Il est rare dans un événement, d’avoir un
contraste aussi marqué entre la réalité et la fiction. L’affaire de l’Eglise
Sainte-Rita a déchainé les passions de certains individus et des hommes
politiques sur les réseaux sociaux, aussi bien en France qu’au Liban. Sur les
traces de Jésus de Nazareth, je tenterai dans cet article de « rendre à César ce qui est à César et
à Dieu ce qui est à Dieu », en
démêlant les faits des fables, des phobies et des fantasmes.
1. L’Eglise
Sainte-Rita, qui est située au numéro 27 de la rue François Bonvin dans le 15e arrondissement de Paris, a été construite
en 1900 par un mouvement millénariste britannique du XIXe siècle qui se
faisait appeler « Eglise catholique apostolique », une structure qui
regroupait divers courants catholiques, anglicans, protestants et orthodoxes, qui voyait la fin des temps imminente après l'avènement de la Révolution française et la sécularisation de la France. D’emblée,
il faut donc savoir qu’en dépit de cette appellation trompeuse, ce mouvement religieux n’avait rien à voir avec l’Eglise catholique,
apostolique et romaine, la plus importante Eglise chrétienne, plus communément désignée
par Eglise catholique, l’entité dirigée actuellement par le pape François,
l’évêque de Rome et le seul prétendant catholique à la succession de
Saint-Pierre. C’est la clé de voute de l’affaire de l’église Sainte-Rita. Celle-ci
n’a jamais dépendu du Saint-Siège, et de ce fait, elle n’a jamais appartenu à l’Etat français, comme l'écrasante majorité des biens ecclésiastiques confisqués en 1789 au cours de la Révolution française. Ainsi, elle est restée
une propriété privée depuis sa création et c’est ce qui a permis sa vente il y
a quelques années par les propriétaires des lieux. Nous y reviendrons. Toujours
est-il que ce mouvement religieux ne compte plus aujourd’hui que quelques dizaines
de milliers de membres dans le monde, dont une centaine seulement en France,
répartis sur trois lieux de cultes, dont celui de Sainte-Rita à Paris et un autre à Strasbourg.
2. Au fil des années, le mouvement religieux se retrouve en perte de vitesse et n'a plus suffisamment de monde ni pour le diriger ni pour le suivre. En 1988, le propriétaire des lieux, « L'Association
des Chapelles Catholiques et Apostoliques », qui est basée aujourd'hui en Belgique et qui je le rappelle, n’est pas liée à l’Eglise catholique, décide de louer l’église Sainte-Rita à « l’Eglise
gallicane », un mouvement religieux séculaire, présidé actuellement par « l’archevêque » Dominique
Philippe, qui milite pour une plus grande autonomie de l’Eglise catholique
de France par rapport au Vatican. On y célébrait la messe et on y bénissait dans la joie, la foi et
la bonne humeur, des humains, des
animaux (chiens, chats et chevaux, mais on a vu passer des ânes, des lamas
et des chameaux) et même des motos. Pourquoi pas. Ces pratiques sont tout à
fait légitimes dans un pays qui garantit la liberté de culte à tout un chacun,
grâce à la loi de séparation des Eglises et de l’Etat de 1905. Elles feront même
sourire beaucoup de monde. Le problème c’est que ni « l’Eglise » gallicane ni « l’archevêque » Dominique
Philippe ne dépendent de l’Eglise catholique. Apposer l’adjectif
« catholique » et utiliser la « hiérarchisation »
catholique induisent en erreur. De ce fait et
du point de vue de Rome, « l’Eglise gallicane » peut apparaitre comme
une imposture et « l’archevêque Dominique Philippe » comme un
imposteur, aussi respectable et sympathique soient-ils respectivement.
3. En 2010,
des arriérés de loyers s’élevant à 47 000 € poussent le propriétaire des lieux, «
L'Association des Chapelles Catholiques et Apostoliques », qui n’a rien à
voir avec l’Eglise catholique, à mettre
le terrain en vente. En 2010, la Commission du Vieux Paris estime que le
bâtiment peut être démoli. Le permis de
démolition est accordé en 2011. Un permis de construire d’un bâtiment de
sept étages est délivré en 2012. Sur le plan religieux, n’ayant jamais dépendu du Saint-Siège, le bâtiment n’a jamais été
« sacralisé » par l’Eglise catholique, en dépit de son
appellation « Eglise Sainte-Rita ». Ainsi, sa démolition ne
nécessite pas une désacralisation des lieux. D’ailleurs, le diocèse de l’Eglise catholique de Paris, comme la ville de Paris, ont bien signifié leur désintéressement pour le bâtiment, la capitale de la
fille ainée de l’Eglise comptant déjà 138 églises et chapelles catholiques.
