samedi 2 mars 2019

La stupide politique des barrages au Liban: du désastre de Jannet au scandale de Bisri (Art.599)


La destruction des plus belles vallées du Liban par le ministère de l'Energie et de l’Eau, le Conseil du développement et de la reconstruction et la Banque mondiale, afin d’acheminer de l’eau polluée aux Libanais, à un coût exorbitant, dans un pays qui fuit de partout et qui n’a pas de compteurs d’eau, est absurde ! Si cela ne relève pas de la bêtise, alors c’est de la corruption à grande échelle.  



Quand on découvre que le Liban est cité tant de fois dans l'Épopée de Gilgamesh, le récit littéraire épique le plus ancien de l’humanité, et dans la Bible, le socle des trois religions monothéistes, on a beaucoup de mal à le croire. C'est pour vous dire !

 1  Moïse ce prophète-migrant qui voulait tant voir le Liban


« Laisse-moi passer, je te prie, laisse-moi voir ce bon pays de l'autre côté du Jourdain, ces belles montagnes et le Liban. » Celui qui implore Dieu de l’autoriser à franchir la frontière libanaise, n’est autre que Moïse, un migrant du 13e siècle avant Jésus. Le Très-Haut lui opposa une fin de non-recevoir, la conduite du peuple élu n’avait pas été exemplaire. « C'est assez, ne me parle plus de cette affaire ! » Nul n’est prophète en son pays, ni dans sa région. Le vœu de Moïse ne sera jamais exaucé, il ne verra ni le Liban ni la Terre promise.

En réalité, qui a connu le Liban avant la grande défiguration de la guerre et de l’après-guerre, n’a pas beaucoup de mal à comprendre pourquoi Moïse suppliait Dieu à ce point pour le laisser entrer au Liban. Le Cantique des Cantiques du roi Salomon, nous en donne un aperçu très poétique et plutôt osé sur le profond impact du pays du Cèdre sur l’imaginaire de l’époque.

C’est un homme amoureux qui ouvre le bal : « Tu es toute belle, mon amie… viens avec moi du Liban… Tu m'as ravi le cœur, ma sœur fiancée tu m'as ravi le cœur par un seul de tes regards… Combien ton amour est meilleur que le vin et l'odeur de tes parfums que tous les aromates ! Tes lèvres distillent le miel, ma fiancée, le miel et le lait sont sous ta langue, et l'odeur de tes vêtements est comme l'odeur du Liban… C'est un jardin fermé que ma sœur fiancée, une source fermée, une fontaine scellée… une source de jardins, des puits d'eaux vives, des ruisseaux du Liban. » 

Ce à quoi la dulcinée déjà conquise et reconquise à maintes reprises répondit : « Levez-vous aquilon. Venez autan ! Soufflez sur mon jardin et que ses baumiers exsudent. Que mon bien-aimé entre dans son jardin et qu'il mange de ses beaux fruits… Je dors mais mon cœur veille… Mon bien-aimé est frais et vermeil, il se distingue entre dix mille… Ses jambes sont des colonnes de marbre blanc, posées sur des bases d'or pur. Son aspect est celui du Liban, distingué comme le cèdre. » Je vous ai prévenu, vous aurez du mal à le croire !


 2  La contrée où coulaient jadis le lait et le miel n’est plus qu’un mythe, de la laideur et de la bêtise


Si je me suis étalé autant dans cette introduction, c’est pour bien illustrer à quel point le Liban d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec le Liban d’autrefois. Son impact sur l’imaginaire contemporain est infinitésimal. En ce temps-là, nous avions la chance d’hériter d’une contrée bénie des dieux. De notre temps, nous donnerons en héritage une région maudite par les cieux. La contrée où coulaient jadis le lait et le miel n’est plus qu’un mythe et de la laideur. Cela donne une idée de l’ampleur de la défiguration du pays du Cèdre au fil du temps. Comment nous en sommes arrivés là ? Par la bêtise des hommes essentiellement. Et parfois, comme c’est le cas du scandale du barrage de Bisri, avec la complicité de la Banque mondiale.

