mercredi 14 février 2018

De la relaxe du « logeur de Daech » au procès du « Tribunal Spécial pour le Liban », en passant par le film « L'Insulte » : une même leçon de droit (Art.510)


Avec 100 avocats à la barre et 700 parties civils impliqués, ce premier jugement rendu cet après-midi à Paris, en rapport avec les attaques terroristes du 13-Novembre (2015), fera certainement beaucoup de mécontents qui feront certainement couler beaucoup d'encre. 


Jawad Bendaoud, le "logeur de Daech"


Dans le box des accusés, il y avait Jawad Bendaoud, un Franco-Marocain, personnage tragicomique connu du grand public comme étant le « logeur de Daech », d'Abdelhamid Abaaoud précisément, l'homme considéré comme étant le coordinateur des attaques terroristes (un Belgo-Marocain, ayant mené les attaques des terrasses parisiennes), et de Chakib Akrouh (un Belgo-Marocain, un des terroristes qui ont participé aux attaques des terrasses), les deux ont été tués à Saint-Denis au cours de l'assaut d'une unité d'élite de la police française à l'aube du 18 novembre 2015.


Il avait tout contre lui. D'abord, le contexte tragique et ses dizaines de morts (130 personnes) et ses centaines de blessés, ainsi que ses milliers de personnes traumatisées et ses millions de gens choqués de par le monde. Ensuite, le casier judiciaire bien chargé. Enfin, la grave accusation, d'avoir mis « son » logement à la disposition des terroristes. Et pourtant, il est libre ce soir.

Le ministère public voulait l'emprisonner pour quatre ans, sauf que pour la présidente de la 16e chambre du tribunal correctionnel de Paris « il n'est pas prouvé que Jawad Bendaoud a fourni un hébergement à des terroristes (…) afin de les soustraire aux recherches (policières) ». N'importe quoi diront les sceptiques, notamment d'extrême droite, comme ceux de Bloc identitaire. Ils ne manqueront pas de broder une nouvelle théorie du complot pour habiller Isabelle Prévost-Desprez pour l'hiver et disserter sur le laxisme des autorités françaises face au terrorisme islamiste. Ils rejoindront le camp d'extrême islamiste, qui brode depuis plus deux ans et sous-entend que les attaques terroristes en France sont les oeuvres perverses des services de renseignement français. Une théorie du complot qui a couté sa place à une ravissante jeune chanteuse française d'origine syrienne, Mennel Ibtissem, candidate à The Voice / TF1, contrainte de démissionner après la révélation d'anciens écrits controversés publiés après les attaques terroristes de Nice et de Saint-Etienne-du-Rouvray. Avant que les deux camps ne se penchent sur leur sale besogne, ils devront se souvenir comment la France a fait connaissance du Jawad, un 18 novembre 2015, où il s'est fait interviewer fièrement par BFM-TV et l'AFP, expliquant calmement que l'assaut des policiers d'élite du RAID concernait « son » logement, qui n'était d'ailleurs pas le sien, mais celui de trois frères, des marchands de sommeil pour lesquels il travaillait.

Deux autres hommes étaient poursuivis à Paris. Mohamed Soumah, l'homme qui a joué l'intermédiaire entre Hasna Aït Boulahcen, la femme qui a cherché une planque aux terroristes (cousine du terroriste en chef, morte durant l'assaut du RAID à Saint-Denis), et Jawad Bendaoud. Il écope de cinq ans d'emprisonnement. Il y a aussi Youssef Aït Boulahcen (frère d’Hasna Aït Boulahcen). Il en a pour quatre ans.

La justice s'est prononcée. Le parquet fera appel. L'affaire n'est pas classée mais l'homme est libre. Certains trouveront la relaxe de Jawad Bendaoud révoltante, et d'autres considéreront les condamnations de Mohamed Soumah et Youssef Aït Boulahcen insuffisantes. Peut-être bien, mais c'est la loi. Et la loi ne peut pas être arbitraire, ni à la tête du client, ni soumise à aucune influence. Ce n'est pas l'émotion du moment et la présomption de culpabilité qui dictent le jugement, mais c'est la loi et les éléments de preuve. Ce sont ces principes qui régissent l'état de droit dans un Etat de droit. La France vient de donner une leçon magistrale en la matière au monde entier. Vaincre le terrorisme passe aussi par cela.

Et déjà le 13e anniversaire de l'assassinat de Rafic Hariri


Hasard du calendrier, nous commémorons aujourd'hui au Liban le 13e anniversaire de l'attentat qui a couté la vie à l'ancien Premier ministre, Rafic Hariri, et à 21 autres personnes. Le procès est en cours devant le Tribunal Spécial pour le Liban à La Haye. Cinq membres du Hezbollah sont poursuivis dans l'attaque terroriste du 14 février 2005 par cette haute instance judiciaire créée par le Conseil de sécurité de l'ONU pour cette occasion. Ils sont en fuite et ont été élevés au rang de « saints » par le chef du Hezb, Hassan Nasrallah. Cela étant dit, tout le monde a sa petite idée sur la question. Les partisans du Hezbollah accusent Israël, et les autres, le trio infernal, la milice chiite libanaise, le régime syrien et le régime des mollahs.

Mais là aussi, à La Haye comme à Paris, il n'est question que du droit international, des lois libanaises et des éléments de preuve. Personne n'est dupe, ni Ariel Sharon (Premier ministre israélien de l'époque et mort depuis), ni Hassan Nasrallah, ni Bachar el-Assad, ni Ali Khamenei, ne sera inquiété, ni de près ni de loin par cet assassinat politique. On peut le regretter, mais c'est la règle du jeu. Après avoir épuisé les recours judiciaires, il faut savoir accepter le verdict de tout procès équitable tel qu'il soit. C'est l'autre élément fondamental d'un état de droit dans un pays démocratique. Tenez, c'est d'ailleurs la chute du film de Ziad Doueiri, L'Insulte, récemment nommé aux Oscars. Après s'être battus pour obtenir réparation, les protagonistes Toni Hanna et Yasser Salameh accueilleront le verdict avec sérénité, enfin, avec résignation au moins.