mardi 27 novembre 2018

Une semaine de haute gastronomie à Paris et c'est Gérald Darmanin, ministre des Comptes publics, qui régale (Art.579)


Ce n'est pas n'importe qui. Il est le ministre de l'Action et des Comptes publics. Gérald Darmanin était invité à prononcer un discours sur les États de la France à la Sorbonne le 22 novembre, en pleine turbulence sociale des gilets jaunes, ces protestations organisées aux quatre coins de la France contre la hausse des prix du carburant. C'est pour dire, il devait mettre le paquet dans cet événement destiné aux responsables d'entreprises étrangères implantées en France et consacré à l’attractivité de l'Hexagone et de sa capitale, Paris. « Nous devons entendre et comprendre, ce que c'est de vivre avec 950 euros par mois quand les additions dans les restaurants parisiens tournent autour de 200 euros lorsque vous invitez quelqu'un et que vous ne prenez pas de vin » (AFP). Waouh, c'est très fort.

Dimanche, il revient sur sa bourde et assume fièrement ses propos : « J'ai illustré le Brexit intérieur... J'ai dit exactement la chose suivante: qu'il y a des choses qui relevaient du scandale. Et qu'il y avait une frustration profonde de ceux qui bossaient. Et qu'un certain nombre de personnes vivent dans un monde déconnecté ». Merveilleuse illustration de la politique de l'autruche et de la déconnection des politiciens de la réalité.


Ce sont les propos texto de ce ministre inamovible des gouvernements Philippe I et II, conseiller régional des Hauts-de-France, ex-membre du parti Les Républicains, ex-vice président du conseil régional des Hauts-de-France, ex-maire de Tourcoing, ex-député du Nord, ex-conseiller régional du Nord-Pas-de-Calais, juriste, diplômé de Sciences-Po et âgé de 36 ans.

Je ne voudrais pas être désagréable et impoli, mais on dénombre trois bêtises dans la déclaration du jeune ministre français :

1. Le SMIC français se situe actuellement à 1 185 €/mois. Le seuil de pauvreté en France est égale à 50% du revenu médian (qui divise la population active en deux), soit 898 €/mois, selon les dernières statistiques disponibles. Ainsi, les 950 € de Darmanin ne correspondent à rien de concret, c'est un montant balancé comme ça.

2. Quand on gagne 950 €/mois, non seulement on ne va pas dans un resto à 100 € le menu, et combien même, on ne joue pas au grand prince et à la princesse avec sa-son dulciné-e et ses amis. On peut préparer chez soi un festin de Babette avec trois fois rien.

3. Il faut vraiment méconnaitre Paris pour dire que « les restaurants parisiens tournent autour de 200 euros lorsque vous invitez quelqu'un et que vous ne prenez pas de vin ». Certes, Paris est une ville chère, mais à 100 € par personne, on a la majorité des restaurants de la capitale à portée du palais.

Pour s'en convaincre, Darmanin doit, soit aller sur le terrain, soit m'inviter au resto! C'est une sélection de quelques adresses huppées. Je choisis les menus, je lui laisse les additions.

• Lundi. Pour sceller notre amitié, je te propose un lieu d'exception, qui était une élégante auberge autrefois, en 1582, LA TOUR D'ARGENT, une étoile au guide Michelin. Nous ne parlerons pas de politique, ni de religion d'ailleurs. Au menu, « Quenelle de brochet, hommage au grand-père ». Une quenelle, mince! Je jure je n'ai pas fait exprès. En tout cas, la quenelle de la Tour est « glacée aux œufs de brochet sauvage, sauce fleurette aux liserons d'eau et des capucines ». On aura aussi de la « Langoustine vivante, juste cuite, des noix de Saint-Jacques de Port-en-Bessin à peine déshydratées et un velouté de choux-fleurs aux herbes marines ». On va se régaler à petit prix, 210 € pour l'addition. Un spectacle gastronomique avec vue imprenable sur la Seine.

La Tour d'Argent (photo du site internet)

Quel dommage que nous ayons épuisé notre budget, là vraiment, on ne pourra pas arroser le repas avec l'une des 400 000 bouteilles de la cave de la maison. En plus, c'est fermé le lundi et on est mardi, double dommage.

• Mardi. Puisque nous sommes potes nous irons dans une brasserie, au CAFÉ MARLY, qui se situe dans la Cour Napoléon du somptueux palais du Musée du Louvre. L'Ode à la joie de Beethoven, l'hymne officiel de l'Union européenne, y raisonne encore. Tu sais, c'est là où Macron est devenu Jupiter en quelque sorte. Oh, un an et demi après, certains n'ont toujours pas digéré ni l'élection ni l'intronisation. Qu'est-ce que tu en penses Gérald?

Café Marly (photo du site internet)

Quelques soient les combinaisons, nous serons à moins de 200 € pour deux personnes avec formule complète entrée-plat-dessert, des huitres ou du foie gras inclus, vin, eau et café compris. Si tes goûts de luxe te portent sur un Pauillac 2003 du Château Mouton Rothschild, ça sera à tes risques et périls, 1 050 € la bouteille. Et si tu es un amateur de caviar, alors l'ami, il faut compter 125 € les 30 g, pour un aliment que seul le snobisme gastronomique rend comestible. Ici même un Margaux 2012 du Château Margaux est à 98 €. Avec les 102 € qui nous restent, nous pouvons nous offrir, tiens-toi bien, du « Foie gras de canard 'suffisant pour deux' » et deux « Magnifique côte de veau '350 g' », une pour chacun, les précisions sont données par la maison, voire deux omelettes par personne. C'est pour dire et pour t'assurer que tu ne resteras pas sur ta faim Gérald!

• Mercredi. Je te propose d'aller dans le quartier des Champs-Elysées, où les « gilets jaunes » se sont déchainés samedi dernier en espérant égratigner Jupiter, en vain. Pas n'importe où. Le RESTAURANT LASSERRE, c'est une étoile au guide Michelin, « une cuisine d'une grande finesse ».

