mardi 24 octobre 2017

Albert Einstein : de la théorie sur la relativité au secret du bonheur, en passant par le nucléaire, le sionisme et le fantasque (Art.476)


C'est un événement qui se déroule pas loin de chez nous. A 237 km de Beyrouth, à vol d'oiseau. Mais vous ne pourrez pas y aller, l'article 285 du Code pénal libanais vous en empêche. A moins d'invoquer la jurisprudence « Ziad Doueiry » ou « Irangate », au choix, c'est tout aussi recevable. Enno chou, ness bé samné wou ness be zeit!  

Aujourd'hui seront vendues aux enchères dans la ville de Jérusalem, deux notes d'Albert Einstein, l'un des plus grands scientifiques de l'histoire, dont l'une concernant le secret du bonheur. Physicien célèbre qui a travaillé sur la « théorie de la relativité », il a eu plusieurs nationalités dans sa vie. Né Allemand, mort Américain, et entre les deux, il fut Suisse et même apatride pendant cinq ans. « E=mc2 », c'est lui. « Deux choses sont infinies: l’univers et la bêtise humaine. En ce qui concerne l’univers, je n’en ai pas acquis la certitude absolue », c'est encore lui. Bienvenue dans l'univers de celui qui personnifie le mieux l'intelligence humaine.


Photo authentique d'Albert Einstein,
fêtant ses 72 ans avec des amis à Princeton (1951)

En découvrant la science très jeune, Einstein perdit une fois pour toutes sa foi religieuse dans le judaïsme. Peu de gens savent aussi que ce génie était dyslexique et un étudiant pas très discipliné. Ce qui ne l'a pas empêché d'obtenir un prix Nobel de physique. Il épousa en seconde noce sa cousine, Elsa. Avec l'arrivée des nazis au pouvoir, il s'est installé définitivement aux Etats-Unis. Il était pacifique avec des opinions politiques plutôt socialistes. Il détestait les institutions militaires. Pour lui une « moelle épinière » suffit pour pouvoir défiler en rangs serrés sur une musique militaire.


La vie d'Albert Einstein est entachée de deux points noirs. Le premier réside dans son soutien actif au mouvement sioniste, au moment de l'effondrement de l'empire ottoman et de son dépeçage par les puissances européennes, la France et le Royaume Uni. C'était un moment crucial car c'était la période où le mouvement était le plus actif et avait le plus besoin de figures importantes. En 1920, il aidera Chaim Weizmann, futur premier président de l'Etat d'Israël, à récolter des fonds aux Etats-Unis, sachant au passage, que le nouveau président de l'Organisation sioniste mondiale faisait du lobbying par ailleurs, auprès du Premier ministre britannique de l'époque, pour dérober l'or bleu du pays du Cèdre, où coulaient jadis au temps biblique le lait et le miel. Chaim Weizmann expliquait à David Lloyd George que « tout l'avenir économique de la Palestine dépend de son approvisionnement en eau (…) nous considérons qu'il est essentiel que la frontière nord de la Palestine englobe la vallée du Litani (Liban) sur une distance de près de 25 miles, ainsi que les flancs ouest et sud du mont Hermon (Jabal el-Cheikh, une montagne de l'Anti-Liban) ». En tout cas, Albert Einstein était tout sauf apolitique. Peu de temps après cette tournée américaine, il a adressée une lettre le 27 juin 1921 à l'assemblée sioniste, où il a clairement exprimé son souhait de voir s'installer sur la Terre sainte « une patrie pour notre culture nationale (juive) » et que la Palestine devienne « un centre spirituel pour la communauté juive du monde »


Beaucoup de gens connaissent tous ces détails, mais puisque que nous y sommes et par curiosité, je vous propose d'aller plus loin. Pour nous aider dans cette tâche, il n'y a rien de mieux que de lire l'ouvrage « About Zionism », publié aux éditions The Macmillan Company à New York en 1931. Ce livre regroupe des discours et des lettres d'Albert Einstein sur le sujet. Il est très instructif. Morceaux choisis, classés par ordre chronologique. 