4. Au printemps 2015, le presbytère et la sacristie sont murés dans l’attente de la
démolition. C’est alors que des militants
de mouvements d’extrême droite et de chrétiens traditionalistes investissent
les lieux et évincent la communauté gallicane de Dominique Philippe. Ils
instaurent la célébration de la messe selon le rite tridentin, la liturgie
codifiée par le concile de Trente (1545-1563), qui n’est plus suivie par l’Eglise
catholique depuis le concile Vatican II (1962-1965), sauf par une infime
minorité de prêtres dits « traditionalistes », les rebelles de l’Eglise
catholique, qui sont opposés à l’ouverture de l’Eglise au monde et à la
modernisation des traditions chrétiennes.
5. Le 6 janvier 2016, à la demande du propriétaire des lieux, encore « L'Association des Chapelles Catholiques et
Apostoliques », qui je le rappelle pour la 3e fois ne dépend pas
de l’Eglise catholique de Rome, le
tribunal de grande instance de Paris ordonne l’expulsion des occupants des
lieux qui se trouvent « sans droit ni titre ». En vain. Le 27
mai, à la demande conjointe du propriétaire des lieux, toujours le même, et du promoteur immobilier, la société Garibaldi, le juge des référés du tribunal
administratif enjoint le préfet de police de Paris, de recourir à la force
publique pour y parvenir. En vain. L’ordonnance de référé sera contestée dans un premier temps puis validée définitivement par le Conseil d’Etat le 5
juillet 2016. Ainsi, l’affaire étant tranchée, l’imminence de
l’exécution de l’ordonnance du TGI de Paris rendait l’évacuation du bâtiment par
la force inéluctable si elle ne se faisait pas volontairement.
6. L’expulsion
des occupants a eu lieu le 3 août dans le respect des lois en vigueur en
France à l'en croire la Préfecture de police de Paris. « Dans le cadre de l'exécution de cette décision de justice, le
préfet de Police a accordé l'autorisation du concours de la force publique à
l'huissier requérant afin de l'assister ce jour dans sa mission et remettre ainsi les locaux à usage du
propriétaire. Lors de cette opération, une trentaine de personnes ont
pris place à l'intérieur du bâtiment pour s'opposer à la reprise des lieux.
Leur évacuation s'est déroulée sans incident. »
7. On voit bien de tout ce qui précède que ni Hollande ni Valls ni Cazeneuve ni
Hidalgo ni Dark Vador ni Voldemort ni Belzébuth ni Belphégor ni Batman ni Superman ni Goldorak ni Grendizer
ni Sindibad ni Aladin n’est mêlé ni
de près ni de loin ni de quelque manière que ce soit aux trois décisions
judiciaires et administratives, concernant
un bâtiment qui a la forme d’une église catholique, squatté par des individus
opportunistes se réclamant de la foi chrétienne-catholique-romaine. En dépit de son appellation « Eglise
Sainte-Rita », l’édifice n’appartient pas à l’Eglise
catholique de Rome. Il n'a jamais été reconnu par le diocèse de Paris et de ce fait, il n’a
jamais été sacralisé par l’un des représentants hiérarchiques officiels du
successeur de Saint-Pierre. Non mais, en réfléchissant bien aux faits, on se rend compte que cette affaire a pris des proportions délirantes incroyables !
8. On
peut regretter la démolition d’un lieu où les animaux avaient non seulement
droit de cité lors des offices hebdomadaires, mais aussi le droit d’être bénis lors d’une cérémonie annuelle organisée
par « monseigneur » Dominique Philippe, qui je le rappelle a été expulsé de l'église par les chrétiens traditionalistes. En tout cas, c’est mon regret personnellement. Et je suis même étonné que ce point ne semble pas
déranger les protestataires. A une époque où les hommes s’octroient eux-mêmes le droit
de sacrifier 143 milliards d’animaux par an pour se nourrir avec un égoïsme consternant, j’aime bien l’idée de l’existence de refuges où l’on bénit
nos compagnons sur Terre.
On
peut comprendre aussi la réaction spontanée des croyants chrétiens sincères qui
ignoraient ces informations et qui étaient très émus par l’annonce de la destruction d’un lieu
de culte chrétien. Mais comment peut-on
excuser tous les hypocrites de France, du Liban et des quatre coins de la
Terre -à la larme facile, à la peau de crocodile et à l’émotion sélective-
qui s’émeuvent que l’évacuation musclée se soit déroulée quelques jours après
l’assassinat du père Jacques Hamel par un islamiste, qui n’ont rien à cirer du christianisme
et qui sont à vrai dire
à des années-lumière des enseignements de son fondateur Jésus de Nazareth, basés
sur l’amour de son prochain, le partage, la compassion, le pardon, et j’en
passe et des meilleurs ?