Restaurant Lasserre (photo du site internet)

Le temps ne nous permettra pas de profiter du fameux toit ouvrant de cet magnifique hôtel particulier au 1er étage, mais nous serons bien au chaud au rez-de-chaussée dans un salon privé, pour discuter de ta triple bêtise. Pour être dans le budget, nous ne prendrons pas d'entrées, cela va de soi. Je ne peux que te conseiller comme plat de résistance, les « Aiguillettes de cabillaud en extraction de coco de Paimpol à la sauge, tomates caramélisées et câpres » et après, une « Sélection de fromages affinés » pour 97 €. Comme c'est toi qui paiera, je vais en profiter pour prendre une « Selle d'agneau de lait et girolles étuvées, fines Arlettes de pommes de terre iodée », avec la spécialité de la maison, des « Crêpes Suzette », flambées à table svp, le tout pour 112 €.


Oh, comme nous ne retournerons pas de si tôt, on peut prendre le menu déjeuner, 90 € sans boissons ou 120 € vin, eau gazeuse, café et mignardises compris. Tu vois, même chez Lasserre, ta fabulation à 200 € l'addition sans vin, ne tient pas la route !

• Jeudi. Après la parenthèse de luxe d'hier, nous irons au CAFÉ DE FLORE. On ne peut pas faire plus parisien! Ce café-restaurant du quartier Saint-Germain-des-Prés, était le « siège social » de nombreux écrivains et artistes, dont le couple Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre, un des plus célèbres « idiots utiles » de l'après-guerre. Aujourd'hui, cette espèce est légion dès qu'on aborde la guerre en Syrie. Toujours est-il que le Flore a beau être célèbre, il est à la portée de tout le monde du moment où l'on évite ce Bordeaux exceptionnel de la région de Pomerol, le Petrus 1999, à 3 200 € la bouteille et quelques grands vins classés ou les champagnes. On y trouve des Saint-Emilion et du Haut-Médoc à 40 ou 50 € la bouteille. Pour la cuisine, ça ne casse pas trois pattes à un canard. Tu as compris Gérald, là-bas, tu paieras le lieu surtout. Snobisme? Et comment! Une Salade niçoise à 22 €. Oui je sais, toutes les « salades » de tous les restaurants du monde sont des arnaques! Du confit de canard à 23 €, une assiette de trois fromages à 21 €, etcetera, etc. Et si on se retrouve au petit déjeuner, nous aurons, du café, du thé et quatre croissants au beurre pour une vingtaine d'euros. Que demande le peuple de plus! Dans tous les cas, au déjeuner comme au diner, nous serons largement en-dessous de ton budget, 200 €, repas complet et vin compris, et tu pourras même t'offrir une tasse, un verre ou un mug signé par la maison.

• Vendredi. C'est le début du weekend, alors nous adopterons la formule cool & zen. Comme j'ai décidé qu'il fera beau et doux, je te propose les BERGES D'ILE-DE-FRANCE, mon restaurant préféré. Je m'occupe de tout, même de ramener des verres à vin. Je connais un snack libanais rue Rambuteau, Traiteur Beyrouth. Il n'est pas mal. Pas aussi bon que Joseph à Sin el-Fil, mais les gars qui le font tourner sont quand même beaucoup plus sympas. Avec Joseph, l'hospitalité libanaise en prend un sacré coup! Le Beyrouth de Paris est tout petit, mais bien situé et tu peux être sûr, il y a toujours la queue de midi à minuit, et pas beaucoup de Libanais d'ailleurs. Nous prendrons des sandwichs. Chawarma poulet, double dose de toum akid, chawarma viande, un kafta-hoummous et un falafel. 4 sandwichs à partager pour maxi 25 €. Et comme c'est la saison, nous passerons au Monoprix s'acheter un Beaujolais Nouveau, Georges Duboeuf, le meilleur, à 7,50 € la bouteille. Pour la table, je te propose une de celles des bords de la Seine (photos de l'en-tête et ci-dessous pour te mettre l'eau à la bouche!), installées sur le quai de Gesvres, entre la Conciergerie et l'Hôtel-Dieu. Nous boirons à la santé d'Anne Hidalgo, la maire de Paris, que ça te plaise ou non. C'est grâce à elle que le rêve de piétonnisation des berges de Paris fut réalité.

Et si tu as encore un peu de place, nous prendrons un dessert dans l'ambiance de velours du ZIMMER tout à côté (créé par une famille alsacienne en 1896 et fréquenté par de nombreux écrivains et artistes, dont Jules Verne, Emile Zola et Sarah Bernhardt ; rien à voir avec l'oiseau de mauvais augure, Zemmour!). Même s'il y a le choix, le nôtre se portera sur une tarte Tatin servie légèrement chaude, accompagnée de son pot de crème fraiche et d'un expresso, pour 25 euros. Ça nous fera un délicieux repas improvisé et arrosé, en toute liberté, dans l'un des plus endroits de Paris et pour moins de 60 euros en tout et pour tout. La preuve qu'on n'est pas obligé d'être coincés entre la chaise et la table, et dépenser une fortune, pour manger de bonnes choses et s'interdire un bon vin à cause de la cupidité des restaurateurs. Tiens, au passage, dis à Manu qu'il faudra copier les Australiens, en offrant aux gourmets, gilets jaunes compris, la possibilité d'amener leurs bouteilles de vin dans les restaurants, moyennant le paiement symbolique d'une « taxe bouchon ». Et pourquoi pas, remplacer la taxe carbone par la taxe bouchon! Encore une taxe me diras-tu, mais c'est pour la bonne cause du peuple. Il picolera plus et oubliera la politique. Au passage, au Zimmer, deux menus complets avec une « Soupe à l'oignon gratinée », du « Foie de veau persillé, écrasé de pommes de terre » et une « Tarte Tatin », arrosée avec une bouteille de Sancerre rouge, le ministre ne paiera que 123 euros. Et même si on prend un Saint-Estèphe, l'addition se stabilisera à 150 euros. Non mais, je ne sais toujours pas où il mange Darmanin!

• Samedi. Après le repas sur le pouce de la veille, surprise chic, nous embarquerons sur DUCASSE SUR SEINE, pour une expérience gastronomique et touristique unique à Paris. Depuis septembre 2018 seulement! Rendez-vous à midi tapante. Tache d'être à l'heure et prévois deux heures quand même. Nous pourrons admirer les plus beaux monuments de la capitale, de la Tour Eiffel à Notre-Dame, d'un angle très original, la Seine.

