vendredi 9 juin 2017

Affaires Nader Saab et Roy Hamouche : deux décès qui confirment la décadence de l'Etat libanais (Art.441)


Il faut des décès pour choquer l'opinion publique et la faire réagir, pas toujours dans le bon sens d'ailleurs. Et pourtant comme c'est souvent le cas, el maktoub biyen2ara men 3enweno, le titre résume le contenu.

Précisons d'entrée en matière, qu'un médecin comme Nader Saab soit bien rémunéré, est une évidence. Son long cursus pour obtenir son diplôme et les risques qu'il prend dans l'exercice de la médecine le justifient. Précisons aussi, que tout médecin, Nader Saab ou tout autre, gagne très bien sa vie, n'est pas un mal en soi non plus. Sur le plan personnel, je ne suis pas favorable aux honoraires libres, qui créent une médecine à plusieurs vitesses. Je crois que les actes médicaux et chirurgicaux doivent être tarifiés par l'Etat car ils ne sont pas des interventions comme les autres. Précisons également, que quelqu'un décède à la suite d'une opération chirurgicale aussi banale soit-elle, n'est pas nouveau dans le monde médical. Il revient à la justice libanaise de déterminer s'il y a eu des erreurs médicales et des négligences de la part de Nader Saab. Le problème c'est que plusieurs éléments laissent supposer que ça pourrait être le cas. Et en tous cas, l'affaire Nader Saab ne se limite pas au décès récent d'une de ses patientes.

Pendant des années, Nader Saab, un chirurgien esthétique de renom, a parsemé le principal axe routier du Liban par des publicités, dont le caractère commercial ne faisait pas l'ombre d'un doute, alors que cela constituait une double violation de la déontologie médicale et de la législation en vigueur. Eh oui, dans ce domaine, les textes ne laissent aucune place à des interprétations alternatives. « La médecine ne doit pas être pratiquée comme un commerce. Sont interdits tous procédés directs ou indirects de publicité ». C'est l'article R4127-19 du Code français de la santé publique. C'est également le cas au Liban et sur toutes les planètes de la Voie lactée.

Donc, quand docteur Botox louait des grands panneaux publicitaires, 4x3m, sur les routes libanaises, pour expliquer que « la beauté est rare et difficile », allusion à ses prénom et nom (« nader » et « saab » en arabe signifient « rare » et « difficile ») non seulement on avait affaire à des publicités caractérisées, de bas de gamme de surcroit, qui s'adressaient à des consommatrices pas très futées il faut bien le reconnaitre, mais le pire, c'est que le chirurgien faisait de la médecine un commerce et se mettait du coup en infraction. Plus grave encore, ce jeu de mots avec son nom est une violation flagrante de l'article R4127-20 du Code français de déontologie médicale qui précise que « le médecin doit veiller à l'usage qui est fait de son nom, de sa qualité ou de ses déclarations. Il ne doit pas tolérer que les organismes, publics ou privés où il exerce ou auxquels il prête son concours, utilisent à des fins publicitaires son nom ou son activité professionnelle ». Circonstance aggravante pour ce chirurgien, l'organisme c'est lui. En regardant cette affiche publicitaire, comment peut-on ne pas admettre que la dite « crème de caviar », qui viendrait de « Suisse » comme le laisse supposer la pub, servait d'appât à Nader Saab pour piéger des proies désoeuvrées et malmenées par leurs reflets dans les vitrines et les faire passer à la caisse de sa clinique ? Le reportage de la chaine française M6, diffusé il y a quatre semaines seulement, a très bien illustré la tactique du chirurgien. Elle est basée sur l'exploitation de ce besoin narcissique de certaines femmes, de se conformer aux canons de la beauté, par le recours excessifs aux compliments, exagérés et évidemment, intéressés. 

Dans tous les cas, le Code de déontologie médicale est formelle sur cette question. Nader Saab ne pouvait pas remettre à la poupée Myriam Klink et consorts ses potions magiques, encore moins faire de la pub pour les vendre« Il est interdit aux médecins, sauf dérogations accordées dans les conditions prévues par la loi, de distribuer à des fins lucratives des remèdes, appareils ou produits présentés comme ayant un intérêt pour la santé ». Toute la gamme de produits «Forever Young» constituerait donc une violation de l'article R4127-21 du Code français de la santé publique. 

Comme les modes de communication ont changé, les publicités de l'intéressé ont pris au fil du temps, d'autres formes aussi. « La beauté est rare et difficile », الجمال نادر وصعب se retrouve de nos jours dans ses photos et ses couvertures, sur les réseaux sociaux et presque systématiquement comme hashtag dans ses posts. La forme la plus efficace de toutes ses publicités reste sans doute ses apparitions régulières ou épisodiques, comme un chef cuisinier, sur les plateaux de médias libanais (LBC, MTV, OTV), arabes (OLN, Nawa3em) et internationaux (France 24, M6), ou sur sa propre chaine YouTube. Pour résumer la situation, on peut dire sans exagération que Nader Saab a transformé les opérations de chirurgie esthétique, qui ont parfois leur raison d'être, en plats de consommation banale. On lui a même accordé un rendez-vous hebdomadaire sur la chaîne LBC (LBC-Sat) d'Al-Waleed bin Talal. Sous le prétexte grotesque de faire de la pédagogie, il se met en scène sans gêne. Or, sur ce point le Code de déontologie médicale est parfaitement clair. « Lorsque le médecin participe à une action d'information du public de caractère éducatif et sanitaire, quel qu'en soit le moyen de diffusion (...) Il doit se garder à cette occasion de toute attitude publicitaire». C'est l'article R4127-13 du Code français de la santé publique. Là encore, en regardant ses émissions de télé et ses vidéos sur YouTube, comment peut-on ne pas admettre que l'objectif principal de Nader Saab n'est pas de piéger des proies oisives et malmenées par l'âge de leurs artères ainsi que par l'image qu'elles voudraient avoir d'elles, pour les faire passer sur le billard de sa clinique et leur vendre ses produits cosmétiques ? 

