vendredi 14 juin 2013

Deux tiers du sous-sol du jardin de Geitawi sera bétonné (Art.155)


Après notre mobilisation massive contre le dernier projet de la municipalité de Beyrouth, visant à créer un parking souterrain dans le jardin de Geitawi, une rumeur a circulé un moment sur les réseaux portant sur l’annonce par le président du Conseil municipal du retrait du projet controversé. En réalité, il n’en est rien. Bilal Hamad s’est effectivement adressé à la presse à ce sujet, mais n’a absolument pas annoncé l’abandon de l’idée. Par souci de clarté et afin de mieux vous informer, je vais reprendre les dernières déclarations de la municipalité de Beyrouth concernant ce projet -les plus marquantes- et les commenter.

Voyons un peu. Dans un droit de réponse publié par le quotidien Al-Akhbar le 11 juin, la municipalité de Beyrouth prétend que « la construction du parking n’affectera nullement le jardin ». Bien au contraire, dira Bilal Hamad, le président du Conseil municipal de Beyrouth dans Annahar du même jour. « Le jardin des Jésuites restera intact. Après sa restauration il deviendra plus beau qu’il ne l’est aujourd’hui. » Des foutaises, oui ! C’est typique, le genre de déclaration, surtout quand c’est en gros titre (comme ça était repris par certains médias et plusieurs personnes sur facebook), qui induit magistralement en erreur. Le projet de parking est plus que jamais à l’ordre du jour, comme le prouve la suite des déclarations de Bilal Hamad, et aura des conséquences graves, que j’ai exposées en détail dans mon article « Un parking en plein cœur d'un jardin d'Achrafieh : le dernier délire (bis) de la municipalité de Beyrouth ».

« Nous avons décidé de construire 4 à 5 étages souterrains pour 600 voitures. » Enfin, des chiffres ! Disons d’emblée, que les deux chiffres du président de la municipalité de Beyrouth sont en contradiction avec ceux avancés par les membres du Conseil municipal. Hagop Terzian, conseiller municipal, a évoqué dans l’Orient-Le Jour du 8 juin, un parking de 700 places. Rachid Achkar, responsable du Comité du transport au Conseil municipal de Beyrouth, a quant à lui, annoncé dans l’Orient-Le Jour du 12 juin, un parking de quatre niveaux. Il faudrait quand même savoir, c’est 600 ou 700 places, sur 4 ou 5 niveaux ? Connaissant les pratiques et les mentalités libanaises, on peut même s’attendre à bien davantage. Mais enfin, le problème ne réside pas dans le nombre de places, autant qu’il est dans l’existence du parking lui-même. Pour la suite, je me baserai sur les chiffres de M. Terzian et de M. Achkar, mon instinct me dit que ceux de M. Hamad, ont été avancés dans une tentative ridicule de minimiser l’impact du parking sur le jardin ! Ma3lé.

Comme je l’ai dit dans mon article du 9 juin, le président du Conseil municipal doit savoir que s'il veut permettre aux voitures de se garer sans souci, la taille standard d'une place de parking, comme elle est admise au niveau international, est de 2,5 m x 5 m. On doit donc prévoir 12,5 m² de parking par voiture, et tenir compte de la surface totale des planchers qui ne sera pas disponible au stationnement (les voies de circulation interne). Ainsi, de simples calculs font apparaitre que les Achrafiotes doivent s'attendre à voir germer dans le sous-sol de cet espace vert de Geitawi, au moins 11 000 m² de parking (8 750 m² de places de stationnement et 2 250 m² de voies de circulation). Nous aurons donc 11 000 m² sur 4 niveaux, ce qui nous donnera une surface au sol de 2 750 m² par niveau ! Comparée à la surface du jardin, 4 400 m², c’est 62,5 % du sous-sol qui sera condamné. Bilan des courses et des calculs, deux tiers du sous-sol du jardin de Geitawi sera bétonné en fin de chantier ! Eh wallah, badda tabél wou zamér!

Rachid Achkar nous rassure, « Le jardin sera refait, en plus beau. Les arbres ne seront pas jetés mais replantés. » Quelles foutaises. Mais quoi encore ! Arracher des ficus de plus de 50 ans, pour les stocker 4 ans je ne sais où, puis les replanter au dessus d'une dalle en béton et faire croire aux gens que la transplantation réussira, est une couleuvre que même des citadins qui n’ont pas la main verte auront du mal à avaler. Il faut donc arrêter de se foutre de la gueule des gens, et surtout de leur mentir. Au-dessus d’une dalle en béton armé de petits arbustes remplaceront les grands arbres. Avec une réalité aussi triste, comment la municipalité de Beyrouth ose prétendre qu’elle cherche à « augmenter la surface des espaces verts à l’intérieur du jardin », alors que son projet bétonnera 2/3 du sous-sol de cet espace vert, ce qui conduira ipso facto à arracher les grands arbres existants, pour les remplacer par de plantes de petites tailles ? Mystère et boule de gomme. Que la municipalité de Beyrouth cesse déjà de tailler sévèrement les arbres existants, pour en faire des arbres ridicules d’ornement, et les laisse s’épanouir comme il se doit et comme il se fait dans toutes les villes occidentales. Bala laf wou dawarann, par ce projet de parking, la municipalité de Beyrouth transformera ce magnifique jardin de cyprès, de sapins et de ficus en une ridicule jardinière géante où quatre primevères, trois géraniums et deux pensées se battront en duel. Dans une ville où il fait autour de 30° et même plus, six mois l’année, avouez que la municipalité de Beyrouth n'a vraiment pas peur du ridicule. Alors, vous comprenez mieux maintenant pourquoi la prétention de Bilal Hamad, « Le jardin des Jésuites restera intact. Après sa restauration il deviendra plus beau qu’il ne l’est aujourd’hui », est un non-sens grotesque !

