lundi 26 septembre 2016

« Libérez les enfants » un superbe court-métrage réalisé pour des marques de lessive ! (Art.389)


Par principe, je refuse de faire la promotion d’un produit commercial, encore moins d’une lessive. Je veux bien à la limite promouvoir de façon directe ou indirecte, les boules Quies, le Beaujolais nouveau ou un bloqueur de la dégradation enzymatique de la guanosine monophosphate cyclique (en gros, le Viagra et ses frères), mais Bakhos Baalbaki faisant la promotion d'une lessive, vous vous rendez compte ! Et pourtant, il faut que je fasse une exception pour « Persil » et « Skip », deux des 400 marques de la multinationale anglo-néerlandaise Unilever, aux 50 milliards d’euros de chiffre d’affaires. La raison réside dans un clip de moins de trois minutes mis en ligne récemment. Je vous conseille de le regarder d’abord et de lire la suite après. C’est comme ça que je l’ai découvert. C’est ainsi que j’y vais au cinéma. Avec le minimum d’informations, l’appréciation d’un film est toujours plus importante. Vous pouvez le visionner en VO (version originale anglaise pour Persil) ou en VOST (version originale sous-titrée en français pour Skip).

Certes, Persil et Skip ne cherchent à faire ni de la sociologie ni de la philosophie ni de la cinématographie. Ils font tout simplement du marketing. Leur objectif est simple, vendre plus de paquets de lessive dans le monde. Et pour cela, tous les moyens sont bons. Ainsi, le film « Libérez les enfants » doit être placé dans une stratégie de communication intelligente, mais qui n’est pas moins mercantile pour autant.

Dans un premier temps, les marques de lessive ont mené une enquête, au début de l’année, auprès de 12 000 parents dans dix pays différents. Celle-ci révéla tout haut, ce que tout le monde savait tout bas : le temps de jeu des enfants à l’extérieur a baissé dramatiquement au cours des dernières années. « Avec les pressions de la vie quotidienne, comme l’augmentation des contraintes de temps, le rétrécissement des aires de jeux ou les nouvelles technologies, les enfants sont forcés de négliger de plus en plus un aspect vital pour leur développement : le jeu (à l’extérieur). » Dans un deuxième temps, Persil & Skip ont confié à Toby Dye la réalisation d’un film pour susciter une réflexion sur ce sujet inquiétant. Pour ce faire, on opta pour une idée originale simple. Quoi de plus fort que de parler de la liberté d’être dehors en interrogeant des prisonniers qui justement, en sont privés ? Toby Dye réussit le pari sans montrer un seul môme, en tournant son documentaire dans la prison de haute sécurité de Wabash, qui se situe dans l’Indiana aux Etats-Unis.

Sur le plan général, « Libérez les enfants » est un court-métrage poétique, esthétique et touchant. La musique vous scotche à l’écran. Sur le fond, il montre deux univers parallèles. Au premier plan, on retrouve les hors-la-loi, dont les sorties à l’air libre, dans l’enceinte de la prison bien entendu, sont codifiés et limitées à deux heures par jour. En arrière plan, il y a un monde d'innocence, où des êtres humains du bel âge sont libres comme l’air. Et pourtant, la révélation du documentaire est préoccupante : les enfants de nos jours passent moins de temps à l’air libre que les prisonniers ! Ils sont en quelque sorte eux aussi prisonniers, des écrans et de leur plein gré.

Il n’est pas question dans cet article de dénigrer les smartphones, les tablettes, les ordinateurs ou les télévisions. Je ne fais pas partie de ceux qui boivent du puits, pour cracher dedans ensuite. L’Humanité est entrée dans une nouvelle ère qui est remarquable. Il faut l’admettre, voir les avantages des nouvelles technologies de l'information et de la communication et éviter de se placer dans le déni, le mépris et la nostalgie. Savoir si c’était mieux avant ou pas, n’est pas vraiment la question. Néanmoins, il y a deux évidences qui s'imposent.

La première est élémentaire. Le temps passé derrière un écran est forcément pris sur le temps passé à jouer dehors, et vice versa. Les deux modes de vie étant parfaitement compatibles, disons que tout est une question d’équilibre. Cela est même souhaitable. On se met avec un plus grand plaisir derrière un écran, quand on a passé du temps à l’extérieur. On est d’autant plus content d’aller jouer au foot quand on a passé du temps sur une console de jeux.

Mais, une telle équation ne marche qu’à trois conditions. D’abord, les adultes doivent être conscients du besoin impératif d’équilibrer les activités. Ceci doit les amener à rejeter la solution de la « facilité » des écrans pour avoir la paix et la sécurité, où les enfants s’occupent tout seuls pendant de longues heures et prennent peu de risques du fait qu’ils restent chez eux. Ensuite, les parents doivent être en mesure d’imposer cet équilibre à leurs enfants, sachant que les activités à l’extérieur nécessitent un grand effort, du côté des parents (pour les conduire, les surveiller, etc.), comme du côté des enfants (cela va de soi), alors que celles à l’intérieur sont à moindre effort, voire complètement passives pour ces derniers. Enfin, les enfants ne doivent pas être déjà addictifs aux écrans car à ce stade, c’est peine perdue, ils n’ont plus de plaisir pour les activités de plein air.

