lundi 26 août 2013

Un weekend au Liban « comme si de rien n’était » (Art.176)


Ok, on reprend tout. On change simplement le temps de conjugaison.

Deux événements concomitants
viennent de se dérouler au Liban, dans deux lieux comparables, avec deux esprits que tout oppose.

Ce weekend à Bcharré-Arz
, un pauvre mortel s’est permis de troubler la tranquillité d’arbres millénaires, pour installer un cirque grotesque afin de marier son fils à la lisière du dernier îlot de cèdres bibliques du nord du Mont-Liban. Les travaux de terrassements de l’ancien député de Bcharré, homme d'affaires, et pas qu'à ses heures perdues !- qui ont été menés à titre privé, à l’intérêt bassement personnel, dans un esprit féodal, mercantile et électoral, en violation des lois libanaises, constituent aujourd’hui non seulement une menace existentielle pour Arz el-Rab, mais pousseront sans l’ombre d’un doute l’Unesco à retirer le site de « la forêt des Cèdres » de la liste du patrimoine mondial.

De l’autre côté du Mont-Liban, à Maaser el-Chouf
, on a organisé ce même weekend, une randonnée musicale dans une réserve de cèdres, afin de lever des fonds pour deux ONG, Offre Joie et Chance, qui œuvrent à l'abri des paillettes à mettre de la joie dans le cœur des familles libanaises.

Gebrane et William Taouk se sont engagés à réhabiliter les lieux seulement après le mariage d'eben elmoudallal, comme si de rien n’était. Ce qui est sûr et certain pour le moment, c’est que le cirque a bel et bien eu lieu à deux pas d’une forêt classée par l’Unesco, en violation des lois libanaises, comme ils l’ont voulu, comme si de rien n’était et comme si l’État libanais n'existait pas ! Et après on s’étonne, que d’autres compatriotes kidnappent des pilotes à la sortie de l’aéroport de Beyrouth, comme si de rien n’était
et comme si l’État libanais n'existait pas. Et d’autres volent le courant électrique, comme si de rien n’était et comme si l’État libanais n'existait pas. Et d’autres se baladent avec leurs armes, comme si de rien n’était et comme si l’État libanais n'existait pas. Et d’autres posent des voitures piégées, comme si de rien n’était et comme si l’État libanais n'existait pas. Et finalement, tout le monde ne fait qu’à sa tête dans cette mascarade d’État, comme si de rien n’était et comme si l’État libanais n'existait pas.

Dans tous les cas, là où les responsables de la réserve du Chouf ont bien compris tout l’intérêt de préserver leur héritage et de développer un écotourisme intelligent et respectueux de la nature, d’autres notables, qayéminn 3a tourasna, wou3al ard woul 3ibadd, nouwéb la tménaw3échrine séné allah wakilkoun, ne voient dans la nature, que des terrains à bâtir, une source de profit et un étalage de richesses. Aux premiers, je dis « bravo », et aux seconds, « tabbann lakoum » (allez vous faire foutre).

Aujourd’hui, je fais partie des Libanais qui attendent, sans illusion aucune, deux choses concrètes après le scandale concernant la forêt des Cèdres à Arz, patrimoine de tous les Libanais, toutes communautés confondues et toutes tendances politiques confondues :


1. Que les autorités religieuses maronites interdisent totalement, tout mariage au sein de l’église de Dieu, qui se situe à l’intérieur de Arz el-Rab, une forêt de cèdres, protégée par l’Unesco et les lois libanaises.

2. Que les autorités politiques libanaises, ou ce qui en reste, fassent appliquer les lois de l’État libanais, sur tout le territoire libanais et sur tout le monde, sans distinction aucune, à commencer par ceux qui ont représenté cet État, sans en être digne.

Basta cosi !


Réf.


Massacre à la pelleteuse autour de la forêt des Cèdres (à Arz). « Kel 3éréss, élo 2orés » (Art.172) par Bakhos Baalbaki

Le mariage aura lieu en violation des lois, comme ils l’ont voulu et comme si de rien n’était ! (Art.173) par Bakhos Baalbaki

Du cirque de Arz el-Rab à la randonnée musicale de Maasser el-Chouf : deux esprits que tout oppose (Art.175) par Bakhos Baalbaki

dimanche 25 août 2013

Du cirque de Arz el-Rab à la randonnée musicale de Maasser el-Chouf : deux esprits que tout oppose (Art.175)


Deux évènements concomitants se déroulent au Liban dans deux lieux comparables, avec deux esprits que tout oppose.

