vendredi 3 juin 2016

L’affaire Benzema-Valbuena : « sexe, mensonges et vidéo » vs. « pression d'une partie raciste de la France » (Art.363)


Il y a des déclarations qui vous collent à la peau comme des tatouages. Difficile de s’en débarrasser après. Karim Benzema avait une de ces déclarations tenaces. Désormais, il en a deux. Avant d’en parler, petit rappel des faits à ceux et celles qui faisaient le tour du monde à la brasse et à cloche-pied au cours de l’année écoulée.

Un beau matin du mois de juin, il y a un an, presque jour pour jour, Mathieu Valbuena, un des Bleus, reçoit un coup de fil d’un inconnu lui réclamant 100 000 € pour lui restituer la vidéo de ses ébats amoureux avec sa compagne, qu’il a lui-même filmée (c’est ce qu’on appelle une sextape) et qui lui a été volée de son téléphone portable. Le joueur porte plainte et aussitôt les enquêteurs se mettent sur les traces des maitres-chanteurs. Six conversations téléphoniques permettent d’identifier plusieurs d'entre eux. Le 5 octobre, alors que les Bleus s’entrainent à Clairefontaine pour affronter le Danemark, Karim Benzema, un autre pilier des Bleus, aborde Valbuena au sujet de la sextape. Un mois plus tard c’est la garde à vue, Benzema est mis en examen. L’attaquant du Real Madrid s’en défend. Une semaine après, Europe 1 puis l’Equipe, révèlent le contenu d'un enregistrement qui aurait eu lieu entre Benzema et un ami d’enfance, Karim Zenati, qui serait lié aux maitres-chanteurs, où on l’entendrait dire « je pense qu’il nous prend pas au sérieux ». Pire encore, on apprend de cette conversation au « ton amicale », que Benzema aurait déclaré à Valbuena : « moi je vais t’arranger la sauce. Faut que tu vas voir le mec. Il va venir. Il va te parler. Mais je te donne ma parole que y a pas d’autre copie (de la sextape)... si tu veux que la vidéo elle soit détruite, mon ami, il vient te voir à Lyon, tu vois directement avec lui... La vidéo, je l’ai vue il y a une semaine, avant de venir... Moi, mon but, il s’arrête là. Maintenant, mon ami, il prend la relève, c’est lui qui connaît la personne qui a ta vidéo, moi, je la connais pas. Maintenant, tu veux régler tes histoires, donne ton numéro, je lui donne et tu vois avec lui ». Pour se défendre, Karim Benzema affirme avoir servi d’intermédiaire, tantôt pour aider son coéquipier, tantôt pour aider son ami d’enfance.

Au vu de tous ces éléments, disons comme le stipule l’article 11 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, « toute personne accusée d'un acte délictueux est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d'un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées ». Toutefois, cela ne nous dispense pas de nous poser des questions et d’aborder l’affaire avec un peu de bon sens. La première question qui m’est venue à l’esprit quand j’ai entendu parler de ce scandale, c’est comment diable, peut-on mêler son propre nom, de prêt ou de loin, de son plein gré, à un odieux chantage, à cause d’un ami d’enfance, quand ce nom est hissé aussi haut que celui de « Karim Benzema » ? Un homme qui vaut 35 millions d’euros (prix de son transfert en 2009 de l’Olympique lyonnais au Real Madrid), qui n’a que 28 ans, dont 10 passés avec les Bleus, joueur français de l'année à trois reprises, joueur en activité au plus grand nombre de sélections en équipe de France, meilleur buteur en activité de l'équipe de France, 8e meilleur buteur de l'histoire de l'équipe de France, 8e meilleur buteur de l'histoire de la Ligue des champions, 3e meilleur buteur en activité de la Ligue des champions, 4e joueur français le plus nommé pour le ballon d'or dans l'histoire du football, et j’en passe et des meilleurs. Peu importe l’issue de l’affaire, deux mots : quel gâchis ! En tout cas, les faits sont là. Mais enfin, il faut prendre vraiment les gens pour des cons, pour tenter de leur faire avaler que l’ami d’enfance qui a contacté Benzema au sujet de la sextape l’aurait fait pour autre chose que pour faire pression sur Valbuena afin qu’il paie les maitres-chanteurs.