- 1921 : « Pour moi le sionisme n'est pas seulement une question de colonisation... Le sentiment de nationalisme juif doit être développé à la fois en Palestine et partout ailleurs. Il est en effet déplorable de nier la nationalité juive à la diaspora... Chaque juif a le devoir de protéger ses coreligionnaires. » 


- 1921 : « La reconstruction de la Palestine n'est pas pour nous les Juifs une simple question de charité ou d'émigration: c'est un problème d'une importance capitale pour le peuple juif... C'est à partir de ce point de vue que je regarde le mouvement sioniste. L'histoire nous a aujourd'hui assigné la tâche de contribuer activement à la reconstruction économique et culturelle de la Palestine. Des hommes de génie inspirés et visionnaires ont jeté les bases de notre travail... Ça serait bien si nous sentions tous la pleine signification de cette œuvre et si nous contribuions plus à son succès. » 

- 1923 : « Je suis convaincu que notre travail de colonisation en Palestine sera couronné de succès dans la mesure où nous y créerons une communauté complètement cohérente, bien adaptée pour former un centre moral et spirituel pour le peuple juif... La Palestine ne résoudra pas le problème juif, mais son développement signifiera une renaissance de l'âme du peuple juif. » 

- 1926 : « Tout juif qui se soucie de la santé et de la dignité de la communauté juive doit coopérer de tout son pouvoir à la réalisation de l'idéal de (Theodor) Herzl. »

- 1927 : « Le problème de la Palestine, tel que je le vois, est... d'abord l'affaire de l'établissement des Juifs dans le pays. Cela exige une assistance internationale à grande échelle. »

- 1925 : « Le nationalisme juif est aujourd'hui une nécessité car ce n'est que par la consolidation de notre vie nationale que nous pourrons éliminer les conflits dont souffrent actuellement les Juifs. Espérons que le moment viendra, bientôt, où ce nationalisme deviendra tellement évident qu'il ne sera plus nécessaire pour nous de lui accorder une importance particulière. » 

- 1929: « La première et la plus importante (chose à faire pour éviter les conflits en Palestine) est la création d'un modus vivendi (manière de vivre) avec le peuple arabe... Le plus grand danger dans la situation actuelle est ce chauvinisme aveugle qui peut gagner du terrain dans nos rangs. »

- 1929: « Au cours d'une brève décennie (années 1920)... 100 000 Juifs choisis sont entrés en Palestine pour racheter par leur travail physique la terre presque abandonnée. Les déserts étaient irrigués, les forêts plantées, les marécages drainés et les maladies paralysantes atténuées... 

Des foules arabes organisées et fanatisées par des intrigants politiques travaillant sur la fureur religieuse des ignorants, ont attaqué des colonies juives dispersées, ils ont assassinées et pillées partout où aucune résistance n'était offerte... N'est-il donc pas étonnant qu'une orgie d'une telle brutalité sur une population pacifique ait été utilisée par une partie de la presse britannique pour une campagne de propagande dirigée non contre les auteurs et les instigateurs de ces brutalités, mais contre leurs victimes? Non moins décevant est le degré étonnant d'ignorance de beaucoup d'organes de presse de l'accomplissement de la reconstruction juive en Palestine... Notre génération n'a vu aucun effort national d'une telle intensité spirituelle et d'une telle dévotion héroïque comme celui que les Juifs ont montré au cours des dix dernières années en faveur d'un travail de paix en Palestine... 

Le sionisme a une double base. Il est né d'une part du fait de la souffrance juive... Les premiers sionistes ont reconnu avec une profonde intuition que le problème juif ne peut être résolu par l'assimilation de l'individu juif à son environnement. L'individualité juive est trop forte pour être effacée par une telle assimilation... 