A Bcharré-Arz, un pauvre mortel se permet d'aller offenser et troubler la tranquillité d’arbres millénaires, pour installer un cirque grotesque afin de marier son rejeton, William, ébno elmoudallal la Gebrane Taouk, à quelques mètres du dernier îlot de 0,1 km² de cèdres bibliques de la région nord du Mont-Liban. Les travaux de terrassements de l’ancien député de Bcharré -pendant 28 ans svp !, homme d'affaires, et pas qu'à ses heures perdues !- qui sont menés à titre privé, à l’intérêt bassement personnel, dans un esprit féodal et mercantile, en violation des lois libanaises, constituent non seulement une menace existentielle pour Arz el-Rab, mais risquent de pousser l’Unesco à retirer le site de « la forêt des Cèdres » de la liste du patrimoine mondial. En un mot : lamentable.

De l’autre côté du Mont-Liban, à Maaser el-Chouf, l’agence O de rose, ma'ward, spécialisée dans l’événementiel et les mariages, décidément !, organise sur une initiative de l'homme d'affaires libano-suisse, Raja Abdallah, une randonnée musicale dans la réserve naturelle du Chouf, aujourd'hui même. Bien qu'il soit payant, cet événement n'est pas à but purement lucratif, quoique si, quand même un peu, mais pour une noble cause ! Un droit d’entrée symbolique de 15 000 LL/adulte est demandé. L'entrée est gratuite pour les enfants de moins de 12 ans. Cette magnifique réserve couvre 550 km² de notre pays, soit 5 % du Liban ! Elle est étroitement protégée par la population et les élus de la région. On y trouve le cèdre du Liban, mais aussi divers espèces de pins et de chênes et plus de 500 plantes différentes, ainsi que 32 espèces de mammifères sauvages et 200 espèces d'oiseaux, dont le le chacal doré, le lynx du désert, le faucon crécerelle et l’aigle royal. L’ensemble des profits de cet événement socio-écologique désintéressé ira à deux ONG libanaises, Offre Joie et Chance (CHildren AgaiNst CancEr), deux organisations qui œuvrent à l'abri des paillettes depuis des dizaines d'années, à mettre de la joie dans le cœur des familles libanaises et viennent en aide aux enfants atteints de cancer. 

En pratique, O de rose proposera aux mélomanes-randonneurs, un circuit de sept scènes, « acoustiques » svp ! Un programme varié vous attend. Le chanteur libano-australien Allen Seif et son groupe Oak (pop rock) vous donnent rendez-vous sous « the oldest cedar tree » à la 2e station, Barock Ensemble (classique) vous attendent à « Lamartine tree », et vous retrouverez aussi dans cette journée Adel Harb (flamenco), Jebebara (percussion), Al Kamandjati (orientale), Marc Nader (acoustique), Joy Fayad (blues), LeBAM (instrumentale), et d’autres artistes libanais. Vous trouverez le programme complet dans la photo ci-dessous. En plus de la musique, vous aurez droit à de la poésie et même à un cirque, décidément !, mais là, il s’agira d’un vrai, avec des jongleries et des mimes. Au retour au village, vous pourrez découvrir certains produits du terroir. En un mot : splendide. Bravo.
 
La randonnée musicale commencera aujourd’hui à 11h et se terminera à 16h. L’école buissonnière est tolérée, ainsi que le hors-piste, et tout ce qui se fait dans la joie et la bonne humeur, en harmonie avec la nature. Et pour finir la journée en beauté, la chanteuse libano-canadienne, Randa Ghossoub, vous donnera rendez-vous à 18h à l’auberge Saint-Michel à Maaser el-Chouf. Ça va jazzer, je vous le dis ! Ça jase déjà, surtout chez les Aborigènes de la réserve de Arz el-Rab.

Là où les responsables de la réserve du Chouf ont bien compris tout l’intérêt de préserver leur héritage et de développer un écotourisme intelligent et respectueux de la nature, d’autres qayéminn 3a tourasna, wou3al ard woul 3ibadd, ne voient dans la nature, que des terrains à bâtir, une source de profit et un étalage de richesses. Aux premiers, je dis « bravo », et aux seconds, « tabbann lakoum » (allez vous faire foutre)!

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mardi 20 août 2013

Le mariage aura lieu en violation des lois, comme ils l’ont voulu et comme si de rien n’était ! (Art.173)


En parcourant les réseaux sociaux ces derniers jours, je me suis aperçu que la confusion règne au sujet de ce scandale. J’en ai parlé brièvement dans mon article du 17 août. Sachez qu’en réalité, il y a deux scandales bien distincts dans le caza de Bcharré. Le premier concerne les travaux de terrassement de Gebrane Taouk pour installer un « cirque » à l’occasion du mariage de son fils à Arz. Le second concerne une carrière illégale, donc sans aucune autorisation, pas trop loin de la ville de Gibran Khalil Gibran, dans la région de Qnat-Beit Mounzer-Hadath Eljebbé.

