vendredi 5 août 2016

La République française et l'Eglise catholique se passeraient bien des défenseurs zélés de la France et du christianisme, plus obnubilés par la récupération politicienne et l'affrontement idéologique que par l’Etat de droit et les enseignements de Jésus (Art.379)


Il est rare dans un événement, d’avoir un contraste aussi marqué entre la réalité et la fiction. L’affaire de l’Eglise Sainte-Rita a déchainé les passions de certains individus et des hommes politiques sur les réseaux sociaux, aussi bien en France qu’au Liban. Sur les traces de Jésus de Nazareth, je tenterai dans cet article de « rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu », en démêlant les faits des fables, des phobies et des fantasmes.


1. L’Eglise Sainte-Rita, qui est située au numéro 27 de la rue François Bonvin dans le 15e arrondissement de Paris, a été construite en 1900 par un mouvement millénariste britannique du XIXe siècle qui se faisait appeler « Eglise catholique apostolique », une structure qui regroupait divers courants catholiques, anglicans, protestants et orthodoxes, qui voyait la fin des temps imminente après l'avènement de la Révolution française et la sécularisation de la France. D’emblée, il faut donc savoir qu’en dépit de cette appellation trompeuse, ce mouvement religieux n’avait rien à voir avec l’Eglise catholique, apostolique et romaine, la plus importante Eglise chrétienne, plus communément désignée par Eglise catholique, l’entité dirigée actuellement par le pape François, l’évêque de Rome et le seul prétendant catholique à la succession de Saint-Pierre. C’est la clé de voute de l’affaire de l’église Sainte-Rita. Celle-ci n’a jamais dépendu du Saint-Siège, et de ce fait, elle n’a jamais appartenu à l’Etat français, comme l'écrasante majorité des biens ecclésiastiques confisqués en 1789 au cours de la Révolution française. Ainsi, elle est restée une propriété privée depuis sa création et c’est ce qui a permis sa vente il y a quelques années par les propriétaires des lieux. Nous y reviendrons. Toujours est-il que ce mouvement religieux ne compte plus aujourd’hui que quelques dizaines de milliers de membres dans le monde, dont une centaine seulement en France, répartis sur trois lieux de cultes, dont celui de Sainte-Rita à Paris et un autre à Strasbourg.

2. Au fil des années, le mouvement religieux se retrouve en perte de vitesse et n'a plus suffisamment de monde ni pour le diriger ni pour le suivre. En 1988, le propriétaire des lieux, « L'Association des Chapelles Catholiques et Apostoliques », qui est basée aujourd'hui en Belgique et qui je le rappelle, n’est pas liée à l’Eglise catholique, décide de louer l’église Sainte-Rita à « l’Eglise gallicane », un mouvement religieux séculaire, présidé actuellement par « l’archevêque » Dominique Philippe, qui milite pour une plus grande autonomie de l’Eglise catholique de France par rapport au Vatican. On y célébrait la messe et on y bénissait dans la joie, la foi et la bonne humeur, des humains, des animaux (chiens, chats et chevaux, mais on a vu passer des ânes, des lamas et des chameaux) et même des motos. Pourquoi pas. Ces pratiques sont tout à fait légitimes dans un pays qui garantit la liberté de culte à tout un chacun, grâce à la loi de séparation des Eglises et de l’Etat de 1905. Elles feront même sourire beaucoup de monde. Le problème c’est que ni « l’Eglise » gallicane ni « l’archevêque » Dominique Philippe ne dépendent de l’Eglise catholique. Apposer l’adjectif « catholique » et utiliser la « hiérarchisation » catholique induisent en erreur. De ce fait et du point de vue de Rome, « l’Eglise gallicane » peut apparaitre comme une imposture et « l’archevêque Dominique Philippe » comme un imposteur, aussi respectable et sympathique soient-ils respectivement.

3. En 2010, des arriérés de loyers s’élevant à 47 000 € poussent le propriétaire des lieux, « L'Association des Chapelles Catholiques et Apostoliques », qui n’a rien à voir avec l’Eglise catholique, à mettre le terrain en vente. En 2010, la Commission du Vieux Paris estime que le bâtiment peut être démoli. Le permis de démolition est accordé en 2011. Un permis de construire d’un bâtiment de sept étages est délivré en 2012. Sur le plan religieux, n’ayant jamais dépendu du Saint-Siège, le bâtiment n’a jamais été « sacralisé » par l’Eglise catholique, en dépit de son appellation « Eglise Sainte-Rita ». Ainsi, sa démolition ne nécessite pas une désacralisation des lieux. D’ailleurs, le diocèse de l’Eglise catholique de Paris, comme la ville de Paris, ont bien signifié leur désintéressement pour le bâtiment, la capitale de la fille ainée de l’Eglise comptant déjà 138 églises et chapelles catholiques.

