dimanche 4 septembre 2016

« London 1666 » s’embrasera ce soir pour commémorer le « Grand incendie de Londres » survenu il y a 350 ans (Art.385)


Londres se lance dans le surréalisme artistique pour commémorer le grand incendie de 1666

Et dire qu’on ne pouvait plus retenir certains Anglais de s’en donner à cœur joie. A cause du positionnement de la France dans le Brexit, ils se sont emparés avec un brin de sadisme et de rancune de l’affaire surréaliste du burkini, pour se moquer de la France. Le nouveau maire de Londres, Sadiq Khan, s’est même autorisé de haut de ses talons, soit dit avec amabilité, à faire la leçon au monde, sans trop se mouiller d’ailleurs : « Personne ne devrait dicter aux femmes ce qu'elles doivent porter. Un point c'est tout. C'est aussi simple que cela. » D’accord sur la 1re partie, passe encore pour la 2e, c’est un peu court pour la 3e très cher. Toujours est-il que c’est autour de Londres de se placer sous le feu de l’actualité surréaliste ce weekend, sans que les gaillards outre-Manche ne s’en offusquent. Eh oui, c’est toujours le pet des voisins qui est insupportable. Ce soir, devant des dizaines de milliers d’yeux rassemblés pour l'occasion, on commémorera le 350e anniversaire du grand incendie de la ville. L’événement contemporain se veut aussi impressionnant que l’a été l’événement historique.


Et la Cité de Londres s’embrasa entre le 2 et le 5 septembre 1666 

Nous sommes un dimanche comme aujourd’hui, le 2 septembre 1666. Peu de temps après minuit, un feu démarre dans une boulangerie située dans Pudding Lane, qui se trouve à l’intérieur du mur romain du côté de la Tamise, en face du pont de Londres. Rien d’extraordinaire dans une grande ville européenne à l’époque. Et pourtant, malgré un système d’alerte efficace (les cloches des églises et les crieurs de rues), la sensibilisation civique (pour lutter avec les moyens du bord, sceaux et longues échelles), des fourgons d’incendie (déjà à l’époque) et des équipes de démolisseurs (afin d’empêcher les flammes de se propager ; la démolition se faisait soit avec de longs crochets, soit au moyen d’explosifs, selon la taille des bâtiments), le feu s’est propagé rapidement aux quatre coins de la ville. Nul ne savait à l’aube de cette sinistre journée, que l’énième incendie en cours, sera l’un des embrasements urbains le plus grave de l’histoire.

Le grand incendie de Londres en 1666
Carte réalisée par Sémhur, Wikimedia Commons
Il y a plusieurs raisons pour expliquer l'entendue et l'ampleur des dégâts. Le mode vie (éclairage à la bougie, lampe à huile, feu de bois, stockage de matières inflammables...), des habitations denses, l’étroitesse des rues, les constructions en bois (en dépit de certaines interdictions), des bâtiments en hauteur, une architecture à encorbellement (pourtant interdite car elle rapprochait les demeures dans les rues étroites), les entrepôts des quais de la Tamise, l’état d’esprit des gens (surestimant la dangerosité de l’incendie, certains étaient tétanisés et préoccupés par sauver leur peau ; d’autres sous-estimant le feu, se préoccupaient plutôt de leurs biens que d’éteindre l’incendie) et les vents forts. On peut y rajouter l’incapacité du maire de Londres, Thomas Bloodworth, à ordonner la création de coupe-feu artificiels en détruisant d’une manière préventive des habitations en amont (principe suivi même de nos jours dans les feux de forêts) et le retard des magistrats de la ville à accepter l’engagement des troupes royales de Charles II (qui a fini par reprendre les choses en mains, mais c’était trop tard).

Le bilan est terrible. L’incendie a détruit 13 200 maisons, jetant dans la rue 75 000 des 500 000 habitants de Londres à l’époque. Il ravagea la Cité (qui était déjà le centre commercial de la ville ; elle était dominée par les classes populaires et marchandes), les bâtiments officiels et 87 églises dont la cathédrale Saint-Paul. On estime les dégâts matériels à l’équivalent de 1,2 milliard d’euros de nos jours. Paradoxalement, on ne dénombrera qu’une dizaine de morts (chiffre contesté ; certains parlent de plusieurs milliers). Comme dans tous les événements tragiques de ce genre, le peuple chercha des boucs émissaires. La paranoïa collective était alimentée par l’ampleur du désastre et l’impuissance des autorités face à l’incendie. Les événements récents et plus lointains agissaient sur les esprits comme de l’huile sur le feu. Certains ont fait le rapprochement avec les « guerres anglo-néerlandaises » de 1665-1667 et 1652-1654, pour le contrôle des routes commerciales maritimes. D’autres ont pensé à un remake de la « conspiration des poudres » de 1605, quand en pleine tension religieuse, un groupe d'Anglais catholiques, dont le célèbre Guy Fawkes (popularisé par le masque d’Anonymous et le héros de la bande dessinée et du film "V pour Vendetta"), a tenté de renverser la monarchie protestante en faisant sauter la Chambre des communes et en assassinant le roi Jacques Ier. Les soupçons se sont dirigés sur des Hollandais, des Français et des Anglais catholiques, dont un certain nombre échappera aux flammes mais périra au cours de lynchages populaires.