La décision de Marwan Charbel, datant du 14 août, qui a fait la une des nouvelles écologiques et le bonheur des amoureux de la nature au Liban, concerne la carrière de Qnat-Mounzer-Hadath, et non les travaux de terrassement de Gebrane Taouk à Arz. Une dizaine de kilomètres séparent les deux zones. Mon article 172 est consacré à ce dernier scandale, car celui-ci est beaucoup plus complexe et pour moi, il est beaucoup plus grave. Quant au premier, et à la décision du ministre de l’Intérieur d’ordonner aux Forces de sécurité intérieure d’arrêter la carrière, ce qui prouve que l’affaire est moins complexe (sinon la décision aurait trainé en longueur !), espérons que non seulement elle sera exécutée, ce qui est loin d’être le cas, mais en plus, que l’arrêt sera définitif et non temporaire, comme c’est souvent le cas dans des situations semblables. L’histoire des carrières au Liban est tragi-comique. Elle suit une évolution en dents de scie, dans l’esprit « je t’aime, moi non plus », comme un cycle naturel qui fait aujourd’hui partie de la vie nationale. On les maudit, on les arrête, on en a besoin, on ferme les yeux, on les autorise, on s’indigne, on les interdit, et ça recommence. Dans tous les cas, même s’il s’agit d’une bonne nouvelle, n’allons pas vite en besogne. L’affaire de Qnat-Mounzer-Hadath est loin d’être réglée. Sur une échelle de 10, nous sommes qu’au stade 3, et je suis assez optimiste dans mon évaluation. Les poursuites judiciaires des fautifs nous fera monter au stade 6 et la réhabilitation des lieux défigurés nous fera atteindre le zénith ! Ma3lé, né7na wléd el balad.

Pour revenir au scandale concernant la forêt des Cèdres à Arz. Deux nouvelles. La première concerne l’envoi par le ministre de la Culture, Gaby Layoun, de trois lettres, deux aux ministres de l’Environnement et de l’Agriculture, et une aux dirigeants des Forces de sécurité intérieure, pour informer les premiers du scandale et demander l’arrêt des travaux par les seconds. Il aurait déposé plainte également. Là aussi n’allons pas vite en besogne. Nous ne sommes qu’au stade 2 ! Wait and see.

Plus de deux mois après le début du massacre autour de la forêt des Cèdres et à quelques jours seulement de la fin des travaux pour le mariage de William Gebrane Taouk, qui doit avoir lieu théoriquement le 24 août, il était grand temps que les membres du Comité des amis des cèdres se prononcent sur le scandale qui concerne la forêt dont ils ont la charge officiellement depuis 1985 ! Dans un premier temps, Riyad Keyrouz, le président de l’ONG, avait déclaré que le comité n’avait pas réussi à se mettre d’accord sur une position commune. Eh oui, hélas ! Il faut dire que les membres de cette organisation sont originaires de la région, donc, ils se trouvent en position très inconfortable, surtout que certains d’entre eux ont des liens de parenté avec les protagonistes du scandale, Gebrane Taouk, le responsable des travaux de terrassement du cirque, et Antonios Taouk, le propriétaire de la parcelle où sera installé le cirque du mariage. En tout cas, le 19 août le Comité a publié un excellent communiqué où il rappelle les efforts qu’il déploie depuis 28 ans pour préserver ce lieu national, et pour reboiser la zone qui l’entoure (100 000 cèdres déjà plantés à ce jour).

Cependant, je regrette que le Comité n’ait nullement fait mention du Schéma Directeur d’Aménagement du Territoire Libanais (SDATL), qui s’impose aux documents d’urbanisme loco-régionaux sur les 10 452 km2 du Liban depuis le 20 juin 2009, et qui précise clairement pour la zone des Cèdres à Arz que « les modifications apportées par l’homme doivent être étroitement évaluées et se restreindre au minimum incompressible », et qu’en dehors des installations liées au ski, les autres développements, industriels, immobiliers ou même routiers, sont totalement exclus. Bien que le risque que la forêt des Cèdres à Arz soit retirée de la liste du patrimoine mondial de l’Unesco ait été évoqué dans ce communiqué, je regrette aussi que le Comité ne précise pas que ce sont surtout les travaux pharaoniques de terrassement entrepris par l’ex-député de Bcharré pour le mariage de son fils, qui pourraient conduire à cette catastrophe nationale ! Et enfin, même si je suis en mesure de comprendre sa raison d’être, je regrette profondément toute la formulation « molle » de l’avant dernier paragraphe.