Là aussi, ce reportage de M6 (lien précédent), diffusé le 14 mai, a bien montré les pratiques douteuses de ce chirurgien qui sont à des années-lumières de l'éthique médicale comme on peut l'observer en France par exemple. Dans une vidéo postée sur son compte Instagram le 30 octobre 2016, on voit Nader Saab dans une salle d'opération, avec en arrière plan une femme dénudée. Il explique : « Beaucoup de femmes souffrent de ne pas avoir de poitrine. C'est un très grand problème qui peut affecter négativement leur psychisme et conduire à la dépression... L'augmentation mammaire est devenue très facile... Il n'y a aucun danger. Un quart d'heure de temps et la dame devient une autre femme, ayant une entière confiance en elle, la situation dans la société change, sa vie conjugale est modifiée, ses relations avec les gens aussi. Tout ceci grâce au progrès de la chirurgie esthétique. » Faut-il vraiment un expert pour savoir s'il s'agit de la pédagogie publique ou de la promotion personnelle ? Une séquence d'une minute trente de l'une de ses vidéos nases s'est même retrouvée il y a quelques jours sur « porn hub », à son insu probablement. Que le mot « lebanese (doctor) » apparaisse de nouveau sur le plus important site pornographique au monde, avec le nom de notre grande star du genre, Mia Khalifé, a préoccupé certains compatriotes prudes, plus que le décès de cette patiente jordanienne, Farah Kassab, sur la table d'opération de Nader Saab.

Parlons peu, parlons bien. Si nous sommes arrivés là, c'est surtout à cause du laxisme du Conseil de l'Ordre des médecins et de l'Etat libanais. Certes, Nader Saab a été suspendu dans le passé, mais c'était pour un mois. On dit davantage, mais il n'y a qu'une seule suspension confirmée par un ancien président du Conseil de l'ordre. Ce chirurgien esthétique n'a cessé de faire de la publicité directe et indirecte, depuis des années, 3a 3einak ya téjirr. Pas directement toujours et pas uniquement sur les routes. Les dernières ont été mises en ligne sur YouTube, Facebook, Twitter, Instagram et même Snapchat il y a quelques jours. La compagnie aérienne MEA, Middle East Airlines, continue de diffuser les annonces de Nader Saab sur ses vols, comme si de rien n'était, comme s'il n'y a pas mort d'homme. Or, comme le précise l'article R. 740-7 du décret n° 2005-776 du 11 juillet 2005 relatif aux conditions d'autorisation des installations de chirurgie esthétique en France, « une décision de refus d'autorisation (peut être prise)... lorsqu'il a été constaté une publicité directe ou indirecte sous quelque forme que ce soit en faveur de l'activité de chirurgie esthétique réalisée par le titulaire de l'autorisation ». Ce qui signifie clairement que Nader Saab n'aurait jamais obtenu le renouvellement de son autorisation d'exercer la chirurgie esthétique en France à cause de ses publicités directes et indirectes

Mais au Liban, la réalité est tout autre. Le chirurgien n'hésite pas à demander à ses fans de partager ses vidéos. Il les prévient à l'avance quand il sera dans son centre esthétique à Dubaï, qui ne semble pas être classé comme une clinique d'ailleurs, puisqu'il ne porte pas le nom. Il profite de la fête des mères et des profs pour organiser des tirages au sort et faire gagner à ses proies des crèmes de caviar. Il accorde des rabais sur certains de ses interventions, comme le montre cette pub sur ses comptes Facebook et Instagram. Il se présente comme un chirurgien esthétique de renom, mais cela ne l'empêche pas de taguer systématiquement ses posts sur Facebook, avec le nom de 13 pays arabes sur 22. Il n'oublie que 9 d'entre eux, qui semblent être les moins intéressants pour son business esthétique, dont la Mauritanie, Djibouti, la Somalie, les Comores, la Palestine et la Syrie. Là aussi et là encore, comment peut-on ne pas voir dans toutes ces publicités indirectes des appâts pour attraper des proies arabes malmenées par les miroirs de leurs salles de bain et diverses frustrations personnelles et sociétales ?

Il suffit de passer un peu de temps sur le dossier pour se rendre compte que la diffusion de toutes les vidéos de Nader Saab n'a aucune raison d'être, puisque les clips de ce chirurgien relèvent plus de la promotion que de la prévention. Aucune de ses vidéos n'est d'intérêt général, toutes sont d'intérêt personnel. L'homme a même fait partie à plusieurs reprises du jury Miss Liban dans le passé et de Miss Irak il y a peu de temps. Et ce n'est pas par philanthropie, loin de là, c'était au moment même où il devait ouvrir son 3e centre esthétique à Erbil, dans le Kurdistan, comme le montre cette vidéo égocentrique de l'intéressé, publiée il y a moins d'un mois sur compte Instagram.

Pire encore, Nader Saab a participé au lancement d'une initiative par le ministère du Tourisme pour promouvoir, tenez-vous bien, le « tourisme esthétique ». Pour Nada Sardouk, directrice générale du ministère du Tourisme de l'époque (2009), « le tourisme esthétique est un concept largement reconnu et apprécié et nous espérons qu'il contribuera à notre économie ». On a même organisé une soirée dans ce but où furent conviés le ministre de l'époque, Elie Marouni, l'ex-tyran des jeunes stars, Simon Asmar et notre défunte Sabouha, qui était à son 36e lifting. Mais voyons! Bon, il faut reconnaître que le « tourisme esthétique » bénéficie d'une meilleure réputation que le « tourisme sexuel ». Des banques libanaises accordent des prêts pour ces opérations esthétiques. Certaines se sont autorisées à faire de la pub pour les promouvoir. Et tout cela se déroule sous les yeux de ceux qui sont chargés de veiller que « la médecine ne soit pas (ne doit pas être) pratiquée comme un commerce ».

Et encore, il y a plus grave que ça. Comment diable se fait-il que le Conseil de l'ordre des médecins et l'Etat libanais aient autorisé Nader Saab à faire passer son « centre esthétique » pour « le seul hôpital esthétique accrédité par le ministère de la santé au Liban » dans toutes ses communications dont celle du 6 mars 2017 (photo et lien ci-joints), et à réaliser des opérations chirurgicales pendant toutes ces années dans un lieu dépourvu d'un service de réanimation ou d'une unité de soins intensifs ? Il a fallu de longues heures pour que la patiente jordanienne, victime d'une complication chirurgicale grave, arrive dans un hôpital qui en dispose. Hallucinant ! Peu de gens le savent, mais tout théâtre parisien digne de ce nom, a un médecin de garde lors de chaque représentation. Ah si ! Et dire qu'un théâtre à Paris prévoit le pire, mais pas une clinique de chirurgie esthétique au Liban, ni les services chargés de la contrôler. Eh oui, il a fallu le décès de cette jeune mère de deux enfants, pour que le ministre libanais de la Santé, Ghassan Hasbani, interdise enfin, une fois pour toutes et à partir du 5 juin, les opérations chirurgicales dans les hôpitaux de jour et les centres esthétiques. N'est-ce pas pathétique ? Et avant que je n'oublie, puisqu'on y est, le ministre de la Santé ferait bien de faire examiner cette fameuse « crème de caviar » pour s'assurer qu'il ne s'agirait pas à tout hasard de la poudre de perlimpinpin

*

L'autre décès révoltant qui a bouleversé l'opinion publique libanaise est celui de Roy Hamouche. Accrochage de voitures, fuite et course-poursuite dans Beyrouth. Deux jeunes diplômés sont traqués par une bande de racailles armées. Un des jeunes est abattu de sang froid à bout portant. L'assassin est rattrapé par les Forces de sécurité intérieure quelques heures plus tard. Il était tranquillement installé chez sa copine.