Les choses étant ce qu’elles sont, la Fédération Française de Football (FFF) décide le 13 avril 2016 d’écarter Karim Benzema de l’Euro 2016, le Championnat d'Europe de football, un mini Mondial qui se déroulera en France entre le 10 juin et le 10 juillet. « Les éléments actuellement disponibles dans ce dossier ne permettent pas d'établir clairement l'implication des différents acteurs... Il n'existe aucun obstacle, sur le plan juridique, au fait qu'il (Karim Benzema) soit sélectionné. Le Président de la Fédération et le sélectionneur (de l’équipe de France) tiennent à rappeler que la performance sportive est un critère important mais pas exclusif pour décider de la sélection au sein de l’Equipe de France de football. La capacité des joueurs à œuvrer dans le sens de l'unité, au sein et autour du groupe, l'exemplarité et la préservation du groupe sont également prises en compte... Il en résulte que Noël Le Graët et Didier Deschamps ont décidé que Karim Benzema ne pourra pas participer à l'Euro 2016. » Dans ce contexte, il est difficile de comprendre comment peut-on contester sérieusement et impartialement la décision de la FFF, si on se donne la peine de se renseigner pour savoir ce que la justice française reproche précisément à Karim Benzema ? Est-ce que tous ces défenseurs zélés du footballeur ont imaginé la moitié d’un quart de seconde l’ambiance exécrable qui pourrait régner dans l’équipe de France, alors qu’un des coéquipiers est accusé de « complicité de tentative de chantage et participation à une association de malfaiteurs » visant un autre coéquipier ? La contestation de la décision de la FFF est tout simplement hallucinante. Elle a essentiellement des motivations communautaires et identitaires bien regrettables.

Karim Benzema doute de la probité des responsables sportifs français. Pire encore, dans une interview accordée au quotidien sportif espagnol, Marca, et publiée le 1er juin, la star du Real Madrid décide de se faire un deuxième tatouage qui lui collera à la peau pour longtemps. « Deschamps a cédé sous la pression d'une partie raciste de la France. Il faut savoir qu'en France le parti d'extrême droite est arrivé au deuxième tour des dernières élections. » C’est c’là oui, il faut le savoir car ceci explique cela !

Voyons un peu les faits et les chiffres. Karim Benzema joue dans l’équipe de France depuis 2007, alors que Didier Deschamps est sélectionneur depuis 2012. Si on rentre dans les performances et les détails, on s’aperçoit que Karim Benzema est le « joueur en activité au plus grand nombre de sélections en équipe de France » et le « 14e joueur au plus grand nombre de sélections de l'histoire de l'équipe de France » avec 81 sélections dont 36 sélections effectuées par Didier Deschamps lui-même, soit 45% de l’ensemble. Karim Benzema est aussi le « meilleur buteur en activité de l'équipe de France » et le « 8e meilleur buteur de l'histoire de l'équipe de France » avec 27 buts dont 13 buts marqués dans des matchs effectués sous la sélection de Didier Deschamps, soit la moitié de tous les buts de sa carrière en équipe de France. Karim Benzema est également le « 4e joueur français le plus nommé pour le ballon d'or dans l'histoire du football » avec 6 nominations en 2008, 2009, 2011, 2012, 2014 et 2015, donc 3 fois sur 6 il l’a été alors que Didier Deschamps trônait à la tête de l’équipe de France. Karim Benzema a été par ailleurs, le « joueur français de l'année », en 2011, 2012 et 2014 », donc 2 fois sur 3 sous la sélection de Didier Deschamps. Pour ceux qui pourraient être tentés de ne pas comprendre, cela signifie que la moitié de la carrière de Karim Benzema en équipe de France, il la doit à Didier Deschamps, qui lui a permis de réaliser ses performances et ses records. Alors de là, il faut être sacrément de mauvaise foi pour découvrir soudainement que Didier Deschamps est un homme vulnérable devant la « pression raciste » d’une partie de la France.

