Comme l’enseignait un grand professeur de
médecine français plein d’humour, face aux personnes enrhumées, il y a deux grandes stratégies médicales à suivre. « Avec des médicaments, la maladie
guérit en une semaine. Sans médicament, elle passe en sept jours. Laissez toujours les patients choisir, il y va de votre succès thérapeutique ! » Ah, si ça pouvait être aussi le cas pour nous
autres patients du Liban, enlisés dans la crise des déchets, la maladie dans
cet exemple, les hommes politiques et la société civile, étant dans ce cas, les
médicaments censés traiter notre maladie.
"River of Trash" (rivière de déchets), Beyrouth, Liban Photo : Mohammed Tawfeeq, CNN (25 février 2016) |
Mettons-nous d’accord, pour ce qui est de l’incompétence et de l’irresponsabilité des hommes politiques libanais, haddiss bel 7araj. On en parle depuis la nuit des temps et on en parlera jusqu’à la fin des temps. Faire une vidéo, par les temps qui courent, pour promouvoir le tourisme au Liban, est une idée saugrenue. C’est gaspiller l’argent public ! Mais bon, si chacun faisait son métier au Liban, les vaches libanaises seraient bien gardées. C’est ce qu’on attend d’un ministère du Tourisme, même dans le cadre d’une mission impossible. Cette administration n’est pas censée élire le 13e président de la République, améliorer les conditions de vie des Libanais, assurer la sécurité des citoyens, ramener l’électricité et l’eau 24h/24, lutter contre l’enlaidissement de Beyrouth par la poussée des tours, freiner la gentrification de la capitale, arrêter la mutilation des arbres des trottoirs, relever le pouvoir d’achat, protéger les plus démunis, sauvegarder la faune et la flore du pays du Cèdre, et j’en passe et des meilleures. Encore moins de s’attaquer à la crise des déchets. Pour remplir sa tâche, le ministère a donc décidé de faire le clip touristique « Rise Above Lebanon » (Monter au-dessus du Liban). Sur une musique entrainante et planante, défilent de belles images du pays du Cèdre vu du ciel : de la réserve de Jabal Moussa au Mont-Liban, d’Ain Zhalta dans le Sud-Liban, des ruines phéniciennes d’Anfeh, du village de Deir el-Amar, des temples de Zeus à Faqra et de Bacchus à Baalbek. On y voit également des forêts, des montagnes, des concerts, des clins d’oeil à la cohabitation islamo-chrétienne et des feux d’artifice, mais aussi, des images de Beyrouth, Jounieh, Beiteddine, Byblos, Saïda, Jezzine et Tyr, des lacs de Chouwen et de Qaraoun, de l’île aux lapins de Tripoli et de la vallée de la Bekaa. Même s’il ne s’agit que de clichés, c’est beau et ça fait du bien. On peut regretter tout de même le défilé brut des images (sans aucune mention !), l’absence du Cèdre (l’emblème du Liban !) et le zapping de la gastronomie libanaise (une des meilleures au monde ; le seul patrimoine qui nous reste !). Il n’empêche que le clip est une belle réussite.
Oui mais « Tol3et Re7etkom » a voulu s’en mêler. Ou disons plus exactement,
ce clip touristique a inspiré à ces militants de la société civile, une parodie
sur les déchets « Rise Above Lebanon’s Political Garbage » (Monter au-dessus des déchets politiques du
Liban), qui reprend une idée de la chaine CNN (photo de couverture de
Mohammed Tawfeeq). Au lieu de voir l’eau turquoise serpentée dans une forêt, vous
verrez les ordures stagnées dans un paysage urbain. Pourquoi pas, sauf que les
dirigeants de ce mouvement ne semblent rien apprendre avec le temps. On dirait,
amateurs un jour, amateurs toujours. Le malheur de « Tol3et Re7etkom »,
c’est qu’il aurait pu exercer une
pression productive dans la crise des déchets, si ses dirigeants ne s’étaient pas montrés aussi irresponsables que les politiques qu’ils ne cessent de dénoncer. Parodier,
admettons. Méconnaitre le rôle du ministère du Tourisme, passons encore. Violer les droits d’auteur et induire en
erreur, mais c’est complétement illégal ! La parodie utilise le logo
du ministère, ainsi que le titre et la musique du clip, comme si de rien
n’était. La première fois que je suis tombé sur la parodie, je n’avais pas encore
vu le clip touristique, j’ai cru que le
ministère du Tourisme s’était associé à Tol3et Re7etkom, officiellement
et scandaleusement ! Mais bon, ceux qui
ont eu recours à la violence pour parvenir à leurs fins, en attaquant les
forces de police, en occupant les locaux du ministère de l’Environnement et en forçant
les barbelés du Sérail et du Parlement, et qui ont par ailleurs des réclamations
politiques chaotiques et décousues, n’allaient quand même pas se soucier beaucoup
des droits d’auteur.