La bande de racailles de la Quarantaine appartient au mouvement Amal, dont le chef n'est autre que le président actuel du Parlement libanais, depuis 1992, Nabih Berri, ancien seigneur de la guerre du Liban (1975-1990). La dissémination des armes à feu au Liban, qui se retrouvent essentiellement entre les mains des milices libanaises chiites et palestiniennes, explique en grande partie cette tragédie. Mais réduire ce meurtre à ça uniquement, c'est avoir la mémoire courte. En juillet 2015, le meurtrier d'Achrafieh n'était pas musulman (mais chrétien), n'appartenait pas au parti Amal (mais était un protégé d'un homme d'affaires) et n'avait pas une arme à feu (mais un couteau), et pourtant, il avait commis lui aussi un meurtre gratuit, barbare et odieux comme celui d'aujourd'hui. Des meurtres dans ce genre, le Liban en a toujours connu. Pas uniquement à l'époque de la guerre. Les femmes battues à mort par leurs maris aux quatre coins du pays du Cèdre, tombent aussi dans la catégorie des crimes gratuits, barbares et odieux. Nul besoin de raison, de couverture politique et d'une arme pour devenir un grand criminel.

Cette introduction impose deux constats qu'il faut rappeler surtout quand l'opinion publique est en émoi. D'une part, l’Etat ne peut pas prévenir totalement ce genre de crimes. C'est impossible, que ça soit au Liban, en France, en Suède ou aux Etats-Unis. D'autre part, ces crimes sont rares de nos joursDieu merci, la majorité des gens au Liban et ailleurs, sont normaux et tous les accrochages dans nos sociétés, sur les routes et entre voisins, ne finissent pas dans les pleurs, à la morgue pour les uns et derrière les barreaux pour les autres. A la base, c'est une question de mentalité et d'état d'esprit qui dépendent étroitement de l'éducation, donc des parents. Il faut permettre aux enfants d'avoir confiance en eux, mais bien se garder d'en faire des petits tyrans qui ne supportent pas la moindre contrariété et qui deviennent des monstres à la moindre frustration. 

Comme après chaque meurtre gratuit et barbare au Liban, des voix se sont élevées tout de suite pour dénoncer la perte des valeurs religieuses au Liban. D'autres voix, qui portent plus loin, ont réclamé la peine de mort illico presto. La dernière fois, Nadim Koteich, le journaliste-star dont l'opinion reflète bien ce désidérata d'une frange de la population libanaise, entre la plaisanterie et le sérieux, avait mis en garde les autorités : « Si l’Etat ne le tue pas (l'assassin), appelons à la formation d’un groupe de tueurs professionnels, à l’instar de Robin des Bois, sa mission sera de chasser et de liquider ces animaux humanoïdes, et que la justice (libanaise) s’amuse avec d’autres affaires et enquêtes ». Bon, dans cette confusion des genres, rappelons un fait basique tiré des statistiques des crimes dans le monde : de tout temps et en tout lieux, ni la religion ni la peine de mort, n'a jamais diminué les assassinats qu'ils soient gratuits ou pas. Bien au contraire, c'est la prison à vie, avec la perspective de mourir à petit feu, qui peut éventuellement dissuader quelqu'un de commettre un meurtre.

Certains motivent leur revendication par le fait que la performance de la justice libanaise laisse beaucoup à désirer. L'ironie de l'histoire c'est que ces personnes ne se rendent pas compte que ce constat devrait faire d'eux des abolitionnistes. Justement, un des arguments contre la peine de mort réside dans l'éventualité d'une erreur judiciaire et dans la possible politisation de la justice pour neutraliser les opposants en toute impunité, comme c'était le cas à l'époque de la Terreur syrienne au Liban (1990-2005) et comme c'est le cas de nos jours partout dans le monde arabe, notamment en Egypte et en Arabie saoudite, ainsi qu'en Chine, en Turquie et en Iran. Si on avait appliqué la peine de mort au Liban, Samir Geagea serait chez ses aïeux depuis longtemps. Même si ce n'est pas le cas du meurtrier de Roy, on imagine bien qu'on peut être amené à exécuter une personne par un acte irréversible et se rendre compte par la suite qu'elle était innocente. Il suffit de faire un tour aux Etats-Unis pour mesurer la gravité du problème. On estime que près de 4% des condamnés à mort sont innocents. Et encore, c'est aux Etats-Unis, où le système judiciaire est de qualité et indépendant du pouvoir politique.

« La peine de mort est le signe spécial et éternel de la barbarie ». C’est un extrait d'un discours de Victor Hugo prononcé devant l’Assemblée nationale française il y a 169 ans. Tout meurtre est évidemment révoltant, nous sommes tous d’accord là-dessus. Mais, ce n’est pas plus de barbarie qui pourrait rassurer le peuple libanais. C'est plus d’Etat de droit qui le fera. Si notre système judiciaire est défaillant, nous devons nous battre pour l'améliorer. Je ne me joindrai jamais à ceux et celles qui prônent consciemment ou pas la violence, la vengeance et la vindicte populaire. Je préfère rejoindre celles et ceux qui réclament fermement et tout simplement que justice soit rendue. Il y a une énorme différence entre une société qui se fait justice pour apaiser un peuple en colère via la peine de mort, et une société qui rend la justice au nom d'un peuple apaisé via la condamnation des meurtriers à la réclusion criminelle à perpétuité. Chacun est libre de réclamer et de défendre la peine de mort. 