Marj Besri est une magnifique prairie au fond d'une vallée située dans le Sud-Liban en lisière du Mont-Liban. C’est à deux pas de Bkassine (à vol d'oiseau), non loin de Jezzine et à une vingtaine de kilomètres de Saïda. Les photos de la page Save The Bisri Valley se passent de commentaires. On a du mal à croire qu’une nature aussi luxuriante existe encore au Liban ! Officiellement, elle devrait faire partie du parc régional du Barouk tel qu’il a été défini dans l’aménagement territorial de 2009. De ce fait, la construction du barrage constitue une violation des lois libanaises en vigueur. Et pourtant, la société turque chargée de mener les travaux par le Conseil du développement et de la reconstruction (CDR), qui dépend du Premier ministre, n’a même pas attendu les autorisations nécessaires pour envoyer ses engins destructeurs sur les lieux et empêcher les habitants de Jezzine et du Chouf d’y accéder. Ils tiennent à construire un barrage en dépit du bon sens.


 3  Les innombrables aberrations du barrage de Besri


La construction du barrage de Bisri conduira à la destruction de 6 000 000 m2 d’espaces naturels, de terres agricoles et de zones fertiles, de l’une des dernières régions libanaises restées encore à l’abri des mutilations environnementales et des spéculations immobilières et foncières, du fait de son éloignement de la capitale et des grandes villes, mais aussi à cause de l’occupation israélienne du Sud-Liban et de l’instabilité qui en résultait. Pour vous donner une idée de l’étendue du massacre, jetez un coup d’œil sur l'image aérienne prise par un Airbus dans le cadre du programme Google Earth. L'échelle est de 1 km. C'est l'équivalent de la moitié du lac Qaraoun !


6 millions de m2, c’est la surface d’une zone rectangulaire de 1 km de long et 6 km de large (ou 2 x 3 km), ou une surface circulaire d’un peu moins de 3 km de diamètre (et 9 km de périmètre). C’est énorme. L'échelle de l'image aérienne de Google ci-dessous est de 200 m, elle permet de se rendre compte de l'étendue de la catastrophe.


Cela représente la taille de plusieurs communes libanaises, soit 0,06 % des 10 452 km2 du Liban. Eh oui, l’équivalent d’un tiers de notre capitale sera englouti par les eaux. C'est 20 fois le Bois des Pins de Beyrouth, 3/4 de la superficie du Bois de Boulogne à Paris. C'est tout simplement criminel pour un petit pays comme le Liban.



Le barrage d’eau sera construit sur une faille d’une zone sismique active. La concentration de ce gigantesque volume d’eau, jusqu’à 125 000 000 000 kg, 125 milliards de kilos, est de nature à déstabiliser la région sur le plan géologique. C’est comme si on décidait de surélever un immeuble de 5 étages, en rajoutant plusieurs étages supplémentaires, comme si de rien n’était. Il n’est pas difficile d’imaginer le risque pour l’environnement et la population. Selon les experts, à la moindre secousse, toute la région peut s’écrouler sur elle-même, amplifiant du coup la propagation de l’onde de choc sismique initiale sur toute la région.

Parmi les autres conséquences, il y a la destruction de près d’une soixantaine de sites archéologiques, des vestiges romains (temple, colonnes, voies, etc.) et des sites chrétiens (ruines du couvent Sainte-Sophie, église Mar Moussa), et la diminution du débit d’eau du fleuve el-Awali, qui irrigue les zones agricoles des environs de Saïda.

Chemins romains


Le barrage de Bisri fait partie d’un grand projet pharaonique d’alimentation en eau potable de la ville de Beyrouth et de ses environs, avec les eaux des fleuves Litani et Awali. Pour ce faire, l’Etat libanais projette détourner les eaux du barrage de Bisri et du lac de Qaraoun vers la région de Joun. Le problème c’est que les eaux en question seront si polluées, même après le traitement, qu’elles peuvent être considérées comme impropres à la fois à la consommation et à l’irrigation, d’après Sami Alawiyé, le responsable du plus grand fleuve du Liban.


Un tel projet conduira à l'abattage de plusieurs centaines de milliers d'arbres. Les rapaces sont déjà à l'oeuvre et n'ont même pas attendu les autorisations. Moins d’espaces verts constitue une menace pour la faune de la région, qu’elle soit locale ou de passage. Des renards aux cigognes, en passant par des animaux dont la majorité des Libanais ignorent l'existence (comme le daman des rochers), ils seront tous chassés des lieux ou tués. Moins de verdure c’est également plus de pollution et de gaz à effet de serre, plus de maladies et de dérèglement climatique, pour la région et le Liban tout entier.


