samedi 14 janvier 2017

Avant de faire du Liban une « terre de tournage », ils feraient mieux d'en faire une « terre de tourisme » (Art.408)


Ce lundi 9 janvier, la météo était non seulement fiable, mais aussi exécrable. Pluie, embouteillages et chaos dans Beyrouth et le long des routes du littoral. Neige, trafic fluide et quiétude à Ouyoun el-Simane et sur les chaines montagneuses des alentours. A la nuit tombée, sur les cimes du Mont-Liban, le thermomètre comptait descendre au-delà de -5°C. La température ressentie était d'au moins -13°C. Un vent glacial s'était engouffré dans les vallées jusqu'au fin fond des ruelles de la capitale libanaise et des oreilles de ses résidents. C'était l'irrésistible appel de la haute montagne. Alors, à minuit, nous avons décidé de mettre le cap sur le Mzar au petit matin.


Comme prévu, le temps était splendide le lendemain. Ciel azur, air pur, soleil radieux, luminosité chaude, neige immaculée et températures proches de zéro dans la journée (1°C). Quoi d'autre? Rien, c'était superbe. Tenue de rigueur, feeling cosy. Bienvenue au pays où coulaient jadis, au temps biblique, le lait et le miel. Indéniablement, il subsiste encore quelque chose de ce qui a donné au Liban son surnom, la Suisse de l'Orient. Et pourtant, 'suissra be wédé wou ne7na be wédé téné'. Qui a eu le malheur de penser mettre à profit la météo optimale de ce mardi, a vite déchanté. Au Liban, il est parfois difficile de répondre à l'appel de la nature et d'en profiter pleinement, si on ne roule pas en 4x4. Ça fait chère la journée de randonnée et de ski ! En effet, ce mardi, il était très difficile d'accéder à Ouyoun el-Simane si on disposait d'une voiture ordinaire. Il est même dangereux de s'y aventurer dans ces conditions, les routes sinueuses de la montagne, dont certaines ont une pente qui peut atteindre 45° et des virages de 135° par endroit, se transforment en véritables patinoires et en glissoirs. Cela fait des milliers d'années que la neige tombe à Ouyoun el-Simane, et pourtant, on n'a toujours pas appris à ouvrir les routes vite et bien. On compte encore sur les rayons infrarouges pour sécuriser la chaussée l'hiver.

Et pourtant, c'est une nécessité, impérative et absolue au Liban, car la belle saison est courte et même très courte. Dans quelques jours seulement, il ne sera plus possible de pratiquer un sport d'hiver au Liban avec des températures proches de zéro dans la journée. La semaine prochaine par exemple, il fera jusqu'à 9°C dans la journée. Marcher et skier par 7°C et 9°C ou par 1°C et 3°C, ce n'est absolument pas pareil. Pour une belle journée de randonnée ou de ski il faut beaucoup de neige les jours précédents, des températures négatives la nuit, une journée ensoleillée et des températures positives mais proches de zéro dans la journée. C'était celles du mardi 9 janvier à Ouyoun el-Simane. Sauf que ce jour-là, sans 4x4, il était soit très risqué de s'y aventurer à Faraya et à Kfardebian, soit tout simplement impossible d'arriver à destination. C'est tout simplement inadmissible.


Et encore, qui a atteint cette destination sain et sauf, sans accrochage ni frayeur, n'était pas sorti de l'auberge pour autant. Ceux qui ont décidé de profiter de cette belle journée d'hiver et qui étaient venus en voitures citadines, ont été contraints de laisser leurs véhicules loin des parkings prévus et de continuer à pied plusieurs centaines de mètres. Et encore, la marche s'est effectuée dans des conditions pitoyables, dignes d'un pays du tiers-monde. Pour accéder à la plus belle région du Liban l'hiver, on se retrouve sur une route sans trottoir, au milieu d'un bordel de voitures et respirant un air plus pollué par les gaz d'échappement que celui de Dora et Cola-Barbire réunies. Ça aussi, c'est inadmissible.

Sur place, on se dit que quelques heures de marche ou de ski seront suffisantes pour se remettre de ses émotions, recharger ses batteries, délester ses esprits et remplir ses poumons d'air pur. Mais là aussi, très vite on se retrouve rattraper par le mauvais goût des gestionnaires des lieux et la lourdeur, wou ta2élitt damm, d'une partie de ces vacanciers d'un jour. Si on ferme les yeux et on oublie le froid, on se croirait à la plage. D'une part, on est accueillis et importunés par une musique abrutissante, qui n'a pas sa place dans ce cadre serein. Heureusement qu'il suffit de s'en éloigner un peu, pour y échapper. D'autre part, on est accompagnés et persécutés par le vacarme abêtissant des motoneiges (skidoos, all-terrain vehicules ATV, etc.). Heureusement aussi qu'il suffit de s'éloigner de leurs chemins un peu, pour échapper à leur nuisance sonore. Sauf qu'on est vite rattrapés par la double pollution visuelle et olfactive qu'elles génèrent. Pire encore, à la fermeture des pistes aux skieurs, les dernières motoneiges en circulation passent sur le flanc droit de la montagne, poussant un randonneur comme moi, à maudire les inventeurs, les constructeurs, les importateurs, les propriétaires et les locataires de ces horreurs.

