Il lui tendit un mouchoir et lui dit :
«
Couvrez ce sein que je ne saurais voir. Par de pareils objets les âmes sont
blessées et cela fait venir de coupables pensées. » C’est par cette
réplique hypocrite mais non moins véridique, que Le Tartuffe ou L’Imposteur,
s’adressa à Dorine, la dame de compagnie de Marianne. En décidant de couvrir certaines statues dénudées des
musées du Capitole par des caissons de bois, à l’occasion de la visite du
président iranien Hassan Rohani à Rome, afin de « respecter la culture et la sensibilité iraniennes »,
les autorités italiennes se sont couvertes de ridicule, tout comme le dévot de
Molière. On a beau cherché des propos compréhensifs, la condamnation des médias
italiens et occidentaux est unanime.
Personne ne demandait au président du
Conseil italien de coincer son homologue iranien, diplômé de droit d’une
université de Glasgow, sur les violations des droits de l’homme en Iran ou sur l’exécution
de plusieurs centaines de personnes l’année dernière. On ne lui demandait pas
non plus de tenter de savoir pourquoi
l’Iran est le seul pays au monde géré encore en 2016 et depuis 37 ans, par un
régime théocratique. On ne voulait même pas que le jeune florentin exige du vieux
mollah de laisser sa soutane au vestiaire avant de rentrer dans ce temple de la
culture occidentale. Mais bon, que ne
ferait-on pas pour 17 milliards d’euros de contrats ? Beaucoup sans
doute, mais en gardant le minimum syndical de dignité, rien que pour l’honneur
de son pays, ainsi que pour l’histoire et la civilisation qu’il représente.
Matteo Renzi, président du Conseil italien,
prononçant un discours historique dans la salle des Horaces et des Curiaces du Capitole à Rome, le 24 novembre 2015 |
Au siège de la mairie de la ville
éternelle, le 24 novembre de l’an de grâce 2016, le président du Conseil
italien déclara solennellement : « Ils (les djihadistes) détruisent les
statues, nous voulons les casques bleus de la culture. Ils brûlent les livres,
nous ouvrons des bibliothèques. Ils imaginent la terreur, nous répondons avec
la culture. » Mais enfin, « je vous demande de vous arrêter »,
comme disait Balladur. D’arrêter de rire ! Eh oui, heureusement le ridicule ne tue pas, sinon, Matteo Renzi aurait rejoint
le Panthéon moderne des sans-culottes, au sens péjoratif et propre du terme, ceux qui n’hésitent pas à se déculotter pour
parvenir à leurs fins.
La « Vénus capitoline » aux musées du Capitole. Crédits photos : David Jones (G) et Alik Sumin (D) |
La
plus célèbre victime de la cupidité italienne et de la pudibonderie iranienne, est
une majestueuse statue de Vénus, la déesse de l'amour dans la mythologie
romaine, fille de Jupiter et mère de Cupidon. Un temple lui était dédié sur le site gréco-romano-phénicien d'Héliopolis (Baalbek, Liban), non loin
des sanctuaires de Jupiter et de Bacchus, où l'on devait forcément retrouver une statue de la déesse, peut-être même une identique à celle du Capitole.
La « Vénus
capitoline » est un type statuaire de marbre qui fait 1,93 m de haut, représentant
la déesse de la séduction et de la beauté sortant de son bain et cachant
pudiquement et voluptueusement ses attributs féminins. L’œuvre originelle est attribuée à Praxitèle et date du IVe siècle
avant JC. Elle a donné naissance à une centaine de copies. La Capitoline fut
découverte vers 1667 dans des jardins privés à proximité de la basilique San Vitale,
située à une centaine de kilomètres de Florence. C’est un pape svp, Benoit XIV, chef de l’Eglise catholique romaine, qui
l’achète en 1752, pour la confier aux musées du Capitole. Ironie de l’histoire,
264 ans plus tard, au passage d’un mortel
pudibond dans la ville éternelle, un mortel cupide a couvert la Vénus éternelle,
oubliant que les mots ont un sens, « les mortels » sont mortels et « les
éternels » restent éternels.