Dans tous les cas de figure, il faut que le peuple libanais, et à sa tête le ministre de l'Intérieur, Nouhad Machnouk, comprenne que les crimes au Liban ne sont pas plus odieux qu'ailleurs sur notre planète et la tendance mondiale va vers l'abolition. Personnellement, je suis pour que le Liban soit dans le camp de la majorité des pays du monde -dont ceux de l'Union européenne, le bastion des droits de l'homme- et non dans le camp des Etats-Unis, de la Chine, de l'Inde, de l'Arabie saoudite et de l'Iran, où la situation des droits de l'homme est le moins qu'on puisse dire, inquiétante. Pour toutes ces raisons et contre vents et marées, je continuerai à militer pour l'abolition de la peine de mort au Liban et le renforcement de l'Etat de droit au pays du Cèdre, notamment en ce qui concerne l'interdiction totale du port d'armes en dehors des forces armées libanaises, la perpétuité incompressible avec une période de sûreté illimitée, l'application stricte du Code de déontologie médicale pour ce qui relève de l'interdiction des publicités directes et indirectes dans les domaines de la médecine et de la chirurgie esthétiques, une répression accrue des auteurs de violences conjugales, la préservation de l'indépendance de la justice libanaise des pouvoirs politiques et financiers, et j'en passe et des meilleures. Nous devons en faire autant de thèmes de campagne. Tout-e candidat-e aux prochaines élections législatives, qui a la prétention de représenter le peuple, devrait s'engager en faveur de ces points précis. A défaut, il-elle devrait être congédié-e sans état d'âme, quelles qu'en soient son appartenance communautaire et sa tendance politique. 

lundi 5 juin 2017

Le retrait des Etats-Unis de l'Accord sur le climat : l'obsession de « l'America first » de Donald Trump conduira à « l'Anti-Americanism second » dans le monde (Art.440)


Comme c'était prévisible, le président des Etats-Unis a décidé de se retirer de l'accord sur le climat conclu à Paris dans le cadre de la COP21. La décision de Donald Trump est suffisamment grave qu'elle suscite un tollé médiatique et quinze réflexions.

1. L'ACCORD INTERNATIONAL SUR LE CLIMAT : UNE DÉCLARATION DE L'ETAT D'URGENCE SUR TERRE

L'Accord sur le climat concerne l'engagement de 194 pays du monde (plus l'Union européenne), le 12 décembre 2015, à prendre des mesures efficaces à l'avenir « en contenant l'élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels et en poursuivant l'action menée pour limiter l'élévation de la température à 1,5 °C » (Article 2).

Il faut bien dire qu'il est urgent d'agir. Nous sommes à 0,85 °C déjà. Si on ne fait rien, nous aurions jusqu'à 4,6 °C de plus à la surface du globe terrestre à la fin du 21e siècle, par rapport à la fin du 20e siècle. Continuer comme si de rien n'était et les conséquences seront dramatiques et irréversibles pour tous: fonte des glaces, montée des eaux, acidification des océans, augmentation des précipitations (en Amérique et Europe du Nord), inondations, canicules, sécheresse (en Méditerranée), disparitions d'espèces, déplacements de populations, rendement agricole abaissé, sécurité alimentaire menacée, etc.

2. LES CONSÉQUENCES DU CHANGEMENT CLIMATIQUE SUR LA PLANÈTE BLEUE, NOTAMMENT AU LIBAN

Le changement climatique aura trois conséquences certaines, concrètes et majeures pour tout le monde. Il affectera les températures, les précipitations et le niveau des eaux. Le Liban sera affecté de plein fouet. D'une part, il pleuvra moins dans notre contrée, entrainant de graves problèmes d'approvisionnement en eau douce et de distribution d'eau potable. Déjà qu'on n'est pas gâtés. Au pays où coulaient jadis le lait et le miel, ça la fout mal. Nous connaitrons par ailleurs des épisodes de canicules de plus en plus tôt et de plus en plus long. Qui dit chaleur, dit climatiseur, d'où une hausse astronomique de la consommation électrique. Là aussi, déjà qu'on n'est pas gâtés. Ce n'est pas une Fatmagül Sultan qu'il va nous falloir, mais des douzaines de centrales électriques flottantes.

Toujours est-il que la plus spectaculaire conséquence pour l'ensemble des pays de la Planète bleue sera la montée des eaux. Toutes les régions côtières, des îles entières et de grandes villes dans le monde, dont Venise, Amsterdam, Londres, Hongkong, Tokyo, Sydney, Bombay, Singapour, Alexandrie, Rio, Buenos Aires, Miami ou même New York, sont menacées à long terme d'être englouties en grande ou en petite partie par les eaux. A 2 °C, scénario optimiste, les océans monteront de 4,7 m et engloutiront des terres actuellement peuplées par 280 millions de personnes. A 4 °C, scénario pessimiste, les océans monteront de 8,9 m, un tiers de la biodiversité périra et l'humanité devra faire face à plus de 600 millions « de déplacés et de réfugiés climatiques »

Les simulations photographiques réalisées par l'organisation américaine Climate Central, concernant les villes de Londres, Sydney et New York, et insérées dans cet article, font vraiment froid dans le dos.



Au Liban, la Méditerranée pénétrera dans Beyrouth, Tripoli, Jounieh, Saïda, Jbeïl et Tyr. Dans la capitale libanaise, l'eau arrivera au niveau de la rue d'Arménie, mais aussi aux avenues Pierre Gemayel et Emile Lahoud ; les fêtards de Mar Mikhaël pourront siroter leur Blue lagoon les pieds dans l'eau ; on pourra faire de la plongée du côté du Biel ; Zeitouneh Bay rejoindra l'Atlantide ; les étudiants de l'AUB pourront faire quelques longueurs sans quitter le campus universitaire ; notre Raouché national diminuera de taille ; la plage de Ramlet el-Baïda se vengera du protégé de Monsieur et de son projet pompeux Eden Rock Resort et la piste ouest de l'aéroport Rafic Hariri sera inutilisable à moins de recourir aux hydravions. Et ce n'est pas tout. Une partie de l'autostrade littoral baignera dans l'eau ; les avenues de Paris et de Charles Helou seront totalement englouties ; près de Dora et de Bourj Hammoud il faudra utiliser les vieux vaporettos importés de Venise qui n'en aura plus besoin, puisque la Cité des Doges aura disparue ; les dépenses engagées pour de nouveaux ponts sur l'autoroute côtière et pour le nouveau port de Jounieh, relèveront du gaspillage de l'argent public puisqu'ils ne serviront plus à rien et à personne, à part les poissons ; on retrouvera Nader Saab, le roi du botox, réfugié en haut d'un de ses panneaux publicitaires ; la marina de Dbayé, he he he, c'était une bonne idée, mais tant d'effort pour rien aussi, la mer reprendra ses droits ; les prostituées de Maameltein devront racoler un peu plus haut ; les dernières terres agricoles de Tabarja serviront de rizières à un riz résistant à l'eau salée ; Eddé Sands et leurs friends devront installer leurs lits de plage sur le bitume de l'actuel autostrade ; et j'en passe et des meilleures.

