très bien ! Certes, cette manipulation n’affecte pas la sécurité des voitures, il n’empêche que les NOx sont considérés parmi les gaz les plus nocifs, à la fois pour la santé humaine et pour l’environnement. Pour mesurer l’ampleur du désastre, il faut savoir d’emblée que VW a déjà perdu 35 % de sa valeur boursière, 25 milliards € se sont évaporés en quelques jours. A court terme, le constructeur allemand devra rappeler les 11 millions de véhicules dans le monde équipés de ce logiciel pour les remettre aux normes. C’est qu’il ne s’agit pas uniquement des Etats-Unis et de leur demi-million de voitures traficotées, de l’aveu même de VW. Et ça ne sera pas chose facile car cela exigera de revoir la consommation et la puissance des moteurs, ce qui ne sera pas du tout du goût des propriétaires. A moyen terme, il risque une amende maximale de 18 milliards $, pour les Etats-Unis uniquement, chiffre qui sera négocié quand même. A long terme, ce scandale risque de ternir l’image de l’un des fabricants de voitures les plus fiables au monde.

Au-delà des détails techniques et financiers, toute la question est de savoir comment peut-on en arriver là ? C’est cela qui fascine dans ce scandale. Comment peut-on tricher d’une manière aussi éhontée et trahir sans vergogne la confiance de ses clients et des autorités ? A quel point doit-on être insensé pour croire qu’une fraude aussi massive, 11 millions de voitures commercialisées sur au moins 6 ans, peut-elle passer inaperçue ? Mais bordel, comment peut-on prendre un tel risque quand on est chaque année sur le podium des plus grands constructeurs de voitures au monde ? Que diable peut-il bien passer dans la tête de celui qui a pris cette décision pour oublier qu’aux fiefs de ses concurrents, notamment aux Etats-Unis, VW est attendu au tournant ? C’est sans doute parce qu’on se croit intouchable. Mais ceci n’explique pas tout.

Il n’y a pas de doute, cette affaire a le grand mérite de révéler surtout l’avidité des hommes en général et des industriels en particulier. Il ne faut pas se leurrer, sur le plan technique, VW peut fabriquer des véhicules qui respectent les normes anti-pollution et qui fonctionnent très bien. Mais ceci a un coût. Les prix des véhicules risquent d’augmenter de 10, 20 ou 30 %. On serait tenté de dire, et qu’ils augmentent ! Oui mais ça risque du coup de freiner les ventes, avec deux conséquences majeures, se faire distancier par ses concurrents, mais aussi diminuer ses propres gains. Pour la première, c’est improbable, car tous les constructeurs sont soumis aux mêmes contraintes. Pour la seconde, et pourquoi pas ? Ah, mais les cols blancs risquent de moins s’enrichir et les actionnaires de moins s’engraisser. Et alors, doit-on vraiment accumuler plus de richesses qu’on ne peut dépenser au cours d’une vie, sachant que l’enterrement est à 15h pour tous, même dans les paradis fiscaux ? Non mais, cela risque de porter un coup sérieux à la croissance pardi. Et comme tout est basé sur cette putain de croissance économique, les citoyens sont appelés à avaler pas mal de couleuvres pour la soutenir.