On
peut déplorer également qu’un prêtre soit « trainée par terre » lors
d’une évacuation de force. Mais non seulement que cette personne s’est affalée à terre toute seule et
sans l’aide de personne comme le prouve la photo qui circule, mais que diable sont-ils venus faire la trentaine de lève-tôt
à 6h du matin le mercredi, s’obstinant à ne pas quitter les lieux en mode bipède, alors
que la veille au soir, ils ont été
informés en bonne et due forme par la préfecture de police de l’évacuation programmée pour le
lendemain, en vertu d'une ordonnance judiciaire ?
9. Polémiquer pour polémiquer, je veux bien,
mais il y a des limites à la récupération
politicienne, à la malhonnêteté intellectuelle, à la désinformation et à la
crétinerie, comme toutes celles qui se sont étalées sur les réseaux sociaux en
France et au Liban, autour de l’affaire de l’église Sainte-Rita. Morceaux
choisis.
Commençons par l’extrême droite et le clan des Le Pen. « Et si l'on faisait des parkings sur l'emplacement des mosquées
salafistes plutôt que de détruire nos églises ? », c’était la réaction
de la mère Marine, qui semble plus
que jamais, myope comme une taupe. « France,
2016 », ni plus ni moins, accompagné par la photo du prêtre avachi sur le tapis rouge, c’était
le choix de la fifille Marion. Du côté
des hommes, le patriarche des Le Pen, Jean-Marie,
a préféré être faux sur le fond, drôle sur la forme et cultivé sur les bords : « S'il est une église que les
socialistes devraient respecter, c'est bien celle dédiée à Sainte-Rita,
patronne des causes désespérées ». La pièce rapportée des Le Pen, Florian Philippot, numéro deux du
Front national, s’est trouvé un angle, à côté de la plaque, avec « Évacuation musclée de l'église Sainte-Rita
à des fins immobilières, quelques jours après l'égorgement du père Hamel:
quelle indécence ! ». Et les fins politiciennes, tu connais ?
La droite française n’était pas en reste. « L'évacuation par la force pour
détruire l'église Ste Rita de Paris est le triste symbole de ce pouvoir
socialiste sans âme et sans repère », Eric Ciotti, député Les Républicains qui se situe à côté de la
plaque de Philippot. « Le pouvoir
gauchiste utilise la force pour évacuer l'église Sainte Rita mais se dérobe
pour fermer les mosquées salafistes. Lâches ! », Nadine Morano, la crème de la crème des Républicains et traitée de « conne » par ailleurs, lors d’un
spectacle de Guy Bedos. Au passage, hasard des coïncidences ou signe du destin, l’humoriste a été relaxé
dans cette affaire, la veille du tweet de la députée européenne. « Cet incident est extrêmement grave.
La préfecture de police de Paris se couvre de honte », Philippe Goujon, député Les Républicains, maire du 15e arrondissement et à côté de la plaque du duo Philippot-Ciotti.
Terminons ce survol par le verdict de Dominique Philippe, l’autoproclamé « monseigneur »
qui disposait des lieux avant l’arrivée des groupes d’extrême droite et des
prêtres traditionalistes. « Ils se
servent de la mort du Père Hamel, alors qu'il n'y a aucun rapport... Ils
savaient qu'ils allaient être expulsés, ils
ont tout prévu pour faire parler d'eux ».
10. Au Liban où la nouvelle s'est répandue comme une traînée de poudre dans les médias et sur les réseaux sociaux des milieux chrétiens, une partie des intervenants ne se sont pas donnés la peine de s’informer et d’informer sur le fond de l’affaire. Ils ne se sont même pas contentés d’exploiter l’événement à des fins politiciennes et idéologiques. Pire et plus grave encore, ce fut la course à la désinformation, à la fabulation et à la surenchère religieuse pour certains.
10. Au Liban où la nouvelle s'est répandue comme une traînée de poudre dans les médias et sur les réseaux sociaux des milieux chrétiens, une partie des intervenants ne se sont pas donnés la peine de s’informer et d’informer sur le fond de l’affaire. Ils ne se sont même pas contentés d’exploiter l’événement à des fins politiciennes et idéologiques. Pire et plus grave encore, ce fut la course à la désinformation, à la fabulation et à la surenchère religieuse pour certains.