Ducasse sur Seine (photo du site internet)

Au menu, le chef cuisinier Alain Ducasse, enfin un des 35 lieutenants du business man, nous propose un menu en trois temps avec au choix trois entrées, trois plats et trois desserts, dont un « Velouté de courge butternut et châtaignes », une « Pièce de veau au sautoir (avec sucs de cuisson) » svp et une « Pomme caramélisée, fèves tonka et vanille ». Le tout pour 100 € par personne, ton budget Gérald au centime près! Au passage, nous serons sur un bateau électrique. La hadir wala bosta wala man ya7zaroun, navigation silencieuse sur la Seine.

• Dimanche. On peut se faire un brunch au CHALET DES ILES, 60 €/personne, en plein Bois de Boulogne. Tiens, on pourras même faire un jogging autour du lac, qu'est-ce que tu en dis Géro? Et comme on sera à 80 euros d'économie à deux, on peut s'offrir le luxe de descendre 1 bouteille de Saint-Julien (un Château Lagrange 2011 ; on n'aura que 15 euros de plus sur ton budget provisionnel), ou 2 bouteilles Saint-Emilion (un Château Milon 2016), et pourquoi pas 3 bouteilles de Brouilly (ah, j'ai un faible pour les Beaujolais!). Oh ne t'inquiètes pas, même avec 3 bouteilles de vin rouge, tu ne pourras pas faire une bourde plus grande!


On voit bien avec tout ce qui précède à quel point Gérald Darmanin est déconnecté de la réalité. C'est à se demander où il mange vraiment à Paris. Non seulement, on peut déjeuner, dîner et boire à deux, pour nettement moins de 200 euros, dans l'écrasante majorité des restaurants, brasseries et bistrots parisiens, mais surtout, on peut le faire dans les meilleurs restaurants de la capitale française avec un budget de cette importance. Alors de deux choses l'une : soit notre ami ne connait toujours pas Paris, soit il ne fréquente que quelques rares restaurants hors de prix dans la capitale. Dans les deux cas, c'est fâcheux pour un ministre qui est censé gérer les comptes publics.

Alors toute la question est de savoir, comment quelqu'un aussi déconnecté de la réalité, et surtout dépourvu de bon sens - sinon, il n'aurait pas commis la bourde, encore moins, assumé! - peut être un bon ministre? On ne peut qu'avoir de sérieux doute. En tout cas, nous devons le remercier de nous avoir donné l'occasion de faire cette excursion gastronomique dans une des plus belles villes du monde.

Enfin, n'allez surtout pas croire que seul Gérald Darmanin vit dans son monde. Prenons la mode de cet automne, après les dégâts occasionnés par le défilé des « gilets jaunes » sur les Champs-Elysées samedi dernier. Quelle formidable bulle sociale, totalement déconnectés de la réalité, eux aussi et à leur manière. Mais ça, c'est une autre histoire, qui mérite un article à part. Allez, santé!


Nota Bene

La piétonnisation d'une partie des rives de la Seine par la mairie de Paris est motivée par la nécessité de protéger ces lieux inscrits par l'Unesco en 1991 sur la Liste du Patrimoine mondial pour les raisons suivantes :

. Critère (i) : « Les quais de la Seine sont jalonnés d’une succession de chefs-d’œuvre architecturaux et urbains édifiés du Moyen-Âge au XXe siècle, dont la cathédrale Notre-Dame et la Sainte-Chapelle, le palais du Louvre, le palais de l’Institut, l’Hôtel des Invalides, la place de la Concorde, l’École militaire, l’Hôtel de la Monnaie, le Grand Palais des Champs-Élysées, la Tour Eiffel et le palais de Chaillot. »

. Critère (ii) : « Certains édifices des bords de Seine, comme Notre-Dame et la Sainte-Chapelle, ont constitué une référence certaine dans la diffusion de l’architecture gothique, cependant que la place de la Concorde ou la perspective des Invalides ont influencé l’urbanisme des capitales européennes. L’urbanisme haussmannien qui marque la partie ouest de la ville a inspiré la construction de grandes villes du Nouveau Monde, en particulier en Amérique Latine. Enfin la tour Eiffel, le Grand et le Petit Palais, le Pont Alexandre III et le Palais de Chaillot sont des témoignages insignes des expositions universelles dont l’importance a été si grande au XIXe et au XXe siècle. »

. Critère (iv) : « Réunis par un paysage fluvial des plus majestueux, les monuments, les ouvrages d’art et les édifices de représentation des rives de la Seine à Paris illustrent tour à tour avec perfection la plupart des styles, des arts décoratifs et des manières de bâtir utilisés pendant près de huit siècles. »

mardi 20 novembre 2018

A qui donner la Palme d'or « kezbeh kbireh » : à Carlos Ghosn, à Nissan ou au Japon? (Art.578)


Et c'est reparti pour un nouveau mélodrame, Carlos Ghosn. Avant les faits, commençons par dresser le décor, le Japon.

Carlos Ghosn, PDG de l'Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi
Photo Ludovic Marin - AFP

Ce n'est pas un secret, ce pays d'Extrême-Orient n'est pas très ouvert. Près de 127 millions de Japonais et à peine 1,75 million d'étrangers, clandestins compris, soit 1,38%. En France, on a 6,4% d'étrangers et 9,1% d'immigrés. L'écrasante majorité de leurs étrangers est de morphologie asiatique, donc qui se confond gentiment dans la masse. Les musulmans? C'est à peine 150 000 personnes, 0,1% de la population, Japonais et étrangers confondus, de quoi faire rêver les islamophobes de par le monde. Autre chiffre farfelu, le Japon ne dédaigne accorder le droit d'asile qu'à une poignée de gens qui dépasse à peine le nombre de doigts d'une personne, des mains pardi, sans les orteils: 6 en 2013, 20 en 2017, un record, dont 5 réfugiés syriens. Par comparaison, l'Allemagne a accueilli 1 million d'étrangers, le Liban 1,5 million de Syriens.

