C’est sans doute le plus grand scandale de
l’histoire de l’automobile et le plus fascinant de tous. Les normes
anti-pollution étant ce qu’elles sont dans les pays développés, notamment en
Europe et aux Etats-Unis, il est assez difficile pour les constructeurs de
voitures d'y échapper complétement et de les respecter scrupuleusement. Mais, ils y arrivent malgré tout, même partiellement, et dans les deux cas svp. Le
problème c’est que le système installé
dans les véhicules à cet usage, notamment en ce qui concerne le contrôle des
émissions d’oxydes d’azote, tombera en
panne fréquemment si on le fait fonctionner tout le temps. D’où la tentation pour les fabricants de ne
le faire marcher à plein régime qu'uniquement au moment où la voiture est soumise à un test officiel, afin d’être en dessous des seuils
autorisés. Il fallait y penser bien sûr. C’est bel et bien de la tricherie. Deux
ans d’enquête étaient nécessaires pour découvrir le pot aux roses. Voilà en
quelques mots le scandale Volkswagen,
révélé le 18 septembre 2015 par l’Environmental
Protection Agency (EPA) grâce au concours d’une ONG locale, l'International Council on Clean
Transportation et de l'Université de
Virginie-Occidentale.
Sûr de lui, Volkswagen (VW) a équipé près de 500 000 voitures diesel (de différents modèles, Golf, Jetta,
Passat, Beetle et Audi), commercialisées
aux Etats-Unis entre 2009 et 2015, d’un logiciel pour gérer cette triche
sophistiquée des temps modernes. En dehors des tests, les véhicules en
question émettent par exemple, 10 à 40 fois plus d’oxydes d’azote que les seuils autorisés. C’est que l’astuce marche
très bien ! Certes, cette manipulation n’affecte pas la sécurité des
voitures, il n’empêche que les NOx sont considérés parmi les gaz les plus nocifs,
à la fois pour la santé humaine et pour l’environnement. Pour mesurer l’ampleur
du désastre, il faut savoir d’emblée que VW a déjà perdu 35 % de sa valeur
boursière, 25 milliards € se sont
évaporés en quelques jours. A court terme, le constructeur allemand devra rappeler les 11 millions de véhicules
dans le monde équipés de ce logiciel pour les remettre aux normes. C’est
qu’il ne s’agit pas uniquement des Etats-Unis et de leur demi-million de
voitures traficotées, de l’aveu même de VW. Et ça ne sera pas chose facile car
cela exigera de revoir la consommation et la puissance des moteurs, ce qui ne
sera pas du tout du goût des propriétaires. A moyen terme, il risque une amende maximale de 18 milliards $, pour les
Etats-Unis uniquement, chiffre qui sera négocié quand même. A long terme, ce
scandale risque de ternir l’image de
l’un des fabricants de voitures les plus fiables au monde.
Au-delà des détails techniques et
financiers, toute la question est de
savoir comment peut-on en arriver là ? C’est cela qui fascine dans ce
scandale. Comment peut-on tricher d’une manière aussi éhontée et trahir sans
vergogne la confiance de ses clients
et des autorités ? A quel point doit-on être insensé pour croire qu’une
fraude aussi massive, 11 millions de voitures commercialisées sur au moins 6
ans, peut-elle passer inaperçue ?
Mais bordel, comment peut-on prendre un tel risque quand on est chaque année sur le podium des plus grands
constructeurs de voitures au monde ? Que diable peut-il bien passer dans la
tête de celui qui a pris cette décision pour oublier qu’aux fiefs de ses concurrents, notamment aux Etats-Unis, VW
est attendu au tournant ? C’est sans doute parce qu’on se croit intouchable. Mais ceci n’explique pas
tout.
Il n’y a pas de doute, cette affaire a le grand mérite de révéler surtout l’avidité des hommes
en général et des industriels en particulier. Il ne faut pas se leurrer, sur le
plan technique, VW peut fabriquer des
véhicules qui respectent les normes anti-pollution et qui fonctionnent très bien.
Mais ceci a un coût. Les prix des véhicules risquent d’augmenter de 10, 20 ou
30 %. On serait tenté de dire, et qu’ils augmentent ! Oui mais ça risque
du coup de freiner les ventes, avec deux
conséquences majeures, se faire distancier par ses concurrents, mais aussi
diminuer ses propres gains. Pour la première, c’est improbable, car tous
les constructeurs sont soumis aux mêmes contraintes. Pour la seconde, et
pourquoi pas ? Ah, mais les cols blancs risquent de moins s’enrichir et
les actionnaires de moins s’engraisser. Et alors, doit-on vraiment accumuler
plus de richesses qu’on ne peut dépenser au cours d’une vie, sachant que
l’enterrement est à 15h pour tous, même dans les paradis fiscaux ? Non
mais, cela risque de porter un coup sérieux à la croissance pardi. Et comme
tout est basé sur cette putain de croissance économique, les citoyens sont
appelés à avaler pas mal de couleuvres pour la soutenir.