ان لجنة اصدقاء غابة الارز اذ تهنئ مسبقا الشيخ وليم جبران طوق بحفل زفافه في غابة الارز, وتتمنى له ولعروسه وللاهل دوام الفرح والبركة, تناشدهم فور انتهاء مراسم الزفاف والفرح الذي نرجوه عاما ودائما، للمبادرة كما وعد الشيخ جبران طوق الى ازالة المدرج المستحدث – المخالف - والعمل مع اللجنة والبلدية والمجتمع البيئي لتشجير هذه البقعة بشجر الارز بحيث يبقون القدوة الحسنة في اصلاح بيئتنا التي هي ثروتنا الوحيدة واننا على ثقة بانهم سينفذون وعدهم

Gebrane et William Taouk ont violé les lois libanaises, consciemment, en défigurant une zone protégée et en ne demandant aucune autorisation pour réaliser leurs travaux. Ils ont donc commis deux infractions bien distinctes. C’est sans parler des importants préjudices que j’ai détaillés dans mon dernier article (voire le lien ci-dessous), au niveau national, religieux et patrimonial. Cette acceptation du fait accompli à Arz, comme si de rien n’était, et cette complaisance à l’égard des fautifs, malgré la gravité des faits, n’ont pas leur place dans un communiqué écologique, qui concerne de surcroit un sujet d’une importance nationale, touchant l’ensemble de la population libanaise.

Les fautifs se sont engagés à réhabiliter les lieux seulement après le mariage, comme si de rien n’était. Ce qui est sûr et certain pour le moment, c’est que le cirque de Gebrane et William Taouk aura bel et bien lieu à deux pas d’une forêt classée par l’Unesco, en violation des lois libanaises, comme ils l’ont voulu, comme si de rien n’était ! Et après on s’étonne, que d’autres compatriotes kidnappent des pilotes à la sortie de l’aéroport de Beyrouth, comme si de rien n’était. Et d’autres volent le courant électrique, comme si de rien n’était. Et d’autres se baladent avec leurs armes, comme si de rien n’était. Et finalement, tout le monde ne fait qu’à sa tête dans cette mascarade d’État, comme si de rien n’était. Bienvenue au Liban, le plus beau pays au monde. A7la balad bel 3alam... yalla tla3o, wél3ané hal weekend bel aréz ! « Ah oui, mais c'est notre façon de résister », diront les huîtres.

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samedi 17 août 2013

Massacre à la pelleteuse autour de la forêt des Cèdres (à Arz). « Kel 3éréss, élo 2orés » (Art.172)


« Vous avez votre Liban. J’ai mon Liban. » Et dire que j’ai failli rater l’event de l’été 2013, le mariage du fils de cheikh Gebrane Taouk ! Wilyo, ya 3ammoei, wlik koss ékhot rabkoun ya ékhwet el charmouta, abétkhallou el sabi yétjawoaz ? Ah, bonté divine, ça fait du bien ! El mouhem, ce scandale ne peut arriver nulle part ailleurs qu’au Liban, justement dans la ville de Gibran Khalil Gibran. Il y a matière à écrire un livre. Mais, je me contenterai d’un article, long hélas, et de quelques réflexions qui complèteront tout ce qui s’est dit sur cette affaire et pour dénoncer au-delà de l’évidence.

Précisons pour commencer qu’il s’agit de Gebrane Taouk, comme ça se prononce, et non Tok, pour faire genre. Cet homme est une illustration parfaite du féodalisme libanais contemporain, que j’ai dénoncé il y a à peine quelques jours. Même formatage que Dame Sonia Frangié, mais en plus soft. Le crime contre la nature qu’il a commis, non seulement n’étonne aucun connaisseur des mentalités libanaises, mais le confirme magistralement. « Cheikh » Gebrane, comme l’appellent ses hommes, zalémto wou jamé3to pour être correct, explique que le choix d’organiser le mariage de son fils au pied des cèdres, répondait au besoin « d’un retour aux sources, d’un attachement à la terre et aux racines, ainsi qu’à la volonté des habitants de la région ». Ché3ér ! Palabres au pays des palabres. Ce qui est beaucoup moins poétique c’est l’agression de Youssef Taouk, l’activiste écolo, médecin par ailleurs, sans qui nous n’aurions probablement pas eu vent du scandale, qu’après la cérémonie de mariage. Non seulement il a été roué de coups, après l’interview qu’il a accordé à la LBC, mais on lui aurait glissé à l’oreille comme matière à réflexion : « fais gaffe à toi et à ta famille ». Action, tous sur scène.

