dimanche 1 mai 2016

Elections municipales de Beyrouth : le débat avec Beirut Madinati (Art.356)


Après la publication de mes deux articles, 354 et 355, et plusieurs commentaires sur le post de ce dernier, qui visent à interpeller les candidats de Beirut Madinati sur divers sujets qui préoccupent les Beyrouthins et qui me tiennent à cœur, un des membres de la liste en question, Serge Yazigi, a accepté de donner une « réponse sur quelques points, ceux qui semblent être le plus sujets à questionnement de votre part ainsi que de certains de vos lecteurs ». Je le remercie d’avoir pris le temps de nous apporter ces éclaircissements, en pleine campagne électorale, à une semaine de cette échéance fatidique.

Commençons par un résumé, les détails viendront ensuite. Je serai très franc car il y va de l’intérêt de Beyrouth et des Beyrouthins. Sur la loi de libéralisation des loyers et sur les locataires anciens, il ne faut pas s’attendre à grand-chose de la part de Beirut Madinati‬. Sur les idées simples, économiques et révolutionnaires, pour augmenter significativement la surface des espaces verts à Beyrouth, en cessant de tailler sévèrement les arbres des trottoirs existants et en boisant toutes les rues de la capitale avec de grands arbres, absolument rien. Sur le bilan financier extravagant de l’équipe sortante de Bilal Hamad, et sa déficience lamentable pendant la crise des déchets, rien non plus. Sur la mise en œuvre d’un plan d’urgence pour réduire le volume des déchets produits par les Beyrouthins, encore rien. Sur le plagiat du slogan « beirut madinati », rien, enfin, le déni. Sur la rencontre avec Joumblatt, on a droit à une explication grotesque. Donc, rien de convaincant. Bilan de la récolte, maigre, un échange dans la pure tradition de la « langue de bois » qui caractérise les politiciens libanais. Cependant, je répète ce que j’ai déjà écrit dans mon premier article de cette trilogie, le programme de Beirut Madinati est consistant. Il n'empêche que sur les points particuliers que j’ai soulevés, je n’ai rien obtenu, absolument rien. Il semble que Beirut Madinati fonctionne en circuit fermé

Pour les détails, voici quelques extraits marquants.

A. La loi de libéralisation des loyers anciens à Beyrouth

« La position de fond de Beirut Madinati est que nous soutenons toute loi qui respecte de façon équilibrée le droit des propriétaires ainsi que ceux des locataires. Nous considérons que celle actuelle, dans sa formulation aussi bien que dans son application, contribue essentiellement à dresser les uns contre les autres... Encourager la production de logements pour les classes moyennes et dévalorisées ainsi que pour les jeunes. »

J’en tire quatre conclusions.

1. Beirut Madinati est incapable de trancher. La liste n’a pas une position claire contre la loi de libéralisation des locations anciennes votée le 1er avril 2014. Personnellement, je fais partie de ceux qui réclament son abolition pure et simple, et de nouvelles négociations dans l’intérêt des locataires et des propriétaires, qui sont tous les deux mécontents du texte. Celle-ci n’a fait l’objet d’aucune discussion sérieuse. Elle a été votée à l’unanimité et en bloc, en violation du règlement du Parlement. Trois de ces articles ont été invalidés par le Conseil constitutionnel, la rendant inapplicable. Quand elle le sera, elle conduira à l’expulsion de la classe moyenne et des natifs de la ville de Beyrouth, à la modification du tissu social urbain, à une spéculation immobilière sans précédent et à la destruction progressive du parc immobilier ancien, comme on peut le constater d’ores et déjà, surtout dans les beaux quartiers de la capitale libanaise.

2. Beirut Madinati n’apporte aucun soutien franc aux locataires anciens qui sont actuellement menacés d’expulsion des appartements qu’ils louent depuis des décennies, sachant que la Caisse bidon qui devait être créée pour leur venir en aide, ne verra le jour que lorsque les poules auront des dents et nos langues seront poilues.

