dimanche 28 janvier 2018

Les pratiques indignes de certaines écoles privées au Liban, la ruée sur le Nutella dans des supermarchés de France et les toilettes « America » pour Donald Trump (Art.506)


Dans la série « Escales », je vous propose cette fois trois arrêts, au Liban, en France et aux Etats-Unis, et un seul thème, le surréalisme social.


1. Quand des établissements d'enseignement privés ont des pratiques indignes


C'est une école catholique fondée en 1930 par l'Ordre maronite de la Sainte Vierge dans le couvent de Notre-Dame de Louaizé à Zouk Mosbeh. Réservée aux élèves séminaristes au départ, elle est ouverte au public dans les années 1960. Depuis, elle n'a cessé de s'agrandir et de s'enrichir, les deux actions étant intimement liées, notamment durant la guerre civile libanaise et les déplacements communautaires qu'elle a occasionnée. Elle fut un temps dirigée par Béchara el-Raï (1975-1981), l'actuel patriarche maronite d'Antioche et de tout l'Orient.

Tout a commencé le mercredi 24 janvier. Les élèves de ce collège situé dans la région du Kesrouane reçoivent une lettre destinée à leurs parents. Elle est signée par le directeur de l'école, Ziad Antoun. Elle fait suite à la décision de l'Etat libanais d'augmenter les salaires dans la fonction publique (été 2017). La mesure concerne principalement le secteur public, mais la loi prévoit un alignement des salaires du secteur privé de l'éducation sur ceux du secteur public.

Pendant longtemps, les dirigeants politiques n'avaient pas la moindre idée de la façon de financer sainement la hausse des salaires publics, qui coutera plus de 800 millions de dollars aux contribuables libanais. Ils ont fini par décider de la financer essentiellement par la dette (on emprunte pour payer les salaires publics, voilà un Etat qui court à sa ruine!) et par l'instauration de diverses taxes (votées en octobre, comme la hausse de la TVA à 11% et l'augmentation des taxes sur les boissons alcoolisés et le tabac), sans se pencher une seconde sur les moyens de lutter efficacement contre le gaspillage de l'argent public, le manque à gagner de l'Etat libanais (au niveau de l'aéroport et des ports ou du vol du courant électrique par ex.) et les économies que l'on peut faire dans bien des domaines, alors que notre dette a dépassé les 77 milliards de dollars (150% du PIB). Bienvenue au Liban, pays du cèdre et des cigales.

Dans le secteur privé, dont l'efficacité est toujours encensée par les défenseurs du capitalisme sauvage (et dire qu'ils sont légion au Liban!), on sait très bien comment procéder au financement et qui paiera l'augmentation : les consommateurs en général, les parents d'élèves dans le cas particulier des écoles privées. C'est l'objectif de la démarche du directeur de Louaïzé. L'ennui c'est qu'il a envoyé une lettre qui pose problème à trois niveaux.

. Primo, rien n'est encore tranché, tout est sur la table des négociations! Si Ziad Antoun commence sa lettre par le reconnaître, « puisque les négociations (…) sont toujours en cours entre les personnes concernées... », alors comment peut-il préciser ensuite que « la direction (…) a décidé d'appliquer la nouvelle grille des salaires aux membres du corps enseignant » ? Non mais, il aurait fallu qu'il se relise quand même ?

. Secundo, Ziad Antoun fait savoir que « les frais de scolarité sont augmentés de 1 060 000 LL (soit plus de 700 $) », « à partir de l'année 2017-2018 » et qu'il faut « payer la somme due avant le 29 janvier (lundi) », trois âneries monumentales. 700 $? Non mais, il croit que les gens sortent leurs billets d'une imprimante Canon au jet d'encre, achetée 35 € sur Amazon! A partir de 2017-2018? La lettre est écrite en 2018, non mais c'est la meilleure! C'est tout simplement illégal. On ne change pas un contrat en cours de route sans l'accord de toutes les parties! Avant le 29 janvier? Il faut vraiment être imbécile, "peu capable de comprendre, de raisonner et manque d'intelligence", pour donner aux familles seulement 5 jours pour payer une somme qui vaut une fois et demi le salaire minimum libanais !

