Londres se lance dans le surréalisme artistique pour commémorer le grand incendie de 1666
Et dire qu’on ne pouvait plus retenir
certains Anglais de s’en donner
à cœur joie. A cause du positionnement de la France dans le Brexit, ils se sont
emparés avec un brin de sadisme et de rancune de l’affaire
surréaliste du burkini, pour se moquer de la France. Le nouveau maire de Londres, Sadiq Khan,
s’est même autorisé de haut de ses talons, soit dit avec amabilité, à faire la leçon au monde, sans trop
se mouiller d’ailleurs : « Personne
ne devrait dicter aux femmes ce qu'elles doivent porter. Un point c'est tout.
C'est aussi simple que cela. » D’accord sur la 1re partie, passe
encore pour la 2e, c’est un peu court pour la 3e très cher. Toujours
est-il que c’est autour de Londres de se
placer sous le feu de l’actualité surréaliste ce weekend, sans que les
gaillards outre-Manche ne s’en offusquent. Eh oui, c’est toujours le pet des
voisins qui est insupportable. Ce soir, devant des dizaines de milliers d’yeux rassemblés pour l'occasion, on commémorera le 350e
anniversaire du grand incendie de la ville. L’événement contemporain se
veut aussi impressionnant que l’a été l’événement historique.
Et la Cité de Londres s’embrasa entre le 2 et le 5 septembre 1666
Nous sommes un dimanche comme aujourd’hui, le 2 septembre 1666. Peu de temps après
minuit, un feu démarre dans une boulangerie située dans Pudding Lane, qui se
trouve à l’intérieur du mur romain du côté de la Tamise, en face du pont de
Londres. Rien d’extraordinaire dans une grande ville européenne à l’époque. Et
pourtant, malgré un système d’alerte
efficace (les cloches des églises et les crieurs de rues), la
sensibilisation civique (pour lutter avec les moyens du bord, sceaux et longues
échelles), des fourgons d’incendie (déjà à l’époque) et des équipes de
démolisseurs (afin d’empêcher les flammes de se propager ; la démolition
se faisait soit avec de longs crochets, soit au moyen d’explosifs, selon la
taille des bâtiments), le feu s’est
propagé rapidement aux quatre coins de la ville. Nul ne savait à l’aube de cette sinistre journée, que l’énième incendie en cours, sera l’un des embrasements urbains le
plus grave de l’histoire.
Le grand incendie de Londres en 1666 Carte réalisée par Sémhur, Wikimedia Commons |
Le
bilan est terrible.
L’incendie a détruit 13 200 maisons,
jetant dans la rue 75 000 des
500 000 habitants de Londres à l’époque. Il ravagea la Cité (qui était
déjà le centre commercial de la ville ; elle était dominée par les classes
populaires et marchandes), les bâtiments officiels et 87 églises dont la cathédrale Saint-Paul. On estime les dégâts
matériels à l’équivalent de 1,2 milliard
d’euros de nos jours. Paradoxalement, on ne dénombrera qu’une dizaine de morts (chiffre contesté ; certains
parlent de plusieurs milliers). Comme
dans tous les événements tragiques de ce genre, le peuple chercha des boucs émissaires. La paranoïa collective
était alimentée par l’ampleur du désastre et l’impuissance des autorités face à
l’incendie. Les événements récents et plus lointains agissaient sur les esprits
comme de l’huile sur le feu. Certains ont fait le rapprochement avec les
« guerres anglo-néerlandaises » de 1665-1667 et 1652-1654, pour le
contrôle des routes commerciales maritimes. D’autres ont pensé à un remake de
la « conspiration des poudres » de 1605, quand en pleine tension
religieuse, un groupe d'Anglais catholiques, dont le célèbre Guy Fawkes (popularisé
par le masque d’Anonymous et le héros de la bande dessinée et du film "V pour
Vendetta"), a tenté de renverser la monarchie protestante en faisant sauter la
Chambre des communes et en assassinant le roi Jacques Ier. Les soupçons se
sont dirigés sur des Hollandais, des Français et des Anglais
catholiques, dont un certain nombre échappera aux flammes mais périra au cours
de lynchages populaires.
Cette
catastrophe est survenue à la fin d’une terrifiante épidémie de peste, apportée par des
bateaux en provenance des Pays-Bas deux ans plus tôt et qui tua 1/5e de la
population londonienne. Malgré l’ampleur des dégâts, certains historiens
considèrent que c’est le grand incendie de Londres qui a éradiqué l’épidémie de
peste de 1665, en détruisant des quartiers insalubres de la ville.
London 1666 : un spectacle artistique monumental et éphémère
350 ans plus tard. Il a fallu des mois de travail acharné pour construire
au bord de la Tamise, une cité miniature en bois de 120 mètres de long,
représentative du panorama urbain de Londres au 17e siècle. Des
Londoniens de tout âge ont prêté main forte à des professionnels, pour réaliser
cette œuvre de l’artiste britannique
David Best et de l’entreprise anglaise Artichoke.
Pour y parvenir, il fallait beaucoup de moyens. Mais ce n’était pas suffisant. Tous ceux qui en ont ne parviennent pas à faire de même. Un autre ingrédient est capital dans ce genre de projet collectif, c’est cette passion communicative, une denrée rare dans nos contrées. Celle-ci forge le respect, surtout quand on imagine que tous ceux qui ont contribué à ce projet pharaonique savaient que leur œuvre est éphémère. Une « mise à feu » est prévue. Elle est programmée pour aujourd’hui. A 20h30, la barge qui porte un Londres miniature de 1666, s’embrasera au bord de la Tamise. Ce projet est évidemment fascinant. L’œuvre artistique brûlera pendant des heures, comme Londres avait brûlé pendant des jours. Justement, il est là le problème : tout partira en fumée.