Cette affaire a le mérite aussi de battre
en brèche la politique des pays développés
où siègent les grands constructeurs de voitures, qui ne cessent depuis plus
de 70 ans de subventionner directement et indirectement l’industrie de l’automobile
en général, et du diesel en particulier,
notamment par le biais d’une taxation moindre de ce carburant par rapport à l’essence.
La tricherie de VW est impardonnable, mais est-ce que les Etats européens et
les citoyens du monde peuvent se laver les mains et dormir sur leurs deux oreilles pour
autant ? Il y a de quoi en douter. Les avantages fiscaux du diesel coûtent
encore 7 milliards d’euros à l’Etat français chaque année. Près de la moitié des véhicules vendus sur le vieux continent,
notamment en Allemagne et au Royaume-Uni, tournent avec des moteurs diesel, deux-tiers en France, trois-quarts en
Irlande, seuls les Pays-Bas, le Danemark et la Suisse ont des parts assez
basses, entre le quart et le tiers. La part du diesel était négligeable même
au début des années 80, notamment pour les voitures à usage particulier. Bon,
pourquoi pas ? Bien sûr pourquoi pas, sauf qu’on sait depuis longtemps que
le diesel est plus polluant que l’essence en dépit de tout le matraquage
médiatique à longueur d'écrans et de colonnes auquel sont soumis les cerveaux des
consommateurs occidentaux, avec ces campagnes publicitaires et promotionnelles,
directes et indirectes, mises en place par les constructeurs et les Etats.
Economie, croissance et chômage obsèdent les dirigeants au point de les
aveugler sur le reste, notamment la santé publique. Comme le diesel a pris des proportions trop importantes dans les pays occidentaux,
on ne pouvait plus revenir en arrière. Alors au lieu d’agir à la source et à
temps, en diminuant ces parts, à la production comme à la vente, ce qui aurait
coûté cher (on revient à l’avidité des hommes et des industriels !), on s’est contentés de renforcer les normes anti-pollution
(depuis 1991 en Europe), sans se donner
pleinement les moyens de contrôler efficacement ni les constructeurs de
voitures diesel (les tests se font in vitro, en laboratoire, en conditions
artificielles, et non in vitro, sur les routes, en conditions réelles !), comme
le prouve l’affaire VW, ni même les
consommateurs, puisque les normes ne s’appliquent qu’aux voitures neuves
(les contrôles techniques des voitures diesel anciennes en France, ne concernent
que l’opacité des fumées rejetées ! on se croirait au Liban !). Les
deux dernières normes européennes, appelées Euro 5 et 6, qui fixent les limites maximales
de rejets de polluants pour les véhicules depuis 2009, ne concernent que 39 %
des véhicules particuliers diesel en France. En gros, un peu moins de 2/3 des voitures particulières diesel dans
l’Hexagone -soit plus de 12,5 millions de voitures, sur 32 millions au total- roulent
selon des normes anti-pollution caduques. Alors, on aimerait mieux que
notre Ségolène Royal, ministre française de l’Ecologie, très remontée contre
VW, à juste titre, nous épargne les mea-culpa à cinq centimes, « Quand on a encouragé pendant des années le
diesel, quand on a des millions de familles qui roulent au diesel, des millions
de travailleurs qui vont au travail avec leurs voitures diesel, ce n’est pas du
jour au lendemain qu’on peut les punir parce qu’ils ont fait ces choix et
qu’ils n’ont pas d’argent pour remplacer leurs voitures », et qu’elle s’occupe
plutôt de l’air qu’on respire dans les grandes villes de France. En 2012, le
Centre international de recherche sur le cancer de l’Organisation mondiale de
la Santé a rendu son verdict : il
est sûr et certain, le diesel constitue l’écrasante source de pollution
atmosphérique en particules fines, des molécules cancérigènes, à l’origine
de maladies cardio-vasculaires et respiratoires. Inspirez, expirez et mettez-vous en apnée, il vaudra mieux !
L’autre point fascinant du scandale VW,
c’est la réaction du gouvernement
allemand. N’importe quel pays développé, encore plus pour un pays en voie
de développement, aurait été tenté de défendre par un moyen ou par un autre, son fleuron industriel.