4. Au printemps 2015, le presbytère et la sacristie sont murés dans l’attente de la démolition. C’est alors que des militants de mouvements d’extrême droite et de chrétiens traditionalistes investissent les lieux et évincent la communauté gallicane de Dominique Philippe. Ils instaurent la célébration de la messe selon le rite tridentin, la liturgie codifiée par le concile de Trente (1545-1563), qui n’est plus suivie par l’Eglise catholique depuis le concile Vatican II (1962-1965), sauf par une infime minorité de prêtres dits « traditionalistes », les rebelles de l’Eglise catholique, qui sont opposés à l’ouverture de l’Eglise au monde et à la modernisation des traditions chrétiennes.

5. Le 6 janvier 2016, à la demande du propriétaire des lieux, encore « L'Association des Chapelles Catholiques et Apostoliques », qui je le rappelle pour la 3e fois ne dépend pas de l’Eglise catholique de Rome, le tribunal de grande instance de Paris ordonne l’expulsion des occupants des lieux qui se trouvent « sans droit ni titre ». En vain. Le 27 mai, à la demande conjointe du propriétaire des lieux, toujours le même, et du promoteur immobilier, la société Garibaldi, le juge des référés du tribunal administratif enjoint le préfet de police de Paris, de recourir à la force publique pour y parvenir. En vain. L’ordonnance de référé sera contestée dans un premier temps puis validée définitivement par le Conseil d’Etat le 5 juillet 2016. Ainsi, l’affaire étant tranchée, l’imminence de l’exécution de l’ordonnance du TGI de Paris rendait l’évacuation du bâtiment par la force inéluctable si elle ne se faisait pas volontairement.

6. L’expulsion des occupants a eu lieu le 3 août dans le respect des lois en vigueur en France à l'en croire la Préfecture de police de Paris. « Dans le cadre de l'exécution de cette décision de justice, le préfet de Police a accordé l'autorisation du concours de la force publique à l'huissier requérant afin de l'assister ce jour dans sa mission et remettre ainsi les locaux à usage du propriétaire. Lors de cette opération, une trentaine de personnes ont pris place à l'intérieur du bâtiment pour s'opposer à la reprise des lieux. Leur évacuation s'est déroulée sans incident. »

7. On voit bien de tout ce qui précède que ni Hollande ni Valls ni Cazeneuve ni Hidalgo ni Dark Vador ni Voldemort ni Belzébuth ni Belphégor ni Batman ni Superman ni Goldorak ni Grendizer ni Sindibad ni Aladin n’est mêlé ni de près ni de loin ni de quelque manière que ce soit aux trois décisions judiciaires et administratives, concernant un bâtiment qui a la forme d’une église catholique, squatté par des individus opportunistes se réclamant de la foi chrétienne-catholique-romaine. En dépit de son appellation « Eglise Sainte-Rita », l’édifice n’appartient pas à l’Eglise catholique de Rome. Il n'a jamais été reconnu par le diocèse de Paris et de ce fait, il n’a jamais été sacralisé par l’un des représentants hiérarchiques officiels du successeur de Saint-Pierre. Non mais, en réfléchissant bien aux faits, on se rend compte que cette affaire a pris des proportions délirantes incroyables !

Bénédiction des animaux par le mouvement
religieux "Eglise gallicane" avant que le bâtiment
dit "Eglise Sainte-Rita" ne soit occupé par
des militants d'extrême droite et des
chrétiens traditionalistes il y a moins d'un an.
8. On peut regretter la démolition d’un lieu où les animaux avaient non seulement droit de cité lors des offices hebdomadaires, mais aussi le droit d’être bénis lors d’une cérémonie annuelle organisée par « monseigneur » Dominique Philippe, qui je le rappelle a été expulsé de l'église par les chrétiens traditionalistes. En tout cas, c’est mon regret personnellement. Et je suis même étonné que ce point ne semble pas déranger les protestataires. A une époque où les hommes s’octroient eux-mêmes le droit de sacrifier 143 milliards d’animaux par an pour se nourrir avec un égoïsme consternant, j’aime bien l’idée de l’existence de refuges où l’on bénit nos compagnons sur Terre.