"London 1666", projet de David Best et d'Artichoke Commémoration du grand incendie de Londres "Mise à feu" : dimanche 4 septembre 2016 à 20h30 |
Pour y parvenir, il fallait beaucoup de moyens. Mais ce n’était pas suffisant. Tous ceux qui en ont ne parviennent pas à faire de même. Un autre ingrédient est capital dans ce genre de projet collectif, c’est cette passion communicative, une denrée rare dans nos contrées. Celle-ci forge le respect, surtout quand on imagine que tous ceux qui ont contribué à ce projet pharaonique savaient que leur œuvre est éphémère. Une « mise à feu » est prévue. Elle est programmée pour aujourd’hui. A 20h30, la barge qui porte un Londres miniature de 1666, s’embrasera au bord de la Tamise. Ce projet est évidemment fascinant. L’œuvre artistique brûlera pendant des heures, comme Londres avait brûlé pendant des jours. Justement, il est là le problème : tout partira en fumée.
London 1666 : un événement célébrant le gaspillage et la
pollution
Si j’ai pris la peine de développer la partie historique, c’est pour mieux faire sortir le crétinisme de la partie artistique. Est-ce que le meilleur moyen
de commémorer un désastre de l'histoire est de se rassembler pour admirer un feu géant ? Non, c'est obscène. London
2016 est-il à la hauteur de London 1666 ? Surement pas, l'événement historique est une tragédie, alors que le projet artistique est un divertissement.
Artichoke se définit comme « une entreprise créative qui travaille
avec des artistes pour envahir nos espaces publics afin d’y créer des
événements extraordinaires et ambitieux qui vivent dans la mémoire pour
toujours ». Non mais justement, quel gâchis,
il n’en restera rien de tant d’efforts humains et d’un si beau travail ! Pourquoi ne pas avoir décidé de reconstruire
la cathédrale Saint-Paul en miniature par exemple et de l’offrir à l'humanité et pour l’éternité ? Ah,
mais parce que la préoccupation des organisateurs est ailleurs. Le
pyrotechnicien assure dans la vidéo de promotion de l’événement, qu’ils feront
en sorte que « les effets des
flammes apparaissent aussi beaux que possible sur la structure ». D’un
grotesque inouï.
David Best, Projet "Temple" à
Derry-Londonderry, Irlande du Nord (Source vidéo Artichoke) |
« Temple », projet de David Best
et d’Artichoke Derry-Londonderry (Irlande du Nord, 2015) Captures d'écran, vidéo réalisée par Artichoke |
Et pour
compenser ce grand désastre en perspective, rien de mieux que l’étalage de « bons
sentiments ».
On n’y échappe pas avec London 1666. Le
summum du grotesque se trouve dans cette vidéo retraçant l’histoire du projet,
où le réalisateur n’a manifestement voulu montrer que des jeunes issus de l’immigration
(vrai de vrai !), avec des jeunes filles essentiellement voilées, aidant à bâtir
ce bûcher des temps modernes, avec la félicité du patriarche du projet, David Best : « Ce que l’on essaie de dire à ces jeunes c’est ‘vous pouvez le faire’ ». Faire quoi au
juste ? Incendier un beau travail, en polluant l’atmosphère et en traumatisant
la faune ! Non mais, c'est le grand délire.
« London 1666 » n’est digne ni de la ville de Londres ni de la tragédie de 1666, encore moins de notre Terre et de notre époque
Je terminerai cet article sur David Best comme
j’ai terminé celui sur Christo. Certes, l'art ne se discute pas. On pourrait même s’en foutre royalement, si
les caprices de David Best depuis une vingtaine d’années, ne sont pas aussi
néfastes pour l’environnement. On nous rassure que les temples de l’artiste
sont bâtis à partir de « bois recyclé » et un « combustible
propre ». On connait la chanson, avec Christo justement. Comme si le
recyclage et la combustion se font avec une baguette magique, sans énergie et
sans pollution ! Pire encore, comme si
l’excuse du "bois recyclé" et du "combustible propre", donnent le droit à
certains humains gâteux de gaspiller les ressources de la Terre et des
générations futures, de polluer l’environnement et de perturber la faune, pour
étonner des mortels à l’émerveillement bien émoussé ! Non mais, ça servait
à quoi de pomper l’air des citoyens responsables pendant des semaines avec la
COP21, la Conférence de Paris sur le climat, et l’absolue impérative nécessité pour
l’Humanité de parvenir à un accord international qui soit accepté par tous les
pays de cette perle de l'Univers, fixant la limite du réchauffement mondial de
la Terre à 2°C d’ici 2100, pour que neuf mois plus tard, de l’autre côté de la
Manche, on autorise ce spectacle insensé,
grotesque et stupide ? L’excuse écologique bidon du recyclage et du combustible propre aidera peut-être
des imbéciles-heureux à se déculpabiliser en regardant une œuvre d’art brûlée. Mais
David Best, comme Christo, nous donne un magnifique
exemple d’égocentrisme humain qui se fout des enjeux environnementaux de la
planète Bleue. Enfin, ce n’est pas seulement
la faute de David Best et d’Artichoke. C’est aussi celle des politiciens, des médias
et des citoyens, qui se retrouvent dans cet événement scandaleux, à la fois irresponsables, complaisants et irréfléchis.
Allez, à 20h30 ce soir à Londres (21h30 à Paris et 22h30 à Beyrouth), « Watch it burn » et commémorez le « 350th anniversary of the Great fire of London », pour mieux apprécier la bêtise humaine dans toute sa splendeur.
London 1666 |