Si je me montre prolixe en politique, je suis intarissable quand il s’agit d’écologie. Pour mieux comprendre ce qui s’est passé aux Cèdres, je vous propose de faire un tour dans la tête de Gebrane Taouk. Dès qu’un nouveau-né voit le jour au Liban, la « société libanaise », représentée par ses parents, lui injecte deux produits dans les veines, pour le sensibiliser à la fois au paraître et à faire du fric. D’ailleurs, les deux sont liés. Gebrane Taouk et son fils William -celui qui était prêt à tout (tout, yé3né tout !), pour éviter qu’un syndicat prenne racine dans le Spinneys de Dbayé- n’y échappent pas à la règle. Le mariage au Liban est incontestablement, l’événement où l’on se donne le plus en spectacle, où le paraître est à son apogée, où le ridicule est parfois à son comble. L’ex-député de Bcharré veut étaler sa puissance féodale. Quoi de mieux que d’inviter 3 000 personnes pour la peine et faire la fête sur 3 jours, surtout la veille des élections législatives ! Inutile de vous dire qu’ils ne sont pas triés sur le volet, loin de là. Et puisqu’on y est, voici trois équations à retenir par cœur pour réussir un mariage à la libanaise: plus on veut paraître, plus on doit dépenser ; plus on veut dépenser, plus on doit inviter ; plus on invite, plus on sera rembourser. Si, si, le mariage au Liban est assez souvent, malheureusement, un montage d’une opération financière. Amoureux-sérieux s'abstenir ! Gebrane Taouk, en tant qu’homme d’affaires, a voulu paraître et faire du fric, disons paraître sans que cela ne lui coûte trop cher, ou même, paraître au frais de ses invités, qui, eux aussi profiteront de l’occasion pour paraître et se donner en spectacle au moindre frais. Au royaume du paraître, 3 000 invités multipliés par 150 $/invité comme « cadeau de mariage », une somme déposée sur un compte bancaire, nette d’impôts, faites le calcul, cela nous donne au moins 450 000 $ pour cette cérémonie pompeuse de quelques heures. Paraître sans débourser un sous de sa poche, oui c’est possible. Sans parler du fait, qu’une fois aménagé, ce lieu se louera à 50, 100 ou 150 000 $ le mariage, selon que l'on soit en semaine ou le weekend. On pourra même organiser des concerts très lucratifs. Le génie libanais à faire du fric, même s’il faut transformer le pays de la Bible, « où coulaient le lait et le miel », en l’endroit le plus laid de la « Voie lactée », et même si un afflux massif de milliers de voitures et de bipèdes en si peu de temps, tueraient tôt ou tard, la poule aux œufs d'or !

Il y a une autre dimension à prendre en compte pour bien saisir ce qui se passe dans la tête d’un homme comme Gebrane Taouk. L’ex-député de Bcharré considère inconsciemment que la forêt des Cèdres lui appartient. Rien d’étonnant. Il est comme tout le monde, disons au moins comme beaucoup de Libanais. Vous croyez vraiment que le gars de Faraya ou de Kfarzébian considère que la station de ski de Ouyoun el-Simane ou tallit el-Mzar appartient à tous les Libanais ? Non. Idem pour le gars de Baalbek, de Tripoli et de Beiteddine. A partir de là, envisager des travaux à proximité de la forêt des Cèdres, ne pose pas le moindre souci à un esprit comme Gebrane Taouk. D’autant plus, qu'un autre facteur important, entre en jeu, et explique l’ensemble de la démarche. Aujourd’hui, le cheikh est furax. Pas parce que ce tollé menace son cirque. Non, l’ex-député n’a aucun doute qu’il va pouvoir montrer sa puissance féodale en toute tranquillité. Il est plutôt furax parce qu’il est incompris ! Eh oui, Gebrane Taouk ne comprend pas comment des gens n’arrivent pas à apprécier à sa juste valeur son « dévouement » pour la région de Bcharré et sa forêt. Juger vous-mêmes. « Le but des travaux étant l’aménagement d’un amphithéâtre artistique, selon un plan bien étudié, qui a transformé cette décharge en un bel endroit, chic et remarquable. » Yé3né bélmchabra7, quelles bandes d’ingrats ces écolos ! Mais au fait, de quelle décharge il parle ? Il n’y a jamais eu de décharge à cet endroit. Foutaises, oui !

Je reprends mon souffle et je continue. Ce que Gebrane Taouk et son fils William ne pouvaient pas ignorer, ce sont les sept points suivants.