En fait, l’idée de l’élimination de Benzema pour une soi-disant motivation raciste vient d’Eric Cantona. Dans une interview accordée à The Guardian le 26 mai, celui qui aurait pu faire une toute aussi belle carrière à la criée du port de Marseille, a claironné : « Benzema est un grand joueur. Ben Arfa est un grand joueur... Mais Deschamps, il a un nom très français. Peut-être qu'il est le seul en France à avoir un nom vraiment français. Personne dans sa famille ne s’est mélangé avec quelqu'un d’autre, vous savez. Comme les Mormons en Amérique. » Propos typiquement racistes, d’un Français de parents ayant des origines espagnoles et italiennes envers les « Français de souche ». Mais comme c’est dans ce sens, ça ne fait pas grand bruit.  Plus loin, « King Eric » comme on le surnomme outre-Manche, rajoute : « Je ne suis pas surpris... Ils (Benzema et Ben Arfa) ont des origines. J’ai le droit d’y penser... (à) leur origines nord-africaines. Donc le débat est ouvert ». Oui il a le droit, mais le débat a été rapidement refermé à juste titre par Noël Le Graët, le président de la FFF : « Attaque minable... Je trouve ça stupide ». Il ne faut pas trop en vouloir à Eric Cantona, la star française de Manchester United n’a jamais digéré la bourde d’avoir pris sa retraite en 1997 car il ne misait pas un centime sur les chances de l’équipe de France de remporter la Coupe du monde de football en 1998. Alors de temps à temps, il nous fait sa crise.

Pour le comédien Jamel Debbouze, « Karim Benzema, et par extension Hatem Ben Arfa, paient la situation sociale de la France d’aujourd’hui ». Ah bon, et pourquoi pas Najat Vallaud-Belkacem, la ministre française de l’Education, Myriam El-Khomri, la ministre française du Travail et de l’Emploi, Rachida Dati, l’ex-ministre de la Justice et députée européenne, Zinédine Zidane, l’ex-star de l’équipe de France, et tant d’autres ? « Ces gamins (Benzema et Ben Arfa) représentent en plus tellement de choses, notamment en banlieues ». Justement, parce qu’ils représentent tant dans les banlieues et pour les Français d’origine maghrébine et les Arabes vivant en France, que l’implication de Benzema dans le scandale de la sextape est une erreur monumentale de la part du footballeur. « N’avoir aucun de ‘nos’ représentants en équipe de France... » Stop, et pitié, épargne à la France cette dérive communautaire nauséabonde !

D’un autre côté, Mourad Boudjellal, Français d’origine algérienne aussi, ne croit pas que la non-sélection de Benzema ait été motivée par des considérations racistes. Le président du Rugby club toulonnais, triple champion d'Europe et champion de France, a même des mots très durs à l’égard de Karim Benzema. « Dans la déception... je crois qu’il (Benzema) n’a pas mesuré la dangerosité de ses propos parce que, s’il souhaite devenir un fonds de commerce des recruteurs de Daech, il ne fallait pas s’y prendre autrement... Sur des jeunes des cités qui sont en manque d’idéal, ça devient un excellent exemple pour certains recruteurs, de leur dire "regarde, même si tu deviens le meilleur dans ton sport, comme au football, regarde Benzema, tu es rejeté". C’est vraiment un appel à dire "Révoltez-vous contre ce pays" ». Merci d’avoir mis les points sur les i.

