Ce
lundi 9 janvier, la météo était non seulement
fiable, mais aussi exécrable. Pluie, embouteillages et
chaos dans Beyrouth et le long des routes du littoral. Neige,
trafic fluide et quiétude à Ouyoun el-Simane et sur les
chaines montagneuses des alentours. A la nuit tombée, sur les cimes
du Mont-Liban, le thermomètre comptait descendre au-delà de -5°C.
La température ressentie était d'au moins -13°C. Un vent
glacial s'était engouffré dans les vallées jusqu'au fin fond des
ruelles de la capitale libanaise et des oreilles de ses résidents.
C'était l'irrésistible appel de la haute montagne. Alors, à minuit, nous avons décidé de mettre le cap sur
le Mzar au petit matin.
Comme prévu, le temps était splendide le lendemain. Ciel azur, air pur, soleil radieux,
luminosité chaude, neige immaculée et températures proches de zéro
dans la journée (1°C). Quoi d'autre? Rien, c'était superbe. Tenue
de rigueur, feeling cosy. Bienvenue au pays où coulaient jadis, au
temps biblique, le lait et le miel. Indéniablement, il subsiste
encore quelque chose de ce qui a donné au Liban son surnom, la
Suisse de l'Orient. Et pourtant, 'suissra be wédé wou ne7na
be wédé téné'. Qui a eu le malheur de penser mettre à profit
la météo optimale de ce mardi, a vite déchanté. Au Liban, il est
parfois difficile de répondre à l'appel de la nature et d'en
profiter pleinement, si on ne roule pas en 4x4. Ça fait chère la
journée de randonnée et de ski ! En effet, ce mardi, il était
très difficile d'accéder à Ouyoun el-Simane si on disposait d'une
voiture ordinaire. Il est même dangereux de s'y aventurer dans
ces conditions, les routes sinueuses de la montagne, dont certaines
ont une pente qui peut atteindre 45° et des virages de 135° par
endroit, se transforment en véritables patinoires et en glissoirs.
Cela fait des milliers d'années que la neige tombe à Ouyoun
el-Simane, et pourtant, on n'a toujours pas appris à ouvrir les
routes vite et bien. On compte encore sur les rayons infrarouges
pour sécuriser la chaussée l'hiver.
Et
pourtant, c'est une nécessité, impérative et absolue au
Liban, car la belle saison est courte et même très courte. Dans
quelques jours seulement, il ne sera plus possible de pratiquer un
sport d'hiver au Liban avec des températures proches de zéro dans
la journée. La semaine prochaine par exemple, il fera jusqu'à 9°C
dans la journée. Marcher et skier par 7°C et 9°C ou par 1°C et 3°C, ce n'est absolument pas pareil. Pour une belle journée de randonnée ou de ski il faut beaucoup de neige les jours précédents, des températures négatives
la nuit, une journée ensoleillée et des températures positives
mais proches de zéro dans la journée. C'était celles du mardi 9
janvier à Ouyoun el-Simane. Sauf que ce jour-là, sans 4x4, il était
soit très risqué de s'y aventurer à Faraya et à Kfardebian,
soit tout simplement impossible d'arriver à destination. C'est tout
simplement inadmissible.
Et
encore, qui a atteint cette destination sain et sauf, sans accrochage
ni frayeur, n'était pas sorti de l'auberge pour autant. Ceux qui ont décidé de profiter de cette belle journée d'hiver et qui
étaient venus en voitures citadines, ont été contraints de
laisser leurs véhicules loin des parkings prévus et de continuer à
pied plusieurs centaines de mètres. Et encore, la marche s'est
effectuée dans des conditions pitoyables, dignes d'un pays du
tiers-monde. Pour accéder à la plus belle région du Liban l'hiver,
on se retrouve sur une route sans trottoir, au milieu d'un bordel de
voitures et respirant un air plus pollué par les gaz d'échappement
que celui de Dora et Cola-Barbire réunies. Ça aussi, c'est
inadmissible.
Sur
place, on se dit que quelques heures de marche ou de ski seront
suffisantes pour se remettre de ses émotions, recharger ses
batteries, délester ses esprits et remplir ses poumons d'air pur.
Mais là aussi, très vite on se retrouve rattraper par le mauvais
goût des gestionnaires des lieux et la lourdeur, wou ta2élitt
damm, d'une partie de ces vacanciers d'un jour. Si on ferme les
yeux et on oublie le froid, on se croirait à la plage. D'une part,
on est accueillis et importunés par une musique abrutissante,
qui n'a pas sa place dans ce cadre serein. Heureusement qu'il suffit
de s'en éloigner un peu, pour y échapper. D'autre part, on est
accompagnés et persécutés par le vacarme abêtissant des motoneiges (skidoos, all-terrain vehicules ATV, etc.). Heureusement aussi qu'il suffit de
s'éloigner de leurs chemins un peu, pour échapper à leur nuisance
sonore. Sauf qu'on est vite rattrapés par la double pollution
visuelle et olfactive qu'elles génèrent. Pire encore, à la
fermeture des pistes aux skieurs, les dernières motoneiges en circulation
passent sur le flanc droit de la montagne, poussant un randonneur
comme moi, à maudire les inventeurs, les constructeurs, les
importateurs, les propriétaires et les locataires de ces
horreurs.