Vous trouverez ci-dessous la simulation cartographique de Climate Central pour les côtes libanaises, notamment à Beyrouth.


3. S'OCCUPER DES GAZ À EFFET DE SERRE OU DU MAIRE DE LONDRES, TRUMP SAIT CHOISIR

Au niveau du climat, tous les voyants sont déjà au rouge sauf pour le grand bouffon de la Maison Blanche. Malgré ce contexte alarmant, Donald Trump trouve quand même que c'est le moment idéal pour annoncer le retrait des Etats-Unis de l'Accord sur le climat et de mettre toute son énergie pour exploiter la récente attaque terroriste odieuse de Londres. « Au moins 7 morts et 48 blessés à cause d'une attaque terroriste et le maire de Londres dit qu'il n'y a 'pas de raison de s'alarmer!' » Sadiq Kahn parle de la présence policière massive dans sa ville suite à l'attaque et non de l'attaque elle-même. Mais il n'y a rien à faire, comme disait Brassens, « le temps ne fait rien à l'affaire, quand on est con, on est con » et le con de Washington n'a rien voulu comprendre.

Le principal gaz à effet de serre (GES) est le CO2, le dioxyde de carbone. On y retrouve dans une moindre mesure, le méthane et le protoxyde d'azote. Rien qu'entre 1990 et 2011, les émissions annuelles de CO2 ont augmenté de 54%. Pour atteindre l'objectif de l'Accord de Paris, une hausse des températures maxi de 2 °C, l'humanité doit réduire de 70% ses émissions de GES en 2050 par rapport à leur niveau en 2010. L'Accord sur le climat n'éliminera pas totalement les catastrophes citées précédemment. Il limitera simplement les dégâts. Pour y parvenir il est impératif de contrôler diverses activités humaines: l'extraction et la combustion des énergies fossiles (pétrole, gaz), la production électrique, les transports terrestres, aériens et maritimes, la déforestation, l'agriculture intensive, etc. Inutile de dire que le combat est loin d'être gagné. De nos jours, en hiver, on chauffe les terrasses de café de Paris, en prévision de l'été, on installe une demie douzaine de climatiseurs dans les appartements de Beyrouth, et toute l'année, on roule à Miami dans des voitures qui peinent à franchir le cap des 200 km avec 20 litres d'essence. Salut les Terriens, nous sommes le désastre de l'Univers.

4. L'EGOCENTRISME ET LA LÉGÈRETÉ DE TRUMP EN ANNONÇANT LE RETRAIT DES ETATS-UNIS DE L'ACCORD DE PARIS 

Tout le monde en parle, mais peu de gens connaissent les termes exacts utilisés par le président du pays le plus puissant du monde pour annoncer un événement aussi grave (à partir de 32:00). Ça vaut le détour. « Afin de remplir mon devoir solennel de protéger l'Amérique et ses citoyens, les États-Unis se retireront de l'Accord sur le climat de Paris, mais entameront des négociations pour réintégrer soit l'Accord de Paris ou une transaction entièrement nouvelle, sur des termes justes pour les États-Unis, ses entreprises, ses travailleurs, ses personnes, ses contribuables. Nous sortons donc. Mais nous allons commencer à négocier, et nous verrons si nous pouvons faire un accord équitable. Et si nous pouvons, c'est génial. Et si nous ne pouvons pas, ça va. En tant que président, je ne peux avoir d'autres considérations avant le bien-être des citoyens américains. » Tout y est : égocentrisme, simplisme, légèreté, populisme, répétition, contradiction, mercantilisme et arrogance. C'est du Trump tout craché.

5. LES ETATS-UNIS ET L'ENVIRONNEMENT : DE GRANDS GASPILLEURS DE RESSOURCES ET EMETTEURS DE GAZ A EFFET DE SERRE

Aussi grave que ça puisse l'être, l'Accord sur le climat a prévu un tel renoncement dans son article 28. Donc, ce n'est pas tant le retrait en soi qui choque le monde depuis jeudi, c'est plutôt l'identité du pays qui a décidé d'y recourir. Les Etats-Unis sont les plus grands générateurs du principal gaz à effet de serre de la planète, après la Chine. Ces deux pays sont responsables respectivement des 17,89% et des 20,09% du CO2 émis dans l'atmosphère. Ils sont suivis par la Russie (7,53%), l'Inde (4,10%), le Japon (3,79%), l'Allemagne (2,56%), le Brésil (2,48%) et le Canada (1,95%). Par comparaison la France est à 1,34%


Si tous les habitants du monde vivaient comme les Américains, nous aurions besoin des ressources de cinq planètes-Terre. Pas de quoi pavoiser pour les autres pays non plus, mais quand même, ce sont deux planètes-Terre de moins qu'il nous faudrait, si l'humanité vivait comme les Suisses, les Russes, les Allemands, les Français, les Anglais, les Japonais ou les Italiens. L'année dernière, « l'overshoot day » est tombé un 8 août. Ce qui signifie qu'en sept mois seulement, nous avons consommé la totalité des ressources que la planète Terre pouvait renouveler au cours des douze mois de l'année 2016. En l'an 2000, ce « jour du dépassement » tombait le 1er novembre, et en 1987 encore, c'était le 19 décembre. C'est comme si nous n'avions plus rien sur le compte bancaire à partir du 17 du mois. Nous sommes en déficit chronique depuis 1970. Lions, tigres, singes, éléphants, rhinocéros, baleines, tous les animaux sauvages sur Terre, sans parler des insectes, peuvent un jour ou l'autre disparaître. Pour certaines espèces, elles ne sont plus que quelques centaines, voire quelques milliers tout au plus. 

Avec le recul, on s'aperçoit que les êtres humaines ont géré la Terre d'une manière totalement irresponsable. Si Dieu a vraiment créé Adam, il ne faut vraiment pas s'étonner qu'il se désintéresse de ses rejetons. Sans l'ombre d'un doute, nous ne méritons pas cette perle de l'Univers

En tout cas, s'afficher climatosceptique passait encore dans l'autre millénaire, plus aujourd'hui. L'activité humaine est la cause principale du réchauffement des airs, des terres et des océans. C'est une certitude quasi absolue. C'est dans ce contexte accablant pour les Américains et gravissime pour l'ensemble de l'humanité, que Donald Trump a décidé de placer les Etats-Unis avec la Syrie et le Nicaragua, les deux seuls pays du monde à être en dehors de l'Accord sur le climat. Le premier pays a l'excuse d'être plongé dans la guerre, et le second juge l'Accord de Paris pas suffisamment contraignant. Au total, c'est donc le duo Trump-Assad contre le reste du monde. Qui l'aurait cru?

