Si
« les belles histoires n'arrivent qu'à ceux qui savent les
raconter », alors Jean d'Ormesson en est le maitre
incontesté. Hélas, il s'est éteint ce matin. Une commune
d'Ile-de-France lui rend déjà hommage. Depuis 1630 d'ailleurs.
C'est Ormesson-sur-Marne, l'ancienne seigneurie d’Amboile, là où
ses ancêtres s'étaient installés, à une quinzaine de kilomètres au sud-est de Paris. L'écrivain vient d'une famille
de nobles par sa mère et de diplomates par son père. Cette
filiation lui a donné deux caractères essentiels de sa
personnalité, transmis sans doute par son éducation, plutôt
qu'acquis par l'hérédité : le sens de la noblesse et de la diplomatie.
Il
est Français. Tout le monde le sait. Mais peu de gens savent aussi
qu'il est Libanais également, de coeur et de nationalité ! Jean d'Ormesson était de ce fait un
Franco-Libanais, depuis 1989. Pour être juste, disons
Libano-Français. Sa seconde nationalité lui a été accordée lors
de son séjour à Beyrouth à une époque où le pays du Cèdre était
soumis à un déluge de feu et de fer par l'armée syrienne de Hafez
el-Assad, le père de Bachar, le dernier tyran des Assad. Il s'était rendu à Baabda comme plusieurs personnalités françaises, dont
l'abbé Pierre (eh oui!), Jean-François Deniau, Philippe Léotard, Daniel
Rondeau, et même BHL himself, (Bernard-Henri Lévy en chair et en os à Beyrouth !), pendant
l'embrasement du Liban au cours de la guerre de Libération lancée
par le général Michel Aoun pour mettre fin à l'occupation syrienne
du Liban. Depuis, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts, Jean d'O
est décédé ce matin à l'âge de 92 ans, Michel Aoun est retourné à
Baabda comme président de la République il y a un an et la tyrannie des Assad
continue depuis 2011 à déverser son déluge de feu et de fer au Moyen-Orient, sur la Syrie aujourd'hui, comme sur le Liban hier.
Pour la petit histoire, Jean
d'Ormesson n'a pas eu son bac du premier coup. Ah bon! Mais bon,
ce n'était pas le même bac. Il a fait ensuite Henri IV
et l'Ecole normale, eh oui. Il possédait plusieurs licences, de lettres, d'histoire et de philosophie. Il est passé par l'Unesco, comme
secrétaire général et président, et par l'Académie française,
dont il était membre depuis 1973. Il a travaillé au Figaro comme
directeur général.
Ses romans sont à son image, riches et denses, saisissants, pleins d'humour, d'intrigues et d'anecdotes, où il est souvent difficile de séparer la fiction de l'autobiographie. Ah cette confusion des genres le faisait jubiler ! Mon préféré, c'est de loin « Histoire du Juif errant », moi qui se passionne pour l'exploration historico-géographique, et surtout, depuis qu'une compatriote antisémite a pété un câble en se cognant la tête contre mon mur récemment, à la lecture d'un de mes réquisitoires contre le Hezbollah, et m'a traité de « sale juif ».
Ses romans sont à son image, riches et denses, saisissants, pleins d'humour, d'intrigues et d'anecdotes, où il est souvent difficile de séparer la fiction de l'autobiographie. Ah cette confusion des genres le faisait jubiler ! Mon préféré, c'est de loin « Histoire du Juif errant », moi qui se passionne pour l'exploration historico-géographique, et surtout, depuis qu'une compatriote antisémite a pété un câble en se cognant la tête contre mon mur récemment, à la lecture d'un de mes réquisitoires contre le Hezbollah, et m'a traité de « sale juif ».
A
l'heure des hommages sans nuances, il faut tout de même signaler
quelques fausses notes. Deux exemples pour les illustrer. L'un
récent. Ça se passe en 2003. Le sympathique Jean d'O a été soupçonné avec sa
richissime épouse d'avoir dissimulé 16 millions d'euros à
l'administration fiscale française. L'affaire fut classée pour vice
de forme et défaut de coopération internationale.
L'autre
exemple nous conduit dans le domaine politique. Pas au sens étroit
bien évidemment, comme son soutien à Nicolas Sarkozy en 2012 et sa
répulsion pour la gauche en général et pour François Hollande en particulier, mais au sens large. Jean
d'Ormesson se considérait comme « un homme de droite, un
gaulliste européen, qui a beaucoup d'idées de gauche, des idées
d'égalité et de progrès ». Toujours est-il que dans le
passé, entre 1975 et 1976, il est intervenu pour faire interdire la
diffusion de « Un air de liberté », une chanson à
charge de l'auteur-compositeur-interprète français, Jean Ferrat, un
des grands noms de la chanson française, écrite après un article
de l'écrivain-journaliste paru dans Le Figaro. Bon, il faut dire que ce grand
fidèle aux idéaux communistes n'avait pas mâché ses mots. « Les
guerres du mensonge, les guerres coloniales / C'est vous et vos
pareils qui en êtes tuteurs / Quand vous les approuviez à longueur
de journal / Votre plume signait trente années de malheur (…) Ah
monsieur d'Ormesson / Vous osez déclarer / Qu'un air de liberté /
Flottait sur Saïgon / Avant que cette ville s'appelle Ville
Ho-Chi-Minh (…) Nous disions que la guerre était perdue d'avance /
Et cent mille Français allaient mourir en vain / Contre un peuple
luttant pour son indépendance / Oui vous avez un peu de ce sang sur
les mains (…) Mais regardez-vous donc un matin dans la glace /
Patron du Figaro songez à Beaumarchais / Il saute de sa tombe en
faisant la grimace / Les maîtres ont encore une âme de valet. »
Plus tard, Jean Ferrat avouera quand même : « Je n'ai rien contre
lui, contre l'homme privé. Mais c'est ce qu'il représente (...) la
presse de la grande bourgeoisie qui a toujours soutenu les guerres
coloniales ».
Sur
le plan privé, Jean d'Ormesson était d'une discrétion incroyable.
Tout ce qu'on sait de lui c'est qu'il a épousé sur le tard, à
l'âge de 37 ans, Françoise Béghin, la benjamine du magnat de la
presse (Figaro, Paris Match) et du sucre (Béghin-Say). Il a toujours voulu faire croire, que lui, ce bel
homme, le grand séducteur au regard coquin et qui a bon esprit, s'est juste contenté de se rincer l'oeil de temps à autre !