jeudi 28 avril 2016

« Beirut Madinati » : des adeptes de la politique de l’autruche ? (Art.355)


Peu de temps après l’annonce de la création de la liste Beirut Madinati, j’ai décidé d’apporter un franc soutien à ses 24 citoyens qui se présentent devant les électeurs de Beyrouth aux prochaines municipales prévues le 8 mai, et d’expliquer aux (é)lecteurs précisément, les raisons de cette démarche, le but étant de les inciter à faire de même. J’ai saisi l’occasion pour aborder quelques sujets qui préoccupent une partie des Libanais et qui me tiennent à cœur, en exprimant quelques réflexions et des suggestions au passage. L’article a démarré sur les chapeaux de roue. Et pour m’assurer que celles-ci parviendront aux personnes concernées, j’ai tagué la liste en question. Un ami les a tagué ensuite. Quelle fut grande la surprise de constater que tout cela n’a pas suscité de réaction de la part du mouvement. Aucun commentaire. Rien.

J’ose espérer et je veux croire, comme beaucoup de Libanais, que lorsque les candidats de Beirut Madinati ont décidé de se présenter devant les électeurs, ils étaient conscients que l’intérêt de Beyrouth et des Beyrouthins devrait primer sur toute autre considération. A commencer par la susceptibilité à la critique ! Des milliers de personnes ont lu mon dernier article et des centaines l’ont liké, partagé et commenté. Par respect à mes lecteurs, et dans l’intérêt de notre ville et de ses habitants, je voudrais apporter quelques précisions sur cette question. Si on décortique mon article « Beirut madinati - بيروت مدينتي » : de la défense des locataires anciens de Beyrouth à l’initiative citoyenne en faveur des Beyrouthins », on peut dégager dix thèmes, qui ont reçu totalement ou partiellement, une adhésion massive des (é)lecteurs.

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1. Soutien franc à Beirut Madinati
« Beirut Madinati apporte un véritable espoir électoral de changement et une bouffée d’oxygène aux résidents d’une ville asphyxiée au sens propre comme au sens figuré... On ne peut que s’en réjouir, d’autant plus, que nous ne sommes pas habitués dans la vie politique libanaise à autant de consistance (...) un programme sérieux et cohérent de 32 pages... Pour une fois que nous avons des citoyens compétents et inventifs (...) nous ne pouvons que soutenir une liste outsider comme celle de Beirut Madinati. »

2. Rappel que « beirut madinati » est un slogan existant depuis deux ans 
« Coïncidence, même inspiration ou signe du destin ? Qu’importe. Le problème n’est pas là... Tout le monde ne sait pas que ‘beirut madinati’ est aussi un slogan qui a été utilisé par un groupe d’activistes, dont je fais partie, dans le cadre de deux campagnes de défense des locataires anciens de Beyrouth. »

3. Focus sur la loi de libéralisation des loyers anciens et ses conséquences
« Attirer l’attention des électeurs beyrouthins en général et des candidats municipaux de Beirut Madinati, sur la nature de l’enjeu de la libéralisation des locations anciennes... Il y va de l’avenir de dizaines de milliers de gens, natifs de la ville et issus de la classe moyenne, menacés d’expulsion de leurs foyers par la nouvelle loi... La gentrification urbaine progressive et une spéculation immobilière certaine rendront une partie de la ville de Beyrouth inaccessible à la majorité des Libanais... Une fois que les petits immeubles anciens sont débarrassés de la classe moyenne, ils seront détruits pour laisser la place à de grandes tours soi-disant luxueuses (...) Adieu aux bâtiments à taille humaine à Beyrouth, à l’architecture typique de la ville et à tout ce qui fait le charme de la capitale libanaise. »

4. Interpellation de « Beirut Madinati » sur les locataires anciens
« Je regrette que Beirut Madinati (...) n’ait consacré que deux phrases à la libéralisation des locations anciennes, se contentant d’affirmer la nécessité de ‘traiter’ le problème. Etant donné les enjeux, j’espère que les candidats de toutes les listes en compétition, accorderont désormais plus de place à ce dossier dans leurs meetings. »

5. Mention des déficiences de l’équipe municipale actuelle
« L’équipe sortante de Bilal Hamad n’a toujours pas réussi à offrir à ses administrés un malheureux site internet... La municipalité de Beyrouth, comme les autres municipalités du Mont-Liban, avaient la possibilité et surtout les moyens, de diminuer considérablement les méfaits de la fermeture de la décharge de Naamé sur la vie des citoyens... Elles ont été déficientes sur toute la ligne. Hélas pour elles, l'heure des comptes a sonné. »

