lundi 5 août 2013

« On ne peut pas forcer tout le monde à aller au paradis ». Le pique-nique du ramadan en Algérie (Art.168)


Je ne peux m’empêcher de comparer ces deux situations. Femen vs. Kabylie ! D’un côté, nous avons les Femen, des féministes contemporaines occidentales, les chouchous sans froufrous des foufous photographes, toujours partants pour se rincer l’œil, activistes aux seins nus, qui tentent de recruter dans le monde arabe, en Egypte et en Tunisie, pour donner à leur mouvement un caché cosmopolite, et qui débarquent à l’improviste, dévoilent leurs attributs féminins et dénoncent un tas de choses, dont « l’islamisation » de la société arabe. Combat juste, mais creux, qui prend pour certains, un caché de plus en plus colonial dans les pays aux traditions fortes, et exhibitionniste dans les pays occidentaux. De l’autre côté, nous avons ces Algériens de Kabylie, 300 à 500 personnes, en majorité des hommes, qui se sont rassemblés ce weekend, pour un pique-nique collectif dans la journée, afin de rompre en public et d'une façon spectaculaire, le sacro-saint jeun du ramadan, et dénoncer, eux aussi et à leur manière, « l’islamisation » de la société arabe.

Cette manifestation audacieuse s’est tenue à Tizi Ouzou, une des principales villes de la Kabylie (100 km d’Alger, 150 000 habitants). Elle n’aurait jamais pu avoir lieu, aucun incident svp!, sans le Printemps berbère (une lutte qui a éclaté à Tizi-Ouzou justement, dans les années 80, et qui se poursuit jusqu’à aujourd’hui, pour réclamer la reconnaissance de l’identité berbère) et surtout sans le Printemps arabe (depuis 2011). Ce dernier a libéré les populations arabes de la peur des « autorités ». Certes, la « recherche identitaire » est partout critiquable, et la route de la laïcité dans le monde arabe est encore longue, mais il n’empêche, de plus en plus de voix s’élèvent dans ce monde arabe, comme celles de ces pique-niqueurs par exemple, pour affirmer le droit de tout un chacun, de croire ou de ne pas(plus) croire, de pratiquer leur religion ou de ne pas(plus) pratiquer leur religion, de jeuner ou de ne pas(plus) jeuner. Oui, de plus en plus d'Arabes, en Orient comme en Occident, bel Machre2 kama fi el Maghreb, proclament haut et fort, leur droit de choisir, leur droit à la différence et surtout, leur droit à l’indépendance par rapport à la communauté à laquelle ils sont censés appartenir.

Il est clair que ce sont les actions authentiques, comme celles de ces Algériens ce weekend, et non le show d’artifice des Femen, qui feront évoluer les sociétés arabes, libanaises comprises. Au pays du Cèdre, du houmous et des 17 communautés religieuses, où l’on n’est même pas fichu d’avoir une loi électorale juste à cause de l’esprit communautaire, bala laf wou dawaran, voici quelques questions dérangeantes qu’il vaut mieux qu’on se les pose tôt que tard ! Puisque l’occasion se présente, alors profitons-en. Falnakoun wadi7ine, cet examen de conscience est facultatif quand même. Il est encore temps d’arrêter la lecture et de revenir à une activité cérébrale plus pépère. Sinon, voyons alors.

Combien de maronites mangeront de la viande crue le vendredi saint sans qu’ils soient condamnés au bûcher par la communauté ?
Combien de druzes épouseront des extracommunautaires sans que les grands frères ne viennent trancher le zizi des malheureux élus ?
Combien de chiites dégusteront des travers de porc avec une bonne pinte de bière pour fêter la fin du ramadan sans se faire griller par la milice de la communauté ?
Combien de protestants considéreront les catholiques comme des chrétiens à part entière, sans qu’ils se fassent lyncher par leurs coreligionnaires ?
Combien de juifs dénonceront la colonisation israélienne des Territoires occupés sans qu’ils soient accusés de haine de soi et frappés d’anathème par le peuple élu ?
Combien d’orthodoxes oseront se déhancher dans une église à l’écoute des chants religieux sans se faire crucifier par la communauté ?
Combien de sunnites déjeuneront en public en plein ramadan, au vu et au su de tous, sans qu’ils soient lapidés par la communauté ?
Combien d’athées, de maronites, de druzes, de chiites, de protestants, de juifs, d’orthodoxes et de sunnites cohabiteront dans la tolérance et le respect mutuels, en toute humanité et en toute humilité ?

Toujours est-il, revenons à cette action peu commune de ce groupe d’Algériens. Ont-ils choqué ? Certainement. Faut-il les poursuivre sur le plan judiciaire ou social ? Absolument pas. Fallait-il choquer ? Oui et non. Oui, il le fallait, car les pratiques changent, les sociétés doivent s’adapter et les diktats des communautés doivent être contrés. Par contre, il est déplacé de se demander si ces individus ont « choqué », car il ne faut pas oublier, n’ont été choqués que ceux qui considéraient que ces 500 citoyens d’Algérie avaient l’obligation de faire le ramadan parce qu'ils sont nés « musulmans ». C’est cela qui pourrait choquer. Eh oui, nuance, quelle nuance ! Comme le dit merveilleusement bien Hamid, un retraité qui fait partie des protestataires : « Il faut bien mettre un holà à tout cela. On ne peut pas forcer tout le monde à aller au paradis. » Il me fait penser incontestablement à l’adage : « L’enfer est pavé de bonnes intentions ». Et de pratiques hypocrites surtout ! Ne pas manger de viande crue le vendredi saint ou jeuner tout le mois de ramadan, et arnaquer son prochaine dès le mardi suivant et au mois de chaabane, conduisent sans l'ombre d'un doute, directement en enfer. Avis général de tempête !