On a souvent reproché à Benzema de ne pas chanter la Marseillaise. Zidane et Platini ne la chantaient pas non plus. Certes, ce n’est pas un drame. Mais ce n’est pas une raison valide non plus. En tout cas, rien ne justifie le comportement des uns et des autres, à partir du moment où tous les trois sont des citoyens français. Ces footballeurs sont bien placés pour savoir à quel point ce point est exploité par l’extrême droite justement. Le match amical entre la France et l’Algérie en octobre 2001 est encore dans certaines mémoires. Le sifflement de la Marseillaise et l’envahissement du terrain par les supporteurs d’origine algérienne, qui a entrainé l’arrêt du match, a laissé de très mauvais souvenirs. Le rapport de Benzema avec la Marseillaise s’est compliqué davantage peu de temps après les attaques terroristes de Paris (novembre 2015). Alors qu’on venait de jouer l’hymne national français au stade Santiago-Bernabeu pour rendre hommage à la France, sous un vif applaudissement du public, l’attaquant du Real Madrid ne parvient ni à retenir sa production salivaire abondante, même à l’arrêt, ni à l’avaler d’ailleurs. Il crache sur la pelouse. Pas de chance, la caméra était braquée sur lui. Récupération immédiate et différée par la droite extrême (ex. Nadine Morano) et l’extrême droite (ex. Marion Le Pen). Le joueur français dira plus tard : « Je crache à la fin, comme à tous les matchs, comme tous les joueurs... C’est lamentable de me faire passer pour quelqu’un qui ne respecte pas le pays, les morts. Ça, ça fait mal. » Et pour la Marseillaise ? « Si c’était obligatoire, je la chanterais ». En attendant, pas la peine de s’attarder trop sur ce point. Si un chanteur engagé-enragé comme Renaud peut se permettre de dire que « La Marseillaise, même en reggae, Ça m'a toujours fait dégueuler », la coutume veut qu’on chante cet hymne nationale au début d’un match de foot joué au « nom de la France ». S’il est libre de ne pas respecter cette coutume sportive, il faut aussi reconnaitre que les Français sont tout aussi libres de juger son comportement à sa juste valeur.

Alors que Karim Benzema est à peine majeur, la Fédération algérienne de football tente de le séduire. Mais il choisit de jouer en France. « L’Algérie c’est le pays de mes parents, c’est dans le cœur. Mais bon après, sportivement, c’est vrai que je jouerai en équipe de France. Je serai là toujours présent pour l’équipe de France (...) c’est plus pour le côté sportif, parce que l’Algérie c’est mon pays, voilà, mes parents ils viennent de là-bas. Après, la France, c’est plus sportif ». Dix ans plus tard, cette déclaration maladroite lui colle encore à la peau. C’était son premier tatouage. Là aussi, ce n’est pas la peine de s’y engouffrer avec la malhonnêteté des racistes et des xénophobes, mais une chose est sûre, Karim Benzema n’a pas su se faire aimer de tous les Français. Mieux vaut tard que jamais.

Toujours est-il que personne ne conteste l’existence du racisme et de la xénophobie en France. Evidemment que ces deux maux touchent le monde sportif. Mais de là, à les voir partout, désolé, je ne marche pas. Je m’exprime en connaissance de cause. Je suis un Libanais de France et un Arabe d’Europe, depuis près de 30 ans. Quand on s’est rassasié de l’amour de la France, de l’Europe et de l’Occident, aux seins ou aux biberons, comme ce fut mon cas, je peux vous rassurer, on est totalement immunisé contre toute expression raciste ou xénophobe dont on pourrait faire l’objet. En tout cas, parlons-en de ces maux. Mais avec prudence et sans sélectivité, surtout nous autres qui sommes d’origines étrangères. Parlons notamment de ces maux qui règnent dans nos pays d’origine. Comme dans les pays arabes, du Machreq au Maghreb, dans toutes les populations et communautés. Alors, quand on se sent Algérien ou Libanais et on a de l'amour pour l'Algérie ou le Liban, c’est pour le meilleur et pour le pire. Dans ce pire, il y a le racisme et la xénophobie, hélas. Et pour le meilleur, nous devons les combattre, au lieu de les invoquer à tort et de travers, pour camoufler nos erreurs, justifier nos bourdes et excuser nos échecs dans des contrées aussi cosmopolites, ouvertes et tolérantes que la France, l’Europe et les pays d’Occident.