Et déjà qu'il n'y a pas beaucoup d'étrangers, il paraît qu'un tiers de ceux qui s'y aventurent ont été victimes de discriminations et de remarques désobligeantes en raison de leurs origines. C'est une étude du ministère japonais de la Justice. La pureté de la race, la xénophobie, l'esprit insulaire, allez savoir. Il manque cruellement de mains d'oeuvre. La population est en chute libre avec un taux de natalité très bas, avant-dernier pays au classement mondial, juste devant le Vatican, quel exploit! On n'enregistre que 8 naissances pour 1 000 habitants au Japon, 12 en France, 19 au Liban. Il y aura moins de 40 millions de Japonais en 2050. En dépit de cette perspective sombre, le Japon reste un pays peu hospitalier. On assouplit un peu les règles, mais il n'est pas question que ces travailleurs étrangers s'y installent plus de 5 ans ou que Bouddha nous garde, qu'ils deviennent Japonais! D'ailleurs, le Japon use et abuse des stagiaires étrangers, plus de 200 000 par an, surexploités et rejetés après usage, au point de pousser certains militants japonais des droits de l'homme à parler d'esclavagisme moderne, comme dans ce reportage de France 24.

C'est pour vous dire, personnellement, je ne pourrai pas vivre au Japon. Une question de culture et d'habitudes. Je déteste les sushis, le riz aussi. Ahhh, cet engouement pour la zankha du poisson froid cru. Un chawarma ou des pâtes au pesto alla Genovese, mamma mia! En plus, on ne peut pas parler fort avec les Japonaises, ni avec les mains d'ailleurs. Je sais de quoi je parle. Pour le méditerranéen que je suis, c'est traumatisant. Enfin, on ne peut même pas traverser la rue en dehors des passages cloutés. Un Européen perdrait son latin à Tokyo !

Vous l'avez compris, j'ai une plus grande sympathie pour notre Carlos national, que pour le Japon où il ne fait pas bon d'être étranger. Sauf qu'il est difficile de rater l'info d'hier, Ghosn a été arrêté au Japon. Le « cost killer » est accusé officiellement de fraude (d'avoir sous-déclaré ses revenus aux autorités financières japonaises d'une trentaine de millions d'euros) et officieusement d'ABS, abus de biens sociaux (d'avoir utilisé les fonds de Nissan à des fins personnelles, acheter des résidences privées à Beyrouth, Paris, Rio de Janeiro et Amsterdam). Rappelons, qu'il est présumé innocent jusqu'à sa condamnation par la justice.

Mais quelque chose me tourmente dans toute cette histoire. Et je ne suis pas le seul. Je me pose des questions et j'aimerai connaître la raison de tout cela : est-ce la mésaventure d'un Franco-Libanais jalousé dans le pays le moins ouvert du monde, et le plus replié sur lui-même, ou est-ce l'incapacité viscérale de tout Libanais à s'acquitter de ses obligations fiscales sans frauder et sans recourir aux ABS?

Ah les questions ne s'arrêtent pas là: pourquoi ce genre de mésaventures n'arrivent pas à d'autres personnes fortunées, Jeff Bezos précisément ?

- Est-ce parce que Carlos est moins intelligent pour gruger sans se faire prendre et Jeff serait aussi plus honnête? ; ça serait bien étonnant ;

- ou c'est parce que la fortune personnelle du PDG d'Amazon (plus de 150 milliards $ en tenant compte de la valeur des actions de la société) a progressé de 9 millions $ par heure ; en comparaison, le cost killer franco-libanais n'a gagné que 15 millions $ en tout, chez Renault et Nissan inclus, et pour toute l'année 2017, soit 1 700 $ par heure, pendant que le commerçant américain voyait sa fortune s'envoler en un an de 79 milliards $ ;

- ou plutôt parce ce que le gouvernement américain accorde tellement d'avantages à Amazon que Jeff Bezos n'a vraiment pas besoin de magouiller ;

- ou peut-être parce que le PDG d'Amazon est justement Américain (pas Franco-Libanais), une nationalité qui donne une meilleure aura et une immunité plus efficace; au passage, l'Etat français a toujours voté contre la valorisation des revenus de Carlos Ghosn, l'obligeant à les baisser de 30% en 2018, alors que l'homme a fait de Renault-Nissan-Mitsubishi le numéro un mondial ; aux dernières nouvelles, l'arriviste en chef, Bruno Le Maire, le ministre français de l'économie, pense que Carlos Ghosn n'est plus en mesure de diriger Renault-Nissan-Mitsubishi et qu'il faut mettre en place « le plus vite possible » une gouvernance intérimaire, il a rétropédalé dans l'après-midi en se rendant comptant de sa bourde matinale ; voilà, ça vous donne une idée sur « l'immunité française » accordée à ses éminents citoyens! ; avis aux Etats-Unis et à la Russie;

- voire parce qu'il ne traite pas directement avec le Japon (pays qui a une politique très spéciale avec les personnes non japonaises)?

Cette note n'est pas pour défendre Carlos Ghosn parce qu'il est Franco-Libanais, réside parfois à Achrafieh, fabrique à ses heures perdues le vin batrounais d'Ixsir et s'est associé à un grand projet immobilier dans la région des Cèdres. Il ne m'est pas spécialement sympathique, mais je le préfère de loin à l'antipathique Jeff Bezos. Ce n'est pas non plus pour descendre le Japon. Mais, certains informations concernant ce pays méconnu doivent être portées à la connaissance du grand public. C'est l'occasion ou jamais, et ça peut expliquer beaucoup de choses. Si l'Allemagne, la France ou le Liban suivait 1/10e de la politique japonaise en matière d'immigration et de réfugiés, qu'est-ce qu'on aurait entendu! Ils ont accueilli 5 réfugiés syriens. Smallah, quel effort titanesque pour la 3e pays le plus riche du monde! Par contre que Carlos Ghosn ait fraudé le fisc japonais, shocking.

Carlos Ghosn a été interpellé à l'atterrissage de son avion à l'aéroport de Haneda, situé à une trentaine de kilomètres de Tokyo. Comme par hasard, il y avait une caméra pour filmer la scène, comme dans les films. Le fayot serait un fraudeur japonais de Nissan qui aurait obtenu en échange une remise de peine. Le PDG est toujours en garde à vue et ça peut durer 23 jours au Japon. Aussitôt arrêté, le président exécutif du constructeur japonais, a organisé une conférence de presse particulièrement vindicative. « Je ressens une profonde déception, une frustration, un désespoir, une indignation et de la colère ». Et dire que les Japonais sont réputés être très réservés. Dans la ligne de mire du Japonais Hiroto Saikawa, Carlos Ghosn, son ex-mentor, de nationalité non-japonaise, et Greg Kelly, un autre étranger (Américain), directeur délégué du constructeur. Comme par hasard, une partie de la conférence de presse était consacrée pour vanter le mérite des employés de Nissan et de leurs familles d'avoir sauvé leur entreprise de la faillite. Oh Carlos Ghosn, l'ex-PDG de Nissan et toujours président non exécutif de la société, n'était qu'un témoin de passage! La mise en scène est tellement flagrante que Hiroto Saikawa été obligé de répondre à des questions sur un possible coup de force au sein de Nissan. Chez Renault, on évoque déjà une sorte de coup d'Etat. Des soupçons nourris par le fait que les revenus de Ghosn sont publics et validés en assemblée générale. Alors, beaucoup d'analystes se demandent, comment a-t-il pu dissimuler la moitié de ces revenus aux autorités financières japonaises si longtemps, entre 2010 et 2015?