Le sionisme n'est pas un mouvement inspiré par le chauvinisme... Le sionisme n'aspire pas non plus à priver quiconque en Palestine de tous droits ou possessions dont il pourrait jouir. Au contraire, nous sommes convaincus que nous serons en mesure d'établir une coopération amicale et constructive avec la race arabe... Tout visiteur peut témoigner de l'énorme amélioration de l'économie et de la santé de la population arabe résultant de la colonisation juive... 

Les Juifs n'abandonneront jamais le travail de reconstruction qu'ils ont entrepris. La réaction de tous les Juifs, sionistes et non sionistes, aux événements des dernières semaines, a montré cela assez clairement. Mais il est entre les mains du pouvoir mandataire de laisser se poursuivre ou d'entraver matériellement la progression du travail... Je ne peux pas croire que la plus grande puissance coloniale du monde échouera quand elle devra mettre son expérience unique de colonisation au service de la reconstruction de l'ancienne maison du peuple de la Bible. » 

- 1930 : « Je suis convaincu que la dévotion du peuple juif à la Palestine profitera à tous les habitants du pays, non seulement matériellement, mais aussi culturellement et nationalement... Je crois que les deux grands peuples sémitiques (juif et arabe)... peuvent avoir un grand avenir en commun. »

Hélas, on voit bien que même un homme aussi intelligent qu'Einstein est tombé dans le piège de cette double propagande sioniste « d'une terre sans peuple pour un peuple sans terre » et « ils ont transformé le désert en un paradis ». Ce qui est désolant quand on effectue cette recherche approfondie sur l'appréciation du projet sioniste par ce grand génie de la physique, c'est de découvrir un aspect de la personnalité d'Albert Einstein totalement méconnu du public aussi bien en Orient qu'en Occident. Grâce à ces extraits, on retrouve avec étonnement un militant sioniste convaincu et déterminé, un humaniste très sensible à la persécution des ressortissants européens de confession juive, mais aussi un homme aveuglé par ses convictions idéologiques ou disons emporté par une vision utopiste des choses, certes idéaliste mais aussi un peu naïf quand même, usant de toute sa notoriété scientifique pour influencer les opinions publiques occidentales, notamment les communautés juives d'Europe et d'Amérique, ne voyant aucun méfait dans la colonisation juive de la Palestine, hermétique aux souffrances christiano-islamiques et arabo-palestiniennes, déconnecté de la réalité géo-socio-politique et totalement incapable de prévoir la catastrophe que le projet sioniste allait provoquer au Moyen-Orient pour les décennies et les siècles à venir, et dont on n'a pas fini d'en payer le prix. Comme quoi, même en s'appelant Albert Einstein, on peut être un génie dans un domaine et complètement largué dans un autre. Quelques chiffres pour montrer à quel point le physicien s'était trompé : à la fin du 19e siècle, au début du mouvement sioniste, il n'y avait que quelques milliers de Juifs en Palestine ; en 1948, à la création de l'Etat d'Israël, la Palestine était pratiquement vidée de ses habitants, 750 000 Palestiniens des 900 000 qui y résidaient, 385 des 475 villages arabes existants ont été rasés par les colonisateurs juifs venus des quatre coins du monde, notamment d'Europe. Bienvenue en Terre sainte. 



