lundi 12 octobre 2015

Et tous les quatre ans, « Lebanon Wins The World Cup » ! Première mondiale pour ce documentaire libanais au « Warsaw Festival Film » (Art.315)


Si tous les pays du monde étaient représentés par l’Empire State Building, le Liban serait un appartement de 15 m² où vivraient 15 personnes. C’est beaucoup, c’est trop, c’est même beaucoup trop de Méditerranéens, d’actions, de réactions et d’interactions. Des siècles de conquêtes et d’invasions, deux voisins hostiles et peu commodes, une importante émigration et une forte immigration, des églises et des mosquées, le Liban c’est 12 millions de descendants d’émigrés, 4 millions d’habitants, 2 millions de réfugiés, 18 communautés, plus Edouard et Hassan, deux « héros » de la guerre civile libanaise. Entre guerres froides et guerres chaudes, le pays du Cèdre peut sembler un cas désespéré tous les jours de l’année, sauf pendant un mois, tous les quatre ans, au cours de la Coupe du monde de football, où comme par enchantement, le Liban mue.

« Lebanon Wins The World Cup » s’est proposé de capter cette mue éphémère de la société libanaise et de s’en servir pour rapprocher ceux que tout oppose en temps normal. A l’arrivée, ce film documentaire libanais, réalisé avec une contribution américaine, produit par Still See A Spark Films, et dirigé par Tony ElKhoury et d’Anthony Lappé, sur lequel j’ai travaillé en tant que Story Consultant, raconte l’histoire de deux vétérans, un combattant aguerri chrétien et un guérillero intello musulman, engagés dans deux camps opposés durant la guerre civile libanaise, qui se préparent la veille du Mondial de l’été 2014, à soutenir leur équipe favorite, le Brésil. Ce tournoi leur offre une chance inouïe de se remémorer des matchs de foot et des batailles décisives, de revenir sur leurs engagements durant ce conflit fraternel, mais aussi, de s’unir autour d’un match de football, malgré tout ce qui est allé de travers.

J’ai l’honneur de vous annoncer que ce film libanais fait partie de la sélection officielle du Festival international du film de Varsovie (Warsaw Film Festival, WFF). Il concourt avec 22 autres œuvres cinématographiques, sur près de 4 000 soumises à WFF cette année, pour le prix du « Best Documentary Short Film ». Le Festival du film de Varsovie est l’un des plus récents grands festivals au monde. Il fut créé avant l’écroulement du rideau de fer en 1985. Contrairement à celui de Cannes, aussi prestigieux que snob -où les invités sont triés sur le volet, les femmes qui souhaitent monter les marches seraient vivement conseillées de porter de hauts talons et des kilomètres de tapis rouges se trouvent à la fin des festivités dans une décharge de Cannes- WFF est sobre, convivial et ouvert au public, avec un staff enthousiaste et chaleureux. Il se déroule au Palais de la culture et de la science, le plus haut grand gratte-ciel de la ville, un cadeau de Staline à la Pologne, qui n’est pas sans rappeler le magnifique Empire State Building d’ailleurs, et qui a failli être rasé après la chute de l’Union soviétique. Au passage, sachez qu’un Prix du Public de WFF fut attribué au Cercle du poète disparu (Peter Weir, 1990), Arizona Dream (Emir Kusturica, 1994), La vie est belle (Roberto Benigni, 1998) et La vie des autres (Florian Henckel von Donnersmarck, 2006).

Maintenant, revenons aux comparaisons farfelues. Si le Brésil était une girafe de 5,5 m de haut, le Liban serait une fourmi de 7 mm de long. Et pourtant, il y a 457 millions de pages sur Internet sur le Liban/Lebanon contre seulement 1 360 millions de pages sur le Brésil/Brazil. Le Liban est donc spécial, en voilà une preuve. Il n’y a pas de doute, ce pays a plus de place dans le monde et les esprits, qu’il n’en a en réalité, en géographie et en démographie. Et pourtant, le Brésil est cinq fois champion du monde et notre pays ne s’est jamais qualifié pour un Mondial. Et ce n’est pas demain la veille, qu’il le sera. Les matchs se jouent sans spectateurs, afin d’éviter les conflits politico-communautaires. C’est pour dire. Mais, les Libanais célèbrent le football comme personne au monde. Toutes les équipes en compétition ont leurs supporters. C’est une preuve d’un problème identitaire peut-être, mais c’est aussi une preuve d’ouverture d’esprit. Le Mondial bouleverse les clivages du pays du Cèdre, en mélangeant les cartes, les communautés et les individus. Il crée un formidable brassage politique, communautaire et social.