. Tertio, Ziad Antoun menace les familles, si elles ne règlent pas les sommes dues en temps et en heure, « la direction sera obligée de prendre des mesures sévères » contre les élèves scolarisés. Comme quoi? Les arracher de leurs cours et les jeter sur la route? Et pourquoi svp? Parce que leurs parents n'ont pas payé, non les frais de scolarité, mais une augmentation indue et arbitraire des frais de scolarité ? Cette phrase fait honte à celui qui l'a écrit et signé. Ziad Antoun devrait avoir d'autant plus honte que d'une part, la lettre émane d'un homme de religion, un père de l'Eglise catholique maronite, et d'autre part, que son signataire fait savoir que « si les parties concernées (les écoles privées, le corps enseignant et les parents d'élèves), se mettent d'accord pour ne pas appliquer la nouvelle grille des salaires, l'augmentation sera soustraite des frais de scolarité du 3e trimestre ». Mais alors bordel, pourquoi ne pas attendre l'issue des négociations pour décider ?

L'affaire Louaizé n'a rien d'unique, bien évidemment. C'est le casse-tête de toutes les écoles privées du Liban. Celles-ci s'ingénient pour trouver des solutions afin d'augmenter les salaires de leurs employés sans toucher à leurs trésors de guerre. Dans l'affaire de Louaizé ce sont les parents qui doivent casquer. C'est la procédure classique. Mais j'ai la connaissance de cas de professeurs dans plusieurs lycées qui laissent penser que ce n'est pas toujours le cas. Il y a quelques semaines, des profs qui enseignent le français depuis des années, apprennent, que dorénavant, leur salaire sera amputé d'une bonne partie, car leurs diplômes ne seraient pas conformes. Les lycées disent qu'ils n'y sont pour rien, c'est la faute du ministère libanais de l'Education. Et comme par hasard, cette affaire n'apparait qu'au moment d'appliquer la nouvelle grille des salaires dans le secteur privé de l'Education.

On peut multiplier les exemples à l'infini. Et encore, nous ne sommes pas penchés sur le scandale des tarifs astronomiques des cursus universitaires au Liban. Et puis sans aller aussi loin, non mais, est-il normal qu'un jeune couple libanais ait près de 1 400 $ à verser chaque mois de l'année scolaire (soit 12 000 $/an, autocar compris) pour scolariser deux enfants en bas âge dans une autre école catholique maronite de la même région, Collège Saint Joseph d'Aïntoura? Dans cette école l'uniforme est obligatoire. Il est facturé 400 $ et on ne peut pas l'acheter de Bourj Hammoud. Il n'est disponible que chez Rectangle Jaune svp où le prix d'une chemise dépasse facilement les 100 $. Et encore, c'est sans parler de la sélection d'entrée draconienne où le principal critère est économique, le métier des parents !

C'est tout simplement le grand délire, si l'on compare ces chiffres aux frais de scolarité des écoles, collèges et lycées privés français de France. Pour ceux qui sont hors-contrat, qui ne reçoivent aucune subvention et compensation de l'Etat, il faut compter entre 400 et 1 300 €/mois, soit 500-1 600 $ par mois (au taux de change actuel, qui est plutôt élevé), pour les meilleures d'entre elles et pour le bac svp ! Dans un très bon établissement en plein coeur de Paris, enfin dans le 16e quand même, comme celui de Passy Saint-Honoré, un lycée privé d'enseignement catholique associé à l'Etat par contrat, on ne débourse qu'entre 1 400 et 2 500 $ par AN (près de 1 110-1 440 €/an), selon le revenu parental et la taille de la fratrie. C'est hallucinant quand on pense aux 6 000 $/an pour un môme en 8e à Aïntoura, sachant qu'il ne coutera que 1 500 $/an, s'il était dans une école catholique sous contrat en France, comme à l'Institut Notre-Dame (banlieue parisienne).

Jésus Marie Joseph, mais ils leur arrivent de relire les Evangiles de temps à autre? « Jésus se rendit à Jérusalem. Il trouva, dans la cour du Temple, des marchands de bœufs, de brebis et de pigeons, ainsi que des changeurs d'argent, installés à leurs comptoirs. Alors il prit des cordes, en fit un fouet, et les chassa tous de l'enceinte sacrée avec les brebis et les bœufs ; il jeta par terre l'argent des changeurs et renversa leurs comptoirs, puis il dit aux marchands de pigeons: "Otez cela d'ici ! C'est la maison de mon Père. N'en faites pas une maison de commerce" » (Jean 2, 13-16). L'école n'est pas la maison de Dieu, mais les enfants le sont ! « Qui accueille en mon nom un enfant comme celui-là, m'accueille moi-même » (Matthieu 18, 3-5).