Albert Einstein à droite, lors du voyage au
Japon en 1922, où il a rédigé les deux notes
qui ont été vendues aux enchères à Jérusalem.
L'une d'entre elles portait sur le secret du bonheur,
livré peu de temps après avoir appris que le
prix Nobel de physique de 1921 lui sera attribué.
Cela étant dit, il faut nuancer l'enthousiasme du Prix Nobel pour le projet sioniste par d'autres faits. Albert Einstein a décliné des propositions pour s'installer à Jérusalem et même pour présider l'Etat hébreux. « J'ai passé ma vie à étudier des problèmes objectifs et je manque à la fois de l'aptitude naturelle et de l'expérience nécessaires pour traiter des problèmes humains ». Ce qui peut paraitre en totale contradiction avec tout ce qu'il a dit et écrit autour du projet sioniste ! En tout cas, il ne croyait pas si bien dire. A peine l'Etat d'Israël avait vu le jour, il fut amené à signer en décembre 1948, avec d'autres personnalités juives dont la politologue et philosophe germano-américaine Hannah Arendt, une pétition condamnant le massacre de Deir Yassine commis par les milices juives de Palestine en avril de la même année. Alors que la guerre civile faisait rage et que les Juifs de Jérusalem étaient encerclés par les forces arabo-palestiniennes, des miliciens juifs de l'Irgoun et du groupe Stern-Lehi (des organisations sionistes terroristes, dont la première fut dirigée par Menahem Begin et la seconde par Yitzhak Shamir, deux futurs Premiers ministres d'Israël), procèdent au massacre de 120 à 250 personnes de cette localité située à quelques kilomètres de la ville sainte, dans le but manifeste de forcer les Palestiniens par la terreur, à quitter leurs maisons, leurs villes et leur pays. C'était pour « briser le moral des Arabes, et relever celui des Juifs, affectés par la tournure des événements », comme l'a avoué un commandant de l'Irgoun et même Menahem Begin a reconnu que cela « nous a aidé à nous ouvrir un chemin vers des victoires décisives... les Arabes pris de panique s’enfuirent aux cris de 'Deir Yassine' »

Le second point noir de la vie d'Einstein est d'avoir son nom associé au projet Manhattan, qui a conduit les Etats-Unis à la fabrication de la bombe nucléaire. Mais là aussi, il faut nuancer cette contribution par d'autres faits. C'est pour donner du poids à une lettre qui devait être envoyée par des physiciens hongrois réfugiés aux Etats-Unis à Franklin Roosevelt en 1939, qu'Einstein a accepté d'y associer son nom dans le but de prévenir le président américain que le monde est à l'aube de fabriquer des « bombes d'un nouveau type et extrêmement puissantes ». Il a reconnu plus tard, « j’ai fait une grande erreur dans ma vie, quand j’ai signé cette lettre ». Par la suite, il militera pour le désarmement nucléaire, mais aussi contre la ségrégation raciale et aussi étonnant soit-il, pour le régime végétarien et « le droit à la vie pour toutes les créatures », car « la vie de l'individu n'a de sens qu'au service de l'embellissement et de l'ennoblissement de l'existence de tous les êtres vivants ». C'est Einstein dans toute sa splendeur.


Terminons ce survol biographique de cette personnalité exceptionnelle par une anecdote. Tout le monde a déjà vu la photo du Prix Nobel tirant la langue, mais peu de gens connaissent le contexte. Flash-back. Nous sommes en 1951. Harcelé et agacé par les reporters, Albert Einstein s'apprêtait à fêter son 72e anniversaire avec des amis à Princeton dans le New Jersey, quand le photographe américain Arthur Sasse, lui demande un énième sourire pour la circonstance. Qu'elle fut grande la surprise de ce dernier quand il a découvert après le développement du film qu'il a réussi à immortaliser ce magnifique « pied de nez » d'un grand génie, « destiné à toute l’humanité », comme il dira plus tard. « Cette pose révèle bien mon comportement. J’ai toujours eu de la difficulté à accepter l’autorité et, ici, tirer la langue à un photographe qui s’attend sûrement à une pose plus solennelle, cela signifie que l’on refuse de se prêter au jeu de la représentation, que l’on se refuse à livrer une image de soi conforme aux règles du genre. » 

Note manuscrite d'Albert Einstein,
Imperial Hotel, Tokyo 1922.
Ce qu'on appelle désormais le
"Secret du bonheur selon Einstein"
a été vendue à 1,56 million de dollars