Cette affaire a le mérite aussi de battre en brèche la politique des pays développés où siègent les grands constructeurs de voitures, qui ne cessent depuis plus de 70 ans de subventionner directement et indirectement l’industrie de l’automobile en général, et du diesel en particulier, notamment par le biais d’une taxation moindre de ce carburant par rapport à l’essence. La tricherie de VW est impardonnable, mais est-ce que les Etats européens et les citoyens du monde peuvent se laver les mains et dormir sur leurs deux oreilles pour autant ? Il y a de quoi en douter. Les avantages fiscaux du diesel coûtent encore 7 milliards d’euros à l’Etat français chaque année. Près de la moitié des véhicules vendus sur le vieux continent, notamment en Allemagne et au Royaume-Uni, tournent avec des moteurs diesel, deux-tiers en France, trois-quarts en Irlande, seuls les Pays-Bas, le Danemark et la Suisse ont des parts assez basses, entre le quart et le tiers. La part du diesel était négligeable même au début des années 80, notamment pour les voitures à usage particulier. Bon, pourquoi pas ? Bien sûr pourquoi pas, sauf qu’on sait depuis longtemps que le diesel est plus polluant que l’essence en dépit de tout le matraquage médiatique à longueur d'écrans et de colonnes auquel sont soumis les cerveaux des consommateurs occidentaux, avec ces campagnes publicitaires et promotionnelles, directes et indirectes, mises en place par les constructeurs et les Etats. Economie, croissance et chômage obsèdent les dirigeants au point de les aveugler sur le reste, notamment la santé publique. Comme le diesel a pris des proportions trop importantes dans les pays occidentaux, on ne pouvait plus revenir en arrière. Alors au lieu d’agir à la source et à temps, en diminuant ces parts, à la production comme à la vente, ce qui aurait coûté cher (on revient à l’avidité des hommes et des industriels !), on s’est contentés de renforcer les normes anti-pollution (depuis 1991 en Europe), sans se donner pleinement les moyens de contrôler efficacement ni les constructeurs de voitures diesel (les tests se font in vitro, en laboratoire, en conditions artificielles, et non in vitro, sur les routes, en conditions réelles !), comme le prouve l’affaire VW, ni même les consommateurs, puisque les normes ne s’appliquent qu’aux voitures neuves (les contrôles techniques des voitures diesel anciennes en France, ne concernent que l’opacité des fumées rejetées ! on se croirait au Liban !). Les deux dernières normes européennes, appelées Euro 5 et 6, qui fixent les limites maximales de rejets de polluants pour les véhicules depuis 2009, ne concernent que 39 % des véhicules particuliers diesel en France. En gros, un peu moins de 2/3 des voitures particulières diesel dans l’Hexagone -soit plus de 12,5 millions de voitures, sur 32 millions au total- roulent selon des normes anti-pollution caduques. Alors, on aimerait mieux que notre Ségolène Royal, ministre française de l’Ecologie, très remontée contre VW, à juste titre, nous épargne les mea-culpa à cinq centimes, « Quand on a encouragé pendant des années le diesel, quand on a des millions de familles qui roulent au diesel, des millions de travailleurs qui vont au travail avec leurs voitures diesel, ce n’est pas du jour au lendemain qu’on peut les punir parce qu’ils ont fait ces choix et qu’ils n’ont pas d’argent pour remplacer leurs voitures », et qu’elle s’occupe plutôt de l’air qu’on respire dans les grandes villes de France. En 2012, le Centre international de recherche sur le cancer de l’Organisation mondiale de la Santé a rendu son verdict : il est sûr et certain, le diesel constitue l’écrasante source de pollution atmosphérique en particules fines, des molécules cancérigènes, à l’origine de maladies cardio-vasculaires et respiratoires. Inspirez, expirez et mettez-vous en apnée, il vaudra mieux !

L’autre point fascinant du scandale VW, c’est la réaction du gouvernement allemand. N’importe quel pays développé, encore plus pour un pays en voie de développement, aurait été tenté de défendre par un moyen ou par un autre, son fleuron industriel. Ce n’est pas le cas de l’Allemagne, même si le land de la Basse-Saxe en est actionnaire à hauteur de 20%. Pour le vice-chancelier Sigmar Gabriel, également ministre de l'Economie et de l’Energie, « Une chose est claire, c'est une affaire grave... Je suis sûr que la société va clarifier les choses rapidement et en profondeur ». C’est bien, mais c’est trop timide. N’importe quel chef d’une petite entreprise allemande qui aurait eu recours à 1/10e de cette filouterie serait cloué au pilori pour toujours ! Il faudrait aller plus loin, beaucoup plus loin. La justice allemande vient d’ouvrir une enquête sur Volkswagen. Il faut dire que l’enjeu est colossal, il y va même à moyen terme, de la réputation du « Made in Germany ».