On peut comprendre aussi la réaction spontanée des croyants chrétiens sincères qui ignoraient ces informations et qui étaient très émus par l’annonce de la destruction d’un lieu de culte chrétien. Mais comment peut-on excuser tous les hypocrites de France, du Liban et des quatre coins de la Terre -à la larme facile, à la peau de crocodile et à l’émotion sélective- qui s’émeuvent que l’évacuation musclée se soit déroulée quelques jours après l’assassinat du père Jacques Hamel par un islamiste, qui n’ont rien à cirer du christianisme et qui sont à vrai dire à des années-lumière des enseignements de son fondateur Jésus de Nazareth, basés sur l’amour de son prochain, le partage, la compassion, le pardon, et j’en passe et des meilleurs ?

On peut déplorer également qu’un prêtre soit « trainée par terre » lors d’une évacuation de force. Mais non seulement que cette personne s’est affalée à terre toute seule et sans l’aide de personne comme le prouve la photo qui circule, mais que diable sont-ils venus faire la trentaine de lève-tôt à 6h du matin le mercredi, s’obstinant à ne pas quitter les lieux en mode bipède, alors que la veille au soir, ils ont été informés en bonne et due forme par la préfecture de police de l’évacuation programmée pour le lendemain, en vertu d'une ordonnance judiciaire ?

9. Polémiquer pour polémiquer, je veux bien, mais il y a des limites à la récupération politicienne, à la malhonnêteté intellectuelle, à la désinformation et à la crétinerie, comme toutes celles qui se sont étalées sur les réseaux sociaux en France et au Liban, autour de l’affaire de l’église Sainte-Rita. Morceaux choisis.

Commençons par l’extrême droite et le clan des Le Pen. « Et si l'on faisait des parkings sur l'emplacement des mosquées salafistes plutôt que de détruire nos églises ? », c’était la réaction de la mère Marine, qui semble plus que jamais, myope comme une taupe. « France, 2016 », ni plus ni moins, accompagné par la photo du prêtre avachi sur le tapis rouge, c’était le choix de la fifille Marion. Du côté des hommes, le patriarche des Le Pen, Jean-Marie, a préféré être faux sur le fond, drôle sur la forme et cultivé sur les bords : « S'il est une église que les socialistes devraient respecter, c'est bien celle dédiée à Sainte-Rita, patronne des causes désespérées ». La pièce rapportée des Le Pen, Florian Philippot, numéro deux du Front national, s’est trouvé un angle, à côté de la plaque, avec « Évacuation musclée de l'église Sainte-Rita à des fins immobilières, quelques jours après l'égorgement du père Hamel: quelle indécence ! ». Et les fins politiciennes, tu connais ?

La droite française n’était pas en reste. « L'évacuation par la force pour détruire l'église Ste Rita de Paris est le triste symbole de ce pouvoir socialiste sans âme et sans repère », Eric Ciotti, député Les Républicains qui se situe à côté de la plaque de Philippot. « Le pouvoir gauchiste utilise la force pour évacuer l'église Sainte Rita mais se dérobe pour fermer les mosquées salafistes. Lâches ! », Nadine Morano, la crème de la crème des Républicains et traitée de « conne » par ailleurs, lors d’un spectacle de Guy Bedos. Au passage, hasard des coïncidences ou signe du destin, l’humoriste a été relaxé dans cette affaire, la veille du tweet de la députée européenne. « Cet incident est extrêmement grave. La préfecture de police de Paris se couvre de honte », Philippe Goujon, député Les Républicains, maire du 15e arrondissement et à côté de la plaque du duo Philippot-Ciotti.

Terminons ce survol par le verdict de Dominique Philippe, l’autoproclamé « monseigneur » qui disposait des lieux avant l’arrivée des groupes d’extrême droite et des prêtres traditionalistes. « Ils se servent de la mort du Père Hamel, alors qu'il n'y a aucun rapport... Ils savaient qu'ils allaient être expulsés, ils ont tout prévu pour faire parler d'eux ».

10. Au Liban où la nouvelle s'est répandue comme une traînée de poudre dans les médias et sur les réseaux sociaux des milieux chrétiens, une partie des intervenants ne se sont pas donnés la peine de s’informer et d’informer sur le fond de l’affaire. Ils ne se sont même pas contentés d’exploiter l’événement à des fins politiciennes et idéologiques. Pire et plus grave encore, ce fut la course à la désinformation, à la fabulation et à la surenchère religieuse pour certains.