Sur le fond, c’est encore pire. « Leur corruption nous tue. La décision
est entre nos mains tous. La soumission
et le silence ? Ou l’affrontement. Le dernier avertissement,
samedi 12 mars, à 16h, place Sassine, Achrafieh » Si en forgeant qu'on devient forgeron, il n’y a pas de doute, c'est en parlant la langue
de bois qu'on devient politicien, et c'est en lançant des batailles
contre des moulins à vent qu'on se donquichottise ! En huit mois de crise, ce collectif, pas plus que le gouvernement qu’il
dénonce, n’a jugé utile de donner des conseils précis et des idées ingénieuses à
la population libanaise, afin de circonscrire l’amoncellement des déchets à
Beyrouth et au Mont-Liban. Mais pour lancer des ultimatums, ils sont très forts les gars ! Ah mais le clip-trash c’est pour dénoncer la schizophrénie
du ministère du Tourisme qui a filmé le « beau Liban », évitant
soigneusement de montrer le « Liban laid ». Wallah ! Ils filment ces monticules d’ordures comme
si ce n’était pas les leurs et comme s’ils n’étaient pas eux aussi responsables
de ce désastre, directement et indirectement.
Je le dis depuis le 1er jour, la fermeture de la décharge de Naamé,
sous la pression de Walid Joumblatt, de quelques centaines de personnes des
environs et de quelques dizaines d’écolos déconnectés de la réalité, fut une très
grave erreur aux conséquences désastreuses pour l’ensemble de la population
libanaise. Le maintien de cette
fermeture, sous la pression de divers acteurs et d'intérêts, des hommes politiques et de la société
civile, dont « Tol3et Re7etkom », fut aussi une très grave erreur
aux conséquences désastreuses pour l’ensemble de la population libanaise. Les tergiversations du gouvernement
incompétent de Tammam Salam, fut également une très grave erreur aux conséquences
désastreuses pour l’ensemble de la population libanaise.
Pas la peine de tourner en rond encore huit
mois, autour de projets délirants tels que « l'exportation » ou la « production électrique », et des slogans creux et puérils du genre « c’est la soumission ou
l’affrontement » et « c’est le dernier avertissement », qui se soucie de ce scandale doit exiger du
Conseil des ministres qu’il reconduise immédiatement la société Sukleen, en charge de la
gestion des déchets depuis les années 1990, et qu’il ordonne illico presto la réouverture de la décharge de Naamé et
sa mise sous la protection de l’armée libanaise, dans l’intérêt de
l’ensemble de la population libanaise de Beyrouth et du Mont-Liban, jusqu’à nouvel
ordre, la mise en œuvre d’un plan B pour une gestion responsable des déchets. Il n’y
a pas de choix.
Exporter les déchets, était un projet
délirant, depuis le début. Faire de l’électricité à partir des ordures, est un
projet théorique, inadapté et polluant. Il faut peut-être tacher de ne pas
oublier qu’entre autochtones et réfugiés (syriens et palestiniens), nous sommes actuellement, parmi les grands
pays, le territoire le plus dense au monde après le Bangladesh. Quelle que
soit la solution adoptée, une bonne
gestion des déchets passe obligatoirement par trois niveaux d’action :
- Le niveau 1 exige une réduction draconienne du volume des déchets produits.