La construction de ce barrage et des projets annexes, a un coût global exorbitant évalué à plus de 1,2 milliard de dollars, sans compter sur les dépassements du budget prévu, financée en partie par des prêts de la Banque mondiale, grand promoteur des barrages coûteux dans le monde.


 4  Nous n’avons pas besoin de plus de barrages, mais de moins de gaspillage: la gestion catastrophique de l’eau au Liban


Nous manquons d’eau, alors que le Liban était et est toujours, même défiguré, le pays du lait et du miel. Comment expliquer un tel paradoxe ? Par la gestion catastrophique du secteur de l’eau et par rien d’autre. Les marchands du temple voudraient faire croire aux Libanais, que leur problème est lié à un déficit dans le bilan hydrique et à un défaut d’approvisionnement. Faux et archifaux, notre problème est lié à l’usage irresponsable de l’or bleu. Le Liban n’a pas besoin de plus de barrages et de dépenses, mais moins de gaspillages et des économies.

La politique des barrages doit être abandonnée, mieux vaut tard que jamais. Ses inconvénients dépassent largement ses bénéfices. C’est d’ailleurs la conclusion de plusieurs rapports d'évaluation environnementale. Mais diable, on ne fait que ça depuis longtemps, et la situation est toujours mauvaise dans la plupart des régions libanaises. La situation s'améliore à Beyrouth mais à quel prix. La vie dans la capitale libanaise est marquée par les pompes à eau (on y installe une pour monter l’eau en étages et une autre pour la faire descendre sous pression svp !). Les nuits des Beyrouthins ne sont plus que vacarme.

Ailleurs aux quatre coins du Liban, c'est un désastre. Allez demander aux habitants du Haut-Kesrouan, qu’est-ce que le barrage Chabrouh leur a amené ? Ils attendent encore l’eau au robinet comme autrefois. Et encore, l'eau qu'ils ont est boueuse et impropres à la consommation. Sinon, allez poser la même question aux agriculteurs de Dénniyé, au Liban-Nord. Là-bas, la réponse est encore plus limpide pour la simple raison que le barrage de Brissa est à sec l’été. Et pourquoi donc ? A cause d’un défaut de conception et des mauvais calculs du Conseil du développement et de la reconstruction, selon l’ex-ministre de l’Eau, César Abi-Khalil lui-même, comme s’il n’était qu’un touriste de passage et comme si le même CDR n’est pas derrière le barrage contesté de Bisri au Sud-Liban.



Parlons peu, parlons bien. Si nous manquons d’eau c’est pour trois raisons principales : la consommation à outrance, le gaspillage irresponsable et les pertes insensées, avec comme bonus, le lobbying du business des citernes et des bouteilles d’eaux minérales. Donc, avant de dépenser l’argent public sur des projets pharaoniques, coûteux et inefficaces, il faudra commencer par s’attaquer aux sources du problème.

- Lutter contre le non-paiement des factures d’eau, la consommation illégale et le branchement sur le réseau public, comme pour l’électricité. C'est d'autant plus facile pour l'eau, que le réseau est enterré et qu'il y a peu de contrôle continu de l'Etat. Toutes les régions libanaises, sans aucune exception, sont concernées.

- Mettre en route le grand chantier de renouvellement du réseaux de distribution de l’eau au Liban, pour le secteur public comme dans le secteur privé. Pas un immeuble, une rue ou une route au Liban qui n’a pas une fuite d’eau ! Un réseau vétuste d’acier galvanisé, installé dans les années 1950 pour une partie, dont la durée de vie initiale n’excédait pas une dizaine d’années. On aurait dû commencer le chantier dans les années 1970 au plus tard.

Bienvenue à Beyrouth, au coeur d'un beau quartier d'Achrafieh

- Lancer une campagne de sensibilisation des Libanais par rapport à la consommation excessive d’eau au Liban. Tourner la machine à linge plusieurs fois par jour, faire une machine pour laver trois t-shirts, nettoyer les terrasses pendant des heures avec des jets d’eau, laver sa voiture tous les jours, etc.

- Interdire l’arrosage des pelouses et le remplissage des piscines de juin à septembre, sauf si l’on dispose de réservoirs adaptés aux besoins.

- Obliger les maisons individuelles à avoir des réservoirs et des puits de dimensions proportionnelles au terrain et à la surface bâtie.

- Rendre la récupération de l’eau pluviale individuelle obligatoire.

