Commençons par le commencement. A l’origine
de la présente affaire, une disposition archaïque de la législation libanaise, l’article 522, portant sur le viol. Sous
le coup d’une baguette judiciaire magique, un violeur au Liban peut être
blanchi de son crime s’il se marie avec sa victime. Eh oui, c’est aussi simple
que ça. Il fallait l’imaginer, le Liban l’a fait et il n’est pas le seul pays au
monde à l'avoir fait.
Toujours est-il qu’à l’occasion d’une table
ronde organisée le 7 septembre par l’association Rassemblement démocratique de la femme libanaise, sur une proposition de loi pour abolir l'article de
la honte (présentée par Elie Keyrouz, le député du parti des Forces
libanaises), le dénommé Elie Marouni déclare texto : « Il y a des fois et dans
certains lieux, (il faut savoir) quel est le rôle de la femme, qui conduit
l’homme à la violer ». Cette déclaration provoque un tollé sur les
réseaux sociaux. Et pourtant, circonstances atténuantes, le député était à ce précis
du débat en mode improvisation. Le plus
grave a été dit avant. A un moment de la discussion, Elie Marouni met des
lunettes de vue sur le nez, prends une feuille entre les mains et se met à lire
: « Concernant
l’article 522, il faut travailler pour le développer et non pour le
supprimer... cet article s’inscrit dans le contexte nécessaire pour tenter de
concilier la victime et le criminel, tout en gardant les droits de la
société ». Manifestement,
le député de la nation ne sait absolument pas de quoi il parle. Le texte étant
écrit au préalable, il était donc murement réfléchi, les propos sont par conséquent,
encore plus consternants.
Pour montrer sa maitrise du dossier, Elie
Marouni, avocat à ses heures perdues, explique que « la femme libanaise a le privilège de pouvoir refuser d'épouser
son violeur, contrairement à des femmes venant d'autres pays ». Foutaises
sur toute la ligne. L’article 522
stipule que « si un mariage valide
est conclu entre l’auteur d’un des crimes qui figurent dans ce chapitre et la
victime, les poursuites (judiciaires) sont arrêtées ». Les crimes
visés sont le viol, l’enlèvement (en vue d’un mariage), la défloration (perte
de la virginité), le harcèlement sexuel, la contrainte aux rapports sexuels et
l’exploitation de la faiblesse de la victime et son incapacité à résister. Pire
encore, l’article de la honte précise que « si
le verdict concernant l’affaire est déjà prononcé, la peine (du violeur) est
suspendue ». Il est donc clair que dans une société libanaise patriarcale en général, et clanique dans
certaines régions, qui pense comme Elie Marouni que la femme violée a forcément
« joué un rôle, qui a conduit l’homme
à la violer », n’a absolument aucune voix au chapitre. C’est d’autant
plus valable qu’elle est considérée après l’abomination qu’elle a subie, comme
une pestiférée qui a couvert sa famille de honte, et que dans ses conditions tragiques,
seul le mariage avec son bourreau lavera l’honneur familial en camouflant le
crime commis. Qui n’est pas fichu de comprendre cela, ferait bien d’aller
planter des patates que de débattre sur les droits de la femme libanaise.
Et
comme si tout cela n’était pas suffisamment surréaliste, Elie Marouni termine
son intervention stupide en apothéose : « J’affirme
que je suis le premier défenseur et avec les droits de la femme et je le
resterai, même si elle a honte celle qui a eu honte, on lui apportera un hijab
pour qu’elle n’ait plus honte ». L’humour à 5 piastres. Le député évoquait sans la nommer, une
militante de la société civile, Hayat Merchad, qui l’a apostrophé en
disant : « J’ai honte d’avoir ce
genre de députés qui me représentent au Parlement libanais ». Elle ne
croyait pas si bien dire. Smallah wou
yekhzel 3ein, les Libanais ignoraient qu’ils avaient une sommité juridique
au Parlement !
Pour se défendre, le député libanais rappellera
plus tard, que son parti, les Kataeb, a toujours défendu les droits de la femme
et que ce n’est pas lui qui est à l’origine de l’article 522, qui date de l’époque
de l’indépendance. Il a absolument raison, mais lui est opposé à sa suppression
pure et simple. Pire encore, l’indépendance qu’il a évoquée, c’était il y a
plus de 70 ans, une éternité sur le plan juridique qui rend certaines dispositions juridiciaires libanaises archaïques. Par ailleurs, l’érudit a oublié de préciser que le Code
pénal libanais s’inspire du Code français de 1810 et du Code ottoman de 1840
et que sur certains points, il n’a pas beaucoup évolué. Pour résumer la
mésaventure du député de Zahlé dans le monde des femmes, disons qu’Elie Marouni
s’est révélé comme un éléphant dans un magasin de porcelaine.