Tenez par exemple, le Brésil est soutenu par la classe populaire, qu’elle soit musulmane ou chrétienne, qu’elle soit fidèle au Hezbollah ou aux Forces libanaises. Les fans de l’Allemagne sont des gens de toutes appartenances communautaires et de toutes tendances politiques qui se retrouvent sur le « Made in Germany », la valeur allemande et la constance allemande. Ce sont des personnes qui ne roulent qu’en voiture allemande (BMW, Golf, Mercedes). Et ce n’est pas la tricherie inouïe de Volkswagen qui leur fera changer d’avis. Les supporters de l’Italie forment une classe frimeuse, les mecs « jagual », qui se prennent vraiment pour des Italiens, et beaucoup de filles qui aiment les beaux gosses italiens et ne supportent pas les Brésiliens, trop moches. L’Iran, ou officiellement la République islamique d’Iran, n’a aucune chance de passer en 8e de final, malgré toutes les prières de nos compatriotes chiites qui l’espèrent. C’est un choix de cœur, la raison elle, les porte sur le Brésil et l’Allemagne, deux pays de culture chrétienne. La France et l’Angleterre, bénéficient de la bienveillance des binationaux et des snobs également, quelles que soient leur religion et leur tendance politique.

Des anecdotes sportives, il y en a des tonnes, et pas qu’en foot. La plus glorieuse restera sans doute la participation de Pelé à un match de l’équipe de Nejmeh, devant 50 000 spectateurs libanais réunis à la cité sportive de Beyrouth, dans la joie, la liesse et la bonne humeur, le 6 avril 1975, soit une semaine avant le déclenchement de la guerre au Liban. Pas de doute, on ne sait vraiment pas de quoi est fait le lendemain. La plus honteuse, disons plutôt comique, est la condamnation en 2013 de deux arbitres assistants libanais par la justice de Singapour, d’avoir accepté des faveurs sexuelles afin d’arranger le résultat d’un match. Corruption en nature. La plus tragi-comique est celle d'une rencontre de 2014 entre les équipes de Basket de La Sagesse et de Riyadi à Beyrouth, où des supporters du premier ont agité les drapeaux du Vatican en récitant Notre-Père, pendant que des supporters du second brandissaient le drapeau de l’Arabie saoudite en chantant la Fatiha. Mieux vaut rire de ce surréalisme que d’en pleurer.

Néanmoins, il est assez intéressant de s'arrêter sur les leçons politiques que nous pouvons nous autres Libanais tirer d’une Coupe du monde de football. D’abord, il y a sans doute la primauté de la classe sociale et du mode de vie sur l’appartenance communautaire et politique. Ensuite, c’est le fait que la maturité dans la vie exige un détachement et un certain recul par rapport aux événements. Ce n’est la fin du monde que l’équipe de foot ou le parti politique que l’on soutient, perde ou gagne, on se prépare pour la prochaine rencontre ou élection. Enfin, comme on dit, quoi qu’il arrive, il faut toujours garder un esprit sportif, que le meilleur gagne, et un esprit démocratique, accepter l’arbitrage et les résultats.

Après 40 ans d’une guerre qui n’a toujours pas pris fin, comme on le croit et on le souhaite, et malgré le fait qu’il n’y ait pas eu un profond travail de réconciliation, les relations entre les communautés religieuses et les partis politiques au Liban sont devenues plus complexes aujourd’hui. Du fait des tensions religieuses musulmanes entre Sunnites et Chiites, au Liban et au Moyen-Orient, et de la division politique des Chrétiens du Liban entre pro-sunnites et pro-chiites, on peut observer toutes sortes d’animosités, mais aussi d’alliances entre Chrétiens et Musulmans (Courant du Futur - Forces libanaises ou Hezbollah - Courant patriotique libre) ou entre la gauche et la droite libanaises (Georges Haoui, Elias Attalah - Futur, Kataeb). Bienvenue au Liban.