Il est clair qu'il y a une volonté manifeste du côté des Japonais pour faire de cette affaire un mélodrame dans le but de se débarrasser du PDG Franco-Libanais « gaijin » (étranger en japonais) de Renault-Nissan-Mitsubishi, l'un des hommes les plus remarquables dans son domaine, qui a fait de l'Alliance née en 1999, le numéro un mondial en 2016, comme au premier semestre 2017, devant Volkswagen, Toyota et General Motors. Les Japonais veulent se venger de l'accord conclu en 1999 avec Renault, une époque où Nissan était rachitique et au bord de la banqueroute. Avoir été sauvé par une entreprise étrangère européenne pouvait être vécu comme une humiliation. Les chiffres sont là pour le rappeler. Certes, dans l'Alliance, Renault et Nissan sont à parts égales, 50% chacune, il n'empêche qu'au niveau individuel, Renault détient 43,4% de Nissan, alors que Nissan ne détient que 15% de Renault (et 34% de Mitsubishi, dont la production est minime par rapport aux deux géants de l'Alliance). Le ressentiment est vif. D'ailleurs, les Japonais n'apprécient pas le rachat des entreprises nippones par des sociétés étrangères. Leur objectif aujourd'hui est donc de contrôler cette Alliance qui a vendu près de 10 millions de voitures dans le monde, et à défaut, de prendre leur indépendance. Ils sont d'autant plus motivés qu'une rumeur circule depuis le printemps dernier, parlant d'un projet de fusion entre Renault et Nissan, ce qui pourrait être vécu par les Japonais comme une seconde humiliation. Certes, Carlos Ghosn intriguait au point de devenir un personnage de manga. Il n'empêche que l'homme est un mélange de cultures fortes en couleurs dont il est si fier - méditerranéenne (libanaise), sud-américaine (brésilienne) et latine (française)- qui le place qu'on le veuille ou pas, aux antipodes de la culture asiatique (japonaise).

Cost Killer devra répondre de ses actes devant une justice impartiale. C'est loin d'être le cas au Japon. La garde à vue de ce PDG hors-norme dure depuis cinq jours. Rien ne la justifie vraiment. Il a décidé de défier ses accusateurs en gardant le silence. Une façon de rappeler au monde qu'il n'est emprisonné depuis lundi que sur la base d'allégations, des accusations non encore prouvées. C'est ce qui doit déplaire fortement aux Japonais, qui comptent sur la prorogation de la garde de vue, jusqu'à sa limite légale (23 jours), pour lui faire avouer sous la pression n'importe quoi. Plus la garde la garde à vue se prolonge, plus on peut être sûr que le dossier judiciaire japonais est rachitique. En tout cas, on n'est plus dans un système judiciaire occidental digne de ce nom. Si le Japon se permet cette entorse, c'est parce que le Liban, le Brésil et surtout la France, n'ont pas su défendre leur citoyen comme il se doit. Les Etats-Unis de Trump, ont créé une crise politico-économique avec la Turquie à cause d'un pasteur (accusé d'espionnage), jusqu'à l'obtention de sa libération. Ces trois pays, et au-delà, l'Union européenne, n'ont pas été capables à ce jour de se montrer à la hauteur de leur éminent leader économique.

Il est sûr et certain qu'il y a un « gros mensonge » dans toute cette histoire. Reste à savoir il concerne qui? C'est important car ça déterminera à qui nous devons donner la Palme d'or « kezbeh kbireh » dans cette affaire : à Carlos Ghosn, à Nissan ou au Japon ? Il n'est pas si difficile d'y répondre. Les Japonais croient faire plonger cet encombrant gaijin, en profiter et sortir indemne de la tempête. Erreur. Quel homme d'affaires s'aventurera dorénavant de gaieté de coeur dans l'Empire du soleil levant? Personne. C'est peut-être l'objectif principal de la mascarade nippone. Il n'empêche que la réputation japonaise dans les pays occidentaux est désormais sérieusement entachée. 

dimanche 18 novembre 2018

Et si on parlait du désastreux aménagement urbain du Liban et de Beyrouth en particulier (Art.577)


Grand Beyrouth, l'autoroute littorale avant-hier. Pour ne pas arranger les choses, la pluie s'est invitée. Cause invoquée, les préparatifs du défilé militaire pour le 75e anniversaire de l'indépendance du Liban, qui sera célébrée le jeudi 22 novembre.


Alors, récapitulons: nous avons une indépendance manquée (même deux, de la France et de la Syrie!), une souveraineté incomplète, une dette publique abyssale de 80 milliards de dollars, un gouvernement démissionnaire depuis six mois, une démocratie bancale et pour couronner le tout, un embouteillage monstre. C'est à se demander si les leaders de ce pays ne veulent pas que les Libanais regrettent et le mandat français et la vacance présidentielle!

En tout cas, dans cette photo il y a une négligence qui saute aux yeux. Jamais les Libanais n'ont été aussi branchés, alors pourquoi ils n'ont pas été prévenus depuis le début de la semaine, via la télé, la radio, la presse et les réseaux sociaux, de la gêne qu'occasionneraient ces préparatifs? C'est évident quelqu'un n'a pas fait son boulot. Qui dit faute, dit sanction. Les fonctionnaires qui auraient dû anticiper ces embouteillages et ne l'ont pas fait, devraient répondre de leur acte manqué.