Nul ne peut contester le fait que la
réflexion de ce député de la nation est abjecte. Mais encore, sur une question
aussi grave, essayons pour une fois d’aller un peu plus loin que les évidences,
les statuts et les tweets de 140 caractères. Qui peut aujourd’hui faire croire que ces propos ignominieux ne sont
pas représentatifs de la vision d’une frange importante de la population
masculine mondiale en général, libanaise incluse ? Plus grave encore,
qui peut assurer même de nos jours, qu’on ne retrouve pas ce qu’a dit Elie
Marouni au fin fond des sillons cérébraux d’une
petite frange de la population féminine
mondiale en général, libanaise incluse ? Ainsi, réagir avec émotion, à
juste titre, ne saurait nous empêcher de pousser la réflexion au-delà des revendications stériles de la
démission du député du Parlement libanais ou de son éviction du parti des
Kataeb. D’ailleurs, si on doit virer des parlementaires libanais pour ce qu’ils
ont dit ou fait, sur le plan politique ou social, il ne nous restera qu’une
dizaine au final.
Hélas, la
pensée d’Elie Marouni est répandue au Liban et dans le monde. Le tollé sur
les réseaux sociaux est loin, même très loin, de refléter la réalité des
esprits sur le terrain. Souvenez-vous de l’enquête
d’opinion sur ce sujet, réalisée au Brésil, par l'Institut d'enquête économique du gouvernement en mars 2014,
dont les résultats étaient consternants. L’interrogation de 3 810 personnes des deux sexes avait
révélé que 58,5 % des sondés (soit 3
personnes sur 5, a priori représentatifs des Brésiliens), étaient d’accord avec l’affirmation que « si les femmes se comportaient mieux, il y aurait moins de viols ».
Pire encore, 26% des personnes
interrogées, soit 1 personne sur 4, ont considéré que « les femmes portant des
vêtements qui laissent voir leur corps méritent d’être violées ». Elles
"méritent" svp ! Et encore, c’est dans un pays où plus de 51 000 viols sont
enregistrés tous les ans, soit un toutes les dix minutes, sachant que ce
chiffre ne représente qu’une infime partie d’une réalité sordide, 90% des viols
n’étant pas dénoncés à la police. Et on s’étonne encore de la déclaration d’Elie
Marouni ?
Même époque, un autre continent, l’Europe. Selon une enquête d'envergure menée par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne auprès de 42 000 femmes âgées de 18 à 74 ans, vivant dans les 28 pays européens, une femme
sur trois a déclaré avoir été victime d’un abus ou de violences d’ordre
physique ou sexuel. Au Danemark, en
Finlande, aux Pays-Bas et en Suède, champions du monde de l’égalité des sexes, ainsi qu’au
Royaume Uni et en France, près de 50% des femmes, soit une femme sur deux, ont déclaré
avoir été abusées physiquement ou sexuellement après l’âge de 15 ans. En
Allemagne et en Belgique, c’est une femme sur trois, alors qu’en Italie, en
Grèce, au Portugal, en Espagne et à Chypre, des pays méditerranéens réputés pour être machistes, c’est
une femme sur quatre. Ainsi, en Europe, où l’égalité des droits et
des sexes est maximale par rapport au reste du monde, 43% des femmes ont été victimes de violences psychologiques et 22% de
violences physiques et sexuelles, de la
part de leurs propres partenaires. Eh oui, ce n’est pas par hasard que les
législations européennes reconnaissent et punissent le viol conjugal. Dans cette étude, on
apprend aussi que 12% des femmes ont déclarée avoir subi des violences
sexuelles avant l’âge de 15 ans et 5%
avoir été violées.
Les résultats sont terribles. Toutefois, l’enquête a des limites. L’étendue de la définition de ces « violences » peut expliquer en partie ces chiffres effrayants. Pour les violences d'ordre sexuel par exemple, sont incluses les relations où la femme est forcée d'avoir des rapports, n'est pas consentante, se trouve dans l'incapacité de refuser, immobilisée, a peur des conséquences d'un refus ou a mal. Il y a aussi le mode de vie occidentale avec l'urbanisation, les libertés (moeurs, vêtements, mobilité...), l'abus d'alcool et les interactions humaines (transports en commun, travail, vie à l'extérieur, sorties, lieux de divertissement...). Il faut noter également que les femmes en Europe sont moins réticentes à parler librement des violences et à dénoncer ces actes à la police, que dans le reste du monde ou dans certaines sociétés, où le sujet reste tabou et honteux. C'est le cas du monde arabe par exemple, Liban compris, qui a même une tendance à considérer la violence conjugale comme une affaire privée. Et enfin, un détail qui a son importance, il n’est rien dit de la nationalité des auteurs des actes violents, sachant que les étrangers à l'Union pourrait être surreprésentés par rapport aux ressortissants européens. Dans ce sillage, il convient de se rappeler le scandale de Cologne et de Hambourg. Aux dernières nouvelles, selon un rapport de l'Office fédéral de la police criminelle allemande, pendant la nuit du Nouvel an, ce sont 1 200 femmes qui ont été agressées par près de 2 000 hommes, dont 120 ont été identifiés à ce jour, ils sont d’origine étrangère (Algérie, Maroc, Irak, Afghanistan, Syrie, etc.). Et certains s’étonnent toujours de la déclaration du député libanais ?