Les tours de Wolfsburg font 25 étages.
Elles sont complètement automatisées.
Elles servent de parking de stockage pour
800 nouveaux modèles de Volkswagen.

Cela dit, VW s’en sortira de la grave crise qu’elle aura à traverser. Certes, le coût financier de cette folie sera astronomique. Mais l’entreprise est en excellente santé. Dans son domaine, elle est numéro un mondial en vente et en chiffre d’affaires. Pas pour longtemps sans doute. Elle a vendu plus de 10 millions de voitures dans le monde l’année dernière. Son chiffre d’affaires pour 2014 a dépassé les 202,5 milliards € (227 Mds $). Les amendes et les remises en conformité des voitures incriminées pourraient engloutir les bénéfices du reste de la décennie (10,8 milliards € en 2014; soit 12,1 Mds $). Il va falloir dépenser des fortunes dans la com’ pour faire oublier une telle tromperie. Mais, tout cela ne sera pas suffisant. Pour que justice soit rendue, à la collectivité, et la confiance soit retrouvée, par les consommateurs, VW doit se débarrasser au plus vite, sans ménagement, sans arrangement scabreux et sans parachute dorée, de tous ceux qui se sont autorisés à trahir les autorités de contrôle et leurs clients. La démission du PDG, Martin Winterkorn (ou son éviction, au choix!), qui était à la tête de VW depuis 2007, est une première étape sur la bonne route. Mais, elle est insuffisante. Juger les fautifs sur le plan pénal est incontournable, si VW veut regagner la confiance du monde. Il faut mettre à jour quel rôle Martin Winterkorn a bien pu jouer dans cette tricherie et qui sont ses éventuels complices ? S'il est innocent, il est alors victime de la tromperie du siècle. « Je suis stupéfait qu'une mauvaise conduite soit possible à une telle échelle au sein du groupe Volkswagen. » Mais, il va falloir le prouver, là aussi, et trouver les coupables. Et ça ne sera pas une mince affaire. Juger les fautifs sur le plan pénal est incontournable si VW veut regagner la confiance du monde. « Je n'étais au courant de rien ». Possible mais improbable ! L’homme fort de VW est un génie dans son domaine. Il a pratiquement tout multiplié par deux en huit ans seulement : le chiffre d’affaires, ainsi que les nombres de voitures vendues, d’usines, de salariés et de marques. Alors, faire croire qu'il ne connaissait rien à cette tricherie, est une couleuvre plutôt difficile à avaler. L'enquête doit tout mettre en lumière, dans l'intérêt de tous : de Volkswagen et de l'Allemagne bien entendu, mais aussi des propriétaires de voitures du groupe dans le monde et de Martin Winterkorn lui-même, s'il est innocent. Une chose est sûre et certaine, cette affaire est un énorme gâchis, car de l'avis de tous, c'était un dirigeant exceptionnel. C'est demain que le groupe aurait du le confirmer dans son poste, jusqu'en 2018.

Dans une affaire de cette ampleur où la société fautive avoue elle-même ce qu’on lui reproche, il n’y a évidemment aucune place à une farfelue théorie du complot. Par contre, certains faits et coïncidences laissent quand même perplexe. Dans l’industrie automobile la vie n’est vraiment pas un long fleuve tranquille. La guerre commerciale est permanente, chaude dans la journée, froide la nuit. Trois grands constructeurs de trois continents se partagent le podium depuis plusieurs années : Toyota, Volkswagen et General Motors. Le constructeur japonais était le leader mondial depuis 2012. Il a été détrôné en 2015 par le constructeur allemand. La 3e place revient actuellement au constructeur américain. Si l’ordre d’arrivée change d’une année sur l’autre, en termes de vente, les trois constructeurs sont au coude à coude avec respectivement 10,23 millions de voitures vendues dans le monde pour Toyota, 10,14 millions pour Volkswagen et 9,92 millions pour General Motors.