Ah mince, où ai-je la tête, j'ai failli oublier de vous parler de la raison d'être de cet article, la vente aux enchères à Jérusalem de deux notes manuscrites d'Albert Einstein dont l'une portant sur le secret du bonheur. Flash-back plus lointain. Nous sommes en 1922. Einstein se trouve à l'Imperial Hôtel de Tokyo. Il boit du petit lait. Il a appris au cours de son voyage qu'il recevra le prix Nobel de physique de 1921, à l'âge de 42 ans. Un coursier monte lui apporter une missive. Dans l'euphorie, il prend deux papiers et griffonne dessus quelques mots en allemand, avant de les remettre à son messager en lui disant : « Peut-être que si tu as de la chance, ces notes auront beaucoup plus de valeur qu'un simple pourboire ». Il ne croyait pas si bien dire. Enfin, si! Ça, c'est du Einstein. Sur la première, il est écrit : « Une vie tranquille et modeste apporte plus de bonheur que la poursuite du succès qui implique une agitation permanente ». Oh, détrompez-vous, c'est plutôt une invitation à rester authentique et passionné dans la vie plutôt qu'à être pantouflard ou arriviste. Sur la deuxième, il rajoute, un complément d'information précieux à l'intéressé et à la postérité: « Là où il y a une volonté, il y a un chemin ». Vous voyez que j'avais raison. Mais, celle-là, elle n'est pas de lui. Il l'a piqué à Lénine. Le papier vieux de 95 ans s'est vendu à 1,56 million de dollars. Finalement, ce n'est pas le coursier qui a empoché le pourboire! C'est son neveu. 

samedi 7 octobre 2017

Que vaut encore l'émission de Ruquier sur France 2, avec Moix & Angot, après le clash surréaliste avec Sandrine Rousseau? (Art.472)


Impossible d'échapper à l'affaire Angot-Rousseau depuis dimanche dernier. On ne compte plus le nombre d'articles qui lui sont consacrées et qui encombrent autant les fils d'actualité que les discussions. La dernière secousse du PAF, le paysage audiovisuel français, a même atteint les côtes orientales de la Méditerranée où des Libanais ont relayé la pétition lancée par l'écrivaine Valentine Goby, pour que l'émission On n'est pas couché présente des « excuses publiques » à la victime, alors qu'ils daignent liker la page du Tribunal Spécial pour le Liban.




Pour le pitch, on a d'un côté Sandrine Rousseau, femme politique, économiste et prof d'université, ayant eu des hautes fonctions au sein du parti Europe Ecologie Les Verts (2009-2017). Elle est engagée dans l'écologie, l'égalité homme-femme, la fin de vie et la place de la femme en politique. Elle était invitée dans l'émission ONPC au lendemain de la sortie de son livre « Parler. Violences sexuelles : pour en finir avec la loi du silence » (Editions Flammarion). Tout est dans le titre. Dans cet ouvrage l'ancienne vice-présidente du Conseil régional du Nord-Pas-de-Calais (2010-2015) raconte son agression sexuelle par un député de son parti, Denis Baupin, un « libertin incompris » comme il a le culot de se définir. Il se trouve qu'elle n'était pas la seule, huit autres élues et collaboratrices d'EELV, auraient été victimes d'harcèlements et d'attouchements sexuels de la part de celui qui était par ailleurs 3e vice-président de l'Assemblée nationale (2012-2016) et adjoint au maire de Paris (2001-2014). L'affaire a été classée sans suite, pour prescription des faits, qui étaient pourtant selon la justice française « susceptibles d'être qualifiés pénalement ». Face à cette injustice, Sandrine Rousseau a décidé de venir dans l'émission de Ruquier pour en parler justement.