6. Focus sur le budget de la municipalité de Beyrouth et la transparence financière
« Les (é)lecteurs et (é)lectrices de Beyrouth (...) doivent savoir que le budget de la municipalité de leur ville est un secret bien gardé... La municipalité de Beyrouth fonctionnerait actuellement avec un budget annuel voté compris entre 400 000 000 (2016) et 560 000 000 $ (2015)... Vous comprenez mieux maintenant cette soudaine dévotion pour ces municipalités... Avec ce pactole, les municipalités libanaises, notamment celle de Beyrouth, font tout et n’importe quoi... Les Beyrouthins se foutent et se contrefoutent de savoir (...) qui la remplacera (équipe sortante), Beirut Madinati ou des candidats issus des principales forces politiques, mais ils exigent de leurs élus une transparence absolue et un contrôle des comptes publics rigoureux. »

7. Focus sur la nécessité d’informer les Beyrouthins sur la diminution du volume des déchets
« La meilleure façon de ne pas polluer l’environnement, ce n’est pas de recycler les ordures, mais de réduire le volume des déchets. Ce point doit hanter le futur Conseil municipal pendant les six prochaines années. A défaut, les Beyrouthins risquent de revivre rapidement un remake de la crise des ordures de juillet 2015. »

8. Focus sur le martyre des arbres des trottoirs de Beyrouth
« La municipalité de Beyrouth continue de mutiler les arbres des trottoirs en les taillant pour en faire des boules et des cubes d’ornement, dans une ville où il fait plus de 25°C six mois l’année, avec une moyenne d’ensoleillement de plus de 10h/j... Le grand ficus de Saïfi supplie tous les candidats aux élections municipales, au nom de tous ses congénères martyrisés dans cette ville, de laisser les arbres de Beyrouth s’épanouir et de cesser de les considérer comme des ennemis publics... J’espère que les candidats de Beirut madinati tiendront compte de cette réflexion et ne continueront pas dans cette pratique absurde s'ils sont élus. »

9. Focus sur la nécessité de donner la priorité au boisement des rues de Beyrouth
« Ouvrir de nouveaux jardins publics comme le propose Beirut Madinati ? Excellente idée, mais... je préfère aller vers une autre stratégie... J’en ai parlé dans un article il y a trois ans et demi... Jouons gros jeu sur ce point, avec une mise ambitieuse dès le départ : toutes les rues et de grands arbres s’il vous plait... On ne pourra pas faire des jardins publics dans tous les quartiers de la capitale libanaise... Par contre, on peut planter trois arbres au pied de chaque immeuble... Pour augmenter significativement et aisément la surface des espaces verts à Beyrouth... »

10. Focus sur la nécessité de mobiliser les abstentionnistes
« Beyrouth manque cruellement de calme et de verdure. Elle est de plus en plus chère, bétonnée, étouffante, polluée... enlaidie par les tours qui poussent comme des champignons... Nous sommes condamnés (...) à œuvrer tous ensemble pour inverser la tendance... Il faut dire qu’ils (Beirut Madinati) ont du pain sur la planche. A commencer par la mobilisation des abstentionnistes (...) 82% des gens... Pour les faire changer d’avis il va falloir s’intéresser à leurs préoccupations (...) les convaincre de l’utilité de leur vote. Cela passe par l'engagement à tenir les promesses et l'intégration des suggestions citoyennes, comme celles exprimées dans cet article, dans le programme électoral. »

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Parlons peu, parlons bien. Passons d’abord, sur le gavage des électeurs ces derniers jours avec cette notion pompeuse sur les « experts » de la liste. Bon, ça fait partie de la com’ électorale de Beirut Madinati et de la complaisance des médias. Si ce mouvement a décidé de ne pas réagir à mon intervention dans cette campagne, alors qu’il ne cesse d’appeler les Beyrouthins à le rejoindre, c’est pour des raisons en rapport avec un, plusieurs ou la totalité des thèmes que j’ai abordés dans mon dernier article.

Certes, mon rappel que « beirut madinati » est un slogan existant, a dû fortement déplaire (thème 2). Mais, comme mon soutien à cette liste était franc et sincère (thème 1), ça aurait dû compenser. En plus, ceux qui connaissent mon style ont bien compris que j’ai pris beaucoup de précautions pour ne pas tirer à boulets rouges sur le mouvement en l’accusant de plagiat, uniquement dans l’intérêt de Beyrouth et des Beyrouthins. 

L'autre point qui a dû froisser les heureux candidats, c’est mon exposé sur la libéralisation des loyers anciens (thème 3), surtout, que j’ai souligné le fait que le programme de Beirut Madinati ne fait qu’une vague allusion à un problème socio-économique qui aura des conséquences graves à court et à long termes, sur Beyrouth et les Beyrouthins, et j’ai souhaité que ce thème soit abordé dans les meetings à l’avenir (thème 4).