Question pratique, le président du Conseil municipal de Beyrouth, a annoncé dans son apparition à la presse, « Nous avons demandé à une équipe de spécialistes de préparer une étude et de l’intégrer au projet, elle nécessitera entre 6 et 8 mois. L’attribution du projet et sa mise en œuvre demandera entre 2 et 3 ans. » Là aussi c’est la valse des chiffres. Rachid Achkar, lui, nous parle d'un an et demi ou deux ans de travaux ! Cette fois-ci c’est sans doute Bilal Hamad qui s’approche de la réalité. Dans le passé, on a même parlé de 4 ans. Mais bon, qu’importe nous ne sommes pas à un an près. Arrêtons-nous sur l’étude déjà. Une étude de quoi au juste ? Vous n’allez pas me croire, on ne l’a pas su. Est-ce sérieux ? J’en doute. Et pour cause. Une mobilisation citoyenne pousse le président du Conseil municipal à faire une déclaration à la presse, annonçant « une étude » sans plus de précision ! Avouez, qu’il est difficile de le prendre au sérieux. Etant donné cette opacité, je suis plutôt enclin à penser que c’est de la poudre aux yeux pour faire sérieux, et surtout, pour refroidir l’ardeur des protestataires contre ce projet.

Et malgré ce peu de sérieux et cette opacité, autour d’un projet aux conséquences aussi graves, Rachid Achkar, Monsieur Transport de la municipalité, a le culot de nous balancer : « Si une partie de la population s'oppose à ce projet, c'est qu'elle a une vue très courte de l'avenir. Pour notre part, nous faisons de la planification, nous travaillons sur le long terme. Le projet sera réalisé, nous ne sommes pas obtus, mais nous avons l'obligation de respecter les plans de développement. Nous faisons ce que nous pensons être le meilleur pour la ville. » De la planification, du long terme, un respect des plans de développement et le meilleur pour la ville ? Enno bass yé7ké ! Palabres au pays des palabres ! C’est nous qui avons une « vue très courte de l’avenir » ? La municipalité de Beyrouth creuse davantage son ridicule, en négligeant la répercussion de la mutilation du jardin de Geitawi -par le remplacement des grands arbres avec de minables plantes- sur la santé de tous les Beyrouthins, notamment les Achrafiotes. Comment des responsables publics, qui prennent une décision aussi grave, peuvent-ils ignorer que Beyrouth fut déclarée la 176e ville la plus polluée au monde selon une étude de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), menée en 2011 et portant sur 1082 villes ? La2, ma3jou2inn el chabeb. Dans une ville où les habitants ne disposent que de 0,1 million m² d’espaces verts -24 millions pour les Parisiens et 64 millions pour les Berlinois-, dans une ville où le plus grand espace vert, le Bois des Pins (un parc plus grand que le jardin des Tuileries et le jardin du Luxembourg à Paris !), reste toujours fermé au public alors qu’il aurait dû ouvrir en 2002, el chabibé veulent plus d’autoroutes et de parkings ! Pathétique. Rappelons que la pollution atmosphérique ignore les  frontières administratives et communautaires. Elle est à l’origine ou aggrave les cardiopathies, les cancers du poumon, les infections des voies respiratoires et l’asthme.

Dans tous les cas, nous ne demandons pas à la municipalité de Beyrouth de se surpasser pour nous offrir l’équivalent des tours-parkings de Wolkswagen à Wolfsburg en Allemagne, un parc automatique de 800 places de stationnement des voitures de la marque, ou mieux, du Santa Monica Civic Centre Parking Structure, un bâtiment de 6 étages en hauteur et 2 en sous-sol, qui permet de joindre l’utile à l’esthétique, en offrant à la ville un « beau » parking de 900 places et de produire de l’électricité grâce aux panneaux photovoltaïques installés sur le toit. Bassita ma 7ada yidappriss ya chabeb, notre ambition est bien plus modeste. Je conseille à la municipalité de Beyrouth de s’abonner déjà à la revue américaine « Parking » de la Nation Parking Association, je suis sûr qu’elle trouvera de quoi s’en inspirer. En attendant, revenons sur terre, je réitère mes trois questions à la municipalité de Beyrouth, concernant les solutions alternatives à ce projet absurde.

1. Pourquoi diable, aller défigurer un jardin public et arracher des grands arbres, alors qu’on peut construire des bâtiments-parkings avec quatre sous-sols et dix étages, entièrement consacrés au stationnement des voitures sur les parcelles appartenant à la municipalité de Beyrouth, dont l’une se situe non loin du jardin de Geitawi ?

2. Pourquoi la municipalité de Beyrouth ne signe pas de partenariats avec les promoteurs de la ville, prenant à sa charge, moyennant une indemnité pour les propriétaires, la construction de parkings souterrains sur des parcelles privées qui sont déjà dédiées à la construction, et qui seront mis en vente et en location, aux non-résidents des futurs immeubles ?

3. Pourquoi ne pas utiliser l'ensemble de la voirie, qui est dans le domaine public, pour construire des parkings souterrains ?

Au total, je pense que la nouvelle équipe municipale de Bilal Hamad devrait renoncer à créer un parking dans le jardin de Geitawi, comme l’a fait avec beaucoup de sagesse l’ancienne équipe de la municipalité de Beyrouth, en 2009, au sujet du jardin de Sanayé3. Le Conseil municipal, doit se pencher sérieusement sur les solutions alternatives, pour régler les problèmes de stationnement, et abandonner définitivement l’idée farfelue de mutiler le peu d’espaces verts que nous avons pour en faire de hideux parkings.

Réf.