Les résultats sont terribles. Toutefois, l’enquête a des limites. L’étendue de la définition de ces « violences » peut expliquer en partie ces chiffres effrayants. Pour les violences d'ordre sexuel par exemple, sont incluses les relations où la femme est forcée d'avoir des rapports, n'est pas consentante, se trouve dans l'incapacité de refuser, immobilisée, a peur des conséquences d'un refus ou a mal. Il y a aussi le mode de vie occidentale avec l'urbanisation, les libertés (moeurs, vêtements, mobilité...), l'abus d'alcool et les interactions humaines (transports en commun, travail, vie à l'extérieur, sorties, lieux de divertissement...). Il faut noter également que les femmes en Europe sont moins réticentes à parler librement des violences et à dénoncer ces actes à la police, que dans le reste du monde ou dans certaines sociétés, où le sujet reste tabou et honteux. C'est le cas du monde arabe par exemple, Liban compris, qui a même une tendance à considérer la violence conjugale comme une affaire privée. Et enfin, un détail qui a son importance, il n’est rien dit de la nationalité des auteurs des actes violents, sachant que les étrangers à l'Union pourrait être surreprésentés par rapport aux ressortissants européens. Dans ce sillage, il convient de se rappeler le scandale de Cologne et de Hambourg. Aux dernières nouvelles, selon un rapport de l'Office fédéral de la police criminelle allemande, pendant la nuit du Nouvel an, ce sont 1 200 femmes qui ont été agressées par près de 2 000 hommes, dont 120 ont été identifiés à ce jour, ils sont d’origine étrangère (Algérie, Maroc, Irak, Afghanistan, Syrie, etc.). Et certains s’étonnent toujours de la déclaration du député libanais ?
Elie Marouni n’est pas un extraterrestre. Il a dit tout haut ce que certaines
personnes des deux sexes pensent tout bas, au Liban et ailleurs, en Orient
comme en Occident, et c’est là où le bât blesse. Ce qui n’enlève rien à l’infamie
de la réflexion du député libanais et à l’insoutenable légèreté de l’être. Si
nous voulons affiner le diagnostic, nous devons d’abord reconnaitre qu’Elie Marouni est un conservateur chrétien.
Il aurait pu être musulman, juif, bouddhiste, hindouiste ou même athée. Sa
réflexion sur le viol des femmes s’inscrit parfaitement dans le cadre de la
vision étriquée, machiste, traditionaliste et dominatrice de l’homme sur la
femme, depuis la nuit des temps. C’est cette mentalité archaïque de l’homme
que l’Humanité ne parvient toujours pas à changer. Contrairement à ce que l’on
pense en Orient, ce n'est plus de conservatisme qu'il nous faut mais plus de libéralisme, d'ouverture d'esprit et de tolérance. On ne pourra pas lutter
efficacement contre le viol, sans une éducation qui instaure l’égalité
homme-femme dans les esprits comme dans les textes (bel noufouss wel nousouss), sans
la révolution sexuelle avec une libéralisation des mœurs (rouler une pelle
en pleine rue n’est pas aussi répandue qu’on veuille le faire croire, y compris dans les régions
chrétiennes, soit dit au passage !) et sans une législation répressive contre les mâles dont la
testostéronémie crève le plafond, qui à la vue d’une femme en jupe moulante
ou avec un décolleté plongeant, ressentent la vapeur de leurs testicules en
ébullition leur monter à la tête, au point de ne plus penser qu’à prendre par
la force ce qu’ils ne pourront jamais obtenir par le consentement. Cela ne veut absolument pas dire qu'il faut imposer un mode de vie à tout un chacun. Il faut plutôt offrir aux femmes le choix et des conditions optimales d'épanouissement, lui permettant de vivre comme elles l'entendent et non comme le souhaitent les hommes.
Pour y parvenir, je propose aussi un plan
d’action en trois volets sarcastiques. Primo, lancer un programme de stérilisation volontaire rémunérée des
hommes dérangés par les femmes sexy. Au préalable, il serait judicieux de
vérifier qu’ils n’abusent pas de baïyed
el ghanam, les testicules de mouton qu’on fait revenir avec de l’ail et du
citron. On ne sait jamais, il y a peut-être une corrélation. Secundo, rembourser l’achat de poupées gonflables et
de godes pour les gens importunés par les aguicheuses, ce qui rendra ces
hommes moins frustrés et ces femmes moins jalouses. Tertio, imposer le port des œillères aux Libanais
des deux sexes qui ont les yeux envieux et aigris qui trainent sur les femmes. Trêve de plaisanteries ! Nonobstant
les déclarations d’Elie Marouni, les
parlementaires libanais doivent supprimer la législation de la honte, l’article
522, et introduire dans notre Code pénal un seul principe pour régir les
relations sexuelles au Liban : « Non,
c’est non ». Nous devons donc redéfinir le viol comme l’a fait le
Bundestag en Allemagne il y a deux mois. Tout acte sexuel commis contre « la volonté identifiable d'une autre
personne », quel que soit le contexte, doit devenir une infraction pénale, point barre.