Warsaw Festival Film (WFF)
se déroule au Palais de la culture
et de la science à Varsovie.
Photo Wikimedia Commons

Ce qui vraiment fascinant dans ce grand rendez-vous sportif c’est de constater que le Mondial est le facteur le plus puissant, un des rares, pour mettre en veille les divisons politiques et communautaires au Liban. Certes, les Libanais se divisent pour soutenir le Brésil, l’Allemagne, l’Italie ou la France, mais ils oublient pour un laps de temps leurs anciennes divisions politiques et communautaires. Et ça c’est fabuleux. « Lebanon Wins The World Cup » est un film captivant et une histoire émouvante. Les deux vétérans sont des hommes attachants. L’immortalisation des scènes de liesse des supporters libanais, filmées à « Beyrouth-Est » comme à « Beyrouth-Ouest », pour reprendre la terminologie de la démarcation de la guerre civile libanaise, est un moment d’anthologie. La musique signée par l'artiste beyrouthin Oak est entraînante. A chaque Coupe du monde, c’est le même rituel. Certains Libanais sont heureux car leur équipe gagne, d’autres sont attristés car leur équipe perd. Mais à la fin de la nuit, « Lebanon Wins The Word Cup » tous les quatre ans. Le vivre-ensemble et le pouvoir de pardonner triomphent forcément. Si vous êtes dans les parages en Europe, au 52e parallèle Nord, rendez-vous ce soir à Varsovie, vers 18h30 au Pałac Kultury i Nauki, pour la Première mondiale. Prévoir une doudoune, il va neiger. A défaut, restez au chaud et jetez un coup d’œil sur la bande-annonce (pour le voir en Haute définition, cliquez sur le sigle "HD" qui se situe en bas à droite de la fenêtre de visionnage). Et si vous voulez être informés de la suite de l’aventure à Varsovie, à Beyrouth et ailleurs dans le monde, une seule adresse, la page facebook du film.


Mise à jour, 18 octobre 2015

Cérémonie de clôture de Warsaw Festival Film,
Festival international du film de Varsovie,
le 17 octobre 2015

A chaque Coupe du monde de football, c’est le même rituel au Liban‬. Certains Libanais sont heureux car leur équipe favorite gagne, d’autres sont attristés car leur équipe favorite perd, et à la fin de la nuit, Lebanon wins The World Cup tous les quatre ans. Mais ce dimanche, j’ai le plaisir de vous annoncer que non seulement « LEBANON WINS THE WORLD CUP », mais en plus, le film a gagné le prix du « BEST DOCUMENTARY SHORT » de WARSAW FILM FESTIVAL

Selon WFF, « les cinéastes ont mis l’hypothèse de contact* en œuvre, en cherchant une passion commune entre leurs personnages principaux, qui étaient des ennemis, dans le but de trouver un moyen simple et efficace de nous montrer la catharsis** personnelle de deux hommes blessés. » Soyez rassurés, il est normal de ne pas comprendre la phrase dès la 1re lecture. Je suis passé par là. Les astérisques vous seront d’une grande aide. 

« Lebanon Wins The World Cup » (Tony Elkhoury,
Anthony Lappé) remporte le prix du
« Best Documentary Short » de Warsaw Festival Film de 2015

Toujours est-il qu’aujourd’hui est donc un grand jour pour
tous ceux qui ont travaillé sur cette production, essentiellement libanaise, pour tous les cinéphiles aussi, d'ici et d'ailleurs, ainsi que pour tous les Libanais, qu’ils soient fans de football ou pas, fanatiques du Brésil ou de l'Allemagne, adeptes du houmous ou du baba ghanouj, qu’ils aient connu les affres de la guerre civile ou le velours de l'exil, de toutes tendances politiques et appartenances communautaires confondues. Toutes mes félicitations. A votre santé !

* Concept que l’on retrouve en sociologie et en psychologie, qui part du principe que sous certaines conditions, le meilleur moyen pour réduire les préjugés chez des personnes en conflit, est le contact interpersonnel.
** Réaction par laquelle on se libère de ce qui est psychiquement refoulé et oppressant.