Ce n’est pas le cas de l’Allemagne, même si le land de la Basse-Saxe en est
actionnaire à hauteur de 20%. Pour le vice-chancelier Sigmar Gabriel, également
ministre de l'Economie et de l’Energie, « Une
chose est claire, c'est une affaire grave... Je suis sûr que la société va
clarifier les choses rapidement et en profondeur ». C’est bien, mais
c’est trop timide. N’importe quel chef d’une petite entreprise allemande qui
aurait eu recours à 1/10e de cette filouterie serait cloué au
pilori pour toujours ! Il faudrait aller plus loin, beaucoup plus loin. La justice allemande vient d’ouvrir une
enquête sur Volkswagen. Il faut dire que l’enjeu est colossal, il y va même à moyen terme, de la réputation du « Made in
Germany ».
Les tours de Wolfsburg font 25 étages.
Elles sont complètement automatisées. Elles servent de parking de stockage pour 800 nouveaux modèles de Volkswagen. |
Dans une affaire de cette ampleur où la société
fautive avoue elle-même ce qu’on lui reproche, il n’y a évidemment aucune place à une farfelue théorie du
complot. Par contre, certains faits
et coïncidences laissent quand même perplexe. Dans l’industrie automobile la
vie n’est vraiment pas un long fleuve tranquille. La guerre commerciale est
permanente, chaude dans la journée, froide la nuit. Trois grands constructeurs de trois continents se partagent le podium
depuis plusieurs années : Toyota, Volkswagen et General Motors. Le
constructeur japonais était le leader mondial depuis 2012. Il a été détrôné en
2015 par le constructeur allemand. La 3e place revient actuellement au
constructeur américain. Si l’ordre d’arrivée change d’une année sur l’autre, en
termes de vente, les trois constructeurs sont au coude à coude avec
respectivement 10,23 millions de voitures vendues dans le monde pour Toyota,
10,14 millions pour Volkswagen et 9,92 millions pour General Motors.
A ce propos justement, faisons un tour outre-Atlantique. La veille de l’éclatement du scandale VW, comme un (par) hasard, le département américain de la Justice a annoncé que le constructeur américain General Motors (Chevrolet, Cadillac, Buick, GMC, Opel, etc.) devra payer une amende salée pour avoir dissimulé des informations concernant un grave défaut mécanique situé au niveau du commutateur d’allumage, pouvant provoquer lors d’un cahot, un bond sur une route inégale, la coupure du contact, le blocage de la direction assistée et la désactivation des airbags. Achtung baby, là on n’est pas dans les émissions d’oxydes d’azote et de particules fines, et leurs conséquences sournoises plus ou moins lointaines sur la santé humaine, mais dans un problème grave de sécurité aux conséquences directes sur la vie humaine. Alors que 124 personnes sont mortes et 1261 ont été blessées à cause de ce défaut de fabrication, l’amende de la justice américaine contre GM n’a pas dépassé la barre symbolique du milliard de dollars (900 millions $ pour être précis). Plus grave encore, en tout et pour tout, le fabricant américain ne consacrera que 575 millions de dollars aux accords à l’amiable à conclure lors de procès au civil. Et pourtant, les circonstances sont très aggravantes. Alors que le problème a été signalé en interne dès 2003, il a fallu 11 ans à General Motors (GM) pour se décider à rappeler en 2014 les 2,6 millions de voitures concernées par ces problèmes, dans le cadre d’un vaste programme de rappel de 29 millions de voitures pour divers défauts de fabrication, ce qui représente un peu moins de la moitié du parc automobile de GM aux Etats-Unis ! Cette sortie assez avantageuse pour cette entreprise américaine à la santé précaire, n’a été possible que grâce à une fatwa de la justice américaine en avril 2015, d’exclure les décès, accidents et incidents liés à ce défaut mécanique qui remontent, tenez-vous bien, au « Vieux GM », la société avant sa profonde restructuration en 2008-2009, et son placement sous la protection de la loi américaine sur les faillites. Excellent ! Là aussi, il fallait y penser. C'est peut-être légale, mais là également, c'est bel et bien de la tricherie. A l’époque, le géant américain fut nationalisé pendant un an et demi, les anciens créanciers et actionnaires évincés par les tribunaux, la dette pratiquement annulée, tout grâce à la baguette magique d’Oncle Sam. D’ailleurs, dès qu’il s’agit d’un de ses fleurons industriels, ce dernier ne fait pas les choses à moitié, protectionnisme oblige. Et comment ! Figurez-vous, sans cette fatwa par exemple, le « Nouveau GM » aurait eu à payer des indemnisations de l’ordre de 10 milliards de dollars dans l’affaire du commutateur défectueux. Inutile de vous dire qu'il serait KO aujourd'hui. Décidément, GM est le chat à sept vies. Ah, avant que je n’oublie, l’Etat américain était actionnaire de General Motors, de 2009 à 2013. Justement, c'était la période concernée par le scandale Volkswagen. Ceci explique bien cela, et beaucoup de choses, diraient certains.
