jeudi 28 janvier 2016

Vénus se retourne au Panthéon, en voyant l’Italie se ridiculiser, et Bacchus se délecte de la résistance de la France. La visite d’Hassan Rohani en Europe (Art.334)


Il lui tendit un mouchoir et lui dit : « Couvrez ce sein que je ne saurais voir. Par de pareils objets les âmes sont blessées et cela fait venir de coupables pensées. » C’est par cette réplique hypocrite mais non moins véridique, que Le Tartuffe ou L’Imposteur, s’adressa à Dorine, la dame de compagnie de Marianne. En décidant de couvrir certaines statues dénudées des musées du Capitole par des caissons de bois, à l’occasion de la visite du président iranien Hassan Rohani à Rome, afin de « respecter la culture et la sensibilité iraniennes », les autorités italiennes se sont couvertes de ridicule, tout comme le dévot de Molière. On a beau cherché des propos compréhensifs, la condamnation des médias italiens et occidentaux est unanime.

Personne ne demandait au président du Conseil italien de coincer son homologue iranien, diplômé de droit d’une université de Glasgow, sur les violations des droits de l’homme en Iran ou sur l’exécution de plusieurs centaines de personnes l’année dernière. On ne lui demandait pas non plus de tenter de savoir pourquoi l’Iran est le seul pays au monde géré encore en 2016 et depuis 37 ans, par un régime théocratique. On ne voulait même pas que le jeune florentin exige du vieux mollah de laisser sa soutane au vestiaire avant de rentrer dans ce temple de la culture occidentale. Mais bon, que ne ferait-on pas pour 17 milliards d’euros de contrats ? Beaucoup sans doute, mais en gardant le minimum syndical de dignité, rien que pour l’honneur de son pays, ainsi que pour l’histoire et la civilisation qu’il représente.

Matteo Renzi, président du Conseil italien, prononçant
un discours historique dans la salle des Horaces et des
Curiaces du Capitole à Rome, le 24 novembre 2015

Peu de temps après les attaques terroristes odieuses du 13-Novembre, qui visaient une société occidentale et son mode de vie, le président du Conseil italien avait prononcé un discours historique de la splendide salle des Horaces et des Curiaces du Capitole, là où la Communauté européenne avait vu le jour. Ce jour-là, il a annoncé une série de mesures dans le cadre ce qu’il a appelé « Italie, Europe : une réponse à la terreur ». Bien que solidaire de la France, Matteo Renzi avait pris ses distances avec le va-t-en-guerre François Hollande. Pourquoi pas. Le jeune homme de 41 ans voulait se distinguer. Il avait même réussi. Son discours était à la fois audacieux et ambitieux, quoiqu’il s’est avéré être un peu naïf sur les bords. Le chef du gouvernement italien proposait d’utiliser la culture aussi, pour combattre le djihadisme, en prévoyant entre autres, un pass culturel d’une valeur de 500 €, à tout jeune italien de 18 ans. « La pensée de l’Italie, qui résonne fortement à travers l’Europe et le monde, est la suivante: pour chaque euro supplémentaire investi dans la sécurité, il faut un euro de plus investi dans la culture... Il faut se souvenir qui nous sommes et donc investir dans l'innovation, la culture, le sport. » C’est fabuleux. Sur sa lancée, il défendra inébranlablement son attachement à la culture. Les Italiens l’ont même cru : « La réponse que l'Italie devrait leur donner (aux terroristes) est très simple : nous ne changerons jamais notre façon de vivre. Nous ne renoncerons pas à nos valeurs... Il y a des siècles d'histoire dans cette salle, dans ce palais, dans cette ville, dans ce pays... Il y a des siècles d'histoire qui crient à haute voix que la culture est plus forte que l'ignorance. » Eh bien, il devrait se relire ! Pas de doute, celui qui a décidé de voiler la « Vénus capitoline » n’est pas le même que celui qui a écrit le discours du Capitole. « Quand ils ont signé l'acte de naissance (de l’Union européenne), les hommes d'Etat européens étaient à l'époque des visionnaires. Aujourd'hui, l'Europe a besoin de se rappeler ce qu'elle était née. » Matteo Renzi aussi !