Cette catastrophe est survenue à la fin d’une terrifiante épidémie de peste, apportée par des bateaux en provenance des Pays-Bas deux ans plus tôt et qui tua 1/5e de la population londonienne. Malgré l’ampleur des dégâts, certains historiens considèrent que c’est le grand incendie de Londres qui a éradiqué l’épidémie de peste de 1665, en détruisant des quartiers insalubres de la ville.

London 1666 : un spectacle artistique monumental et éphémère

350 ans plus tard. Il a fallu des mois de travail acharné pour construire au bord de la Tamise, une cité miniature en bois de 120 mètres de long, représentative du panorama urbain de Londres au 17e siècle. Des Londoniens de tout âge ont prêté main forte à des professionnels, pour réaliser cette œuvre de l’artiste britannique David Best et de l’entreprise anglaise Artichoke.

"London 1666", projet de David Best et d'Artichoke
Commémoration du grand incendie de Londres
"Mise à feu" : dimanche 4 septembre 2016 à 20h30

Pour y parvenir, il fallait beaucoup de moyens. Mais ce n’était pas suffisant. Tous ceux qui en ont ne parviennent pas à faire de même. Un autre ingrédient est capital dans ce genre de projet collectif, c’est cette passion communicative, une denrée rare dans nos contrées. Celle-ci forge le respect, surtout quand on imagine que tous ceux qui ont contribué à ce projet pharaonique savaient que leur œuvre est éphémère. Une « mise à feu » est prévue. Elle est programmée pour aujourd’hui. A 20h30, la barge qui porte un Londres miniature de 1666, s’embrasera au bord de la Tamise. Ce projet est évidemment fascinant. L’œuvre artistique brûlera pendant des heures, comme Londres avait brûlé pendant des jours. Justement, il est là le problème : tout partira en fumée.

London 1666 : un événement célébrant le gaspillage et la pollution

Si j’ai pris la peine de développer la partie historique, c’est pour mieux faire sortir le crétinisme de la partie artistique. Est-ce que le meilleur moyen de commémorer un désastre de l'histoire est de se rassembler pour admirer un feu géant ? Non, c'est obscène. London 2016 est-il à la hauteur de London 1666 ? Surement pas, l'événement historique est une tragédie, alors que le projet artistique est un divertissement.

Artichoke se définit comme « une entreprise créative qui travaille avec des artistes pour envahir nos espaces publics afin d’y créer des événements extraordinaires et ambitieux qui vivent dans la mémoire pour toujours ». Non mais justement, quel gâchis, il n’en restera rien de tant d’efforts humains et d’un si beau travail ! Pourquoi ne pas avoir décidé de reconstruire la cathédrale Saint-Paul en miniature par exemple et de l’offrir à l'humanité et pour l’éternité ? Ah, mais parce que la préoccupation des organisateurs est ailleurs. Le pyrotechnicien assure dans la vidéo de promotion de l’événement, qu’ils feront en sorte que « les effets des flammes apparaissent aussi beaux que possible sur la structure ». D’un grotesque inouï.

David Best, Projet "Temple" à Derry-Londonderry,
Irlande du Nord (Source vidéo Artichoke)

David Best est un sculpteur américain âgé de 71 ans. Il s’est spécialisé dans la construction de temples géants destinés à être incendiés. Dans ce cadre, il a participé à plusieurs reprises au festival Burning Man, qui se tient tous les ans depuis 1990 (la dernière semaine du mois d’août), dans le désert de Black Rock au Nevada aux Etats-Unis. Pour faire simple, il s’agit d’une manifestation insolite où se mélangent création artistique, nostalgie hippie, vie communautaire et fête païenne. Un des principes de base qui guident les « burners » à Black Rock City, la cité éphémère où se déroule cette réunion qui attire chaque année près de 70 000 persones, est « leave no trace » (ne laisser aucune trace). Non seulement cela relève de la mythologie, mais en plus, depuis la création du festival en 1986, la coutume veut qu’on incendie une effigie humaine de plusieurs mètres (12 m à 35 m), ainsi qu’une partie des œuvres créées et exposées. Et comme si cela ne suffisait pas, à partir de l’an 2000, on introduisit une nouvelle coutume avec David Best justement, l’incendie de temple construit pour la circonstance. L’artiste américain a participé à huit projets déjà, dans le Nevada, et d’autres dans divers coins du monde, dont ceux de Temple à Londonderry l’année dernière (Irlande du Nord) et de London 1666 à Londres ce soir !