Mais, comment des adultes peuvent imposer quoi que ce soit à des enfants de l’âge de raison (à partir de 7 ans) et de l’âge bête (premier stade de la puberté), et faire entrer des adolescents de l’âge ingrat (période de la puberté) dans l’âge mûr de la vie, quand ils se retrouvent eux-mêmes prisonniers de leurs écrans tout autant ? Il n’y a qu’à observer à quoi peut bien ressembler un déjeuner en famille et un dîner entre amis, pour se rendre compte de la difficulté de la tâche. Là aussi, d’autres films l’ont merveilleusement bien illustré. Tout ceci est vrai de vrai, mais, il existe une différence majeure entre nos générations d’une part, et la génération Z et celles à venir d’autre part : l’addiction à l’écran des adultes d’aujourd’hui n’est et ne sera probablement pas aussi gravissime que celle des adolescents de nos jours et des enfants de demain.

D’ailleurs, vous n’êtes peut-être pas au courant, mais ce n’est pas par hasard que le NoPhone est en passe de détrôner l’iPhone dans certains cercles très restreints de bobos. Eh oui, ce joujou d’adulte est soi-disant destiné à combattre la dépendance au téléphone portable. Freud et Jung se retournent dans leurs tombes ! Voilà un objet en plastique, qui ressemble à un iPhone, mais qui n’offre aucune fonctionnalité utile, à part qu’il est water-closet-proof. A ce qu’il parait, la société new-yorkaise qui le fabrique en a écoulé 10 000 exemplaires en deux ans, à 10$ la pièce svp, malgré le fait que le concept est stupide, forcément stupide à partir du moment où le produit est fabriqué alors qu’il ne sert à rien, à part gaspiller les ressources de la Terre et polluer la planète bleue, pour faire du fric et épater la galerie pendant 7 secondes, sans dissuader quiconque à abandonner son iPhone dans la cuvette des toilettes, ni à enclencher la moindre réflexion sur l’addiction au smartphone. Un exemple de plus du surréalisme contemporain.

Nouvelle innovation, le fabricant met à disposition des pigeons-amateurs, depuis le début du mois de septembre, la possibilité d’acheter un NoPhone Air : un emballage vide à 3$ la pièce svp, qui a séduit une partie de la presse anglosaxonne. Et ça veut se moquer de l’affaire du burkini en France ! Pourtant, ce n’est qu’une stupidité de plus, qui vaut son pesant de plastique et de déchets, qui sera fabriqué pour faire sourire des esprits abrutis, la moitié d’un quart de seconde, au détriment des générations futures. Pas de doute, la pire des addictions n’est pas celle au smartphone. Les moronbrains, il faut les fuir comme la peste. 

Dernière anecdote, qui date seulement de la nuit dernière, cette photo prise le 21 septembre par la photographe d’Hillary Clinton, Barbara Kinney. Sans le vouloir, elle a résumé en un cliché une double forme d’addiction des temps modernes, celle au smartphone et au selfie !

Trêve de plaisanteries, passons maintenant à la deuxième évidence. A part la génération Z, née vers la fin des années 1990 et après l’an 2000, nous appartenons tous à des générations qui ont connu deux mondes. Le monde d’antan, celui du téléphone fixe avec fil (sans téléphone portable, sans répondeur, sans même la possibilité de se déplacer dans son appartement, sa maison ou son jardin !), celui de quelques chaines de télévision (sans live et sans thème, dont le nombre ne dépassait pas les doigts d’une seule main et qui n’émettaient pas 24h/24) et celui des cartes postales (et de la joie immense d’en recevoir et d’en écrire). Nous avons connu aussi le monde d’hier, celui des jeux de société (et non des jeux solos), ainsi que celui des journaux et des livres en papier (et non des versions numériques). Ces mondes d’antan et d’hier, ne sont pas forcément mieux que ceux d’aujourd’hui et de demain. Mais, il faut reconnaitre qu’ils nous ont permis d’apprendre à jouir du peu de choses que nous avions, à se réjouir d’une nouveauté, à consommer avec modération, à profiter du moment présent, à savoir attendre, à s’émerveiller, et j’en passe et des meilleures. 

Oui, le monde d’aujourd’hui offre aux adultes, aux adolescents et aux enfants plus de libertés. C’est splendide. Mais, la question est de savoir, à quoi peut bien servir l’extension du champ des libertés dans les sociétés contemporaines ? A notre humanisation, par le développement de nos qualités humaines, ou à notre aliénation, par la perte de ce que nous possédons naturellement ?