Au siège de la mairie de la ville éternelle, le 24 novembre de l’an de grâce 2016, le président du Conseil italien déclara solennellement : « Ils (les djihadistes) détruisent les statues, nous voulons les casques bleus de la culture. Ils brûlent les livres, nous ouvrons des bibliothèques. Ils imaginent la terreur, nous répondons avec la culture. » Mais enfin, « je vous demande de vous arrêter », comme disait Balladur. D’arrêter de rire ! Eh oui, heureusement le ridicule ne tue pas, sinon, Matteo Renzi aurait rejoint le Panthéon moderne des sans-culottes, au sens péjoratif et propre du terme, ceux qui n’hésitent pas à se déculotter pour parvenir à leurs fins. 

La « Vénus capitoline » aux musées du Capitole.
Crédits photos : David Jones (G) et Alik Sumin (D)

La plus célèbre victime de la cupidité italienne et de la pudibonderie iranienne, est une majestueuse statue de Vénus, la déesse de l'amour dans la mythologie romaine, fille de Jupiter et mère de Cupidon. Un temple lui était dédié sur le site gréco-romano-phénicien d'Héliopolis (Baalbek, Liban), non loin des sanctuaires de Jupiter et de Bacchus, où l'on devait forcément retrouver une statue de la déesse, peut-être même une identique à celle du Capitole
Temple de Vénus à Baalbek (Liban)
La « Vénus capitoline » est un type statuaire de marbre qui fait 1,93 m de haut, représentant la déesse de la séduction et de la beauté sortant de son bain et cachant pudiquement et voluptueusement ses attributs féminins. L’œuvre originelle est attribuée à Praxitèle et date du IVe siècle avant JC. Elle a donné naissance à une centaine de copies. La Capitoline fut découverte vers 1667 dans des jardins privés à proximité de la basilique San Vitale, située à une centaine de kilomètres de Florence. C’est un pape svp, Benoit XIV, chef de l’Eglise catholique romaine, qui l’achète en 1752, pour la confier aux musées du Capitole. Ironie de l’histoire, 264 ans plus tard, au passage d’un mortel pudibond dans la ville éternelle, un mortel cupide a couvert la Vénus éternelle, oubliant que les mots ont un sens, « les mortels » sont mortels et « les éternels » restent éternels.

Comme beaucoup l’ont oublié, il est utile de rappeler cette anecdote, surtout à l’occasion du passage d’Hassan Rohani en France. En novembre dernier, lors de la préparation de cette visite qui devait avoir lieu au cours du mois, il était prévu d’organiser un déjeuner au palais de l’Elysée. Mais, à la surprise générale, le président de la République islamique d’Iran, présenté jusqu’alors comme un « réformateur », avait exigé de son hôte, alors qu’il était invité svp, un menu halal et de supprimer le vin du menu. François Hollande avait refusé de céder à ce chantage car le breuvage divin de Bacchus fait partie des traditions culinaires et républicaines de la France. Le président français a alors proposé de retrouver son homologue iranien à un petit déjeuner royal. Offusqué, Rohani a décliné la proposition, jugée d’une honorabilité moindre et douteuse. Quelques jours après, il y a eu les attaques terroristes parisiennes et la visite fut reportée. Aujourd’hui Hassan Rohani est en France. On parle de l’achat de 114 Airbus. Mais, il n’y aura pas de vin au menu, car il n’y aura pas de repas, et vice versa ! Tant mieux. A ce propos, ne faisant pas les choses à moitié, en Italie, on n’a pas eu la moindre hésitation pour supprimer le vin des menus officiels, et ce n'est pas la première fois, alors qu'en France du vin a bel et bien été servi au palais de l'Elysée à des convives non musulmans en présence du prince héritier d'Arabie saoudite et de l'émir du Qatar. Tenez, et puisqu’on parle de culture, de nu et de vin, rappelons dans ce contexte la détermination du ministère iranien de la Culture, affirmée il y a seulement quelques jours, de bannir même l’usage du mot « vin » des livres publiés en Iran, ainsi que toute allusion à la « masturbation », masculine ou féminine. « Lorsque de nouveaux livres nous sont soumis, les fonctionnaires du ministère vérifient page par page qu’ils ne nécessitent pas de modifications rédactionnelles au regard des principes de la Révolution islamique, afin de faire face efficacement à l’assaut culturel de l’Occident ». Allez Matteo et les autres, à vos frocs, prêts, partez.