L'avantage de la randonnée sur la neige, c'est de pouvoir s'éloigner rapidement du bordel des camps de base, les parkings et la piteuse cafétéria, et d'entrer dans ce monde merveilleux, immaculée et silencieux, qu'on ne trouve plus au Liban. Ce n'est point un hasard que nos ancêtres ont baptisé le sommet de la montagne de Ouyoun el-Simane, « el-Mzar », le sanctuaire. De cette cime, perché à près de 2 500 m d'altitude, on découvre l'enfilade harmonieuse des chaines montagneuses du Mont-Liban et la capitale, Beyrouth. C'est d'une beauté à couper le souffle et d'une douceur jouissive. Jadis, les Romains avaient un petit temple sur ce sommet. Aujourd'hui, celui-ci a laissé la place à une construction en béton, laide et bruyante, pour assurer nous dit-on la diffusion télévisuelle. On se passerait bien de cette double pollution, visuelle et auditive. Non loin de là, se trouvent encore le temple de Faqra et la tour de Claudius (43 ap. JC), de rares édifices romains en haute montagne, laissés presque à l'abandon. Mzar et Faqra se situaient à mi-chemin sur l'axe reliant les villes romaines, Berytus (Beyrouth) et Héliopolis (Baalbek)

A peine on est remis de ses émotions, commence le bordel des retours. Si on est dans les parkings, il faut prendre son mal en patience et prévoir des heures pour sortir. Si on n'y est pas, on risque sa vie pour rejoindre sa voiture garée au bord de la route un peu plus bas. Alors que la place est à plus de 5$, on n'est même pas fichu de tracer des lignes blanches au sol pour optimiser le stationnement des vacanciers et la circulation des véhicules. Rien ne pousse les gens à trainer sur place : ni le vacarme ambiant, ni les nids-de-poule (cavités dans la chaussée), ni la neige noircie par les activités humaines, ni les ordures qui jonchent le sol, ni les bouteilles d'alcool vides posées sur le bord de la balustrade.

Autrefois, notre pays était une source d'inspiration, même pour les auteurs de la Bible. « Tes lèvres distillent le miel, ma fiancée, le miel et le lait sont sous ta langue, et l'odeur de tes vêtements est comme l'odeur du Liban » (Le Cantique des Cantiques 4:11). Eh oui, le Liban est cité une centaine de fois dans la Bible, pas la Syrie, la France ou la Russie. Aujourd'hui, le pays du Cèdre pue le gaz d'échappement, de Beyrouth à Ouyoun el-Simane. A un tel point, que pour visiter les stèles et les vestiges de Nahr el-Kalb, mieux vaut prévoir une bouteille de plongée ou le faire en apnée. Le récit de cette escapade en haute montagne n'est qu'un exemple parmi tant d'autres. Alors, saperlipopette, avant que les valeureux ministre libanais du Tourisme et directeur de l'Office du Tourisme du Liban, Michel Pharaon (2014-2016) et Serge Akl (depuis 2000), ne gaspillent l'argent public pour imaginer faire du Liban « une terre de tournage », ils feraient mieux de faire du pays du Cèdre « une terre de tourisme », pour les Libanais et les étrangers, comme le voudraient leurs fonctions et le bon sens. Le clip qu'ils ont créé dans ce but, est une confusion des genres qui laisse perplexe. Scorsese ne viendra pas tourner au Liban parce qu'il y a six colonnes de Jupiter au milieu de la Bekaa. S'il y a un domaine où le Liban peut se distinguer en Orient, c'est bien celui des sports d'hiver.

Comme je l'ai expliqué en long, en large et en détails, la gestion des domaines skiables du Kesrouane laisse beaucoup à désirer. La société Mzar-Kfardebian, la municipalité de Kfardebian, le ministère des Travaux publics, le ministère du Tourisme et l'Office du tourisme peuvent y remédier de la manière suivante : en améliorant les routes d'accès aux domaines ; en déneigeant ces routes d'une manière parfaite pour permettre à tous les véhicules d'y accéder rapidement et sans risque ; en assurant une offre hôtelière variée, suffisante, de qualité et à des prix abordables pour que les gens puissent rester plusieurs jours et non quelques heures ; en aménageant des refuges authentiques, de charme et chauffés, aux pieds des pistes (pour se reposer, bavarder, prendre un café, boire un verre et manger un plat du terroir) ; en créant des parkings gratuits loin des pistes et en instaurant un système de navettes gratuites entre les parkings lointains, les hôtels, les résidences bon marché et les domaines skiables ; en créant des trottoirs sur les bords des routes ; en traçant des lignes de séparation pour le stationnement des voitures dans les parkings et pour la circulation des véhicules sur les routes ; en contrôlant le pullulement du commerce de location de motoneiges et le nombre de ces véhicules en circulation ; en restreignant l'accès des motoneiges aux domaines skiables et non skiables; en interdisant la musique de plein air ; en installant des poubelles sur les parkings et en nettoyant les lieux plusieurs fois par jour ; en retirant la neige noircie ; et j'en passe et des meilleures. Avant que je n'oublie, le film de promotion « Lebanon, a destination for films... Only a 5 hour flight away from London », « Liban, terre de tournage... A seulement 4 heures de vol de Paris », commandé par le ministère du Tourisme et l'Office du Tourisme et mis en ligne sur YouTube il y a plus de huit mois pour la version anglaise, et plus de deux mois pour la version française, affiche respectivement 680 et 14 vues. Smallah wou yekhzel3ein. C'est pour dire !