De l'autre côté, on a Christine Angot. Mais enfin, ce n'est plus un secret de Polichinelle, cette femme est le moins qu'on puisse dire, bizarroïde. Elle tient à se définir, dans l'émission de samedi dernier, comme « écrivain » et non « écrivaine » car les gens ont du mal à s'imaginer une femme en train d'écrire. C'est c'là oui, merci pour la nuance ! La romancière ne commencera sa carrière aux prestigieuses éditions Gallimard, qu'après une longue traversée du désert qui durera six ans et qui seront ponctués par de nombreux refus. Comme ses livres ne se vendaient pas du tout, ne dépassant pas les 500 exemplaires à tout casser, son quatrième manuscrit est rejeté par l'éditeur parisien. Retour dans le désert pour un moment. Elle finit par trouver un autre éditeur, Fayard. Publication et republication, mais belote et rebelote, ses livres ne se vendent toujours pas. Une nouvelle traversée du désert sans éditeur, jusqu'au jour où elle a la brillante idée d'écrire sur la douloureuse expérience qu'elle a vécue avec son père. Succès immédiat. L'Inseste, publié aux éditions Stock, attirera l'attention des médias et se vendra très bien. Christine Angot devint bankable, reconnue et rentable.

Si je me suis donné la peine de résumer le début de la carrière de Christine Angot, c'est parce qu'il y a un détail, dans lequel s'est caché le diable, qui est passé inaperçu, alors qu'il est essentiel pour bien comprendre la psychologie de la chroniqueuse. Pas l'inceste, tout le monde en a parlé. Angot, ainsi que Moix, se sont permis de mettre en doute la sincérité de la démarche de Sandrine Rousseau, en laissant entendre et en le disant clairement, que son livre est un « discours », et non un « récit ». En gros, l'auteur se sert de sa douloureuse expérience pour en tirer profit. C'est sans doute une remarque fascinante, mais ça ne vous rappelle pas quelqu'un? A supposer que ça soit vrai pour Sandrine Rousseau, c'est exactement ce que Christine Angot a fait en 1999. D'ailleurs si Christine Angot existe et elle est au centre d'une polémique aujourd'hui, c'est justement parce qu'elle a suivi cette stratégie dans le passé. J'adore! C'est cet élément inédit qui m'a poussé à écrire un énième article sur l'affaire. La différence entre les deux femmes est donc énorme: Angot a parlé de son agression sexuelle dans un but personnel et en grande partie "intéressé", attirer l'attention et la sympathie des éditeurs et des médias, afin de devenir à tout prix une écrivaine reconnue et vendre ses livres au-delà de 500 exemplaires, alors que Rousseau le fait dans un but collectif et en grande partie "désintéressé", pour lutter contre le silence du monde politique face aux agressions sexuelles, qui ne se limitent évidemment pas aux écologistes. La cause d'Angot est nombriliste, celle de Rousseau est altruiste. C'est la raison psychologique la plus profonde de ce clash qui restera dans les annales. 

Et même si on ignore tout des deux femmes, il suffit de les regarder et de les écouter pour comprendre en un clin d'oeil qui est sincère et sympathique et qui ne l'est pas. Angot bat tous les records d'aigreur. Il fallait la voir face à François Fillon au printemps dernier. Lui, posé, serein et classe, qu'est-ce qu'il m'est apparu sympathique face à elle, hagarde, insipide, acariâtre. Et encore, Dieu est témoin, je ne portais pas le candidat des Républicains en odeur de sainteté.

*

Au-delà de cette tempête dans un verre d'eau, que peut-on s'attendre encore d'une émission qui est à sa 12e année? Là, on a dépassé l'acharnement thérapeutique. Il ne sait plus quoi faire Laurent Ruquier pour ressusciter ce que fut jadis un superbe rendez-vous hebdomadaire sur France 2. Mais franchement, depuis le départ de l'irremplaçable Michel Polac (qui n'a fait qu'une saison en 2006 à cause de son état de santé) et des deux Eric (Zemmour et Naulleau) en 2011, qui ont été congédiés par l'obsession des organisateurs d'assurer le « renouvellement », c'est le déclin. Les pionniers avaient une grande qualité, l'authenticité. Même s'ils étaient aux antipodes l'un de l'autre, dans leur lecture et leur approche de l'actualité et des événements politiques, sociétaux et culturels, ils n'adoptaient pas de postures et d'impostures, selon ce qu'elles peuvent leur apporter comme bénéfices. Les successeurs Natacha Polony et Audrey Pulvar, étaient excellentes, mais elles manquaient de naturel. Aymeric Caron était parfait. Il avait de l'intelligence, de l'authenticité, du sarcasme et du cœur.