Vue aérienne de Baalbek (Liban), où l’on voit les
vestiges de trois temples d’Héliopolis, dédiés à Jupiter,
Bacchus et Vénus. Photo : Yann Arthus-Bertrand

Nous ne pouvons que nous réjouir que la République islamique (chiite) d’Iran ne soit plus au ban des nations après la signature de l’accord sur ses activités nucléaires. Mais, au moment où une coalition occidentale et arabe est engagée dans une guerre contre l’Etat islamique (sunnite) en Irak et au Levant, ces remous protocolaires ne sont pas de bon augure. Beaucoup de gens au Moyen-Orient s’interrogent sur la politique de l’Iran maintenant que le régime des mollahs bénéficiera d’une manne financière inestimable de 32 milliards de dollars, rien que pour les avoirs débloqués. Alors, ces nouveaux flux financiers, obtenus après la levée des sanctions imposées par les pays occidentaux, serviront-ils à améliorer les conditions de vie des Iraniens ou à développer davantage cette politique d’ingérence persane dans les affaires arabes, observée en Irak, en Syrie, au Yémen, au Bahrein et au Liban ? Dans ce dernier cas de figure, on aimerait bien savoir aussi, est-ce que la signature de mirifiques contrats économiques avec des pays occidentaux, garantira le silence complice de ces derniers ? Plus précisément, on s’interroge sur ce que François Hollande et Matteo Renzi, ont bien pu dire à Hassan Rohani, sachant que depuis plus de 20 mois, l'Iran bloque via le Hezbollah, l’élection présidentielle libanaise. Pas grand-chose, a priori, sachant que le président français a trouvé du temps à perdre en appelant un jour du mois de décembre un candidat à la présidence libanaise de petite envergure comme Sleimane Frangié pour « faire le point concernant les développements sur les scènes nationale et régionale » et que le président italien a eu l’idée incongrue de voiler la Vénus capitoline pour les beaux yeux du président iranien, afin de renflouer les caisses de l’Etat. Encore des signes de très mauvais augure.

Toujours est-il que si la culture et la sensibilité iraniennes exigent de bannir le vin à table et de cacher certaines œuvres d’art antiques, immortalisant de grandes civilisations occidentales et orientales, et que le pouvoir souverain italien abdique sans état d’âme, quelles qu’en soient les raisons dans les deux cas, nous sommes forcés d’admettre que Daech a des raisons solides et valides de faire de même, d’interdire le vin sur les territoires qu’il contrôle et de détruire l’héritage culturel non-islamique de la Syrie et de l’Irak, à Palmyre comme à Mossoul. Par cette décision, le président du Conseil italien justifie indirectement « la politique culturelle » de Daech d’aujourd’hui et des Talibans d’hier. Mais enfin, mettons-nous à leur place : à quoi bon de garder ce que l’on ne peut pas regarder ? Par sa décision, Matteo Renzi signifie urbi et orbi, que des œuvres d’art telles que la Vénus capitoline ne devraient pas être regardées par certains. Alors, à quoi peut bien servir que « certains » les gardent ? C'est élémentaire mon cher Watson. Et non moins crétin sur tous les tableaux.


Post-scriptum 1
Le pape François et Hassan Rohani posant devant la peinture de trois femmes nues ?


Une personne friande de théories du complot, toute sûre et contente d'elle, avait mis sur mon mur une photo du pape François et d’Hassan Rohani, posant devant la peinture de trois créatures nues. La photo circulait d'ailleurs depuis quelques jours sur internet. Je l’avais déjà repéré. Notre visiteuse a dû ricaner en me prévenant qu’il fallait être un peu « ballot » pour croire au scandale de la Vénus capitoline, impliquant le président du Conseil d'Italie et le président de la République islamique d’Iran, et même, pour rédiger un article sur le sujet. Et comme pied de nez, elle m’apporta donc la preuve ultime que les deux hommes étaient au-dessus de tout cela, n’hésitant même pas à poser devant ces nues, avec un petit sourire svp. Je fus obligé de préciser à cette dame, qu’étaient surement ballots et simplets, ceux et celles qui prendraient ce faux pour un vrai. Aussitôt, elle a tout effacé et elle s’est volatilisée dans la galaxie d’internet.