Jésus et les marchands du Temple
Vitrail de l'Eglise Saint-Aignan à Chartes (France)
Photo : Alain Pinoges, alias P.Razzo / Agence CIRIC

A décharge des établissements privés, il faut tout de même reconnaître que certains Libanais critiquent la politique financière de ces derniers, alors qu'ils ne sont pas prêts à renoncer à l'iPhone X ou au Galaxy Note 8, aux sacs de grandes marques ou au 4x4 de l'année. Mais ce n'est pas une raison d'ignorer le fait que la majorité des Libanais ne peuvent pas suivre la hausse constante des frais de scolarité dans un pays aussi cher que le Liban. Ainsi, il revient aux établissements d'évaluer les situations des parents au cas par cas, avant d'envoyer ces ultimatums indignes d'un établissement chrétien.

Etant donné la très mauvaise réputation des écoles publiques libanaises, qui veut
un meilleur avenir pour ses enfants sait qu'il faut impérativement les mettre dans une école privée. Or, les pratiques de certaines écoles privées au Liban sont indignes. Cette fracture sociale aggrave les inégalités entre les Libanais et menacent sérieusement les égalités des chances entre tous les enfants de la patrie. Ceci n'est pas bon pour la cohésion et la sérénité de la nation libanaise. Si l'Etat libanais est toujours incapable d'offrir des écoles de qualité à ses citoyens, il doit impérativement contrôler l'offre privée. Alors au lieu que ce gouvernement et ce Parlement ne s'attaquent qu'aux faibles et toujours aux mêmes, ils feraient mieux de s'atteler au scandale du puissant lobby des établissements d'enseignements privés au Liban.

Si certains établissements religieux et laïcs n'ont plus une éthique et des valeurs pour prendre en compte les difficultés financières des Libanais, il revient à l'Etat libanais de légiférer en la matière pour mettre un terme aux abus et aux dérives dans ce secteur. Nous sommes en période électorale, citoyens et médias doivent profiter de la situation pour exiger des candidats au partage du gâteau juteux de la députation, de présenter au-delà de leur belle gueule et des beaux slogans, leur vision du problème et un engagement clair concernant l'enseignement privé, primaire, secondaire et supérieur. Il faut finir avec le tarif unique, à l'école, au collège et au lycée, comme à l'université. Les frais de scolarité doivent être adaptés aux revenus et à la taille de chaque foyer et l'appétit des établissements privés vu à la baisse, surtout pour ceux qui sont dirigés par des congrégations religieuses.


2. « Catch » et crêpage de chignons, pour des pots de « Nutella »


Insulte, bousculade, échauffourée, catch et crêpage de chignons, les images ont fait le tour du monde. C'était la foire d'empoigne jeudi aussi, aux quatre coins de la France. La police a dû intervenir. Et pour cause, une ruée incroyable sur les pots de Nutella dans les grandes surfaces de la chaine française Intermarché. Rien à Paris. Pas parce que les Parisiens sortent de la cuisse de Jupiter, mais parce ce que l'enseigne n'est pas installée dans la capitale.

On a vendu en un quart d'heure ce qu'on vendait habituellement en trois mois. Objet du désir et de toutes les convoitises, le pot mythique en format XL de 950 g de cette potion magique était vendu à 1,41 € au lieu de 4,70 €. Une économie de 3,29 €, c'est le prix de 2 à 3 hamburgers de base chez McDonald's. Ce n'est pas rien. Et pourquoi cette comparaison? Parce que le fidèle du Nutella est aussi un adepte de McDo et le hamburger est un indicateur de la malbouffe.

Justement, on s'est bousculés sachant que le produit a beau être marron de couleur, le premier ingrédient du Nutella, est le sucre, qui n'est d'aucune utilité nutritionnelle particulière pour l'organisme. Le second, c'est l'huile de palme. Bien que végétale, cette matière grasse est particulièrement néfaste pour l'organisme (via le cholestérol, à cause de sa teneur en acides gras saturés) et l'environnement (l'extension de sa culture s'accompagne d'une importante déforestation). On est au 3/4 du poids et pas un gramme de noisette, de cacao et de lait! Ces trois ingrédients dont l'intérêt nutritionnel est incontestable ne constituent en réalité que le 1/4 du produit.

Le Nutella est d'un intérêt nutritionnel faible, mais c'est bon, il faut le reconnaitre. En tout cas, beaucoup se sont moqués du comportement primitif de cette populace, en oubliant que demain, on mettrait l'iPhone X à 300 € au lieu de 1 000€, le sac CC à 1 500 € au lieu de 4 500 € et la Cayman à 18 000 € au lieu de 55 000 €, avec de la pub, de la com et un stock limité, y'a pas photo, on verra le même genre de scènes chez Apple, Chanel et Porsche.