- Aménager des étangs aux quatre coins du Liban, dont l’eau sera destinée à l’irrigation, afin de réserver les sources et les eaux souterraines essentiellement à la consommation.

- Informer les agriculteurs sur l’arrosage juste (pas besoin de noyer les pommiers dans l’eau toute la nuit ; ah si on le fait !).

- Protéger les sources et surtout, les eaux souterraines, de la pollution et des mafias ! Elles restent de loin la méthode la plus naturelle, la plus saine et la plus efficace, pour stocker l’eau providentielle de la pluie et de la neige.

- Arrêter le bétonnage chaotique et l’asphaltage hystérique du pays, afin de préserver les conditions optimales pour que l’eau pluviale puisse remplir les nappes phréatiques.

- Imposer des normes draconiennes sur les fosses septiques en montage et les réseaux d’égouts des villes sur le littoral pour éviter la contamination des eaux souterraines et marines.

- Exploiter les sources d’eaux douces en mer.

 5  L’eau et l’électricité : les chasses-gardées du duo Aoun-Bassil depuis 2008


Pas de procès politique, mais des constats. Primo, le secteur de l’eau est contrôlé par le CPL depuis 2008. Secundo, la gestion de l’eau au Liban est un fiasco. Tertio, Aoun-Bassil tiennent à garder ce ministère coûte que coûte. Toute la question est donc de savoir pourquoi ?

Pour tenter d’y répondre, allons faire un tour du côté de Jannet. On y construit un autre barrage. On y prépare une autre catastrophe. Le CPL mène une bataille acharnée depuis une dizaine d’années dans ce but. 300 000 arbres en ont fait les frais. La construction du barrage détruit non seulement une des dernières plus belles régions du Liban -elle n’a pas été désignée par le « paradis » pour rien !- mais le projet est caractérisé par une tare congénitale. On le sait depuis le départ. On l’ignorera jusqu’à la fin. Une partie de l’eau de Nahr Ibrahim en rétention à Jbeil pourrait se trouver par un tour de passe-passe souterrain du côté de Jeïta au Kesrouan ! Ah non ce n’est pas moi qui le dis. C’est la conclusion des experts en géophysique du BGR, l'Institut fédéral des géosciences et des ressources naturelles, un organisme allemand chargé de conseiller le gouvernement d’Allemagne. Ah mais, il faut beaucoup plus pour impressionner Don Quichotte de la République libanaise, Gebrane Bassil.


Et pourtant, détruire une région paradisiaque et dépenser des dizaines de millions de dollars pour en arriver là, c’est très idiot. Pour écarter les doutes émis par les défenseurs zélés des barrages, essentiellement le CPL, on a fait appel à Safège, une société française d’ingénierie formée par un consortium de 25 entreprises, qui fait partie du groupe Suez. Rien à faire, les experts français arrivent à la même conclusion. Compte tenu de la nature géologique du sol, l’eau du barrage de Jannet ne tiendra pas, elle ira voir ailleurs. Toujours pas impressionné Don Quichotte, il y voit un autre moulin à vent à combattre.

C’est alors qu’on chargea la société libanaise Gicome, un bureau d’études et de conseils, d’établir une synthèse de l’impact du barrage de Jannet sur l’environnement. Celle-ci fera 600 pages. Pour éviter que les députés ne s’endorment en la lisant, on leur a rédigé un résumé du résumé. Le verdict est sans appel, le barrage de Jannet est une catastrophe écologique, pour la faune, la flore et les sites archéologiques et traditionnels. Il détruira une région unique du Moyen-Orient et de la Méditerranée, le plus important site phénicien, berceau de la légende d’Adonis, qui pourrait prochainement être inscrit sur la liste du patrimoine mondial.

C’est pour dire que le barrage de Jannet comme le barrage de Bisri est une aberration. Et pourtant, Aoun et Bassil tiennent au second autant qu'au premier. On dit que tous ces barrages font partie du deal présidentiel conclu entre le CPL et le Futur en 2016, paroles du député Nabil de Freige et du ministre inamovible, Gebrane Bassil. La honte.