- Le niveau 2 impose un tri sévère des ordures ménagères.
- Le niveau 3 nécessite le recyclage systématique de tout ce qui
peut l’être.
« Réduire,
trier et recycler », c’est la seule combinaison gagnante. Elle est
incontournable. Cessons de caresser les gens dans le sens du poil comme le fait
« Tol3et Re7etkom » avec beaucoup de populisme. Tout n’est pas la faute de l’Etat
libanais. Réduire la production de nos déchets, grâce à un changement radical des modes de consommation et de vie est vital,
surtout que les Libanais sont loin, très loin, d’être un modèle écologique.
Même les gestes les plus élémentaires ne sont pas encore adoptés par la
population libanaise en 2016 ! Il n’y a qu’à s’installer devant les
caisses d’un hypermarché pour s’apercevoir que peu de gens font leurs courses
avec des cabas réutilisables. Alors le « dernier
avertissement », c’est à la population libanaise qu’il faut le lancer :
sans une réduction du volume des ordures ménagères, nous serons submergés par
nos déchets et la pollution. Installer
un système de collecte-collectif des produits à recycler, un point de tri par
rue ou par zone, est plus simple à mettre en place et moins couteux, qu’un
système de collecte à domicile. On n’est pas mieux que les Suisses, on peut
porter nos déchets jusqu’aux points de tri ! Snobisme et écologie sont incompatibles.
Des usines de recyclage existent au
Liban. Elles sont artisanales. Il suffit
de les alimenter, de les encourager et de les développer. Les individus
interviennent aux niveaux 1 et 2. Les municipalités, aux niveaux 2 et 3. Les organisations
privées et l’Etat aux niveaux 1, 2 et 3.
Et comme si on n'en avait pas assez, voilà que le quotidien britannique, The Guardian, s'en mêle aussi, et se propose de faire une synthèse entre le clip-touristique et le clip-trash. Toujours est-il qu'en attendant que l’Etat libanais sorte de
sa léthargie, et que les élections
législatives (normalement avant juin 2017) et municipales (normalement dans quelques mois), permettent à la nation de se débarrasser
de ses incompétents représentants, kelloun
ye3né kelloun, tous sans exception, la
solution à la crise des déchets est à la portée des municipalités libanaises,
avec peu de frais (si elles cessent de gaspiller l’argent des contribuables sur
des projets sans grand intérêt !), et
des individus, avec beaucoup d’efforts (comme l’usage des sacs, des cabas
et des récipients réutilisables pour les produits emballés comme pour les
produits frais, l’installation d’un compost et même, l’élevage de poules pour
les aventuriers ; eh oui, il faut savoir ce qu’on veut !). Je l’ai développé dans les trois longs articles
que j’ai consacrés à ce scandale. Tout ce qui est en dehors de ça, n’est
que palabres, amateurisme et prolongement de la crise. Au mieux, son report.
Réf.
Trois articles sur la « CRISE DES DÉCHETS »
au Liban: comment nous en sommes arrivés là, les responsabilités et comment
s'en sortir.
Un article pour comprendre comment nous en
sommes arrivés là au Liban et découvrir quelques pistes réalistes pour s’en
sortir.
Un article qui établit la liste des
responsabilités dans la crise des déchets au Liban, d’une manière
chronologique, et explique aux Libanais pourquoi depuis la mi-juillet la
situation va de mal en pis.
Cet article dresse un ensemble de mesures
faciles à mettre en œuvre, sans attendre l’Etat, mais qui constituent
néanmoins, une révolution des modes de consommation. C’est valable pour le
Liban, où la crise des déchets est aigüe, mais aussi pour le reste du monde où
la crise des ordures est latente. Ces mesures dépendent des individus, des
municipalités et des Etats. Elles visent à donner des idées pratiques pour
résoudre la crise des déchets au Liban d’une manière intelligente, rendre les
individus au Liban et dans le monde plus écologiques, aider les habitants de la
Terre à aller vers le noble objectif de « zéro poubelle », préserver les
ressources de la Planète bleue et lutter efficacement contre la pollution et le
réchauffement climatique de cette belle perle de l'Univers.