Temple de Vénus à Baalbek (Liban) |
Comme beaucoup l’ont oublié, il est utile
de rappeler cette anecdote, surtout à l’occasion du
passage d’Hassan Rohani en France. En
novembre dernier, lors de la préparation de cette visite qui devait avoir
lieu au cours du mois, il était prévu d’organiser un déjeuner au palais de l’Elysée. Mais,
à la surprise générale, le président de la République islamique d’Iran,
présenté jusqu’alors comme un « réformateur », avait exigé de son hôte, alors qu’il était invité svp, un menu halal et de supprimer le vin du
menu. François Hollande avait refusé
de céder à ce chantage car le breuvage divin de Bacchus fait partie des
traditions culinaires et républicaines de la France. Le président français a
alors proposé de retrouver son homologue iranien à un petit déjeuner royal. Offusqué,
Rohani a décliné la proposition, jugée d’une honorabilité moindre et douteuse.
Quelques jours après, il y a eu les attaques terroristes parisiennes et la visite
fut reportée. Aujourd’hui Hassan Rohani
est en France. On parle de l’achat de 114 Airbus. Mais, il n’y aura pas de vin
au menu, car il n’y aura pas de repas, et vice versa ! Tant
mieux. A ce propos, ne faisant pas les choses à moitié, en Italie, on n’a
pas eu la moindre hésitation pour supprimer le vin des menus officiels, et ce n'est pas la première fois, alors qu'en France du vin a bel et bien été servi au palais de l'Elysée à des convives non musulmans en présence du prince héritier d'Arabie saoudite et de l'émir du Qatar. Tenez, et puisqu’on parle de culture, de nu et de vin, rappelons dans ce contexte la détermination du ministère iranien de la
Culture, affirmée il y a seulement quelques jours, de bannir même l’usage du mot « vin » des livres publiés en
Iran, ainsi que toute allusion à la « masturbation », masculine
ou féminine. « Lorsque de nouveaux
livres nous sont soumis, les fonctionnaires du ministère vérifient page par
page qu’ils ne nécessitent pas de modifications rédactionnelles au regard des
principes de la Révolution islamique, afin de faire face efficacement à l’assaut
culturel de l’Occident ». Allez Matteo et les autres, à vos frocs, prêts,
partez.
Vue aérienne de Baalbek (Liban), où l’on voit les
vestiges de trois temples d’Héliopolis, dédiés à Jupiter, Bacchus et Vénus. Photo : Yann Arthus-Bertrand |
Toujours est-il que si la culture et la sensibilité iraniennes exigent de bannir le vin à
table et de cacher certaines œuvres d’art antiques, immortalisant de
grandes civilisations occidentales et orientales, et que le pouvoir souverain italien abdique sans état d’âme, quelles
qu’en soient les raisons dans les deux cas, nous sommes forcés d’admettre que Daech a des raisons solides et valides
de faire de même, d’interdire le vin sur les territoires qu’il contrôle et
de détruire l’héritage culturel non-islamique de la Syrie et de l’Irak, à
Palmyre comme à Mossoul. Par cette décision,
le président du Conseil italien justifie indirectement « la politique culturelle »
de Daech d’aujourd’hui et des Talibans d’hier. Mais enfin, mettons-nous à
leur place : à quoi bon de garder ce
que l’on ne peut pas regarder ? Par sa décision, Matteo Renzi signifie
urbi et orbi, que des œuvres d’art telles que la Vénus capitoline ne devraient
pas être regardées par certains. Alors, à quoi peut bien servir que « certains »
les gardent ? C'est élémentaire mon cher Watson. Et non moins crétin sur tous les tableaux.
Post-scriptum 1
Le
pape François et Hassan Rohani posant devant la peinture de trois femmes nues ?
Une personne friande de théories du complot, toute sûre et
contente d'elle, avait mis sur mon mur une
photo du pape François et d’Hassan Rohani, posant devant la peinture de trois
créatures nues. La photo circulait d'ailleurs depuis quelques jours sur
internet. Je l’avais déjà repéré. Notre visiteuse a dû ricaner en me prévenant
qu’il fallait être un peu « ballot » pour croire au scandale de la Vénus
capitoline, impliquant le président du Conseil d'Italie et le président de la
République islamique d’Iran, et même, pour rédiger un article sur le sujet. Et
comme pied de nez, elle m’apporta donc la preuve ultime que les deux hommes
étaient au-dessus de tout cela, n’hésitant même pas à poser devant ces nues,
avec un petit sourire svp. Je fus obligé de préciser à cette dame, qu’étaient surement ballots et simplets, ceux
et celles qui prendraient ce faux pour un vrai. Aussitôt, elle a tout
effacé et elle s’est volatilisée dans la galaxie d’internet.