Cela étant dit, le problème de cette photo dépasse évidemment le cadre du défilé militaire et de l'armée libanaise. Faire une fixation là-dessus, serait très simpliste. Des défilés militaires, on en fait à Paris, sans créer ce genre de pagailles. Mais quoi, on découvre maintenant que les axes routiers au Liban sont saturés! Avant-hier c'est le défilé militaire qui était mis en avant, bientôt ce sont les achats de Noël, après c'est le Ramadan, puis c'est l'afflux touristique de l'été, et j'en passe et des meilleures. Et c'est sans parler de la pluie, qui s'invite comme ça sans prévenir. Non mais, vous vous rendez compte, qui peut penser à la pluie en plein automne? Saloperie d'imprévu.

Les embouteillages c'est le pain quotidien des Libanais depuis des lustres. Dans un Etat normal, on aurait procéder autrement il y a belle lurette. De trois choses l'une ou les trois choses à la fois : créer des grands axes en rasant les immeubles de part et d'autre des petits axes, limiter la mise en circulation des voitures et développer des transports en commun dignes de ce nom. Le comble, c'est qu'on n'a rien fait de tout cela au Liban et on trouve encore des gens qui ont l'audace de s'étonner des conséquences!

Un mastodonte nommé "Sama Beirut" construit dans les ruelles de Beyrouth - Photo Erga Architects

Pour mieux comprendre ce qui se passe dans notre pays, il va falloir changer d'angle de vue. L'accès à Sama Beirut à Sodeco, 195 m de hauteur et de laideur, se fait de facto par des rues à une ou deux voies, deux malheureuses voies d'accès. Je ne sais pas, mais les gars qui ont signé le permis de construire, de la municipalité de Beyrouth ou d'ailleurs, devraient être envoyés casser des cailloux dans le Hermel pour un moment. On balance un mastodonte de 52 étages, le plus haut immeuble au Liban, entre les petites rues de Beyrouth, comme si de rien n'était. On ne s'occupe pas de savoir quel sera l'impact d'un monstre de cette taille sur l'environnement et sur les riverains.


Toujours à Achrafieh, un chantier gigantesque vient de démarrer sur ce qui fut en temps de guerre, un terrain de foot, et en temps de paix, un parking, une zone située entre la rue Saïdé (en contrebas du quartier de Sioufi) et la rue cheikh el-Ghabé (la porte d'entrée de Karm el-Zeitoun). Un carré entouré par une trentaine d'immeubles je dirais. Il y a donc au moins 600 familles directement concernées, qui vont se taper ce chantier pendant au moins une demie douzaine d'années, voire une bonne dizaine d'années. Gêne indirecte, c'est 1 500 foyers touchés. Un vacarme incroyable au programme pour une décennie et les riverains ne savent toujours pas ce qu'il y aura à la place de leur parking! Inutile de préciser ni les propriétaires des lieux ni la municipalité de Beyrouth ni les services de Etat libanais, ne se sont donné la peine de faire une étude d'impact sur la suppression d'un lieu de stationnement de cette taille en plein cœur de Beyrouth. Comme pour Sama Beirut, pour venir, comme pour repartir, tout se fera avec des rues à une voie et à sens unique, une seule voie d'accès en tout et pour tout.


Comme on le voit sur Google Maps, la zone a une superficie légèrement inférieure à celle du jardin de Sioufi. Ça donne une idée de la taille du chantier. 15 à 20 000 m2 probablement. On dit que le terrain appartient à l'Eglise orthodoxe. On dit aussi qu'on envisage construire une université. Encore une! On dit qu'il y aura peut-être un centre commercial. Parce qu'on en manque cruellement au Liban! Certains pensent plutôt à des gratte-ciels, encore et toujours. C'est la gentrification de Beyrouth à toute vitesse. Elle a commencé après la fin de la guerre en 1991. Elle est passée à une vitesse supérieure par le vote à la hâte et à la dérobée de la loi sur les locations anciennes en 2014, par les autoprorogés députés. Toujours pas appliquée. Le jour où elle le sera, elle repoussera la classe moyenne et les natifs de la ville vers les banlieues, afin d'offrir la ville et ses beaux quartiers aux promoteurs sans scrupules, avec la complicité des pouvoirs publics et des élus de la nation.

Et pour ne rien arranger, toutes ces tours qui poussent comme des champignons un peu partout à Beyrouth, sont inaccessibles à la grande majorité des Libanais. Elles ramèneront du monde, encore du monde et toujours du monde en ville, dans une capitale dépourvue de grands axes routiers et de transports en commun, d'un pays centralisé, qui accueille 1,5 million de réfugiés syriens. Rien n'a été fait pour ce développement chaotique incontrôlé. Ni les rues ni même les égouts. Alors pas besoin de sortir de Harvard pour imaginer la suite, embouteilles et débordements des égouts. Dans le cas de Ramlet el-Baïda avant-hier, le facteur déclencheur est le déversement de béton dans les canalisations par la faute de la municipalité de Ghobeiry et de l'hôtel Eden Bey Resort.

Eh oui, on ne gère pas une capitale comme on gère un village, une ferme ou un poulailler. Les grands axes de Paris datent du Second Empire. Ils ont été réalisés sous Napoléon III par le baron Haussman, il y a plus de 150 ans. Et encore, ce dernier n'est pas parti de rien. Il a continué l'oeuvre de ses prédécesseurs. Haussman a créé, aménagé, reconstruit et transformé la capitale de la France comme personne auparavant. On estime que le préfet de la Seine a façonné 60% de Paris. Il a poussé les limites de la ville de l'époque et procédé à la destruction de 18 000 maisons. La Ville Lumière est née dans la douleur.

Une grande partie de ce que nous connaissons de Paris date de cette époque:
. les rues de Rivoli, de Rennes, des Pyrénées, Alésia, etc. ;
. les boulevards Saint-Michel, Saint-Germain, Saint-Marcel, Malesherbes, Haussman (il s'est attribué un boulevard de son vivant!), Port-Royal, Voltaire, Sebastopol, etc. ;
. les avenues Foch, Hoch, George V, Marceau, Kleber, Iéna, Friedland, Daumesnil, etc. ;
. les places de l'Etoile, de la Concorde, de la République, du Trocadéro, des Innocents, de l'Hôtel de Ville, Saint-Michel, etc. ;
. les quartiers des Halles, l'île de la Cité, etc.
. les ponts de Notre-Dame, Saint-Michel, Alma, Invalides, etc. ;
. les gares du Nord, de Lyon, Saint-Lazare et Montparnasse ;
. les Bois de Boulogne et de Vincennes ;
. les parcs de Montsouris, Monceau, Buttes-Chaumont, etc.

