mardi 5 décembre 2017

Mort de l'écrivain et académicien franco-libanais, eh oui!, Jean d'Ormesson (Art.493)


Si « les belles histoires n'arrivent qu'à ceux qui savent les raconter », alors Jean d'Ormesson en est le maitre incontesté. Hélas, il s'est éteint ce matin. Une commune d'Ile-de-France lui rend déjà hommage. Depuis 1630 d'ailleurs. C'est Ormesson-sur-Marne, l'ancienne seigneurie d’Amboile, là où ses ancêtres s'étaient installés, à une quinzaine de kilomètres au sud-est de Paris. L'écrivain vient d'une famille de nobles par sa mère et de diplomates par son père. Cette filiation lui a donné deux caractères essentiels de sa personnalité, transmis sans doute par son éducation, plutôt qu'acquis par l'hérédité : le sens de la noblesse et de la diplomatie.

Il est Français. Tout le monde le sait. Mais peu de gens savent aussi qu'il est Libanais également, de coeur et de nationalité ! Jean d'Ormesson était de ce fait un Franco-Libanais, depuis 1989. Pour être juste, disons Libano-Français. Sa seconde nationalité lui a été accordée lors de son séjour à Beyrouth à une époque où le pays du Cèdre était soumis à un déluge de feu et de fer par l'armée syrienne de Hafez el-Assad, le père de Bachar, le dernier tyran des Assad. Il s'était rendu à Baabda comme plusieurs personnalités françaises, dont l'abbé Pierre (eh oui!), Jean-François Deniau, Philippe Léotard, Daniel Rondeau, et même BHL himself, (Bernard-Henri Lévy en chair et en os à Beyrouth !), pendant l'embrasement du Liban au cours de la guerre de Libération lancée par le général Michel Aoun pour mettre fin à l'occupation syrienne du Liban. Depuis, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts, Jean d'O est décédé ce matin à l'âge de 92 ans, Michel Aoun est retourné à Baabda comme président de la République il y a un an et la tyrannie des Assad continue depuis 2011 à déverser son déluge de feu et de fer au Moyen-Orient, sur la Syrie aujourd'hui, comme sur le Liban hier.

Pour la petit histoire, Jean d'Ormesson n'a pas eu son bac du premier coup. Ah bon! Mais bon, ce n'était pas le même bac. Il a fait ensuite Henri IV et l'Ecole normale, eh oui. Il possédait plusieurs licences, de lettres, d'histoire et de philosophie. Il est passé par l'Unesco, comme secrétaire général et président, et par l'Académie française, dont il était membre depuis 1973. Il a travaillé au Figaro comme directeur général.

Ses romans sont à son image, riches et denses, saisissants, pleins d'humour, d'intrigues et d'anecdotes, où il est souvent difficile de séparer la fiction de l'autobiographie. Ah cette confusion des genres le faisait jubiler ! Mon préféré, c'est de loin « Histoire du Juif errant », moi qui se passionne pour l'exploration historico-géographique, et surtout, depuis qu'une compatriote antisémite a pété un câble en se cognant la tête contre mon mur récemment, à la lecture d'un de mes réquisitoires contre le Hezbollah, et m'a traité de « sale juif ».

Le roman de Jean d'O raconte l'histoire de Simon, un homme mystérieux qui débarque à Venise en 1980. Il vient de loin, très loin même, il apparait par miracle pour disparaitre par enchantement. Il conte et raconte ses histoires, qui se situent entre le mythe et la réalité. Nul ne sait vraiment ce qu'il en est. Il a connu l'empereur romain Néron et l'explorateur génois Christophe Colomb, les Arabes ainsi que les Vikings et les Chinois, Les Mille et Une Nuits comme la soeur de Napoléon, Pauline Borghèse, qui était d'une beauté remarquable. Cordonnier à Jérusalem en l'an 0, il accompagnera les Croisés sur la route du retour en Terre sainte et assistera à l'opération israélienne d'Entebbe en Ouganda en 1976. Son péché est lourd à porter. Il faudra plusieurs vies pour l'expier. Il a refusé un verre d'eau à Jésus de Nazareth lors du chemin de croix ! Depuis, il est condamné à errer dans l'espace temps et aux quatre coins de la Méditerranée, sous des identités diverses. Il ne peut connaitre ni la paix intérieure ni le repos éternel.