Difficile
de savoir qui a créé ce photomontage et surtout, pourquoi. Pour alimenter la
théorie du complot, comme on l’a vu. Pour rire aussi. Mais, pas seulement. Pour
ridiculiser les deux religieux, notamment le Saint-Siège. Mais, pas uniquement.
Pour remplacer la représentation du dogme fondateur du christianisme, devant laquelle
tous les visiteurs du Vatican sont contraints de se photographier s’ils veulent
être pris avec le pape, par celle de trois femmes bien en chair. A ce propos, je
me suis dit, tant qu'on y baigne dans la culture, autant profiter de cette
belle occasion que notre visiteuse nous donne, pour découvrir deux magnifiques
œuvres d'art :
1. «
Les Trois Grâces » de Rubens (peintre néerlandais), un tableau peint en 1639, représentant trois créatures
baroques et opulentes, voluptueuses mais pudiques, qui sont au service de Vénus
l'éternel justement, que deux mortels ont voulu cacher. Il est conservé au musée du Prado à Madrid.
2. «
La Résurrection de (l’église) San Francesco al Prato » de Pérugin (peintre
italien de la Renaissance), un splendide tableau peint en 1499, càd il y a 517 ans, on venait à peine de découvrir
l'Amérique, représentant la Résurrection de Jésus-Christ. Il est conservé dans
la non moins splendide bibliothèque
privée du pape, à la cité du Vatican dans la Rome éternelle.
Allez, longue vie aux comploteurs, ils nous
feront toujours bien marrer. Et santé à toutes et à tous !
Post-scriptum 2
Qui était à l’origine de l’idée grotesque de voiler la « Vénus
capitoline » et ses friends ?
Voyons un peu. D’un côté, on un ministre
italien de la Culture qui estime « incompréhensible »
de couvrir les statues et de l’autre côté, un président iranien de la
République qui assure « n'avoir eu
aucun contact au préalable avec les autorités italiennes à ce sujet »,
mais que « les Italiens sont très
hospitaliers, un peuple qui cherche à rendre le séjour de ses invités le plus
agréable possible ». C'est c'là oui, et l'Orient c'est par où s'il vous plaît ? Mais enfin, ils ne vont pas mettre ça sur le dos de l'ange Gabriel ?
Bon, voyons un peu plus. D’un
côté, on nous assure que ni le chef du gouvernement ni le ministre de la
Culture ni le maire de Rome, n'avaient été informés de la démarche. Et de l’autre
côté, on nous explique pourtant que « l'excès de zèle » viendrait du bureau
de l'Etat en charge du protocole lors de l'accueil des hôtes étrangers, sans
préciser quand même, que le dit bureau dépend de la présidence du Conseil, donc
des services de Matteo Renzi himself, qui a surement été consulté sachant que Hassan Rohani n’est pas un hôte étranger ordinaire et que le programme de sa visite a été minutieuse étudié, conjointement par l'Italie et l'Iran. En effet, le quotidien italien Corriere della sera affirme que lors d'une inspection préalable des lieux, la délégation iranienne fut choquée par certaines oeuvres d'art, et c'est bien cela qui a amené les autorités italiennes à décider de les couvrir à la hâte.
Toujours est-il que dans le ridicule qui fait rentrer illico presto dans le Panthéon moderne des sans-culottes, il y a la dernière déclaration du président du Conseil italien, qui en a remis
une couche, en annonçant après la visite privée des superbes caissons
de bois des musées du Capitole, que l’Italie et l’Iran sont « deux superpuissances de la beauté et
de la culture ». C’est c’là oui, pour cette raison l’une a caché la Vénus capitoline et ses friends et l’autre
ne voulait pas voir ni Vénus ni ses friends. Allez, disons que Matteo Renzi ne représente pas plus l'Italie que Hassan Rohani ne représente la Perse. Comme on a commencé par le théâtre français, terminons si vous voulez bien par le théâtre italien. Dans ce scandale des temps modernes, l’improvisation
des acteurs politiques italiens et iraniens est digne d’une délicieuse commedia dell'arte, « le
genre de théâtre populaire où des acteurs masqués improvisent des comédies
marquées par la naïveté, la ruse et l'ingéniosité ». Mais de nos jours l'ingéniosité, est souvent remplacée par le crétinisme. Rideau !