6. LES JUSTIFICATIONS ÉCONOMIQUES ET NATIONALISTES DU PRÉSIDENT AMÉRICAIN

Pour justifier sa décision, Trump a avancé essentiellement des arguments économiques. « L'Accord sur le climat de Paris est tout simplement le dernier exemple de Washington entrant dans un accord qui désavantage les États-Unis au bénéfice exclusif d'autres pays, laissant les travailleurs américains, que j'aime, et les contribuables, absorber les coûts en terme de perte d'emplois, de salaires inférieurs, d'usines fermées et une production économique considérablement réduite. » Pas un mot ni sur l'enjeu pour l'humanité, ni sur le fait que les Américains sont les plus grands gaspilleurs et pollueurs sur Terre. 

Comme tout bouffon dans son genre, il s'est même payé le luxe de se moquer de l'objectif de l'Accord sur le climat. « Même si l'Accord de Paris a été mis en œuvre intégralement, avec la conformité totale de toutes les nations, on estime qu'il ne produirait qu'une réduction de deux dixièmes d'un degré Celsius, pensez à cela, de la température mondiale d'ici l'an 2100 ». Trump style ! 

Par contre, il n'a pas hésité à évoquer l'argument nationaliste dans ce dossier. « Il y a également des problèmes juridiques et constitutionnels sérieux. Les dirigeants étrangers en Europe, en Asie et dans le monde entier ne devraient pas avoir plus à dire en ce qui concerne l'économie américaine que nos propres citoyens et leurs élus. Ainsi, notre retrait de l'Accord représente une réaffirmation de la souveraineté de l'Amérique. » Quoi de mieux pour refléter l'incapacité du président du pays le plus puissant au monde à comprendre l'essence même de tout accord international.

7. DANS LA LIGNE DE MIRE, LES AIDES AUX PAYS EN DÉVELOPPEMENT

Pour Donald Trump, le Fonds vert pour le climat est la goutte d'eau qui fait déborder le vase. « Au-delà des sévères restrictions énergétiques infligées par l'accord de Paris, celui-ci comprend encore un autre plan visant à redistribuer la richesse des États-Unis par le biais du soi-disant Green Climate Fund, un joli nom, qui appelle les pays développés à envoyer 100 milliards de dollars aux pays en développement (…) Et personne ne sait même où va l'argent (…) Dans le cadre de l'Accord de Paris, des milliards de dollars, qui devraient être investis ici-même en Amérique, seront envoyés aux pays qui ont pris nos usines et nos emplois. Alors pensez à cela. » 

Ce que le président américain ne parvient évidemment pas à comprendre, c'est que ce Fonds est censé aider les pays en voie de développement, à combattre les effets des changements climatiques (surtout qu'ils ne sont pas aussi responsables de ce désastre que les pays développés ; sans des aides financières, ils auront donc d'autres priorités), assurer le développement (comme les pays développés, dont les Etats-Unis justement), sans nuire pour autant à l'environnement (comme l'ont fait l'oncle Sam et ses friends, pendant des décennies). Une subtilité qui n'est évidemment pas à la portée des esprits simplistes comme Trump et ses fans. Comment voulez-vous expliquer au bouffon qui préside les Etats-Unis, que les Américains n'ont pu atteindre leur niveau de développement et leur mode de vie actuels qu'à deux conditions : en gaspillant les ressources de la Terre et en polluant la Planète bleue depuis des lustres.

8. UNE DÉCISION PRÉVISIBLE MOTIVÉE PAR LES DÉCONVENUES DE TRUMP, NOTAMMENT DANS LE RUSSIAGATE

La décision de Trump est parfaitement cohérente avec le personnage et le contexte politique. 

Primo, parce que c'était un engagement de campagne de Donald Trump. D'ailleurs, la majorité des Républicains, leaders et électeurs, y étaient favorables, contrairement aux Démocrates. Ils se sont réjouis de la décision. 

Secundo, parce que le bouffon de la Maison Blanche enchaine les déconvenues depuis quatre mois, sur le Muslim Ban (il n'arrive pas à appliquer son décret d'interdire à des ressortissants musulmans de venir aux Etats-Unis), le Mexican Wall (il n'a pas réussi ni à trouver les moyens financiers pour le construire ni à le faire payer par les Mexicains), l'Obamacare (il a eu du mal à s'en débarrasser complètement) et surtout le RussiaGate (l'étau se resserre sur lui et son entourage, il est tellement coincé qu'il a décidé de virer le directeur du FBI qui enquêtait sur ce scandale). Il est donc clair qu'il ne lui reste que la seule sortie de secours économique pour sauver la face vis-à-vis de ses soutiens républicains et éloigner le plus longtemps possible le spectre de la destitution. Et pour cela, il est prêt à tout, même à faire la danse du sabre devant les Saoudiens. « C'était un voyage très très réussi, croyez-moi »

Tertio, parce que le président républicain ne peut pas constituer l'exception à la règle, lorsque des extrémistes arrivent au pouvoir, ils ne mettent jamais de l'eau dans leur vin. Le pouvoir les radicalise davantage, surtout dans une évolution politique défavorable et un environnement hostile. Il faut d'ailleurs ne pas oublier que Donald Trump est un populiste sur le plan politique et un businessman sur le plan privé. Sa décision est cohérente avec sa double casquette.

9. LES AMÉRICAINS SE SOUCIENT PEU DU RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE

George W. Bush avait déjà refusé de signer le protocole de Kyoto. Quand cet accord international conclu lors de la COP3 pour limiter les émissions de gaz à effet de serre est passé au sénat américain en 1997, 95 sénateurs ont voté contre, 0 pour. Ce protocole n'a jamais été ratifié par les Etats-Unis, ni sous Bush ni sous Obama, alors que l'Union européenne l'a parfaitement respecté. Toutefois, il faut savoir aussi que des centaines de maires, représentant les villes américaines les plus peuplées et plusieurs grands Etats américains, ont pris des mesures drastiques pour respecter l'accord climatique. Le problème n'est donc pas né avec Trump et les Républicains en 2017, il est plus ancien et plus ancré dans la mentalité américaine. Les motifs invoqués par Bush hier, et par Trump aujourd'hui, ne sont pas climatosceptiques, ils relèvent uniquement d'ordre économique.