A l'heure des hommages sans nuances, il faut tout de même signaler quelques fausses notes. Deux exemples pour les illustrer. L'un récent. Ça se passe en 2003. Le sympathique Jean d'O a été soupçonné avec sa richissime épouse d'avoir dissimulé 16 millions d'euros à l'administration fiscale française. L'affaire fut classée pour vice de forme et défaut de coopération internationale.

L'autre exemple nous conduit dans le domaine politique. Pas au sens étroit bien évidemment, comme son soutien à Nicolas Sarkozy en 2012 et sa répulsion pour la gauche en général et pour François Hollande en particulier, mais au sens large. Jean d'Ormesson se considérait comme « un homme de droite, un gaulliste européen, qui a beaucoup d'idées de gauche, des idées d'égalité et de progrès ». Toujours est-il que dans le passé, entre 1975 et 1976, il est intervenu pour faire interdire la diffusion de « Un air de liberté », une chanson à charge de l'auteur-compositeur-interprète français, Jean Ferrat, un des grands noms de la chanson française, écrite après un article de l'écrivain-journaliste paru dans Le Figaro. Bon, il faut dire que ce grand fidèle aux idéaux communistes n'avait pas mâché ses mots. « Les guerres du mensonge, les guerres coloniales / C'est vous et vos pareils qui en êtes tuteurs / Quand vous les approuviez à longueur de journal / Votre plume signait trente années de malheur (…) Ah monsieur d'Ormesson / Vous osez déclarer / Qu'un air de liberté / Flottait sur Saïgon / Avant que cette ville s'appelle Ville Ho-Chi-Minh (…) Nous disions que la guerre était perdue d'avance / Et cent mille Français allaient mourir en vain / Contre un peuple luttant pour son indépendance / Oui vous avez un peu de ce sang sur les mains (…) Mais regardez-vous donc un matin dans la glace / Patron du Figaro songez à Beaumarchais / Il saute de sa tombe en faisant la grimace / Les maîtres ont encore une âme de valet. » Plus tard, Jean Ferrat avouera quand même : « Je n'ai rien contre lui, contre l'homme privé. Mais c'est ce qu'il représente (...) la presse de la grande bourgeoisie qui a toujours soutenu les guerres coloniales ».

Sur le plan privé, Jean d'Ormesson était d'une discrétion incroyable. Tout ce qu'on sait de lui c'est qu'il a épousé sur le tard, à l'âge de 37 ans, Françoise Béghin, la benjamine du magnat de la presse (Figaro, Paris Match) et du sucre (Béghin-Say). Il a toujours voulu faire croire, que lui, ce bel homme, le grand séducteur au regard coquin et qui a bon esprit, s'est juste contenté de se rincer l'oeil de temps à autre !

« Histoire du Juif errant » est un roman délicieux. Il résume à merveille le personnage exceptionnel qu'était Jean d'Ormesson. Un homme authentique et modeste, d'une richesse intellectuelle insoupçonnée, parlant souvent de lui sans jamais tomber dans le nombrilisme et sans jamais ennuyer son auditoire un instant. Il avait une maitrise absolue de l'art de la conversation. Il pouvait sortir de n'importe quelle cour d'Europe. Je le vois très bien à Versailles sous le règne du Roi-Soleil. Jean d'Ormesson est aujourd'hui, plus que jamais auparavant, un immortel. Il est une invitation à l'excellence, l'élégance et la bonne humeur. Qui veut vraiment lui rendre hommage, n'a qu'une chose à faire, embrasser la langue de Molière et porter la belle parole.