1. D’abord, la loi ! La présente affaire est à ne pas confondre avec ce qui se passe en ce moment même, dans le caza de Bcharré du côté de Qnat, Hadeth et Beit Mounzer, là où j’ai eu la chance de manger la meilleure man2ouché de ma vie, mais aussi là où une carrière illégale menace une autre forêt de pins et de cèdres ! La parcelle où ont eu lieu les travaux pour le mariage de William Gebrane Taouk à Arz, n’appartient pas à l’Eglise maronite. Il s’agit bel et bien d’une parcelle privée. Donc, a priori, il faut reconnaître que Gebrane Taouk avait le droit, au terme d’un accord établi avec le propriétaire du terrain, d’installer un cirque pour le mariage de son rejeton. Le hic c’est que ce cirque est monté à quelques mètres de la forêt de Dieu ! L’ancien député de Bcharré prétend qu’il n’était pas au courant de la loi qui interdit toute construction dans cette zone qui se situe autour de la forêt, alors qu’il prévoie comme le montrent les photos de la LBC, la transformation de ce flanc de montagne en terrasses et le montage de murets en pierre de taille. Et puisque nul n’est censé ignorer la loi, même cheikh Gebrane Taouk, je m’attends à ce que le ministère public de mon pays, « l’autorité chargée de défendre l'intérêt de la collectivité et l'application de la loi », se saisisse de lui-même pour juger si les travaux de terrassement de Gebrane Taouk à proximité immédiate de la forêt des Cèdres, relèvent du jardinage et de l’entretien forestier habituel, voire d’une action de bienfaisance, ou s’il s’agit d’une violation grave et caractérisée d’une zone protégée par la loi libanaise ? Juste pour rire, l’ex-député explique son choix par le fait « qu’il a tenu à ce que la ville de Bcharré voit son fils William se marier au sein de son environnement authentique et naturel ». Lol !

2. La municipalité de Bcharré affirme découvrir le désastre comme tout le monde. J’en doute. Dans un village, tout se sait, c’est pire que Facebook! Surtout le mariage du fils unique du cheikh ! En tout cas, elle affirme que Gebrane Taouk n’a demandé aucune autorisation en deux mois de travaux. Même un berger nomade du jerd sait que tout aménagement de cette importance exige des autorisations préalables, même au Liban. Mais apparemment pas un ex-député de la nation pendant 28 ans. « Si tenir à ses racines est une faute, je suis prêt à assumer mes responsabilités. » Pourquoi, « tenir à ses racines » autorise la défiguration de ce lieu hautement symbolique pour l’ensemble des Libanais, en violant, par deux fois, l’interdiction de construire à proximité d'une forêt classée et la déclaration obligatoire des travaux ? Il n’y a pas de doute, Gebrane Taouk vit dans un monde à part. L’engagement de ce dernier à réhabiliter les lieux, ne dispense absolument pas le Conseil municipal de Bcharré et les autorités du caza de Bcharré, de prendre les mesures nécessaires afin de sanctionner ces manquements légaux, et prouver que non seulement nul n’est censé ignorer la loi, mais surtout, que nul n’est au-dessus d’elle. Au passage, notez que le cheikh présente la réhabilitation des lieux, en minimisant son infraction, comme une initiative généreuse de sa part et non comme une obligation légale et morale. Et ce n’est pas tout, Gebrane Taouk se dit prêt à entreprendre la réhabilitation, à l’amiable, dans le cadre d’une « évaluation » des travaux, seulement après le mariage de William ! Wlik ya din el ayr, el sabé béddo yétjawoaz bel Aériz ! Consternant.