Le plus
consternant de ce qui a été écrit sur le sujet en Orient, je l’ai lu sur le site
Aleteia,
qui est paradoxalement, un « quotidien
d’information » sur internet créé en 2013, qui « propose une vision chrétienne (catholique) de l’actualité »
et dont les articles sont publiés en sept langues. Alors que la version francophone d'Aleteia n’a même pas abordé l’affaire de l’église Sainte-Rita à Paris, ni sur son site
internet ni sur sa page Facebook, jugeant sans doute que le sujet n’a strictement
aucun intérêt pour les chrétiens catholiques francophones, la version arabophone d'Aleteia s’en chargera avec une éthique quelque peu véreuse. Le 3 août, la page
Facebook AleteiaAr diffusera à ses 474 000 likeurs arabophones, le lien
renvoyant à une note bâclée écrite par « l’équipe (arabophone) d’Aleteia »
et publiée sur le site arabophone avec le titre délirant : « Le monde est choqué par l’implantation d’explosifs dans l’église Sainte-Rita à Paris ». Les auteurs profitent de l’occasion pour dénoncer « la décision de détruire l’église à
une époque où l'on construit beaucoup de mosquées (en France) ».
Plusieurs sites libanais reprendront l’info
mensongère et répéteront en chœur, qu’après l’évacuation des lieux, la police française a rapidement
mis en place des explosifs pour détruire l’église. Tout un beau monde qui ignore que les bâtiments voués à la démolition en France, ne
sont jamais détruits dans l’urgence, encore moins avec des explosifs !
Cette désinformation délibérée axée sur les explosifs ne doit rien au hasard. Il y a
manifestement une volonté diabolique de certains extrémistes chrétiens de faire
un parallélisme entre le respect de l’Etat de droit dans le cas de l’église
Sainte-Rita, et les attentats terroristes islamistes. D’ailleurs, une intervenante dira clairement à propos de l'intervention de la police française, « c’est un acte qui le moins qu’on puisse dire est terroriste », et accusera les
policiers français de s’être livrés à des « actes
de barbarie ». On a retrouvé aussi chez certains indignés de
la sphère chrétienne libanaise, un immense regret aussi hypocrite que faux de constater que « les églises d’Europe en général, et de France en particulier,
sont quasi désertées. Elles sont vendues, détruites et transformées en centres
commerciaux, en discothèques et en musées ».
Tout est évidemment mis sur le compte des
ravages des sociétés occidentales par la « laïcité ». On croit rêver !
Ces fanatiques chrétiens ne veulent pas voir qu’ils partagent avec les
fanatiques musulmans, la même haine pour la laïcité, qui pourtant, empêche le
Moyen-Orient de sortir de l’enfer des conflits confessionnels dans lequel il est plongé depuis la nuit des
temps. Et pourtant, ces gens doivent comprendre que ce sont précisément des
paramètres comme la laïcité, qui garantit la liberté de conscience (qui englobe la liberté de religion et la liberté par rapport à la religion), et l'Etat de droit, la principale caractéristique des régimes démocratiques, qui font que l'Europe, France
comprise, est un paradis, où tout le monde aimerait vivre, et le Moyen-Orient,
Liban compris, est un enfer, que tout le monde voudrait fuir !
11. Hélas, il a fallu moins de deux ans
pour transformer l’église Sainte-Rita,
qui je le rappelle pour la énième fois dans cet article, n’est pas une église catholique
consacrée, en une ZAD, une « zone à
défendre », un terme contemporain créé pour désigner un squat à vocation politique. Et
pourtant, comme nous l’avons vu, l’affaire
de « l’église Sainte-Rita » s’inscrit pleinement dans le cadre de
l’Etat de droit, une notion dont l’essence semble échapper encore une fois à
beaucoup de monde, dont certains politiciens de la droite en France et une frange des
chrétiens du Liban. A peine on s’est remis du débat délirant sur la sécurité
après les attaques terroristes de Nice et de Saint-Etienne-du-Rouvray, on pouvait se passer de cette polémique inconsistante. Il est navrant de constater que les
perspectives électorales en France, à neuf mois des élections
présidentielles, ainsi que la mondialisation du terrorisme, via la
menace islamiste, font perdre à certains
la tête et la raison.
12. Une chose est sûre et certaine, la République française et l'Eglise catholique se passeraient bien des défenseurs
zélés de la France et du christianisme, plus obnubilés par la récupération
politicienne et l'affrontement idéologique que par l’Etat de droit et les enseignements de Jésus.