Je ne dirai pas autant de Léa Salamé, la fierté nationale franco-libanaise. Elle pourrait briller, mais je ne sais pas où elle a appris qu'un bon journaliste se doit d'interrompre constamment son interlocuteur et ne doit lui laisser aucune occasion de développer ses idées jusqu'au bout! Il fallait la voir avec le Premier ministre Edouard Philippe il y a quelques jours, elle ne s'arrange pas. C'est ce qu'a amené le magazine Challenges à titrer au lendemain : « "L'Emission politique": quand Léa Salamé passeà côté de son interview d'Edouard Philippe ». Hala ya habibté, une interview, n'est pas un bizutage ! En tout cas, sur le comportement hystérique de sa remplaçante, elle est pratiquement la seule à la défendre. Tout ce qu'elle a trouvé à dire et à redire à part « c'est, c'est, c'est... je ne suis personne pour juger de deux souffrances, de deux victimes, face à face... c'est compliqué... Christine Angot, c'est une femme qui n'est que colère, indignation et souffrance, notamment sur ce sujet là ». Mais il n'est pas là le problème, ma cocotte. Le problème, c'est qu'il y a une qui a été agressée par l'autre gratuitement, point barre. Ne pas se prononcer sur ça, relève de la lâcheté, surtout quand on conclut au sujet d'Angot : « laissez-la faire ses preuves... c'est une émission extrêmement difficile à faire ». Mais on s'en tape ! Au passage Salamé a trouvé que Christine Angot était bien face à Fillon, pour vous dire.

Pour la chroniqueuse Vanessa Burggraf, c'est très court, elle était bof. De son passage, il nous reste son fou rire en interrogeant Philippe Poutou sur « l'interdiction des licenciements ». Il faut dire que le sujet s'y prêtait ! Quant à Yann Moix, malgré sa grande culture et un sens de la répartie exquis, il reste néanmoins pompeux sur les bords et psychorigide à cœur. Il serait plus crédible si sa hargne n'était pas si sélective, de même que sa complaisance. Il y a quelques semaines, il a descendu la romancière franco-marocaine Saphia Azzeddine, qui préfère désigner les auteurs des attentats de Paris de « criminels » plutôt que de « terroristes », et pour bien d'autres raisons et il n'avait pas tort (un criminel est l'auteur d'un crime, mais quand le crime est commis pour des raisons islamistes et a comme but de semer la terreur et d'infléchir la politique de la France, son auteur n'est pas un criminel comme les autres, c'est un terroriste, ce qui est beaucoup plus grave, pour la collectivité et pour la justice !), et là, face à la crise délirante aiguë de sa collègue, motus et bouche cousue. Après l'attaque terroriste de Charlie Hebdo, Moix a lancé une pétition pour faire rentrer les dessinateurs satiriques Wolinski, Cabu et Charb au Panthéon de la nation, aux côtés de Voltaire, Rousseau, Hugo, Zola, Jaurès, Moulin, Malraux, Dumas, Veil, et j'en passe et des meilleurs. Ah, si c'était quelqu'un d'autre, j'aurais bien aimé voir la réaction de cette grande gueule.