A ce propos justement, faisons un tour outre-Atlantique. La veille de l’éclatement du scandale VW, comme un (par) hasard, le département américain de la Justice a annoncé que le constructeur américain General Motors (Chevrolet, Cadillac, Buick, GMC, Opel, etc.) devra payer une amende salée pour avoir dissimulé des informations concernant un grave défaut mécanique situé au niveau du commutateur d’allumage, pouvant provoquer lors d’un cahot, un bond sur une route inégale, la coupure du contact, le blocage de la direction assistée et la désactivation des airbags. Achtung baby, là on n’est pas dans les émissions d’oxydes d’azote et de particules fines, et leurs conséquences sournoises plus ou moins lointaines sur la santé humaine, mais dans un problème grave de sécurité aux conséquences directes sur la vie humaine. Alors que 124 personnes sont mortes et 1261 ont été blessées à cause de ce défaut de fabrication, l’amende de la justice américaine contre GM n’a pas dépassé la barre symbolique du milliard de dollars (900 millions $ pour être précis). Plus grave encore, en tout et pour tout, le fabricant américain ne consacrera que 575 millions de dollars aux accords à l’amiable à conclure lors de procès au civil. Et pourtant, les circonstances sont très aggravantes. Alors que le problème a été signalé en interne dès 2003, il a fallu 11 ans à General Motors (GM) pour se décider à rappeler en 2014 les 2,6 millions de voitures concernées par ces problèmes, dans le cadre d’un vaste programme de rappel de 29 millions de voitures pour divers défauts de fabrication, ce qui représente un peu moins de la moitié du parc automobile de GM aux Etats-Unis ! Cette sortie assez avantageuse pour cette entreprise américaine à la santé précaire, n’a été possible que grâce à une fatwa de la justice américaine en avril 2015, d’exclure les décès, accidents et incidents liés à ce défaut mécanique qui remontent, tenez-vous bien, au « Vieux GM », la société avant sa profonde restructuration en 2008-2009, et son placement sous la protection de la loi américaine sur les faillites. Excellent ! Là aussi, il fallait y penser. C'est peut-être légale, mais là également, c'est bel et bien de la tricherie. A l’époque, le géant américain fut nationalisé pendant un an et demi, les anciens créanciers et actionnaires évincés par les tribunaux, la dette pratiquement annulée, tout grâce à la baguette magique d’Oncle Sam. D’ailleurs, dès qu’il s’agit d’un de ses fleurons industriels, ce dernier ne fait pas les choses à moitié, protectionnisme oblige. Et comment ! Figurez-vous, sans cette fatwa par exemple, le « Nouveau GM » aurait eu à payer des indemnisations de l’ordre de 10 milliards de dollars dans l’affaire du commutateur défectueux. Inutile de vous dire qu'il serait KO aujourd'hui. Décidément, GM est le chat à sept vies. Ah, avant que je n’oublie, l’Etat américain était actionnaire de General Motors, de 2009 à 2013. Justement, c'était la période concernée par le scandale Volkswagen. Ceci explique bien cela, et beaucoup de choses, diraient certains.

La tricherie de Volkswagen est honteuse et indigne d’une si prestigieuse entreprise, qui fait la fierté de l’Allemagne et de tous ceux de par le monde qui roulent dans une Volkswagen. L’avenir lui appartenait. Plus maintenant. Risquer si gros pour si peu, c'est manquer d'intelligence. Il n’empêche que cette tricherie s’inscrit dans une certaine logique des choses, qui dépasse ce fleuron de l'insdustrie, où l’on retrouve la lutte sans merci entre les constructeurs automobiles, la connivence entre les constructeurs et les Etats, les intérêts financiers des cols blancs et des actionnaires, l’obsession des dirigeants politiques en matière économique, la politique générale toujours favorable à l’automobile et le laxisme des Etats en matière de pollution. Il est temps pour les humains de changer de cap, à condition de tirer les bonnes conclusions de l’un des plus fascinants scandales industriels.