3. Tout Libanais chrétien, spécialement maronite, notamment ében Bcharré sait, que cet îlot de cèdres, se distingue de toutes les autres forêts du même genre au Liban, notamment par le fait qu’il est connu sous le nom de Arz el-Rab, les Cèdres de Dieu. Il faut savoir que la légende populaire veut que la transfiguration de Jésus -un événement capital pour le christianisme, relaté dans les Evangiles de Mathieu, Marc et Luc, et qui désigne la métamorphose miraculeuse du Christ, « son visage resplendit comme le soleil, et ses vêtements devinrent blancs comme la lumière », avec l’apparition de Dieu, ainsi que des prophètes Moïse et Elie, en présence de Jean, Pierre et Jacques, afin de montrer la nature divine de Jésus-Christ à ses disciples- qui a eu lieu « sur une haute montagne » selon les écritures, soit passée sur les cimes du Mont-Liban, du côté de Bcharré ! L’imprécision des Evangiles a donné lieu à d’autres interprétations. Certains évoquent le mont Hermon (Anti-Liban) et d’autres parlent du mont Thabor (Galilée).  
Selon ces écritures, les apparitions de Dieu, Allah ou Yahvé, aux êtres humains, se comptent sur les doigts d'une main, ce qui fait de la Transfiguration un événement exceptionnel. Que cela soit véridique ou pas, et que l'événement eût lieu au Liban ou ailleurs, ében Bcharré y croit dur comme fer à l'un et à l'autre, et cela Gebrane Taouk ne pouvait absolument pas l’ignorer. Et là réside aussi, une part de sa faute. Si la parcelle où a eu lieu ce crime contre la nature n’appartient pas légalement à l’Eglise maronite, cette dernière est censée veiller à la sacralisation des lieux hautement symbolique pour les communautés chrétiennes, notamment maronite. Et là encore, l’engagement du fautif à réhabiliter les lieux, ne dispense pas d’une sanction religieuse, ne serait-ce qu’un communiqué condamnant fermement ce qui relève du « blasphème ». L’ironie de l’histoire a voulu que ce « blasphème » se déroule à la fête de la Transfiguration, 3id el tajallé, qui est célébrée par les Eglises chrétiennes, le 6 août. En tout cas, nous sommes en droit d’attendre de l’Eglise maronite qu’elle refuse de marier le fils de Gebrane Taouk, tant que les lieux n’ont pas retrouvé leur configuration originale. La miséricorde chrétienne viendra ensuite. Ma3lé.

4. En 1998, le Comité intergouvernemental du patrimoine mondial de l'organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture, l’UNESCO, a décidé d’inscrire la vallée de la Qadisha, ainsi que la forêt des cèdres, sur la liste du patrimoine mondial, qui compte à ce jour 759 biens culturels dans le monde, dont 5 au Liban (Baalbek, Byblos, Anjar, Tyr et Qadisha-Arz). La vallée de la Qadisha y figure parce qu’il s’agit de « l'un des plus importants sites d'établissement chrétien au monde, et ses monastères, souvent très anciens, s'inscrivent dans un extraordinaire paysage accidenté. » La forêt des cèdres, dont l’histoire est liée à celle de la Vallée sainte et qui nous intéresse aujourd’hui, y figure parce que c’est « le dernier vestige des forêts antiques et l'un des rares sites où pousse encore le Cedrus lebani, cité 103 fois dans la Bible, un arbre très prisé jadis pour la construction de grands édifices religieux (dont les temples de Jérusalem) ». Cette forêt est protégée par des lois générales et par divers textes spécifiques, toujours valides, dont les premiers datent de l’époque du mandat français.
Alors que le Comité du patrimoine mondial demande aux autorités libanaises, depuis des années, que certaines mesures de protection soient envisagées, notamment celle de dégager les environs de la forêt et d'éloigner les magasins de souvenirs (une horreur !), voilà que Gebrane Taouk décide de nous compliquer la tâche, en faisant des travaux de terrassement à proximité de ce site classé. On croit rêver ! Sachez aussi, que le Threat Intensity Coefficient pour le site de Qadisha-Arz, un paramètre qui évalue l’état de conservation et les menaces qui pèsent sur les sites classés par l’Unesco, sur une échelle de 100 (menaces maximales), a grimpé de zéro dans les années 2000-2001 (où la menace était minimale) à 17 en 2011. Gebrane Taouk n’a pas eu encore le culot de prétendre que ses travaux de cirque pour marier son fils, allaient faire baisser le coefficient. Allah yéstour pour le chiffre de 2014 ! Autre chose. La superficie de la zone classée, la forêt des cèdres proprement dite, est estimée à 10,2 hectares (1 ha = 10 000 m²). Par contre, la zone tampon du site est censée atteindre 646 hectares, soit 6 460 000 m², ce qui représente 3/4 de celle du Bois de Boulogne à Paris et un peu moins de deux fois celle de Central Park de New York. L’Unesco prévient que « de nouvelles constructions à l’intérieur d’une zone tampon peuvent avoir un impact sur un bien du patrimoine mondial et menacer sa valeur universelle exceptionnelle. » Alors franchement, j'aimerai bien savoir qu’est-ce qu’ils en pensent Gebrane et William Taouk ? Wlé ya zalmi achbok ? Laïk, 2ol zone tamponn ! Wlik ya din el aïyr, el sabé beddo yétjawoaz bel Aérz ! Encore une raison qui devrait pousser le ministère public à bouger de lui-même. Afin de le motiver, les députés de la région, Elie Keyrouz et Sethrida Geagea (épouse de Samir Geagea, et nièce de Gebrane Taouk, avec qui elle a toujours eu de très mauvais rapports, soit dit au passage!) ont dénoncé « la défiguration flagrante qui touche les environs immédiats de la forêt historique des cèdres, d’autant plus qu’il met en danger la forêt qui risque d’être retirée de la liste du patrimoine mondial ». Les députés de Bcharré demandent à la municipalité de la ville et au Comité des Amis de la forêt des cèdres (une ONG en charge de la gestion de la forêt) « de prendre position concernant cette grave infraction » et aux ministres de l’Environnement, de la Culture, du Tourisme et de l’Agriculture de « se saisir de cette affaire afin de rétablir la situation qui prévalait, le plutôt possible ». Wait and see.