L'avantage
de la randonnée sur la neige, c'est de pouvoir s'éloigner
rapidement du bordel des camps de base, les parkings et la
piteuse cafétéria, et d'entrer dans ce monde merveilleux,
immaculée et silencieux, qu'on ne trouve plus au Liban. Ce n'est
point un hasard que nos ancêtres ont baptisé le sommet de la
montagne de Ouyoun el-Simane, « el-Mzar », le
sanctuaire. De cette cime, perché à près de 2 500 m d'altitude, on
découvre l'enfilade harmonieuse des chaines montagneuses du
Mont-Liban et la capitale, Beyrouth. C'est d'une beauté à couper
le souffle et d'une douceur jouissive. Jadis, les Romains avaient
un petit temple sur ce sommet. Aujourd'hui, celui-ci a laissé la place à une construction en béton, laide et bruyante, pour assurer nous dit-on la diffusion télévisuelle. On se passerait bien de cette double pollution, visuelle et auditive. Non loin de là, se trouvent encore le temple de Faqra et la tour de Claudius (43 ap.
JC), de rares édifices romains en haute montagne, laissés presque à
l'abandon. Mzar et Faqra se situaient à mi-chemin sur l'axe
reliant les villes romaines, Berytus (Beyrouth) et Héliopolis
(Baalbek).
A
peine on est remis de ses émotions, commence le bordel des
retours. Si on est dans les parkings, il faut prendre son mal en
patience et prévoir des heures pour sortir. Si on n'y est pas, on
risque sa vie pour rejoindre sa voiture garée au bord de la route un peu plus bas. Alors que la place est à plus de
5$, on n'est même pas fichu de tracer des lignes blanches au sol
pour optimiser le stationnement des vacanciers et la circulation
des véhicules. Rien ne pousse les gens à trainer sur place : ni le
vacarme ambiant, ni les nids-de-poule (cavités dans la chaussée),
ni la neige noircie par les activités humaines, ni les ordures qui
jonchent le sol, ni les bouteilles d'alcool vides posées sur le bord
de la balustrade.
Autrefois,
notre pays était une source d'inspiration, même pour les auteurs
de la Bible. « Tes lèvres distillent le miel, ma
fiancée, le miel et le lait sont sous ta langue, et l'odeur de tes
vêtements est comme l'odeur du Liban » (Le Cantique des Cantiques 4:11). Eh oui, le Liban
est cité une centaine de fois dans la Bible, pas la Syrie, la France ou la Russie.
Aujourd'hui, le pays du Cèdre pue le gaz d'échappement, de
Beyrouth à Ouyoun el-Simane. A un tel point, que pour visiter
les stèles et les vestiges de Nahr el-Kalb, mieux vaut prévoir une
bouteille de plongée ou le faire en apnée. Le récit de cette escapade en haute montagne n'est qu'un exemple parmi tant d'autres.
Alors, saperlipopette, avant que les valeureux ministre libanais
du Tourisme et directeur de l'Office du Tourisme du Liban, Michel
Pharaon (2014-2016) et
Serge Akl (depuis 2000),
ne gaspillent l'argent public pour imaginer faire du Liban « une
terre de tournage », ils feraient mieux de faire du
pays du Cèdre « une terre de tourisme »,
pour les Libanais et les étrangers, comme le voudraient leurs
fonctions et le bon sens. Le clip qu'ils ont créé dans ce but, est
une confusion des genres qui laisse perplexe. Scorsese ne viendra pas
tourner au Liban parce qu'il y a six colonnes de Jupiter au milieu de la Bekaa. S'il y a un
domaine où le Liban peut se distinguer en Orient, c'est bien celui
des sports d'hiver.
Comme
je l'ai expliqué en long, en large et en détails, la gestion des
domaines skiables du Kesrouane laisse beaucoup à désirer. La
société Mzar-Kfardebian, la municipalité de Kfardebian, le ministère des Travaux publics, le ministère du Tourisme et l'Office du
tourisme peuvent y remédier de
la manière suivante : en améliorant les routes
d'accès aux domaines ; en déneigeant ces routes d'une manière
parfaite pour permettre à tous les véhicules d'y accéder
rapidement et sans risque ; en assurant une offre hôtelière
variée, suffisante, de qualité et à des prix abordables pour que les gens puissent rester plusieurs jours et non quelques heures ; en
aménageant des refuges authentiques, de charme et chauffés, aux
pieds des pistes (pour se reposer, bavarder, prendre un café, boire
un verre et manger un plat du terroir) ; en créant des parkings
gratuits loin des pistes et en instaurant un système de
navettes gratuites entre les parkings lointains, les hôtels, les résidences bon marché et les domaines skiables ; en créant
des trottoirs sur les bords des routes ; en traçant des
lignes de séparation pour le stationnement des voitures dans les
parkings et pour la circulation des véhicules sur les routes ; en
contrôlant le pullulement du commerce de location de motoneiges et le
nombre de ces véhicules en circulation ; en restreignant l'accès
des motoneiges aux domaines skiables et non skiables; en interdisant la
musique de plein air ; en installant des poubelles sur les
parkings et en nettoyant les lieux plusieurs fois par jour ;
en retirant la neige noircie ; et j'en passe et des
meilleures. Avant que je n'oublie, le film de promotion « Lebanon, a destination for films... Only a 5 hour flight away from London », « Liban, terre de tournage... A seulement 4 heures de vol de Paris », commandé par le ministère du Tourisme et l'Office du Tourisme et mis en ligne sur YouTube il y a plus de huit mois pour la version anglaise, et plus de deux mois pour la version française, affiche respectivement 680 et 14 vues. Smallah wou yekhzel3ein. C'est
pour dire !