Le plus consternant de ce qui a été écrit sur le sujet en Orient, je l’ai lu sur le site Aleteia, qui est paradoxalement, un « quotidien d’information » sur internet créé en 2013, qui « propose une vision chrétienne (catholique) de l’actualité » et dont les articles sont publiés en sept langues. Alors que la version francophone d'Aleteia n’a même pas abordé l’affaire de l’église Sainte-Rita à Paris, ni sur son site internet ni sur sa page Facebook, jugeant sans doute que le sujet n’a strictement aucun intérêt pour les chrétiens catholiques francophones, la version arabophone d'Aleteia s’en chargera avec une éthique quelque peu véreuse. Le 3 août, la page Facebook AleteiaAr diffusera à ses 474 000 likeurs arabophones, le lien renvoyant à une note bâclée écrite par « l’équipe (arabophone) d’Aleteia » et publiée sur le site arabophone avec le titre délirant : « Le monde est choqué par l’implantation d’explosifs dans l’église Sainte-Rita à Paris ». Les auteurs profitent de l’occasion pour dénoncer « la décision de détruire l’église à une époque où l'on construit beaucoup de mosquées (en France) ».

Plusieurs sites libanais reprendront l’info mensongère et répéteront en chœur, qu’après l’évacuation des lieux, la police française a rapidement mis en place des explosifs pour détruire l’église. Tout un beau monde qui ignore que les bâtiments voués à la démolition en France, ne sont jamais détruits dans l’urgence, encore moins avec des explosifs ! Cette désinformation délibérée axée sur les explosifs ne doit rien au hasard. Il y a manifestement une volonté diabolique de certains extrémistes chrétiens de faire un parallélisme entre le respect de l’Etat de droit dans le cas de l’église Sainte-Rita, et les attentats terroristes islamistes. D’ailleurs, une intervenante dira clairement à propos de l'intervention de la police française, « c’est un acte qui le moins qu’on puisse dire est terroriste », et accusera les policiers français de s’être livrés à des « actes de barbarie ». On a retrouvé aussi chez certains indignés de la sphère chrétienne libanaise, un immense regret aussi hypocrite que faux de constater que « les églises d’Europe en général, et de France en particulier, sont quasi désertées. Elles sont vendues, détruites et transformées en centres commerciaux, en discothèques et en musées ».

Tout est évidemment mis sur le compte des ravages des sociétés occidentales par la « laïcité ». On croit rêver ! Ces fanatiques chrétiens ne veulent pas voir qu’ils partagent avec les fanatiques musulmans, la même haine pour la laïcité, qui pourtant, empêche le Moyen-Orient de sortir de l’enfer des conflits confessionnels dans lequel il est plongé depuis la nuit des temps. Et pourtant, ces gens doivent comprendre que ce sont précisément des paramètres comme la laïcité, qui garantit la liberté de conscience (qui englobe la liberté de religion et la liberté par rapport à la religion), et l'Etat de droit, la principale caractéristique des régimes démocratiques, qui font que l'Europe, France comprise, est un paradis, où tout le monde aimerait vivre, et le Moyen-Orient, Liban compris, est un enfer, que tout le monde voudrait fuir !

11. Hélas, il a fallu moins de deux ans pour transformer l’église Sainte-Rita, qui je le rappelle pour la énième fois dans cet article, n’est pas une église catholique consacrée, en une ZAD, une « zone à défendre », un terme contemporain créé pour désigner un squat à vocation politique. Et pourtant, comme nous l’avons vu, l’affaire de « l’église Sainte-Rita » s’inscrit pleinement dans le cadre de l’Etat de droit, une notion dont l’essence semble échapper encore une fois à beaucoup de monde, dont certains politiciens de la droite en France et une frange des chrétiens du Liban. A peine on s’est remis du débat délirant sur la sécurité après les attaques terroristes de Nice et de Saint-Etienne-du-Rouvray, on pouvait se passer de cette polémique inconsistante. Il est navrant de constater que les perspectives électorales en France, à neuf mois des élections présidentielles, ainsi que la mondialisation du terrorisme, via la menace islamiste, font perdre à certains la tête et la raison.

12. Une chose est sûre et certaine, la République française et l'Eglise catholique se passeraient bien des défenseurs zélés de la France et du christianisme, plus obnubilés par la récupération politicienne et l'affrontement idéologique que par l’Etat de droit et les enseignements de Jésus.