Ces travaux se sont déroulés sur une vingtaine d'années (1850-1870). Ils ont couté l'équivalent de 25 milliards d'euros d'aujourd'hui. C'est très cher, mais tel était le prix à payer pour construire la plus belle ville du monde, une capitale agréable à vivre et qui se projette dans l'avenir. Et encore, les successeurs du préfet Haussman continuent de façonner la ville pour l'adapter au monde de demain. Il y a trois semaines, le 25 octobre dernier, le tribunal administratif a validé définitivement la piétonnisation des voies sur berges par la Mairie de Paris. C'est ce dimanche même que les Parisiens sont invités à fêter l'événement autour d'un pique-nique géant qui se tiendra au parc Rives-de-Seine, entre le pont Neuf et le pont de Sully, et au jardin du Port-de-l'Arsenal. Il a fallu deux ans de bataille pour en arriver là, car certains élus opposés à la maire socialiste, préféraient réserver l'un des plus beaux sites de Paris, les rives de la Seine (inscrites au patrimoine mondial de l’Unesco!), aux voitures plutôt qu'aux piétons. Il y a vraiment des gens bizarres dans ce monde!


Anne Hidalgo ne compte pas s'arrêter là. La maire de Paris envisage étudier la possibilité de piétonniser le coeur de la capitale française, une partie des quatre premiers arrondissements de la rive droite, avec la création d'une zone de circulation extrêmement restreinte et la mise en circulation de navettes électriques autonomes. Le projet concernerait notamment les quartiers des Halles, du Marais, du Centre Pompidou et de Notre-Dame de Paris.

En Ile-de-France en général et à Paris en particulier, tout est fait pour limiter la place de la voiture dans la ville. C'est dans ce cadre que s'inscrit par exemple le chantier pharaonique du Grand Paris Express. Les travaux qui s'étaleront jusqu'en 2030, doteront la région de 200 km de voies ferrées en plus, à travers l'extension de 2 lignes de métro existantes et la création de 4 nouvelles lignes, soit 60 stations de plus, pour mieux relier les banlieues parisiennes entre elles, justement, sans avoir à passer par Paris.

A Beyrouth rien n'est fait dans ce sens. Au contraire tout est fait pour la voiture et en dépit du bon sens, comme le prouvent les deux exemples cités précédemment, Sama Beirut et le chantier de Saïdé/Karm el-Zeitoun. De grands axes à Beyrouth, on ne peut plus le faire à cause des sommes astronomiques qu'il faudrait pour indemniser les gens. Il aurait fallu commencer les travaux en 1900. On ne peut même plus élargir les autoroutes côtières existantes, trop tard. 

Alors, il faut agir sur les autres paramètres: renforcer le Code de la route en sanctionnant sévèrement les infractions qui affectent la fluidité de la circulation, comme le stationnement gênant, se garer en double file par exemple ; faciliter la circulation des piétons et des cyclistes à Beyrouth, afin d'encourager les citadins à ne pas prendre la voiture systématiquement, en dégageant les trottoirs et en rendant cette circulation possible, en toute sécurité, sans risquer sa vie ; étudier sérieusement la réhabilitation des trains, notamment entre Tripoli et Sour, que les leaders libanais ont rapidement et stupidement abandonné ; développer des transports en commun dignes de ce nom, propres, sécurisés, climatisés ; limiter la mise en circulation des voitures dans tout le pays ; instaurer le principe de la circulation alternée en périodes critiques (les jours pairs circulent les voitures aux plaques d'immatriculations paires et les jours impairs celles aux plaques impaires) ; encourager le covoiturage par tous les moyens, y compris les incitations fiscales ; envisager la construction de ponts maritimes, ex. entre Mar Mkhaël/Jisr - Antélias-Naccache ; développer au plus vite le transport maritime quotidien entre Beyrouth et les principales villes côtières, Tripoli, Jbeil, Jounieh, Damour, Saïda, Sour ; lancer le vaste chantier de la décentralisation administrative ; programmer le basculement de toutes les démarches administratives sur internet (se déplacer pour un papier doit devenir l'exception et non la règle comme c'est le cas actuellement) ; déménager certaines entités publiques et même privés en dehors de Beyrouth ; etcetera, etc.

Et pour couronner toutes ces mesures, il faut interdire l'édification de tours, de centres commerciaux ou d'universités dans les ruelles de Beyrouth. Qu'on les installe ailleurs, sur les grands axes, à Dbayé par exemple. Il faut comprendre qu'avec une gestion urbaine aussi primaire qu'au Liban et à Beyrouth en particulier, on ne peut qu'avoir des embouteillages monstres. Beyrouth sera bientôt le Caire, qui connait des embouteillages de jour comme de nuit. Il est impératif de nos jours, d'avoir à l'échelle du Liban et du Grand Beyrouth, une approche globale de l'urbanisme qui prend en compte les impératifs en matière de logement, de mixité sociale, de cohabitation communautaire, de transport, de stationnement, de commerces, d'études, d'emplois, de loisirs, d’environnement, de qualité de vie, etc. Cela porte un nom, le « schéma de cohérence territoriale ». L'absence de ce « schéma directeur » ne peut conduire qu'au désastre magistralement illustré par cette photo. 

samedi 10 novembre 2018

« Célébrons un Brexit rouge, blanc et bleu » avec Vladimir Poutine et Boris Johnson : une campagne publicitaire intrigante à Londres (Art.574)



C'est une énigme des temps modernes à pousser James Bond à prendre sa retraite. Jeudi matin, les Londoniens sont tombés sur des pubs très intrigantes, célébrant le Brexit. Outre l'affiche avec Vlad, sourire narquois, il y a celle avec BoJo (Boris Johnson pour les amis) et ses deux drapeaux russes. Certains le croient en parachute, mais moi, j'ai cru un instant qu'il était dans un youpala.