« Temple », projet de David Best et d’Artichoke
Derry-Londonderry (Irlande du Nord, 2015)
Captures d'écran, vidéo réalisée par Artichoke

La création artistique de David Best et d’Artichoke n’est pas sans rappeler celles de Christo que j’ai évoquées en juin. Les problèmes posés par ce genre d’art ou de spectacle, monumental et éphémère, sont de trois ordres. Primo, il y a le gaspillage financier. Tant que c’est de l’argent privé, cela regarde les artistes et les organisateurs. Mais, de l’argent public est forcément dépensé au cours de ces manifestations, ne serait-ce que pour le contrôle et la sécurité, ainsi que le « soutien culturel » direct ou indirect de ce genre d'événements publics. Secundo, il y a l’impact de toutes ces activités humaines inutiles et si agressives (bruit et chaleur) sur la faune et la flore. Tertio, il y a l’impact particulièrement nuisible de l’incendie volontaire sur l’environnement, la pollution atmosphérique et le changement climatique. Outre la quantité hallucinante de bois qui sera brulée pour épater la galerie, il y a aussi les tonnes de combustible pour s’assurer un incendie conforme aux attentes. Dire que tout cela se passe en 2016 est tout simplement difficile à croire !

Et pour compenser ce grand désastre en perspective, rien de mieux que l’étalage de « bons sentiments ». On n’y échappe pas avec London 1666. Le summum du grotesque se trouve dans cette vidéo retraçant l’histoire du projet, où le réalisateur n’a manifestement voulu montrer que des jeunes issus de l’immigration (vrai de vrai !), avec des jeunes filles essentiellement voilées, aidant à bâtir ce bûcher des temps modernes, avec la félicité du patriarche du projet, David Best : « Ce que l’on essaie de dire à ces jeunes c’est ‘vous pouvez le faire’ ». Faire quoi au juste ? Incendier un beau travail, en polluant l’atmosphère et en traumatisant la faune ! Non mais, c'est le grand délire.

Grand incendie de Londres, 4 septembre 1666
Artiste inconnu - (Wikimedia Commons)


« London 1666 » n’est digne ni de la ville de Londres ni de la tragédie de 1666, encore moins de notre Terre et de notre époque

Je terminerai cet article sur David Best comme j’ai terminé celui sur Christo. Certes, l'art ne se discute pas. On pourrait même s’en foutre royalement, si les caprices de David Best depuis une vingtaine d’années, ne sont pas aussi néfastes pour l’environnement. On nous rassure que les temples de l’artiste sont bâtis à partir de « bois recyclé » et un « combustible propre ». On connait la chanson, avec Christo justement. Comme si le recyclage et la combustion se font avec une baguette magique, sans énergie et sans pollution ! Pire encore, comme si l’excuse du "bois recyclé" et du "combustible propre", donnent le droit à certains humains gâteux de gaspiller les ressources de la Terre et des générations futures, de polluer l’environnement et de perturber la faune, pour étonner des mortels à l’émerveillement bien émoussé ! Non mais, ça servait à quoi de pomper l’air des citoyens responsables pendant des semaines avec la COP21, la Conférence de Paris sur le climat, et l’absolue impérative nécessité pour l’Humanité de parvenir à un accord international qui soit accepté par tous les pays de cette perle de l'Univers, fixant la limite du réchauffement mondial de la Terre à 2°C d’ici 2100, pour que neuf mois plus tard, de l’autre côté de la Manche, on autorise ce spectacle insensé, grotesque et stupide ? L’excuse écologique bidon du recyclage et du combustible propre aidera peut-être des imbéciles-heureux à se déculpabiliser en regardant une œuvre d’art brûlée. Mais David Best, comme Christo, nous donne un magnifique exemple d’égocentrisme humain qui se fout des enjeux environnementaux de la planète Bleue. Enfin, ce n’est pas seulement la faute de David Best et d’Artichoke. C’est aussi celle des politiciens, des médias et des citoyens, qui se retrouvent dans cet événement scandaleux, à la fois irresponsables, complaisants et irréfléchis

Allez, à 20h30 ce soir à Londres (21h30 à Paris et 22h30 à Beyrouth), « Watch it burn » et commémorez le « 350th anniversary of the Great fire of London », pour mieux apprécier la bêtise humaine dans toute sa splendeur.

London 1666