Les Etats-Unis pourraient être suivis par d'autres pays du monde, grands émetteurs de gaz à effet de serre. Parmi les 15 pays dont les émissions de dioxyde de carbone par habitant sont les plus élevées, on retrouve 6 pays arabes du Golfe. Les plus grands émetteurs de CO2 au monde par habitant, sont les Qataris, ils émettent 2,5 fois plus que les Américains, c'est pour dire. Toujours par habitant, les Saoudiens, eux aussi, émettent plus de CO2 que ces derniers. Les Américains, les Australiens, les Canadiens, les Russes, les Japonais, les Allemands et les Anglais, émettent entre 1,5 et 3 fois plus de CO2 que les Chinois, les Français, les Espagnols, les Italiens, les Turcs ou les Libanais. Les Koweitiens pour qui le monde entier s'est mobilisé en 1990, qui sont pourtant les troisièmes générateurs de CO2 au monde par habitant, n'ont même pas encore dédaigné ratifier l'Accord sur le climat, comme les Iraniens et comme une quarantaine de pays dans le monde. 

Eh oui, Donald Trump n'a pas complètement tort, au moins sur deux points : certains pays se foutent de la gueule du monde et il faut se méfier de l'envoie de centaines de milliards de dollars à des pays en développement ravagés par la corruption. Les Américains ne sont pas les seuls à hypothéquer l'avenir de la Planète bleue, et à refuser de changer radicalement leur mode de vie et leur économie.

10. CONSÉQUENCES A COURT TERME DU RETRAIT DES ETATS-UNIS DE L'ACCORD SUR LE CLIMAT

Aucune, absolument aucune. Donald Trump feint d'ignorer que les Etats-Unis ne pourront effectivement se retirer de l'Accord que le 4 novembre 2020. Ironie de l'histoire, cette date coïncidera avec la prochaine élection présidentielle américaine et le respect de l'Accord de Paris sera forcément un thème important de la prochaine campagne présidentielle. A supposer que Trump sera encore en place à cette date, il ne pourra pas accélérer le processus car le retrait de tout pays est régi par l'article 28 de l'Accord, qui prévoit trois ans de délais pour demander le divorce et un an de préavis avant que celui-ci ne soit prononcé. Le prochain président américain pourrait donc revenir sur cette décision. Dans tous les cas, le président français, Emmanuel Macron, qui se retrouve de facto comme le fer de lance des défenseurs de l'Accord sur le climat a été très clair sur ce sujet : « L'accord de Paris est irréversible et sera mis en œuvre ». Il a déjà obtenu le soutien de l'Union européenne, de l'Inde et de la Chine.

11. CONSÉQUENCES A MOYEN TERME

Comme l'a fait remarquer John Fitzgerald Kennedy lors d'un discours de campagne en 1959, « les Chinois utilisent deux pinceaux pour écrire le mot "crise", un coup de pinceau représente le danger, l'autre l'opportunité ». Voilà pourquoi JFK a conseillé ses compatriotes, « en cas de crise, soyez conscient du danger, mais reconnaissez l'opportunité ». L'opportunité de tirer des leçons et de rectifier le tir. La volonté du nouveau président américain de se brouiller avec les Européens, telle qu'elle s'est manifestée lors des sommets de l'OTAN et du G7, ainsi qu'avec le reste du monde, en piétinant un accord vital pour notre planète qui a fait l'unanimité, représente à la fois une « crise » et une « opportunité » pour le monde.

Cette politique isolationniste aura deux conséquences majeures. D'une part, elle renforcera les liens intrinsèques de l'Union européenne. C'est une grande opportunité pour l'Europe de confirmer son rôle d'unique et de véritable concurrent des Etats-Unis dans le monde. Dès qu'il avait tourné le dos, Angela Merkel a tenu à affirmer publiquement que le Vieux continent ne pouvait plus compter sur le Nouveau monde. C'est un appel clair à ses partenaires pour agir notamment aux niveaux de la politique étrangère, de la défense, de l'économie, etc.

D'autre part, elle développera les liens extrinsèques de l'Union européenne. Là aussi, c'est une grande opportunité pour l'Europe de renouer avec la Chine, l'Iran et la Russie. C'est dans ce cadre qu'on doit inscrire l'invitation de Vladimir Poutine par Emmanuel Macron. Par le traitement très avantageux des Américains, les Saoudiens poussent les Européens sur le chemin des Iraniens. La déclaration du Premier ministre chinois à Berlin est une réponse directe à Donald Trump : « la Chine maintiendra ses responsabilités concernant le changement climatique ». L'Union européenne discutera de gaz avec l'Iran et la Russie, moins polluant que le pétrole et le charbon, et d'énergies renouvelables avec la Chine, la voie d'avenir.

12. CONSÉQUENCES A LONG TERME

Parc solaire de Boléro au Chili
en activité depuis le 1er décembre 2016.
Avec 300 millions € d'investissement,
ses 475 000 panneaux assurent les besoins
électriques de 191 000 foyers.
EDF (France) détient la moitié des parts
Certes, en sortant de l'Accord sur le climat, les Etats-Unis réaliseront des économies importantes, continueront à exploiter les énergies fossiles et produiront sans trop se soucier de l'environnement. Mais, c'est une stratégie qui se retournera forcément contre les Américains. Parti comme c'est parti, si le retrait des Etats-Unis se confirment en 2020, c'est l'Europe et la Chine qui développeront et maitriseront le mieux la transition énergétique et le secteur des énergies renouvelables. Les investissements européens et chinois dans ces domaines sont considérables. L'Europe prévoit d'investir 500 milliards d'euros entre 2015 et 2020, dans le cadre d'un plan général qui concerne beaucoup de secteurs d'activités, dont une partie sera réservée aux projets durables. La Chine envisage de dépenser 361 milliards de dollars entre 2016 et 2020 dans le domaine des énergies renouvelables, une partie concernera le secteur nucléaire. 

En renonçant à respecter les contraintes de la COP21, en se plaçant seul contre tous et en rejetant le combat afin de sauver la planète pour des motifs bassement économiques et de courte vision, les Etats-Unis prennent un triple risque: de perdre une partie de leur leadership dans le monde au profit de l'Europe et de la Chine, d'entrainer des actions de boycott des produits américains dans le monde même de faible ampleur et d'augmenter l'anti-américanisme spécialement dans les pays occidentaux.