Difficile de savoir qui a créé ce photomontage et surtout, pourquoi. Pour alimenter la théorie du complot, comme on l’a vu. Pour rire aussi. Mais, pas seulement. Pour ridiculiser les deux religieux, notamment le Saint-Siège. Mais, pas uniquement. Pour remplacer la représentation du dogme fondateur du christianisme, devant laquelle tous les visiteurs du Vatican sont contraints de se photographier s’ils veulent être pris avec le pape, par celle de trois femmes bien en chair. A ce propos, je me suis dit, tant qu'on y baigne dans la culture, autant profiter de cette belle occasion que notre visiteuse nous donne, pour découvrir deux magnifiques œuvres d'art :

1. « Les Trois Grâces » de Rubens (peintre néerlandais), un tableau peint en 1639, représentant trois créatures baroques et opulentes, voluptueuses mais pudiques, qui sont au service de Vénus l'éternel justement, que deux mortels ont voulu cacher. Il est conservé au musée du Prado à Madrid.

2. « La Résurrection de (l’église) San Francesco al Prato » de Pérugin (peintre italien de la Renaissance), un splendide tableau peint en 1499, càd il y a 517 ans, on venait à peine de découvrir l'Amérique, représentant la Résurrection de Jésus-Christ. Il est conservé dans la non moins splendide bibliothèque privée du pape, à la cité du Vatican dans la Rome éternelle.

Allez, longue vie aux comploteurs, ils nous feront toujours bien marrer. Et santé à toutes et à tous !


Post-scriptum 2
Qui était à l’origine de l’idée grotesque de voiler la « Vénus capitoline » et ses friends ?

Voyons un peu. D’un côté, on un ministre italien de la Culture qui estime « incompréhensible » de couvrir les statues et de l’autre côté, un président iranien de la République qui assure « n'avoir eu aucun contact au préalable avec les autorités italiennes à ce sujet », mais que « les Italiens sont très hospitaliers, un peuple qui cherche à rendre le séjour de ses invités le plus agréable possible ». C'est c'là oui, et l'Orient c'est par où s'il vous plaît ? Mais enfin, ils ne vont pas mettre ça sur le dos de l'ange Gabriel ? 

Bon, voyons un peu plus. D’un côté, on nous assure que ni le chef du gouvernement ni le ministre de la Culture ni le maire de Rome, n'avaient été informés de la démarche. Et de l’autre côté, on nous explique pourtant que « l'excès de zèle » viendrait du bureau de l'Etat en charge du protocole lors de l'accueil des hôtes étrangers, sans préciser quand même, que le dit bureau dépend de la présidence du Conseil, donc des services de Matteo Renzi himself, qui a surement été consulté sachant que Hassan Rohani n’est pas un hôte étranger ordinaire et que le programme de sa visite a été minutieuse étudié, conjointement par l'Italie et l'Iran. En effet, le quotidien italien Corriere della sera affirme que lors d'une inspection préalable des lieux, la délégation iranienne fut choquée par certaines oeuvres d'art, et c'est bien cela qui a amené les autorités italiennes à décider de les couvrir à la hâte.

Toujours est-il que dans le ridicule qui fait rentrer illico presto dans le Panthéon moderne des sans-culottes, il y a la dernière déclaration du président du Conseil italien, qui en a remis une couche, en annonçant après la visite privée des superbes caissons de bois des musées du Capitole, que l’Italie et l’Iran sont « deux superpuissances de la beauté et de la culture ». C’est c’là oui, pour cette raison l’une a caché la Vénus capitoline et ses friends et l’autre ne voulait pas voir ni Vénus ni ses friends. Allez, disons que Matteo Renzi ne représente pas plus l'Italie que Hassan Rohani ne représente la Perse. Comme on a commencé par le théâtre français, terminons si vous voulez bien par le théâtre italien. Dans ce scandale des temps modernes, l’improvisation des acteurs politiques italiens et iraniens est digne d’une délicieuse commedia dell'arte, « le genre de théâtre populaire où des acteurs masqués improvisent des comédies marquées par la naïveté, la ruse et l'ingéniosité ». Mais de nos jours l'ingéniosité, est souvent remplacée par le crétinisme. Rideau !