A ce propos justement, faisons un tour outre-Atlantique. La veille de l’éclatement du scandale VW, comme un (par) hasard, le département américain de la Justice a annoncé que le constructeur américain General Motors (Chevrolet, Cadillac, Buick, GMC, Opel, etc.) devra payer une amende salée pour avoir dissimulé des informations concernant un grave défaut mécanique situé au niveau du commutateur d’allumage, pouvant provoquer lors d’un cahot, un bond sur une route inégale, la coupure du contact, le blocage de la direction assistée et la désactivation des airbags. Achtung baby, là on n’est pas dans les émissions d’oxydes d’azote et de particules fines, et leurs conséquences sournoises plus ou moins lointaines sur la santé humaine, mais dans un problème grave de sécurité aux conséquences directes sur la vie humaine. Alors que 124 personnes sont mortes et 1261 ont été blessées à cause de ce défaut de fabrication, l’amende de la justice américaine contre GM n’a pas dépassé la barre symbolique du milliard de dollars (900 millions $ pour être précis). Plus grave encore, en tout et pour tout, le fabricant américain ne consacrera que 575 millions de dollars aux accords à l’amiable à conclure lors de procès au civil. Et pourtant, les circonstances sont très aggravantes. Alors que le problème a été signalé en interne dès 2003, il a fallu 11 ans à General Motors (GM) pour se décider à rappeler en 2014 les 2,6 millions de voitures concernées par ces problèmes, dans le cadre d’un vaste programme de rappel de 29 millions de voitures pour divers défauts de fabrication, ce qui représente un peu moins de la moitié du parc automobile de GM aux Etats-Unis ! Cette sortie assez avantageuse pour cette entreprise américaine à la santé précaire, n’a été possible que grâce à une fatwa de la justice américaine en avril 2015, d’exclure les décès, accidents et incidents liés à ce défaut mécanique qui remontent, tenez-vous bien, au « Vieux GM », la société avant sa profonde restructuration en 2008-2009, et son placement sous la protection de la loi américaine sur les faillites. Excellent ! Là aussi, il fallait y penser. C'est peut-être légale, mais là également, c'est bel et bien de la tricherie. A l’époque, le géant américain fut nationalisé pendant un an et demi, les anciens créanciers et actionnaires évincés par les tribunaux, la dette pratiquement annulée, tout grâce à la baguette magique d’Oncle Sam. D’ailleurs, dès qu’il s’agit d’un de ses fleurons industriels, ce dernier ne fait pas les choses à moitié, protectionnisme oblige. Et comment ! Figurez-vous, sans cette fatwa par exemple, le « Nouveau GM » aurait eu à payer des indemnisations de l’ordre de 10 milliards de dollars dans l’affaire du commutateur défectueux. Inutile de vous dire qu'il serait KO aujourd'hui. Décidément, GM est le chat à sept vies. Ah, avant que je n’oublie, l’Etat américain était actionnaire de General Motors, de 2009 à 2013. Justement, c'était la période concernée par le scandale Volkswagen. Ceci explique bien cela, et beaucoup de choses, diraient certains.
La
tricherie de Volkswagen est honteuse et indigne d’une si prestigieuse
entreprise, qui fait la fierté de l’Allemagne et de tous ceux de par le monde qui roulent dans une Volkswagen. L’avenir lui
appartenait. Plus maintenant. Risquer si
gros pour si peu, c'est manquer d'intelligence. Il n’empêche que cette tricherie s’inscrit dans une certaine logique
des choses, qui dépasse ce fleuron de l'insdustrie, où l’on retrouve la lutte sans merci entre les constructeurs
automobiles, la connivence entre les constructeurs et les Etats, les
intérêts financiers des cols blancs et des actionnaires, l’obsession des
dirigeants politiques en matière économique, la politique générale toujours favorable
à l’automobile et le laxisme des Etats en matière de pollution. Il est temps
pour les humains de changer de cap, à condition de tirer les bonnes conclusions de l’un des plus fascinants scandales industriels.