13. TRUMP SOUFFRE DU « COMPLEXE DE MACRON »

Il est parfaitement clair, Donald Trump souffre du complexe de Macron. Patience, puisque les mandats des présidents américain et français se chevaucheront, l'avenir le prouvera d'une manière incontestable. Mais d'ores et déjà, nous avons suffisamment d'éléments pour l'affirmer. Trump vs. Macron, tout oppose ces deux hommes ou presque: vieux / jeune ; fils à papa / self-made-man ; businessman aux six faillites / banquier d'affaires brillant ; errance politique démocrate-indépendant-républicain sur plus de 40 ans / fulgurante ascension au sommet de l'Etat en moins de 5 ans ; élu à 70 ans / élu à 39 ans ; homme populiste de bas de gamme / homme politique de haut de gamme ; conservateur / progressiste ; stupide / intelligent ; grossier / fin ; laid / beau ; et j'en passe et des meilleures. 

Les deux hommes se sont rencontrés à plusieurs reprises. Les faces-à-face n'ont fait qu'aggraver le complexe d'infériorité que ressent Donald Trump devant Emmanuel Macron. La poignée de main et la bise à Angela Merkel ont agacé au plus haut degré le premier. Et comme ce n'est jamais deux sans trois, il a fallu que le marcheur en chef de l'Elysée en remette une couche et mette le bouffon de la Maison Blanche KO.

14. MACRON GAGNE SON MATCH CONTRE TRUMP PAR KO ET EN TROIS ROUNDS

Peu de temps après la conférence de presse de la Maison Blanche pour annoncer le retrait des Etats-Unis de l'Accord de Paris, Emmanuel Macron a appelé Donald Trump pour lui signifier gentiment qu'il vient de commettre « une erreur pour les intérêts de son pays et de son peuple, et une faute pour l'avenir de notre planète ». Profitant de l'événement, il s'adressera par la suite aux Français, aux Américains et au reste du monde, à travers deux allocations, l'une en français et l'autre en anglais

Si le maître des horloges a estimé que « l'heure est grave », il a tenu à souligner dans un premier temps, la détermination de l'Hexagone à assumer ses responsabilités, contrairement aux Etats-Unis. « La vocation de la France est de mener ces combats qui implique l'humanité toute entière. C'est pourquoi la France est placée à l'avant-garde de la lutte contre le changement climatique. » Et pour couper court aux manœuvres trumpistes destinées à noyer le poisson dans une renégociation de l'Accord sur le climat pour l'adapter aux intérêts des Etats-Unis, il a affirmé avec beaucoup de force « nous ne renégocierons pas un accord moins ambitieux en aucun cas ».

Dans un deuxième temps, le marcheur en chef de l'Elysée a mis en garde le peuple américain. « Ne vous trompez pas sur le climat, il n'y a pas de plan B car il n'y a pas de planète B ». Conscient du rôle qu'on attend de lui, il a ajouté, « ce soir les Etats-Unis ont tourné le dos au monde, mais la France ne tournera pas le dos aux Américains ». Et comme toute crise est une opportunité et parce que « la France n'abandonnera pas le combat », le président français a lancé un appel « à tous les scientifiques, ingénieurs, entrepreneurs et citoyens engagés, que la décision du président des Etats-Unis a déçu » pour venir « travailler ici avec nous sur des solutions concrètes pour le climat (...) vous trouvez dans la France une seconde patrie ».

Pour conclure son message en anglais, il fallait que Macron frappe fort, très fort. Deux heures auparavant Donald Trump avait terminé son allocution par une phrase, qui non seulement souligne le caractère irresponsable de sa politique, mais qui laisse supposer que le président américain souffre gravement d'un complexe par rapport au président de la France. Il est si exaspéré par le fait que l'accord entre les 194 pays du monde sur le climat soit appelé « l'Accord de Paris » qu'il a affirmé que « j'ai été élu pour représenter les citoyens de Pittsburgh, pas de Paris » et « qu'il est temps de placer Youngstown, Ohio, Detroit, Michigan, Pittsburgh, Pennsylvanie, avec beaucoup d'autres endroits dans notre grand pays, avant Paris, en France. Il est temps de rendre à l'Amérique sa grandeur ». C'était le talon d'Achille de Trump, Macron savait où il devait frapper. Profitant de cette faiblesse, le président français n'avait plus qu'à réaffirmer au monde entier sa détermination de gagner la bataille engagée pour le climat car « partout où nous vivons et qui que nous soyons, nous partageons tous la même responsabilité : rendre sa grandeur à notre planète ». Et pif ! et paf !, en moins de dix minutes, Macron a mis son adversaire KO. Détourner le célèbre slogan de Trump, qui est de Ronald Reagan d'ailleurs, pour mieux ridiculiser son auteur et bien ressortir le caractère étriqué de sa politique, alors là, chapeau !

15. GRANDEUR ET DÉCADENCE D'UNE NATION QUI N'EN FINIT PAS DE FASCINER LE MONDE, LES ETATS-UNIS

De l'autre côté de l'Atlantique, les Américains anti-Trump sont consternés par leur président. Constatant que ce « national disaster » devient au fil des mois un « international disaster », ils sont nombreux à prendre des initiatives pour montrer une autre face de l'Amérique au monde

Les industries de l'automobile et du pétrole ont fait pression pour dissuader le président américain de franchir le Rubicon. Elles sont conscientes que la mauvaise réputation créée par Trump, affectera forcément l'économie américaine. De nombreux PDG ont fustigé cette décision, dont ceux de Disney, Goldman Sachs, Tesla, etc. Pour l'ancien Secrétaire d'Etat, John Kerry, « on se souviendra de ce choix comme l'un des plus honteux qu'un président ait pris ». D'après cet artisan de l'Accord sur le climat, qui a travaillé dur avec Laurent Fabius, le ministre français des Affaires étrangères et chef d'orchestre de l'Accord de Paris, « aujourd'hui, c'est le jour pour les villes, les Etats et les entreprises de toutes tailles, de s'engager publiquement à "vivre par Paris" »

Ainsi, la résistance s'organise. Un front écologique américain se dessine. Il est guidé par Michael Bloomberg, l'ancien maire de New York. Une alliance de plus de 200 entités, incluant des maires et des gouverneurs, des universités et des entreprises (dont Hewlett-Packard et Mars), des villes (comme Los Angeles, Atlanta et Pittsburgh) et des Etats (Californie, New York et Washington), comptent proposer un plan de secours à l'ONU dont l'objectif est de « faire tout ce que les Etats-Unis auraient fait s'ils étaient restés engagés ». Encore une preuve de la grandeur et de la décadence d’une nation, qui n’en finit pas de fasciner le monde.