Mettre en lumière les déficiences de l’équipe municipale sortante n’a pas dû arranger les choses (thème 5). A ce propos, ce qui frappe dans le programme des outsiders, c’est l’absence totale de toute évaluation concrète et chiffrée du bilan désastreux de l’actuel président de la municipalité de Beyrouth, Bilal Hamad, ne serait-ce que sur le plan financier (thème 6). Rien, tabula rasa. C’est curieux quand même ! On est en droit de se demander pourquoi : est-ce une stratégie délibérée ou une négligence par indulgence ? Ce qui n’a pas dû plaire aussi, c’est d’avoir souligné le fait que la municipalité de Beyrouth, actuel ou celle qui viendra, a largement les moyens de faire face à toutes les urgences, comme celles de la crise des déchets (thème 5) et des locations anciennes aussi, au lieu de faire tout et n’importe quoi (thème 6). J’ai peut-être eu le malheur également d’insister sur l’obligation des futurs conseillers d’avoir une transparence financière absolue et un contrôle des comptes rigoureux (thème 6), et d’être hantés par la réduction des déchets produits par les Beyrouthins, et non seulement par le recyclage, pour éviter de revivre le cauchemar d’une crise qui n’en finit pas d'incommoder les résidents de la capitale (thème 7).

Le comble c’est que Beirut Madinati n’a pas jugé utile non plus, de relever deux points fondamentaux de l'article qui ont rencontré beaucoup de succès auprès des lectrices et des lecteurs portant sur la nécessité absolue de cesser de tailler sévèrement les arbres des trottoirs (thème 8) et de boiser toutes les rues de Beyrouth avec de grands arbres svp (thème 9). Pourquoi ? Ont-ils été contrariés par cette stratégie simple et économique, pour augmenter significativement et aisément la surface des espaces verts à Beyrouth, au lieu de proposer d’acquérir des terrains pour créer des nouveaux espaces verts, projet beaucoup plus couteux pour les finances publiques ? On ne l’a pas su.

Sama Beirut (Beyrouth)
Et enfin, j’ai dû déplaire en rappelant que la majorité des Beyrouthins s’abstiennent de voter et que pour les faire changer d’avis il va falloir s’intéresser à leurs préoccupations et les convaincre de l’utilité de leur vote, en intégrant leurs suggestions, comme celles exprimées dans cet article, dans le programme électoral (thème 10).

Toujours est-il que les Libanais, les Beyrouthins en tête, espèrent depuis des mois, qu'un vent démocratique dynamisant soufflera sur la campagne électorale morose de ces élections municipales. Ils ont cru que ce vent s’était levé.
Eh bien, pas tout à fait. Apparemment, on peut avoir « la conviction définitive de l’échec des leaders politiques traditionnels » et aller comme si de rien n’était à onze jours des élections, à la rencontre de W. Beik, Walid Joumblatt, la personnification même du leader politique traditionnel et de l'affairisme, since 1977. Le régent de Moukhtara a même le culot de gazouiller dans l’après-midi hier pour faire savoir : « #Beirut_Madinati le grand défi est que le citoyen beyrouthin brise la barrière des partis au profit de la ville de Beyrouth ». C'est c'là oui, cause toujours, tu m'intéresses. Et tout cela parce que ces partis politiques n’ont pas répondu favorablement à son caprice de reporter les élections municipales. Et voilà comment Beirut Madinati n'a trouvé ni le temps ni l'utilité de répondre à un écrivain engagé comme Bakhos Baalbaki, qui a soulevé certaines préoccupations des Beyrouthins, mais temps et utilité de rencontrer le leader politique traditionnel, Walid Joumblatt, qui ne voulait pas de ce suffrage démocratique. Toutes mes félicitations, c'est du propre ! Wlé ma3'2oul, sachant en plus, que W. Beik est le premier responsable du déclenchement, du développement et de l'enlisement de la crise des déchets qui a fait crouler Beyrouth sous des centains de milliers de tonnes d'ordures ! Enfin, assez de gaspillage énergétique, tout cela prouve finalement l'inconsistance du phénomène Beirut Madinati.

Les électeurs de Beyrouth attendent de tous les candidats à ce mandat, de « Beirut Madinati » (indépendants) et « La2i7at el-Biyérté » (forces politiques), qui seront amenés à brasser 200, 400 ou 560 millions de dollars d’argent public par an,
Quais de Seine (Paris)
qu'ils se présentent devant eux, avec une grande maturité politique et beaucoup de bon sens, un engagement concret et une importante réceptivité, loin des klaxons et des haut-parleurs, des slogans creux et des promesses vaseuses, et guéris de toute susceptibilité à la critique
. Apparemment, c'est trop
 demander aux valeureux candidats de Beirut Madinati. Et pourtant, il y allait de leur succès électoral, et surtout, de l’intérêt de Beyrouth et des Beyrouthins qu'ils prétendent défendre. A bon entendeur, salut !