3. Beirut Madinati ne propose aucune solution alternative pour venir en aide aux locataires anciens, alors qu’ils précisent dans leur programme concernant « les mesures immédiates » qu’ils seront amenés à prendre s’ils sont élus, de « résoudre le problème actuel autour de la loi sur les loyers anciens », sans autres précisions. Manifestement, cette dernière phrase relève des propositions creuses.

4. A propos d’encourager la production de logements sociaux, la proposition de Beirut Madinati est trop vague et n’engage la liste outsider à(sur) rien. Qui le fera, combien de logements seront construits par an et surtout, où ? La Banlieue-Sud peut-être ? Et pourquoi ne pas mettre toute la classe moyenne là-bas ? Niet. Le prochain Conseil municipal de Beyrouth doit fixer un principe lors de sa première réunion concernant les locataires anciens de la capitale libanaise : nul ne doit être forcé de quitter son logement dans cette ville, point barre.

Comment procéder ? Pas de limite à l’imagination humaine : solution inspirée de la loi française dite de 1948 (qui concerne encore et toujours près de 200 000 foyers, essentiellement à Paris, où les locataires ne sont pas expulsables, dans une ville où le mètre carré dans l’ancien se vend entre 6 000 et 14 000 € !) et de la jurisprudence libanaise appliquée pendant des décennies (n’en déplaise à certains ; c’est ce qui fait que la loi de libéralisation des loyers anciens est illégitime) : achat des logements anciens par les locataires anciens avec une décote de 33 à 50%, la différence de prix peut être compensée à la fois par l’Etat libanais et la municipalité de Beyrouth ou indemnisation de départ des locataires, payée conjointement par le propriétaire, la municipalité et l’Etat. Dans tous les cas, l’acquisition et la restauration des logements doit se faire avec l’aide de l’Etat libanais et de la municipalité de Beyrouth en accordant des prêts à des taux faibles aux nouveaux acquéreurs ayant des revenus modestes. Tout doit être sévèrement contrôlé pour éviter les magouilles à la libanaise.

Des logements sociaux ? Pourquoi pas, mais à trois CONDITIONS : qu’ils soient de très bonne qualité (pas d’une qualité inférieure !), mis sur le marché de la vente uniquement (pour éviter la dégradation des lieux par négligence) et construits dans tous les quartiers de Beyrouth sans aucune exception (pour ne pas parquer la classe moyenne et les natifs de la ville dans les quartiers les moins cotés de la capitale et les banlieues).

Toutes ces mesures permettront de garder la capitale libanaise, notamment ses beaux quartiers d'Achrafieh, Hamra et tant d’autres, au mieux possible, loin de la spéculation immobilière sauvage et des promoteurs sans scrupules. Etant donné les enjeux, je m’attendais à quelque chose de consistance de la part de Beirut Madinati. Ce n’est pas le cas.

B. La rencontre de Beirut Madinati avec Walid Joumblatt

« Nous répondons par la positive à toute demande qui nous est faite de présenter et expliquer notre programme »

Source : Anbaaonline.com
Ah bon ! Alors ça servait à quoi de pomper l’air des Beyrouthins avec « la conviction définitive de l’échec des leaders politiques traditionnels », le point qui aurait soi-disant motivé la candidature des 24 ? D’ailleurs, ça sert à quoi de nous dire, « notre seule allégeance est à notre programme et notre déontologie » ? Le minimum syndical déontologique aurait dû dissuader fortement Beirut Madinati de se rendre chez Walid Joumblatt, la personnification même de l'échec des leaders traditionnels au Liban et de l'affairisme, le principale responsable du déclenchement de la crise des déchets, de son développement et de son enlisement, qui a coulé Beyrouth et les Beyrouthins sous des centaines de milliers de tonnes d'ordures ménagères pendant neuf mois. Non mais vraiment, chapeau les gars ! Respirez fort, vous allez mieux comprendre. C’est ça ce que le candidat de Beirut Madinati appelle « une opportunité exceptionnelle d’initier un véritable changement », sachant que le beik a profité de l’occasion pour avancer ses pions : « #Beirut_Madinati le grand défi est que le citoyen beyrouthin brise la barrière des partis au profit de la ville de Beyrouth ». C'est c'là oui, cause toujours, tu m'intéresses. Et tout cela parce que ces partis politiques n’ont pas répondu favorablement à son caprice de reporter les élections municipales, qui doit le ramener dans la région du Mont-Liban à son juste poids sur l’échiquier politique et Dieu sait qu'il était temps. Enfin ! Et voilà à qui Beirut Madinati a cherché à « expliquer le programme », au leader féodal qui a tout fait pour annuler l’expression démocratique du peuple libanais. Les explications sur la visite du caméléon de Moukhtara, « pour présenter notre programme », sont ridicules. Au lieu de passer son temps à tweeter des émoticônes puérils, le beik n’avait qu’à lire le programme. Comme je l’ai dit, sur ce point, on frôle la schizophrénie.