La nature humaine est la même, que l'on soit riche ou pauvre, éduqué ou pas, Français, Libanais ou Américain. Il y a quelques années, un employé de Wal Mart a trouvé la mort un Black Friday, piétiné par cette foule d'acheteurs de Long Island (New York), qui se ruaient dans les rayons pour effectuer ses achats de Noël.

Des scènes hystériques d'adultes qui se glissent sous les rideaux métalliques et accourent dans les rayons, à l'ouverture des magasins, est devenu un marronnier des journaux télévisés le premier jour des soldes. N'importe qui peut régresser et adopté un comportement non civilisé, tout est une affaire de conditions et de conditionnement. « Dans une perspective business, soyons réaliste : à la base, le métier de TF1, c'est d'aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit. Or, pour qu'un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c'est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c'est du temps de cerveau humain disponible. » Sublime de vérité! C'était l'aveu sincère de Patrick Lelay, patron de la chaine française, dans un livre paru il y a quelques années. Bienvenue dans la stupide société de consommation.


3. Donald Trump voulait le « Paysage enneigé », il n'a eu droit qu'à « America »


Il voulait ça et il n'a eu que cela. Et pour être précis, disons qu'il voulait un Van Gogh et il n'a eu qu'un WC. L'affaire a été révélée jeudi 25 janvier par le Washington Post, comme les Pentagone Papers d'ailleurs. Tout a commencé avec cette demande formulée par Donald Trump au Solomon R. Guggenheim Museum de New York au mois de septembre. Il souhaitait emprunter une oeuvre de ce peintre de génie de l'école impressionniste, Vincent Van Gogh, « Paysage enneigé » (peinte à Arles en France), pour l'installer temporairement dans les appartements privés de la Maison Blanche.


C'est dans les usages, sauf que Nancy Spector, la conservatrice du musée, est une farceuse à ses heures perdues. Ne pouvant pas, ou ne voulant pas!, répondre à la demande spéciale du président américain, étant donné que l'oeuvre du peintre néerlandais installé en France ne sort du musée qu'à de rares occasions (elle devait partir pour Bilbao), elle lui a proposé une autre œuvre, d'art contemporain, « America », créée par Maurizio Cattelan, des toilettes pour être précis. Certes, l'oeuvre est en or massif de 18 carats svp, mais elle a la forme de toilettes quand même. En plus, ces toilettes ont déjà servi pendant un an au 5e étage du musée, lors de l'expo consacrée à l'artiste italien en 2016.

Maurizio Cattelan dénonce par cette œuvre satirique dédiée à l'Amérique, l'illusion que peut offrir la richesse et l'abondance. « Peu importe ce que vous mangez, un déjeuner à 200 $ ou un hot-dog à 2 $, le résultat est le même, au niveau des toilettes. » Hehehe, c'est une autre version d'un trait d'humour de l'artiste-chanteur libanais Elie Massaad: que l'on soit riche ou pauvre, petit ou gros, beau ou laid, l'enterrement est à 15h pour tout le monde.

Dans sa réponse, la conservatrice explique au président américain avec un sarcasme délicieux : « Ces toilettes ont été installée dans l'une de nos toilettes publiques pour que tout le monde puisse l'utiliser dans un merveilleux acte de générosité... Nous serions ravis de faciliter les modalités de ce prêt auprès de l'artiste, si le Président et la Première dame montrent de l'intérêt pour l'installer à la Maison-Blanche. Elle est, évidemment, d'une grande valeur et fragile, mais nous pourrions fournir toutes les instructions nécessaires à son installation et son entretien. Je joins une image pour votre référence. »


Hehehe, sacrée personnage! Une autre face de l'Amérique. Bon, vous l'avez compris Nancy Spector, comme Bakhos Baalbaki, ne porte pas Donald Trump dans son estime. Le 9 novembre 2016, elle a fait savoir : « Cela doit être le premier jour de la révolution pour reprendre notre pays bien-aimé de la haine, du racisme et de l'intolérance. Ne pleurez pas, organisez-vous. » Done my dear.

Ces toilettes en or massif valent plus d'un million de dollars. Et la morale de l'histoire, ou pour conclure cette anecdote avec une bonne dose de sarcasme, on pourrait dire que Donald Trump a voulu de l'art impressionniste pour impressionner et il n'a eu droit qu'à de l'art contemporain personnalisé et adapté, tout en symbole. Qui sème l'irrespect ne récolte que le mépris. Rarement une œuvre d'art n'a été aussi prédestinée. « America (First) » pour un « Shithole President », voilà tout ce que Donald Trump méritait !