*

La recherche obsessionnelle du clash, la pierre philosophale pour booster une audience en berne, et la surenchère qui s'en suit, inévitablement, conduisent forcément à ce genre de débats surréalistes. A l'époque des deux Eric, nul besoin de faire du forcing, il y avait des éruptions polémistes qui naissaient naturellement, dans le cadre de débats contradictoires, constructifs et sincères, qui se déroulaient d'une manière civilisée et dans le respect mutuel. Chacun savait où il devait s'arrêter. Actuellement, la confrontation du duo Moix & Angot avec leurs invités, se passe en général bien, n'exagérons pas, mais semble parfois plonger dans la perversité et le sadisme. Certes, ils sont censés critiquer les œuvres et la performance de leurs invités, sans complaisance, mais aussi d'une façon impartiale, sans sélectivité et sans agressivité. Ils n'y arrivent pas avec tout le monde. Avec une enfance maltraitée pour l'un (racontée dans Panthéon, 2006) et un inceste pour l'autre (L'Inceste, 1999), Yann Moix et Christine Angot, les chroniqueurs de l'émission On n'est pas couché, ne semblent pas être en paix avec eux-mêmes. Comment peut-on imaginer qu'ils le soient avec les autres? Les deux Eric l'étaient, avec eux-mêmes et avec les autres. Elle est là la clé de voûte de l'émission : la personnalité des chroniqueurs.

Du temps de Michel Polac, il arrivait que des invités quittent le plateau. Avec Christine Angot, c'est la chroniqueuse qui le fait, en traitant « d'imbéciles » le public qui était témoin de son hystérie et qui l'a hué. Hélas, Ruquier a décidé de ne pas choisir la séquence au montage, et de conclure le débat surréaliste diffusé le 30 septembre sous les applaudissements plutôt que sous les huées : « On voit bien que c'est un sujet sensible. Et pour Christine Angot et pour vous, Sandrine Rousseau ». Dommage. Par souci d'équité, d'honnêteté et par respect du public, insulté lors de l'enregistrement ou qui regardait l'émission en différé, il fallait montrer toute la confrontation, pour que chaque spectateur juge par lui-même, le meilleur choix à faire pour l'avenir : continuer à suivre l'émission, zapper le programme, éteindre la télé, jeter le poste par la fenêtre ou aller se coucher pour de bon

Une semaine plus tard, dans l'émission diffusée le samedi 7 octobre, belote et rebelote, Laurent Ruquier opte pour la politique de l'autruche. Il revient sur l'incident pendant quelques minutes et c'est pratiquement pour ne rien dire, à part qu'il y a deux souffrances et que sa chroniqueuse possède la légitimité pour parler du sujet étant donné sa propre expérience, blablabla et patati et patata. C'est c'là oui, et elle a sans doute la légitimité pour agresser une femme politique gratuitement et infliger au public une crise délirante aiguë et des propos hystériques et décousues ! Je me suis farci deux fois l'Angot. Alors, il n'y aura pas une troisième.


Une dernière chose avant de voguer vers de nouveaux horizons et d'autres occupations. Si le viol est considéré comme une arme de guerre, il est temps d'en prendre conscience et de réagir en conséquence. Le harcèlement et l'agression sexuelle peuvent être utilisées par des hommes pour empêcher les femmes de prendre pleinement leur place dans le monde politique. Aujourd'hui, on n'a pas besoin que le règlement de l'Assemblée nationale autorise les femmes à allaiter en pleine séance ou de créer au plus vite des crèches au palais Bourbon et dans les conseils régionaux, on a besoin que les Sandrine Rousseau ne prêchent plus dans le désert et que leurs agresseurs politiques soient sanctionnés.

Le mot de la fin, je le réserve à mon chroniqueur préféré d'ONPC, Eric Naulleau. A l'annonce de l'arrivée de Christine Angot dans l'émission, il a fait savoir: « Angot refusait d'affronter l'avis critique des chroniqueurs d'ONPC, elle entend désormais donner le sien sur les livres des autres ». Ah c'est pas bien Christine! Et en pleine polémique, il a tenu à apporter son grain de sel: « (Christine Angot) c'est peut-être la plus grande imposture littéraire de ces cinquante dernières années en France ». A comparer et à méditer avec la réaction insipide de Léa Salamé !