Notre tournée à Jannet prend fin et nous n’avons toujours pas de réponse. Pour y voir plus clair, il faudra aller voir du côté des contractants. Parmi les nombreux noms liés au projet du barrage, il y a un certain Jean Gebran. L’homme porte plusieurs casquettes à la fois : directeur de Gebran Group Sarl (qui se présente comme « une société de pointe dans le secteur du béton prêt à l'emploi »), membre de la commission d’experts du barrage de Jannet (qui a élaboré le cahier des charges et est chargé de surveiller les travaux du barrage de Jannet), un des maitres d’œuvre du barrage de Jannet (pas de la conception et du terrassement, mais du bétonnage!) et enfin, conseiller et proche des ministres de l'Energie et de l'Eau, Arthur Nazarian (Tashnag et bloc CPL) et surtout, Gebrane Bassil (chef du CPL, l’initiateur de la réactivation de la politique aberrante des barrages au Liban à l'époque où il occupait le poste).

Bizarre, bizarroïde, bizarrissime, eh bien, il y a un mélange des genres qui le moins qu’on puisse dire est louche. A moins que Jean Gebrane Bassil ne soit qu'un personnage fictif, comme Ehud Barack Obama ou Yasser Arafat Hijazi. Mystère et boule de gomme. En tout cas, point de mystère sur le fait que Gebran Bassil et César Abi Khalil tiennent à la politique des barrages comme à la prunelle de leurs yeux. Alors qu'est-ce qu'on peut attendre de l'ex-conseillère de l'ex-conseiller de l'ex-ministre de l'Energie et de l'Eau, Nada Boustani Khoury? La poursuite de la stupide politique des barrages.


 6  On multiplie les barrages, alors qu’au Liban il n’y a pas de compteurs d’eau : la stupidité incarnée 


Difficile de savoir si cela relève de l'ignorance, de la négligence ou de la stupidité à l'état pur. Très chers compatriotes, vous ne vous êtes pas rendus compte peut-être mais figurez-vous que l'eau au Liban est facturée, tenez-vous bien, au débit et non au volume consommé. Il fallait l’inventer. Eh oui, nous n'avons tout simplement pas de compteurs d'eau ! Non mais, pourquoi faire ?

En gros, des gens disposant de gazon bien vert et qui consomme 3 000 litres par jour au mois d'août paient autant que ceux qui n'ont qu'une jardinière sur un balcon et qui n'en consomment que 300 litres quotidiennement ! Des obsessionnels du nettoyage qui restent des heures à jouer avec leurs tuyaux d'eau pour nettoyer devant leur porte et des obsédés de la propreté qui font tourner une machine pour nettoyer un slip et un string, laissant l'eau coulée en continu pendant qu'ils se brossent les dents et prennent la douche, paient le même prix que des gens responsables et conscients que l'eau est une denrée de plus en plus rare et précieuse, au Moyen-Orient en général et au Liban en particulier. Des compteurs d'eau ? Allons, c'est un détail de l'histoire !

Tout cela se passe dans un pays où il n’y a pas une goutte d’eau qui tombe du ciel pendant quatre mois et qui dépense des milliards de dollars pour construire des barrages tous azimuts ! Eh oui, tout cela se passe même sous le nez des experts de la Banque mondiale, payés la peau des fesses, qui soutiennent l’aberrante idée de ces barrages qui défigurent le pays et menacent la population, alors que l’eau au Liban est facturée au débit et non au volume consommé. Hallucinant.

Non mais je ne sais pas si je me suis bien fait comprendre, mais j'insiste : on multiplie les barrages dans un pays qui n'a pas de compteurs d'eau ! Et la Banque mondiale n'a même pas relevé cela. C'est surréaliste. Si vous avez encore des doutes, regardez cette vidéo accablante du réseau de distribution d'eau d'un immeuble d'un beau quartier de Beyrouth, Achrafieh. Tout y est : la vétusté de l'installation (années 1950), une fuite abondante (et encore, ici on a la chance d'être dans une partie accessible et non enterrée) et bien sûr, absence de compteurs d'eau (la bêtise suprême). Et dire que les défenseurs zélés des barrages, toutes appartenances politiques confondues, prévoient une quarantaine au Liban ! C'est la stupidité incarnée.


 7  Et si on passait de Nahr Beïrout au lac de Beyrouth ?


Terminons sur une note positive. Au lieu d’aller défigurer toutes les régions libanaises à tour de rôle, avec des projets bâclés et ruineux pour alimenter les Libanais en général et les Beyrouthins en particulier avec des eaux polluées, pourquoi on ne met pas tout en œuvre pour passer de Nahr Beïrout au lac de Beyrouth ? Tenez, ça rime avec le lac de Genève ! Puisque le mythe dit que le Liban est la Suisse de l’Orient et on n’est pas à un délire près, soyons réalistes, demandons l’impossible.