C. Le plagiat du slogan « beirut madinati »

« Si vous êtes à l’origine, comme vous l’affirmez, du concept de Beirut Madinati, soyez en donc remercié par nous et par la multitude des citoyens (de Beirut et d’ailleurs) qui revendiquent ce leitmotiv comme slogan de leur réappropriation citoyenne. » 


Si comme je l’affirme ? Mais voyons, je me suis levé du pied gauche et j'ai décidé que c'était mon slogan ! Le déni jusqu’au bout, alors que les faits le prouvent d’une manière incontestable. J’ai créé avec d’autres activistes libanais de Lebanese Old Tenants, le slogan « beirut madinati », Beyrouth est ma ville, après le vote de la loi de libéralisation des loyers anciennes le 1er avril 2014, avec comme sous-titre, « men 7a2é el baqa2 fiya », j’ai le droit d’y rester. Cette histoire est pathétique. Dès le départ, j’ai montré à la liste municipale la sortie de secours, en commençant mon article 354 par « Coïncidence, même inspiration ou signe du destin ? Qu’importe. Le problème n’est pas là. » Mais, le mouvement Beirut Madinati a décidé de fuir en avant. J’ai précisé dans mon article 355, que « ceux qui connaissent mon style ont bien compris que j’ai pris beaucoup de précautions pour ne pas tirer à boulets rouges sur le mouvement en l’accusant de plagiat, uniquement dans l’intérêt de Beyrouth et des Beyrouthins. » J’avais osé espérer et je voulais croire que non seulement la liste « Beirut Madinati » avouera son erreur à ses followers et saura se montrer reconnaissante, mais s’engagera clairement en faveur des locataires anciens, pour qui nous avons créé le slogan « beirut madinati ». En vain.

D. Le black-out sur mes questions et mes suggestions 

Hélas, sur les autres points importants que j’ai soulevés dans mes articles 354 et 355, des questions et des suggestions, qui ont reçu pourtant une approbation massive des lecteurs, je n’ai eu aucune réponse de la part de Beirut Madinati.

1. Je voulais savoir pourquoi Beirut Madinati n’a pas jugé utile de faire le bilan financier des six années de mandat de la municipalité sortante, qui a dépensé près d’un milliard de dollars, 1 000 000 000 $, entre 2015 et 2016 ? Black-out total alors que les contribuables beyrouthins ne connaissent ni le budget de leur municipalité ni sur quoi leur argent a été dépensé pendant les six dernières années.

2. Je voulais aussi savoir pourquoi Beirut Madinati n’a pas jugé utile de relever les déficiences de l’équipe municipale présidé par Bilal Hamad dans la crise des déchets, alors qu’elle avait largement les moyens de diminuer l’impact de cette dernière sur les Beyrouthins, avec le milliard de dollars dépensés entre 2015 et 2016 ?

3. Alors que la fermeture de la décharge de Naamé est imminente, j’avais suggéré au futur conseil municipal de mettre un plan de toute urgence pour réduire le volume des déchets produits par les Beyrouthins, au lieu de tout axer dans leur programme sur le tri et le recyclage, comme ce fut la grave erreur du mouvement Tol3et re7etkom. Je n’ai eu aucune réaction de la part des intéressés. A défaut, rebelote, nous serons forcément amener à revivre une nouvelle crise durant le prochain mandat municipale (2016-2022).