5. Tout Libanais sait, surtout s’il est originaire du Nord, que dans la mémoire collective libanaise, toutes communautés confondues, aussi bien musulmanes que chrétiennes, le cèdre de notre drapeau national, qui nous rappelle amèrement que tout le Mont-Liban biblique était recouvert par ce majestueux arbre, n’est pas un cèdre du Barouk, ni un cèdre de Maaser el-Chouf, ni un cèdre de Tannourine, mais c’est bel et bien un cèdre de Bcharré-Arz ! Cela s’explique par diverses raisons : la présence de nombreux arbres millénaires dans cette forêt, la légende de la Transfiguration, l’ancienneté de la protection du site (dès le mandat français), la station de ski (la première au Liban) et sa situation géographique (un îlot de verdure caché dans cet environnement aride). C’est pour dire, que les cèdres de cette forêt ne sont vraiment pas comme les autres. Ils constituent le patrimoine de tous les Libanais. Et que personne, pas même le bon Dieu, n’a le droit de défigurer une région aussi symbolique pour tout un peuple, à des fins bassement personnels et mercantiles, en violation aussi flagrante de la loi. L’intéressé, nombriliste comme tout féodal qui se respecte, a le culot de préciser dans son communiqué à 5 piastres, qu’il ne voit dans ce tapage médiatique « qu’une tentative délibérée de certains personnes lésées, de perturber un événement familial et populaire. » C’est c’là oui, encore un adepte de la théorie du complot ! Lamentable.

6. Gebrane et William Taouk auraient dû se renseigner quand même avant d’entreprendre des travaux pharaoniques, même à l’abri des regards, même à 76 km de Beyrouth et même à 2000 m d’altitude. Ils auraient appris par exemple, que depuis le 20 juin 2009, un Schéma Directeur d’Aménagement du Territoire Libanais (SDATL) existe et s’impose aux documents d’urbanisme loco-régionaux sur les 10 452 km2 du Liban. « Mabsout bé7alak BB ? » Chou lakénn ! La lecture de ce document a suscité en moi un bonheur indescriptible. Le Conseil du Développement et de la Reconstruction (CDR) qui en est l’auteur précise dans son introduction que « Le territoire national est le patrimoine commun du peuple libanais. Le devoir de chaque génération de Libanais est de le transmettre, dans l’intégralité de ses richesses, aux générations futures, après en avoir fait un usage raisonné et l’avoir développé selon des voies qui n’altèrent pas son caractère ou le potentiel qu’il représente » Chapeau ! 

En pratique, depuis 2009, la loi libanaise prévoit une utilisation restrictive des terres dans les zones naturelles, qui englobent la forêt des cèdres. Pour ce qui relève de « la haute montagne », au-delà de 1900 m d’altitude, le SDATL prévoit : « Les modifications apportées par l’homme doivent être étroitement évaluées et se restreindre au minimum incompressible. En cas de nécessité, on admettra les pylônes électriques... On évitera de construire d’autres routes... On mettra en place des règles adaptées pour dissuader les constructions... ». Eh bien, ils en prennent un coup les Taouk, père et fils ! A supposer que le cirque de William est à 1899 m, ah ha, la loi a créé ce qu'elle appelle, « le corridor des Cèdres », qui correspond à tout le versant ouest du Mont-Liban, entre 1500 m et 1900 m d’altitude. Pour cette zone, le SDATL précise : « cet espace, très peu habité, revêt une importance capitale, dans la mesure où il constitue le terroir de l’arbre emblématique du Liban, le Cèdre du Liban ». Par conséquent, le schéma directeur d’aménagement du territoire libanais prévoit de « rétablir les continuités écologiques tout au long de ce corridor, par des plantations de cèdres ». Extraordinaire. Il n’est nullement question d’amphithéâtre grotesque pour le mariage ridicule d’un fils à papa ! En dehors des installations liées au ski, les autres développements, industriels, immobiliers ou même routiers, sont totalement exclus. Waouh ! Non, mais on le sait, au Liban, ce ne sont pas les lois qui manquent, c’est leur application qui fait souvent défaut.

7. Et comme on dit dans nos contrées, kel 3érés elo orés. Affaire à suivre.


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