Tout y est, le lit est déjà bétonné. Il suffit de renforcer les bords de la structure en amont pour l’adapter aux nouvelles contraintes d’usage et de construire les murs et les écluses de rétention, tout au long du parcours. Ça ne coûtera pas cher -désolé pour les commissions des rapaces!- et nous donnera un magnifique lac en plein cœur de Beyrouth. Le rêve ! On pourra planter des peupliers tout au long, mettre des bancs et installer des tables de pique-niques. On pourra même introduire des poissons, voire relâcher le crocodile qu’on a capturé il y a quelques années. D’un endroit laid, puant et repoussant, on pourra en faire une zone agréable pour la randonnée et la plaisance.

Certes, l’eau de Nahr Beïrout est hautement polluée par les égouts, les déchets et les substances chimiques. Et alors ? Parce que le Litani et le lac Qaraoun, sont des eaux minérales de jouvence ? Ce n’est même pas valable pour l’irrigation de l’aveu même des responsables du fleuve ! Un tel projet nous donnera l’occasion d’imposer des mesures draconiennes pour lutter contre la pollution des eaux au Liban ou de comprendre la stupidité de dépenser des milliards de dollars pour acheminer des eaux polluées à Beyrouth, alors qu’on a tout sous la main et pour trois fois rien.


Épilogue

Ils pourraient faire du Liban un lac géant et nous obliger à vivre dans des maisons sur pilotis et sur des péniches, et à nous déplacer en vaporettos et en bateaux, l’eau publique ne reviendra pas 24h/24 à tous les étages aux quatre coins du Liban tant que nous ne maitriserons pas les dépenses. C’est le cas pour l’électricité aussi, comme pour l’argent public d’ailleurs. Elémentaire sauf qu’on a d’autres idées en tête. Jusqu’à nouvel ordre, les jours et les nuits des Beyrouthins continueront à être marqués par la nuisance et le vacarme des pompes à eau.

La politique des barrages au Liban, qui est défendue avec zèle par le Courant patriotique libre, Michel Aoun et Gebrane Bassil, et le Conseil du développement et de la reconstruction (CDR), qui est rattaché au Premier ministre, Saad Hariri actuellement, ainsi que par la Banque mondiale (BM), est une aberration sur tous les plans. Au pays des 100 milliards de dette publique (enfin pas loin), des consommations illégales, des fuites des canalisations privées et publiques, du gaspillage en tout genre et de l’absence de compteurs d’eau (le comble de l'absurde !), construire des barrages relève de la stupidité à l’état pur. Une stupidité qui creusera notre déficit budgétaire, détruira notre environnement et enlaidira notre pays, sans résoudre le problème de fond. Allez expliquer cela à des députés toujours aux abonnés absents quand il faut, à un gouvernement sourd, à un CDR muet et à une BM incompétente !

Le plus ironique dans cette affaire, c’est la présence à Merj Bisri d’une église séculaire dédiée à Moïse l’Ethiopien, un saint des Eglises chrétiennes. Certes, ce n’est pas le prophète, mais il a porté son nom et suivi ses commandements. L’église devait être engloutie par les eaux du barrage. Pour éviter la malédiction céleste, des mortels de notre temps prévoient de démanteler l’édifice pour le reconstruire ailleurs. Et dire qu’ils imaginent que leur subterfuge, qui n’est pas moins qu’une profanation, est suffisant pour éloigner la damnation éternelle ! Ils ignorent combien Moïse, le premier prophète des Chrétiens, des Juifs et des Musulmans, admirait les montagnes, les vallées et les prairies qu’ils s’acharnent à détruire.

Pour dire NON à la construction du désastreux barrage de Bisri, OUI pour l'inscription de la magnifique prairie-vallée de Bisri sur la liste du patrimoine national libanais et d'en faire un parc régional protégé des rapaces à col blanc, rendez-vous devant le siège de la Banque mondiale à Beyrouth le lundi 4 mars à 17h30.



Photos et illustrations / Save The Bisri Valley
Merj Besri en 360°
Pétition contre le barrage
Images aériennes du Sud-Liban : Google Earth
Photo et vidéo sur l'état du réseau de distribution de l'eau à Beyrouth / WaryFox