Ça serait l'oeuvre d'un groupe d'officiers des renseignements militaires russes (GRU), le « Proud Bear ». Ah bon! Et dans quel but? Les « ours russes » précisent sur le site en question que « le groupe espère contrer la publicité négative récente et injustifiée concernant le GRU (dans l'affaire d'empoisonnement de l'ex-agent russe Skripal et de sa fille), en affichant des publicités soulignant leur rôle dans la libération imminente de la Grande-Bretagne de l'Union européenne » (Reuters). Ça alors, sauf que ça a tout l'air d'un canular! Et comment, les soi-disant officiers russes prévoyaient de louer le plus grand panneau publicitaire d'Europe dans la gare londonienne de Waterloo (quel symbole!), pour montrer le maitre du Kremlin chevauchant Big Ben, torse-nu, avec le message « Taking Back Control » (Nous reprenons le contrôle), photo-montage à l'appui. Hehehehe, le canular confirmé, mais encore, dans quel but?


C'est là où ça se complique! A croire le Daily and Sunday Express, ça serait une façon de remercier Poutine pour tout ce qu'il a fait dans le but de convaincre les Britanniques de passer à l'acte. De l'ironie qui sous-entend qu'il n'a rien fait! Selon l'Express, un texte serait même caché dans le code source du site, hehehe, en russe en plus. « Theresa May préfère promouvoir le plan ridicule du Brexit au lieu de s’arrêter un instant et d’enquêter véritablement sur la question de savoir si l’influence de la Russie a vraiment été décisive lors du vote. Le Royaume-Uni a immédiatement besoin d'une enquête à la Mueller. » Là aussi, tout est ironique. Preuve supplémentaire, la réponse du prétendu groupe russe rapportée par l'Express. « Le message hostile contenu dans le code source du site web était un piratage de la CIA. Le webmaster du groupe, Mikhael Klikov, a été envoyé en vacances éternelles en Sibérie pour avoir permis cette erreur ». Hehehe, sacrés Britanniques!

Il n'empêche qu'en exagérant les faits, les auteurs de ce canular sous-entendent bien sûr, que Poutine n'a rien fait pour peser sur le Brexit! Il ne serait d'ailleurs pas impliqué dans l'affaire Skripal évidemment, ni dans les élections américaines non plus. Ce ne sont que des éléphants roses qui encombrent l'espace aérien occidental. Au passage, le Daily Express est un tabloïd britannique eurosceptique.


Mais puisqu'on y est un mot sur Boris Johnson, un des artisans du Brexit. Il voudrait filer à l'anglaise, concernant le Brexit et ses responsabilités, d'avoir menti aux Britanniques en leur faisant croire que la sortie de l'Europe serait une formalité, tout bénéf. Le 29 mars 2019 à minuit, les Britanniques ne feront plus partie de l'Union européenne et ce divorce leur ferait perdre près de 29 milliards €/an. Et c'est indépendamment de la facture du divorce, qui pourrait atteindre une cinquantaine de milliards d'euros !

Comme tous les imposteurs dans son genre, Boris a commencé sa carrière en falsifiant une citation lorsqu'il travaillait comme journaliste stagiaire pour le Times, ce qui lui a couté son poste. Par la suite, il n'a pas hésité à inventer des histoires pour amuser la galerie, faire le buzz et se faire un nom dans le milieu conservateur. Tiens, ça vous rappelle quelqu'un? Trump, bingo.

Fils de bonne famille, avec des origines américaine, française et suisse, Boris est né aux USA. Il a une grand-mère de confession juive. « Du côté de ma mère, j’ai des ancêtres juifs originaires de Moscou dont certains étaient des rabbins ». Il est considéré par la presse israélienne comme un grand ami de l'Etat hébreux, farouchement opposé au boycott d'Israël. Et comme Trump, il n'est pas disponible pendant 30 minutes tous les 10 jours, pour cause de coloration des cheveux :D Contre le Brexit pendant un laps de temps, puis fer de lance du Brexit ; pour de bonnes relations avec l'Union européenne, puis partisan d'un Brexit dur ; BoJo n'est pas à une bouffonnerie et une contradiction près pour devenir Premier ministre. Le problème c'est qu'il est pris pour un bouffon, au vrai sens du terme, même par son propre camp. Pour Alan Duncan, l'ex-ministre d'État aux Affaires étrangères sous Boris Johnson justement, le Royaume Uni n'a pas besoin d'un « Trump britannique ». Pour un ambassadeur européen, personne ne le prend au sérieux.

Un exemple pour illustrer à quel point BoJo est un bouffon. Avant le Brexil, un de ses arguments de campagne était le risque encouru pour son pays, par l'éventuelle intégration de la Turquie dans l'Union européenne. Après le Brexit, il s'est engagé à aider la Turquie à intégrer l'Union européenne par tous les moyens!

Pour terminer en beauté, un florilège de bouffonneries borisiennes. Slogan de campagne : « Si vous votez Tory (parti conservateur britannique), votre femme aura de plus gros seins et vous augmenterez vos chances d'avoir une BMW ». Avec hélas des effets indésirables, vous aurez un petit zizi et un ciboulot ramolli. C'est avec ça qu'il a gagné la mairie de Londres, enfin, presque. Bon, continuons. Les jihadistes? « Des branleurs qui pratiquent la masturbation intensive ». Waouh! L’Union européenne? Comme les nazis, elle veut unifier le continent et le placer sous un commandement unique! Barack Obama? Il est « à moitié kenyan ». Hillary Clinton? On dirait « une infirmière sadique d’un hôpital psychiatrique ». François Hollande? Un commandant d’un camp nazi. Erdogan? C'est un « fantastique branleur » qui fornique avec des chèvres. L'avenir de la Libye? Le tourisme si le pays parvenait à se débarrasser des cadavres. Les femmes en burqa? Des boites aux lettres.

Vous l'avez compris, Boris Johnson est un homme pertinent et charismatique, un grand intello! On dirait qu'il a vraiment réussi sa vie. La BMW, la femme à forte poitrine, le petit zizi et le ciboulot ramolli, what else? Non mais qu'est-ce que l'humanité a fait au bon Dieu pour mériter les Johnson, Bolsonaro, Erdogan, Duterte, Le Pen, Salvini, Netanyahou, Poutine, Trump, et j'en passe et des meilleurs? C'est peut-être parce qu'on a bousillé la perle de l'Univers en un temps record ou parce qu'on ne mange pas assez de hoummos dans le monde! Au fait, on met notre Don Quichotte national dans le lot ou pas? Je ne suis pas convaincu, il va prendre cela pour une reconnaissance, qu'il a la trempe d'un président!