4. Last but not least, j’avais proposé à Beirut Madinati, deux idées simples et économiques, pour augmenter significativement et aisément la surface des espaces verts à Beyrouth : cesser de tailler sévèrement les arbres des trottoirs existants et boiser toutes les rues de la capitale avec de grands arbres. 


Ce projet est facile, rapide et peu couteux à mettre en œuvre, par rapport à ce que propose Beirut Madinati dans son programme, acquisition de terrains pour la création de nouveaux jardins publics. Il est révolutionnaire car il permet à tous les Beyrouthins sans exception de disposer d’espaces verts au pied de leurs immeubles et de leurs fenêtres. Beirut Madinati n’a pas jugé utile de réagir à ces idées et d’intégrer ce projet ambitieux dans son programme, alors qu’il y va de l’intérêt des Beyrouthins, citoyens et contribuables. Apparemment, les valeureux candidats n’ont pas compris que l’argent ne tombe pas du ciel, que la municipalité doit établir des priorités et que la lutte contre le gaspillage de l’argent public doit être l’obsession de tout élu de la République libanaise.

E. Les enjeux des élections municipales de Beyrouth

« Ne perdez pas de vue, vous ainsi que vos lecteurs, les véritables enjeux qui s’y posent ». Je suis entièrement d’accord. Mais Beirut Madinati doit aussi comprendre que tous les points que j’ai abordés font partie des enjeux de ces élections municipales. Leur attitude déçoit, du slogan à Joumblatt, en passant par les thèmes que j’ai évoqués. Et je ne suis pas le seul. Ce n’est vraiment pas comme ça qu’on gagne des élections, surtout qu’on a le bulldozer des partis politiques en face.

Quand on veut gagner des élections, on se met vraiment à l’écoute des citoyens. Il ne suffit pas d’appeler les gens à 21h, pendant qu’ils dinent, pour les motiver à aller voter. Il ne suffit pas d’organiser des meetings dans les quartiers, avec trois douzaines de personnes. Il ne suffit pas de partager les flatteries sur sa page, en zappant soigneusement ce qui dérange.

Quand on veut gagner des élections, on bichonne ses supporters. Beirut Madinati a fait comme si mon article n’avait jamais existé -alors que je suis avec d’autres activistes à l’origine de leur slogan et j’avais soutenu leur candidature- un article liké et partagé par 1 000 personnes en plus, tout ça parce qu’il les a dérangé sur plusieurs points.

Quand on veut gagner des élections, on ne fait pas de faux pas. Et si on en fait, comme le plagiat de notre slogan « beirut madinati » ou la visite de Walid Joumblatt, on ne pratique pas la politique de l’autruche et on fait face.

Quand on veut gagner des élections, on accepte la critique et on s’ouvre aux suggestions, surtout à celles qui ont reçu une approbation massive de (é)lecteurs, comme les deux idées révolutionnaires que j’ai proposées : l’arrêt de la taille des arbres des trottoirs et le boisement massif des rues de Beyrouth avec de grands arbres.

Eh oui, la confiance des électeurs est très dure à acquérir, car eux sont conscients qu’il s’agit en fin de compte de leur vie et de la gestion d’une ville de 450 000 électeurs, pour 6 ans, ayant un budget biennal pouvant atteindre un milliard de dollars. Toujours est-il que Bakhos Baalbaki, écrivain de l’agora libanaise, fait bien son boulot. Analyser, éclairer, critiquer et suggérer. Eux, Beirut Madinati, candidats aux élections municipales, font le leur. Et pour bien faire, ils doivent proposer, répondre, réagir et intégrer les bonnes propositions qu’on leur fait dans leur programme, qui est censé être ouvert aux citoyens et non un mur infranchissable. Ils n’ont donné suite à aucune des suggestions massivement plébiscitées sur ce blog et ce mur. Dommage. Dans tous les cas, chacun son métier et les vaches seront bien gardées. Bonne fin de campagne à tous. Et n’oublions pas, l’intérêt de Beyrouth et des Beyrouthins prime sur toute autre considération. Les (é)lecteurs restent souverains.